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[Tribune] E-commerce : deux ou trois choses que la pandémie nous a apprises sur la résilience africaine

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Mis à jour le 12 mai 2021 à 09h26
 
 

Par  Eran Feinstein

Directeur général et cofondateur de DPO Group, spécialiste des paiements numériques présent dans 19 pays africains.

Formation des jeunes aux technologies en Afrique du Sud. Bibliothèque de Masiphumelele, Afrique du Sud.
Formation des jeunes aux technologies en Afrique du Sud. Bibliothèque de Masiphumelele, Afrique du Sud. © Beyond Access/Flickr/Licence CC 

L’année 2020 a été un moment décisif pour l’accélération du numérique en Afrique. En voici quelques enseignements.

Dans le secteur de la santé, le digital a été essentiel pour alléger la pression de la pandémie sur les systèmes de santé. La télémédecine, les diagnostics à distance et la recherche numérique des contacts figurent parmi les solutions digitales qui ont fait de grands progrès au cours de l’année écoulée. Les solutions de travail à distance qui permettent la collaboration en ligne ont progressé à pas de géant et ont permis à des millions de personnes de travailler et d’étudier depuis leur domicile.

La pandémie de Covid-19 a également entraîné une croissance généralisée du commerce en ligne. Lorsque les villes ont été confinées et que les entreprises non essentielles ont été contraintes de fermer boutique, les entreprises et les consommateurs se sont tournés en grand nombre vers les achats en ligne. Au Royaume-Uni, la part du commerce en ligne dans le total des ventes au détail a augmenté rapidement au cours du premier trimestre de 2020, passant de 20,3 % à 31,3 %.

Des évolutions similaires ont également été observées aux États-Unis, ainsi que sur les marchés en développement, comme l’Amérique latine, qui a connu une croissance remarquable de 36,7 %. Le géant mondial du commerce en ligne Amazon a enregistré une augmentation sans précédent des transactions, avec des ventes atteignant 386 milliards de dollars et un bénéfice net en hausse de 84%.

En Afrique, nous observons des tendances similaires. La plateforme africaine de commerce en ligne Jumia a fait état d’une hausse de 50 % des transactions au cours des six premiers mois de 2020. En tant que société de paiement numérique ayant la plus grande portée géographique en Afrique (19 pays), nous avons remarqué une forte augmentation des volumes de transactions sur tout le continent, l’Afrique du Sud étant sans surprise en tête, mais d’autres marchés comme le Kenya, la Tanzanie, le Nigeria et le Ghana affichant également des hausses significatives.

Une base encore faible d’adoption du commerce en ligne

Cette tendance est sans aucun doute prometteuse, en particulier sur un continent qui part d’une base beaucoup plus faible en matière d’adoption du commerce en ligne par rapport aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Cependant, il reste des obstacles importants à la transformation numérique de l’Afrique. L’infrastructure informatique limitée ou de mauvaise qualité est un défi majeur.

L’Union internationale des télécommunications estime que la proportion de personnes dans la région qui utilisent internet occasionnellement ou plus, n’est que de 28,2 %, ce qui est extrêmement inférieur à la moyenne des pays en développement (47 %) et des pays développés (86,3 %). En outre, la Banque mondiale estime que 350 millions de personnes en Afrique subsaharienne sont « non bancarisées », c’est-à-dire qu’elles n’ont pas accès à un compte bancaire traditionnel.

Ce sont ces défis, cependant, qui ont stimulé l’innovation locale que nous observons sur le continent. L’argent mobile, qui compte plus d’utilisateurs en Afrique subsaharienne que dans n’importe quelle autre région du monde, a joué un rôle clé dans l’inclusion financière et a permis aux paiements numériques de remplacer les transactions en espèces lorsque des restrictions sanitaires sont en place. L’Afrique a une histoire ancienne avec l’argent mobile.

En fait, ce sont deux pays africains, le Kenya et l’Ouganda, qui ont été les premiers à introduire l’argent mobile comme option de paiement au milieu des années 2000. Selon le dernier rapport de la GSM Association – association internationale qui représente les intérêts des opérateurs –  sur l’économie mobile en Afrique subsaharienne, 548 millions de personnes dans cette région étaient abonnées à des services mobiles à la fin de 2020, soit près de 50% de la population.

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LE DIGITAL EST ESSENTIEL AU REDRESSEMENT DES PME ET À LA CROISSANCE DE LEUR ACTIVITÉ

Résilience des PME en 2020

Si l’année dernière a été marquée par des difficultés économiques, elle a également vu une résilience impressionnante, notamment parmi les petites et moyennes entreprises (PME) d’Afrique. Alors que les géants mondiaux du commerce électronique ont vu leurs ventes, leurs transactions et leurs bénéfices augmenter fortement, les PME ont dû se battre pour leur survie.

Les PME africaines sont traditionnellement des entreprises « en dur » pour lesquelles le commerce en ligne est loin d’être une activité habituelle. Un autre défi majeur consiste à s’assurer que ces entreprises, qui représentent 90 % des entreprises en Afrique et fournissent, selon les estimations, 70 % de toutes les possibilités d’emploi, ne sont pas laissées pour compte dans la transformation numérique du continent. Et qu’elles puissent également bénéficier, au même titre que les grandes entreprises, de l’accélération rapide des solutions numériques disponibles pour les entreprises. Pour les PME en particulier, outre l’atténuation des effets de Covid-19, le digital est essentiel à leur redressement et à la croissance de leur activité.

Pour aider à résoudre ce problème, DPO a lancé en avril de l’année dernière, une solution de commerce en ligne gratuite pour permettre aux commerçants de transférer rapidement leurs activités en ligne et de continuer à commercer avec les clients, un atout de taille pour de nombreuses petites entreprises, en particulier les services essentiels tels que les supermarchés, les magasins d’alimentation, les pharmacies et les drogueries.

Un récent rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) prévoit que le commerce en ligne poursuivra sa trajectoire de croissance après la pandémie, puisque près de 50 % des consommateurs prévoient de continuer à faire des achats en ligne plus souvent qu’avant le Covid-19. Alors que les restrictions sanitaires s’assouplissent dans de nombreux pays et que nous nous tournons vers l’avenir, les entreprises qui adoptent la transformation numérique en sortiront non seulement résilientes mais seront bien mieux placées pour développer leurs activités à long terme.

2020, un tournant pour le digital

Alors que d’autres marchés semblent devenir plus fermés, l’Afrique se concentre de plus en plus sur son interconnexion. La zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA), qui est devenue opérationnelle le 1er janvier, a un énorme potentiel pour stimuler le commerce intracontinental. Le commerce en ligne transfrontalier donnera un véritable coup de pouce aux PME qui n’ont jusque-là pas pu atteindre les marchés régionaux et internationaux, en leur permettant d’entrer en contact avec des clients potentiels au-delà de leurs frontières.

La transformation numérique de l’Afrique a le potentiel de transformer les économies et les emplois. Malgré ses défis, 2020 a été un tournant pour le digital – et le commerce en ligne – en Afrique, le marché du commerce en ligne devrait doubler en taille pour atteindre 75 milliards de dollars d’ici à 2025. Si les niveaux d’innovation, de résilience et d’adaptation affichés par les entreprises au cours des douze derniers mois sont une indication de ce qui est à venir, l’avenir du continent est radieux.

[Chronique] Mali : les putschistes protègent-ils leurs arrières ?

| Par 
Glez

Une proposition de loi sur la rente à accorder aux anciens présidents de tout organe parlementaire et législatif fait polémique. Le projet ne serait-il pas un tantinet opportuniste ?

Comment améliorer le rang du Mali – 184e sur 189 pays – dans le classement du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) ? Des législateurs semblent avoir répondu en améliorant le développement humain… des anciens dignitaires.

Un membre du Conseil national de la transition (CNT), l’organe qui joue actuellement le rôle d’Assemblée nationale, vient de formuler une proposition de loi accordant des avantages et un régime de pension spécial de retraite aux « anciens présidents de l’Assemblée nationale ou de tout autre organe parlementaire et législatif en République du Mali » à hauteur de « leur rang ». Un texte qui prévoit pension, passeport diplomatique, véhicule avec chauffeur et avantages diverses, comme la prise en charge complète des frais médicaux.

Peur de la précarité ?

Comme il fallait s’y attendre, la lecture polémique du projet a précédé la discussion du texte. Ses promoteurs invoquent la nécessité d’éviter que d’anciens dignitaires sombrent dans la précarité.

Au cœur du landerneau politique, dans les grins des buveurs de thé ou sur les réseaux sociaux, les contradicteurs évoquent la fragilité des moyens de l’État et l’illusion d’une théorie du ruissellement selon laquelle l’aisance de certains rejaillirait sur le citoyen lambda par le biais de la consommation ou de l’emploi.

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ON DOIT SERVIR L’ÉTAT ET NON SE SERVIR

Ils rappellent que des avantages existent déjà, dans le cadre constitutionnel, et qu’un mandat politique ne se substitue pas à toute vie professionnelle rémunératrice durant le reste de la vie active. « On doit servir l’État et non se servir », rappelle Sidibé Hassane, membre du CNT.

Un sujet sensible en cette période

Certes, la question des pensions et autres avantages accordés par l’État à ses anciens serviteurs a provoqué des grincements de dents dans un grand nombre de pays africains, des avantages à vie que l’ancien Premier ministre congolais Bruno Tshibala voulut octroyer aux anciens membres du gouvernement, en 2019, à l’honorariat pour anciens présidents du Conseil économique, social et environnemental (CESE) dont il fut question au Sénégal, en 2020. Mais ce sujet est particulièrement sensible en période d’exception…

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AUCUN MALIEN N’A OUBLIÉ LE DÉBAT SUR L’ÉVENTUEL STATUT D’ANCIEN CHEF D’ÉTAT DU PUTSCHISTE AMADOU HAYA SANOGO

Cette proposition de loi intervient en pleine période de transition, laissant suspecter une manœuvre opportuniste à usage personnel. Aucun Malien n’a oublié le débat sur l’éventuel statut d’ancien chef d’État du putschiste Amadou Haya Sanogo, qui le fut de facto pendant vingt jours.

Cette fois, ne s’agit-il pas de faire accéder aux avantages constitutionnels le colonel Malick Diaw, l’actuel président du CNT qui participa, en août 2020, à la perturbation de l’ordre constitutionnel ?

Tchad: d'où vient l'arsenal des rebelles du Fact?

Dans cette image diffusée par l'armée tchadienne le 18 avril, des rebelles présumés appartenant au Fact sont faits prisonniers à la suite d'affrontements avec des soldats à Nyze, dans le Kanem, le 17 avril 2021.
Dans cette image diffusée par l'armée tchadienne le 18 avril, des rebelles présumés appartenant au Fact sont faits prisonniers à la suite d'affrontements avec des soldats à Nyze, dans le Kanem, le 17 avril 2021. AFP - -

L’armée affirme avoir mis « hors d'état de nuire » la rébellion du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (Fact) après de violents combats dans la zone de Nokou, au nord de Mao, dans la province du Kanem. Dans un communiqué, le groupe rebelle dénonce l'ingérence de Barkhane dans ce qu'il appelle des affaires « tchado-tchadiennes ». Il y a une semaine, les rebelles du Fact ont affirmé avoir abattu un hélicoptère MI de combat de l’armée tchadienne venu bombarder leurs positions. Des affirmations démenties par l'armée tchadienne, qui parle d'une panne. Mais qui relancent le débat sur l'arsenal des rebelles.

 

Avec notre correspondante à NdjamenaAurélie Bazzara-Kibangula

Sur les images captées par les autorités, des canons anti-aériens et antichars DCA 23 millimètres de longue portée, des mortiers de 120 millimètres... Les calibres les plus puissants sur le marché. Mais aussi des mitrailleuses 14,7 millimètres et des centaines de caisses de munitions. Le tout transporté par des pick-up et des gros porteurs flambant neufs.

Voilà ce qu'aurait découvert en partie l'armée tchadienne après les combats qui l'ont opposée aux rebelles du Fact dans le Nord Kanem. Un butin de guerre fièrement exposé. Mais en coulisses, des sources sécuritaires affirment que l'armée a été surprise par la qualité et la quantité de cet équipement d'origine russe, égyptienne ou encore émirienne...

Le Fact aurait acquis cet arsenal dans le Sud libyen après des accords passés avec le maréchal Haftar. Une source sécuritaire tchadienne affirme que la société privée russe Wagner les aurait entraînés au maniement de ces armes sophistiquées.

 

« Des mensonges », rétorque le porte-parole du Fact, niant tout lien avec Wagner. Il affirme qu'Haftar leur a bel et bien donné des armes, mais que ce sont les combats contre les jihadistes du groupe État islamique et les cotisations de Tchadiens qui ont permis aux rebelles du Fact de s'équiper.

 

Guinée : Alpha Condé peut-il vraiment gouverner « autrement » ?

| Par - envoyée spéciale
Le président guinéen Alpha Condé au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba, en février 2020.

 

Depuis sa réélection, en octobre 2020, Alpha Condé a mobilisé l’exécutif autour d’un engagement, celui de changer de mode de gouvernance. Reste à savoir si c’est une « petite révolution », comme le soulignent ses équipes, ou un simple slogan.

Il y a sans doute des jours où, avec un peu de chance, on peut se permettre de ne pas aller au travail sans que personne ne s’en aperçoive. Le 8 mars 2021 n’était pas de ceux-là pour les employés de certains départements ministériels guinéens, dont l’absence a été constatée par leur supérieur : le président Alpha Condé lui-même. Ces « descentes surprises » du chef de l’État dans les administrations et les ministères ont un but bien précis, a-t-il expliqué : lutter contre l’absentéisme. « Toute absence sans justificatif vaut avertissement », menace d’ailleurs le président guinéen dans un entretien accordé fin mars à Jeune Afrique.

Au-delà de la mesure symbolique que représentent ces visites improvisées, l’avertissement, on l’a bien compris, est tout autre. Il vise à informer non pas uniquement les ministres et l’administration, mais l’ensemble du pays : en Guinée, les choses se feront désormais autrement. Cette « volonté de rupture » a été annoncée et détaillée par le chef de l’État lors de son investiture, le 14 décembre dernier. Meilleure redistribution des richesses, éradication de la corruption, redynamisation de l’administration, rationalisation de la dépense publique… Cette nouvelle bonne gouvernance implique beaucoup de promesses. L’exécutif pourra-t-il les tenir ?

On prend les mêmes et on recommence

« Ce processus correspond à trois piliers, détaille le ministre d’État, secrétaire général et porte-parole de la présidence, Kiridi Bangoura. Il s’agit d’abord de consolider nos acquis, et de remettre en question certaines pratiques, pour augmenter l’efficacité du gouvernement. Le deuxième pilier est celui de la bonne gouvernance : nous devons nous assurer que le moindre denier public est utilisé pour la bonne cause et le bon objectif. Le progrès social constitue le troisième pilier. » Avec un objectif pour le gouvernement : doubler les recettes intérieures du pays, qui représentent aujourd’hui 13 % du budget national, pour atteindre 26 % d’ici à 2026.

Pour cela, Alpha Condé entend remettre tout le monde au pas. Certifications des fonctionnaires avec l’appui de la Banque africaine de développement (BAD), « contrats de performance » passés avec ses ministres… Les évaluations – pour ne pas dire la surveillance accrue – des agents de l’État et du gouvernement seront renforcées.

« Au sein des ministères, tous ont des objectifs clairs de mobilisation des recettes, et s’engagent à les atteindre. S’ils ne les atteignent pas, le président tirera les conséquences qui s’imposent », détaille le ministre de l’Information et de la Communication, Amara Somparé. « Rien ne sera plus comme avant, promet Alpha Condé. Le temps du laisser-aller, du laisser-faire et de l’oisiveté dans le service public est révolu. »

En dépit de ces grands changements annoncés, l’équipe qui gravite autour d’Alpha Condé, elle, est restée majoritairement inchangée. Le Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, avait été rapidement reconduit à la tête du gouvernement le 15 janvier. Et le reste de son équipe a été progressivement nommé par la suite, avec une seule nouvelle membre : Kadiatou Emilie Diaby, chargée des Travaux publics.

Les autres ministres, reconduits à leur poste ou orientés vers un autre cabinet, faisaient déjà partie de l’équipe précédente. Sans surprise, les proches du président conservent les ministères régaliens : Mohamed Diané, gardien du temple du parti présidentiel, garde le contrôle du portefeuille de la Défense, Damantang Albert Camara celui de la Sécurité. Si ces reconductions n’ont pas manqué de provoquer une certaine frustration au sein du Rassemblement du peuple de Guinée (au pouvoir), celle-ci a rapidement été étouffée en interne.

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LE CHEF DE L’ÉTAT AURAIT ÉTÉ TENTÉ PAR UNE « PETITE RÉVOLUTION » AU SEIN DE SES ÉQUIPES

Gouverner autrement, donc… mais avec les mêmes ? Kiridi Bangoura n’y voit rien de paradoxal : « Pour faire les choses autrement, il faut changer les hommes, mais aussi donner à tous la chance de changer en même temps. Pas seulement le gouvernement, mais aussi les Guinéens. C’est la posture générale de la société qui doit changer. » « Ce n’est pas parce que l’on garde la même équipe que l’on ne peut pas changer de système de jeu », renchérit Amara Somparé.

Un proche du chef de l’État raconte toutefois que ce dernier avait été tenté par une « petite révolution » au sein de ses équipes. Il aurait en effet envisagé de demander la démission du gouvernement bien avant le 15 janvier, quitte à laisser les secrétaires généraux gérer les affaires courantes pendant plusieurs semaines.

Tour de vis

Cette idée de « gouverner autrement » met toutefois mal à l’aise, même au sein de l’équipe gouvernementale. « Il est possible de reconnaître qu’on n’a pas été à la hauteur des attentes des populations, mais il ne fallait peut-être pas le dire comme ça, glisse un membre de l’exécutif. D’autant plus que cette expression ne veut pas dire grand-chose : après tout, on ne peut gouverner autrement que selon ce qui est prévu par les textes régaliens. » Promettre de faire les choses différemment après dix ans passés à la tête de l’État, et au sortir d’une réélection contestée, n’est pas pour autant un aveu d’échec, veut croire l’équipe gouvernementale.

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AVEC LES RESSOURCES MINIÈRES ET AGRICOLES DONT NOUS DISPOSONS, COMMENT EXPLIQUER QUE NOUS N’AYONS PAS MIEUX FAIT JUSQU’À PRÉSENT ?

« Comme Alpha Condé le disait au moment de son élection, il a hérité d’un pays, pas d’un État. Il a eu beaucoup de réformes structurelles et profondes à à faire pour remettre le pays en ordre de marche », défend Kiridi Bangoura, qui parle d’un « souci de perfectionnement ». « Le président se pose la même question que tout le monde, se risque le porte-parole : avec les ressources minières et agricoles dont nous disposons, comment expliquer que nous n’ayons pas mieux fait jusqu’à présent ? »

On l’a bien compris, le chef de l’État entend ne plus rien laisser passer. Déjà peu réputé pour sa capacité à déléguer, Alpha Condé semble bien loin de lâcher du lest à ses équipes en ce début de troisième mandat. C’est ainsi que la Mission d’appui à la mobilisation des ressources internes (Mamri) a échappé au contrôle de la primature. Cette mission, chargée de la politique fiscale structurelle et de la modernisation des administrations fiscales afin de mobiliser les ressources internes, est désormais rattachée directement à la présidence.

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UNE SUPERPOSITION DES AGENCES POURRAIT ÊTRE PRÉJUDICIABLE À L’ACTION PUBLIQUE

Un poste spécialement conçu pour garder un œil sur les marchés publics depuis la présidence a également été créé. Nommée par décret, Myriame Naila Conté, ancienne fonctionnaire de la BAD, est chargée du suivi des passations de marchés publics. Il existe pourtant déjà, depuis la réforme du code les concernant en 2012, une direction censée en assurer le contrôle, rattachée au ministère des Finances. En coulisses, certains s’en étonnent et évoquent une « superposition des agences » qui pourrait être préjudiciable à l’action publique.

« Nous sommes dans un régime présidentiel, balaie Amara Somparé. Il est normal que le président veuille garder un œil sur les réformes majeures qu’il initie, surtout lorsque l’on touche aux marchés les plus sensibles, avec les montants les plus importants. » Officiellement, la fonction de Myriame Naila Conté permettra donc de mieux suivre la commande publique, qui constitue l’essentiel des dépenses de l’État, via un système de contrôle « à deux niveaux ».

Marketing politique

Pour le politologue Kabinet Fofana, en mettant l’accent sur le contrôle de l’équipe gouvernementale et de l’administration, Alpha Condé tente de battre en brèche les reproches d’une partie de l’opposition, qui considère qu’il n’en a pas assez fait au cours de ses mandats précédents. « Le chef de l’État parvient à jouer sur deux positions : parler de “gouverner autrement” lui permet de se positionner comme quelqu’un qui veut bien faire… mais avec une équipe qui n’en fait pas suffisamment, estime-t-il. Cette politique apparaît presque comme un slogan de campagne, qui toucherait plus au marketing politique. »

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BILAN : UNE BAISSE DRASTIQUE DES REVENUS DES MÉNAGES, UNE AGGRAVATION DU CHÔMAGE ET UNE FLAMBÉE DES PRIX

De son côté, Cellou Dalein Diallo, adversaire d’Alpha Condé à la dernière présidentielle, a opposé au « gouverner autrement » un bilan moins reluisant, celui d’une « crise économique, marquée par une baisse drastique des revenus des ménages, une aggravation du chômage et une flambée des prix des denrées de première nécessité ». Vainqueur autoproclamé du scrutin d’octobre, le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée, désormais forcé de mener ses assemblées générales par visioconférence, a perdu certains de ses cadres au profit du cabinet du nouveau chef de file de l’opposition.

Il en est de même pour l’Union des forces républicaines (UFR) de Sidya Touré, qui avait fait le choix de boycotter la présidentielle, lui. Mamadou Sylla, éphémère candidat au scrutin de 2020 qui avait finalement soutenu la candidature d’Apha Condé, a réussi à compter plus de membres de l’opposition dans son cabinet que de députés à l’Assemblée.

Il a toutefois promis de mener une opposition réfléchie à Alpha Condé : de quoi placer l’exécutif dans une position de force telle qu’il pourra mener à bien ses réformes sans difficultés, même si certaines risquent d’être impopulaires ? « Nous sommes dans une situation de détente politique. Mais à présent que la réélection est passée, il va falloir gérer les six années à venir : cela promet d’être une autre paire de manches », prédit Kabinet Fofana.

Sénégal – Mauritanie : des stratégies électriques jumelles ?

| Par 
La future unité flottante Grand Tortue Ahmeyim, située sur la frontière maritime entre Sénégal et Mauritanie.
La future unité flottante Grand Tortue Ahmeyim, située sur la frontière maritime entre Sénégal et Mauritanie. © BP

Les deux pays, qui bénéficient à la fois de gigantesques réserves gazières – dont l’exploitation est attendue en 2023 – et d’un potentiel solaire et éolien manifeste, élaborent un plan de route énergétique similaire qui doit leur permettre d’accélérer l’électrification et d’en baisser le coût.

Avril 2015 : la junior texane Kosmos Energy annonce la découverte d’un gigantesque réservoir de gaz baptisé Grand Tortue Ahmeyim (GTA) à 125 km au large des côtes sénégalaises et mauritaniennes. Pile sur la frontière maritime entre les deux pays, ce qui oblige ceux-ci à partager avec les exploitants BP et Kosmos les 425 milliards de mètres cubes de gaz et le pactole de leurs ventes estimé à une centaine de milliards de dollars sur plus de vingt ans.

Les explorations suivantes font apparaître de nouveaux puits. Dans les eaux mauritaniennes, c’est le bloc de Bir Allah qui laisse espérer 50 % de gaz supplémentaire. Dans les eaux sénégalaises, le bassin gazier de Yakaar-Téranga s’avère lui aussi de taille mondiale. Cerise sur le gâteau, l’importance du champ mi-pétrolier mi-gazier de Sangomar est mise en évidence, cette fois, par les australiens Woodside et FAR.

Les retombées de l’exploitation de ces gisements provoqueront des révolutions dans les budgets, dans les économies et dans le développement des deux pays. Il leur faut se préparer – à partir de 2023 en principe – à l’arrivée de recettes budgétaires accrues, d’une électricité plus abondante et moins chère, d’une énergie plus propre et de nouvelles possibilités d’activités manufacturières. En ce moment même, les deux gouvernements finalisent leur stratégie énergétique respective pour tirer le meilleur de cette manne annoncée.

L’électricité pour tous

Le Sénégal semble bien avancé dans sa réflexion. « Notre pays va bientôt rentrer dans le cercle restreint des pays producteurs d’hydrocarbures », a annoncé Mamadou Fall Kane, secrétaire permanent adjoint du Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (COS-Pétrogaz), lors d’un webinar organisé le 7 avril par Business France. « Une partie sera monétisée par l’exportation et apportera des recettes qui seront utilisées pour financer les infrastructures, l’éducation, la santé dont notre pays a grand besoin. Le reste sera consacré à une approche de la demande intérieure. »

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« SENELEC DEVRA CONVERTIR AU GAZ SES CENTRALES AU FUEL D’ICI À 2023 »

Trente-cinq millions de pieds cubes viendront chaque jour de GTA, complétés ensuite par la totalité de la production de Yakaar-Téranga, et seront consacrés au marché domestique. Objectif numéro un : atteindre l’accès universel à l’électricité en 2025, alors que le pourcentage des personnes y ayant accès s’élève à 65%. Pour ce faire, poursuit M. Kane, « il nous faut atteindre une puissance installée de 1.000 mégawatts cette année-là et notre entreprise publique d’électricité Senelec devra convertir au gaz ses centrales au fuel d’ici à 2023 ».

Le 31 mars, la première pierre de la future centrale à gaz du Cap des Biches a été posée. Exploitée par le consortium West African Energy dont la Senelec est actionnaire à 15%, elle aura une capacité de 300 mégawatts et coûtera 220 milliards de francs CFA (335 millions d’euros). Elle sera livrée en juin 2022 et abaissera les coûts de production de 40%. La raffinerie de Mbao, exploitée par la Société africaine de raffinage, sera mise à niveau par Technip pour pouvoir traiter de façon optimale le brut extrait du champ de Sangomar.

Expansion et compétitivité

Les ambitions sénégalaises dans le solaire et l’éolien sont également majeures, avec déjà une belle progression. En quelques années, les énergies renouvelables sont passées de zéro à 220 mégawatts grâce à une dizaine de centrales photovoltaïques et à la centrale éolienne de Taïba Ndiaye d’une puissance de 50 mégawatts. L’objectif est d’atteindre 386 mégawatts et 30% de la production totale d’électricité.

Le Sénégal n’entend pas s’arrêter là. « Avec un gaz moins cher grâce à une plus grande consommation, nous en aurons assez pour couvrir les besoins des investissements importants que nous espérons dans le domaine minier par exemple, déclare M. Kane. Cela devrait booster l’exploitation et la transformation des phosphates, de l’or, du fer, du zircon et de la bauxite de la sous-région. Par exemple, la Guinée expédie sa bauxite aux Emirats pour y être transformée. Nous pourrions devenir aussi compétitifs que les Emirats. »

La Mauritanie suit le même chemin que son voisin avec laquelle elle partage à égalité le champ de GTA. L’arrivée en 2023 du même quota de gaz (35 millions de pieds cubes) qu’au Sénégal accélère la réflexion à Nouakchott où l’on veut atteindre l’accès universel à l’électricité en 2030, ce qui sera difficile à atteindre compte tenu des grandes distances entre les centrales et les zones reculées où le taux d’accès est à peine de 3%.

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UNE LIGNE À HAUTE TENSION SERA MISE EN SERVICE ENTRE NOUAKCHOTT ET NOUADHIBOU AVANT LA FIN DE L’ANNÉE.

« La production de la première phase de GTA sera intégralement consacrée à la génération d’électricité à usage domestique, explique Moustapha Béchir, directeur des hydrocarbures au ministère du pétrole, de l’énergie et des mines. Actuellement, nous disposons de la centrale hybride de Nouakchott d’une puissance de 180 millions de mégawatts. Nous étudions deux options : relier GTA à celle-ci ou bien à une nouvelle centrale à cycle combiné de 250 millions de mégawatts dans la région de Ndiago. »

Une ligne à haute tension sera mise en service entre Nouakchott et Nouadhibou d’ici à la fin de l’année. La construction d’une autre vers le centre minier de Zouérate devrait bientôt débuter. Une troisième vers Néma est en cours d’étude.

« Nous avons un potentiel énorme en matière de solaire et d’éolien, poursuit M. Béchir. Mais le pourcentage de notre énergie renouvelable devra être déterminé en fonction de la stabilité de notre réseau. Notre vision est de nous appuyer au maximum sur le gaz, afin de diminuer notre consommation de fuel dans la mesure du possible. Vers la fin de cette année, nous devrions arrêter notre plan directeur de l’électricité, ainsi que notre schéma d’exploitation. Nous déciderons alors si l’activité production de notre entreprise publique Somelec doit être séparée de son activité de distribution ».

Cap sur le renouvelable

Les deux États n’ont donc pas fini de revoir de fond en comble leurs arsenaux juridiques, leurs codes gaziers et électriques, leurs organisations de production, de commercialisation et de distribution énergétique.

« Pour le Sénégal, c’est un grand chamboulement, analyse Florent Germain, responsable de l’équipe Projets énergie à l’Agence française de développement (AFD) et spécialiste de ce pays. Il n’y aura pas de grands problèmes techniques à substituer le gaz au fuel. Ils vont essayer de maintenir le mix à 30% d’énergies renouvelables en faisant croître ces dernières au même rythme que le gaz. Cela leur permettra de répondre à la formidable croissance de la demande qui est à deux chiffres chaque année. Ils profiteront de la baisse du prix de l’énergie, le gaz étant moins cher que le fioul, et pourront ainsi réduire les subventions à la Senelec ».

La problématique de la Mauritanie est comparable. « Elle mène une politique énergétique identique à celle du Sénégal : moins de fuel et plus de renouvelable, complète Mohamed Lemine, de la même équipe à l’AFD, qui ne participe pas au financement de ces projets. Une part de 70% à 80% de leur production électrique vient du fuel, ce qui représente un tiers des importations du pays. La balance commerciale s’en trouvera allégée. Le gaz contribuera aussi à diminuer la pression sur l’environnement en réduisant le recours au charbon de bois ».

Reste le déficit de moyens financiers des deux pays. Ils commencent à peaufiner leurs réglementations en matière de partenariat public-privé pour, notamment, séduire les investisseurs étrangers.