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[Analyse] Pourquoi l’économie burkinabè est parée pour la relance

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Mis à jour le 08 avril 2021 à 16h07
Transformation des céréales aux Grands moulins du Faso
Transformation des céréales aux Grands moulins du Faso © Renaud Van Der Meeren/EDJ

Même si la crise sanitaire a entraîné une récession de – 2 % en 2020, le cadre budgétaire reste maîtrisé et la reprise semble déjà amorcée.

Le bon élève burkinabè a été injustement puni par la pandémie venue d’ailleurs. Il avait fait de gros efforts pour contenir ses déficits. Il avait commencé à prendre des mesures pour maîtriser l’inflation galopante des salaires de sa fonction publique.

Il avait ferraillé contre la corruption : selon Ousmane Kolie, spécialiste du secteur public à la Banque mondiale (BM), à la fin de 2020, 97 % des assujettis de l’exécutif et du législatif avaient effectué leurs déclarations de patrimoine, publiées au Journal officiel…Mais rien n’y a fait : le pays a vu sa croissance fauchée nette. Celle-ci avait atteint 5,7 % en 2019 et s’est muée en récession de – 2 % en 2020 selon les projections du FMI.

Réaction rapide

Adieu la sagesse budgétaire (– 5,5 % du PIB) et la maîtrise de la dette ! Il a fallu faire face en même temps sur les fronts sanitaire, social et économique, tout en poursuivant le combat contre un terrorisme redoutable.

« Malgré des ressources budgétaires relativement faibles, les autorités ont plutôt bien géré une dette qui est passée, en un an, de 42,7 % du PIB à 46,6 %, soit quatre points de plus, alors que la dette de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne augmentait de neuf points », souligne Bakary Traoré, économiste au Centre de développement de l’OCDE.

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L’AGRICULTURE DE SUBSISTANCE ET CELLE DE RENTE, COMME LA CULTURE DU COTON, ONT ÉTÉ RÉSILIENTES

Il poursuit : « Les conséquences de la mise à l’arrêt de l’économie sur la population seront tout de même graves puisque 895 000 Burkinabè rejoindront dans l’extrême pauvreté (soit un revenu par tête de 1,90 dollars) les 8 millions qui en souffrent déjà. »

Selon la Banque mondiale, la croissance est restée faiblement positive. « L’agriculture de subsistance et celle de rente, comme la culture du coton, ont été résilientes, analyse Kodzovi Senu Abalo, économiste pays de la BM à Ouagadougou. Le secteur secondaire a quant à lui connu une stagnation au premier semestre 2020, avant d’opérer un redressement spectaculaire au deuxième semestre, porté par une production d’or en forte hausse, ce qui a contribué à améliorer la balance commerciale. Seul le secteur tertiaire (transports, tourisme, commerce, restauration-hôtellerie, réparations) qui a fortement chuté, sa croissance passant de + 8,2 % en 2019 à – 1,4 % en 2020. »


© Jeune Afrique / Données FMI

La réaction du gouvernement a été rapide et efficace. Le plan de riposte et de relance de l’économie a mobilisé, dès avril 2020, 394 milliards de F CFA (près de 600,65 millions d’euros), dont 76 milliards ont été consacrés aux mesures sociales : subventions aux produits alimentaires de première nécessité, transferts monétaires au profit des plus démunis, exonérations des factures d’eau et d’électricité.

La communauté internationale à la rescousse

Le FMI a soutenu le creusement du déficit budgétaire en 2020, « intégralement financé grâce à un soutien extérieur supplémentaire ». En effet, l’aide internationale n’a pas fait défaut. La BM en a assuré la majeure partie (310 millions de dollars approuvés), avec l’Union européenne (116 millions d’euros), la Banque africaine de développement (62 millions de dollars) et la France (36 millions d’euros). La suspension de la charge de la dette extérieure décidée par le G20 a fait économiser 25 millions de dollars au pays.

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LES FINANCES ET DÉPENSES PUBLIQUES DEVRONT ÊTRE AMÉLIORÉES SELON TROIS VOLETS

Cela ne veut pas dire que la reprise est sur les rails. « Nous sommes réalistes. Il est peu probable que l’économie burkinabè retrouve son niveau d’avant-crise avant 2023 : la reprise devrait être graduelle, en commençant par une croissance d’environ + 3 % en 2021, estime Daniel Pajank, économiste principal de la BM pour le Burkina, basé à Dakar. Il faut tenir compte de plusieurs facteurs d’incertitudes. La croissance démographique annule en partie ces gains. Les prix bas du pétrole et les prix élevés de l’or ne dureront peut-être pas. Les aléas climatiques et un trop lent déploiement des vaccins peuvent compliquer la donne. »

Déjà, la remontée des cours du brut et des céréales menace le pouvoir d’achat…

Un plan vigoureux pour les PME

Qu’est-ce qui pourrait accélérer le regain économique ? Les réformes, bien sûr ! « Les finances et dépenses publiques devront être améliorées selon trois volets, détaille Kodzovi Senu Abalo. Primo : la mobilisation des ressources domestiques, qui passe par une plus grande efficacité de la collecte fiscale (avec, entre autres, une expansion de la dématérialisation des opérations de déclarations et de paiements des impôts) et par la poursuite des efforts de maîtrise des exemptions fiscales.

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L’APPUI DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE SERA-T-ELLE À LA HAUTEUR ?

Deuxio : une plus grande efficacité de la dépense publique est indispensable pour dégager de l’espace budgétaire. Par exemple, la loi sur les partenariats public-privé, qui doit être votée cette année, devrait contribuer à renforcer la participation du secteur privé à la reprise de la croissance. Un registre social national permettra de mieux cibler les aides aux personnes les plus vulnérables. Tertio : la numérisation et la dématérialisation des services publics devraient permettre de renforcer l’efficacité et la portée de l’action gouvernementale. »

Reste la question lancinante des moyens qui font tant défaut au Burkina. « L’épargne interne est l’une des plus faibles du continent, rappelle Bakary Traoré. Elle atteint seulement 5,7 % du PIB, quand elle est estimée à 19 % pour l’Afrique subsaharienne. »

Les solutions ? « Que le gouvernement injecte du crédit à l’économie sous forme d’un plan vigoureux du secteur privé, des PME, des entreprises familiales et du secteur informel, en appuyant les points forts du pays, tels que le textile, le design, le cinéma, répond-il. Mais vont-ils pouvoir augmenter les taxes sur les ressources minières, et l’appui de la communauté internationale sera-t-elle à la hauteur ? »

Reprise sous conditions

En tout cas, la Banque mondiale poursuivra son effort. « Le Burkina Faso sera le premier pays du Sahel à bénéficier de la fenêtre de financement supplémentaire utilisée par la Banque pour venir en aide aux pays fragiles confrontés aux défis de l’insécurité, annonce Daniel Pajank. Ces “allocations pour la prévention et la résilience” amèneront un financement additionnel de 700 millions de dollars sur trois ans, constitué pour moitié de dons. »

Les autres bailleurs ne devraient pas être en reste. Mais seront-ils assez persévérants pour permettre au gouvernement de mener de front des tâches aussi urgentes les unes que les autres : la renaissance de l’armée pour que le nord et l’est du pays retrouvent la paix, la mise à niveau de l’administration, l’accès à une électricité de qualité qui donnerait aux entreprises les moyens de travailler normalement, le développement de nouvelles mines, l’extension du réseau routier, l’alphabétisation des deux-tiers de la population adulte – qui en a besoin pour trouver de l’emploi -, la scolarisation des filles – qui contribuera à réduire une croissance démographique dangereuse -, la mise en place de la zone économique spéciale transfrontalière si prometteuse de Bobo-Dioulasso – Korhogo – Sikasso, la vaccination anti-Covid sans laquelle il n’y aura pas de franche reprise, etc.

Des défis impossibles à relever sans une aide forte et maintenue, durant plusieurs années, pour attirer les investisseurs.

 
 
Cette semaine, direction le Mali où la présidentielle de 2022 se prépare et suscite de vifs débats au sein du parti politique historique de l'Adema. Ce dernier trouvera-t-il finalement un leader qui lui redonnera son crédit ? Survivra-t-il à de nouvelles discordes ? Enquête.
 
POLITIQUE
Mali : à un an de la présidentielle, l’Adema peut-elle faire sa révolution ?
Par Manon Laplace
Candidature interne ou parrainage pour la présidentielle de 2022, reconduction de Tiémoko Sangaré ou élection d'un nouveau chef de file fin mai... Les débats font rage au sein de l'Adema, faisant resurgir le spectre du rendez-vous manqué de 2018.

Nouveau scrutin, mêmes problématiques. Depuis qu’elle a quitté le pouvoir en même temps qu'Alpha Oumar Konaré, en 2002, l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ) se divise autour de la même question : doit-elle présenter un candidat aux couleurs du parti ou apporter son soutien à une tierce personne ?

C'est cette deuxième option qui a été retenue du temps d’Amadou Toumani Touré (ATT) puis sous la présidence d'Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Et elle a valu au parti de l’abeille nombre de départs, ses cadres goûtant peu d'être durablement cantonnés à un rôle de simple allié du pouvoir.
 

Un candidat Adema ?

À moins d’un an de l’élection présidentielle qui doit venir clore la transition en cours, l’Adema étudie ses options afin d’éviter de se retrouver dans la même situation qu'en 2018, quand ses membres se déchiraient entre les partisans d’une candidature de l’Adema, les pro-IBK et les soutiens de Soumaïla Cissé, à l'époque poids lourd de l'opposition malienne.

Et plusieurs camps se dessinent. « Comme toujours à l’approche d’un scrutin, l’Adema fait face à un risque réel de morcellement entre ceux qui voudraient promouvoir une candidature interne et ceux qui estiment que le parti n’en a pas les moyens », estime Abdoul Sogodogo, vice-doyen de la faculté de sciences administratives et politiques de Bamako.

Prochaine étape décisive pour le parti : l’organisation, fin mai, d'un congrès (initialement prévu fin mars), au cours duquel les militants devront élire leurs dirigeants.

"Nous sommes ouverts à toute hypothèse et nous ne souhaitons frustrer aucun allié potentiel"

Pour Tiémoko Sangaré, président sortant de l’Adema et candidat à sa propre succession, la ligne à suivre est claire : « Les militants veulent un candidat Adema pour la présidentielle de 2022 ». C’est donc « une coalition formée autour d’un projet Adema » que soutiendra l’ancien ministre s’il est réélu à la tête du parti. « On nous a régulièrement fait le reproche de soutenir des candidatures qui n’étaient pas les nôtres et les militants en sont frustrés. À l’époque, le contexte le justifiait. Aujourd’hui, l’Adema ne peut plus se permettre de soutenir un candidat hors de ses rangs », poursuit-il.
 

« L’Adema a l’emballage, mais pas le produit »

Face à lui, plusieurs ténors du parti se montrent plus nuancés. Parmi eux, l’ancien ministre de la Communication Yaya Sangaré estime qu’il faut ménager les futurs alliés de l’Adema. « Nous ne pouvons pas nous permettre une quelconque arrogance à l’endroit d’autres leaders politiques en affirmant que l’Adema aura un candidat interne et rien d’autre. À ce stade, nous sommes ouverts à toute hypothèse et nous ne souhaitons frustrer aucun allié potentiel. L’Adema doit travailler avec modestie et humilité pour asseoir un vaste rassemblement et faire en sorte que personne ne s’en sente exclu », recadre-t-il.

Alors que sa position va à l’encontre de celle du président de l'Adema, Yaya Sangaré plaide en faveur d’un renouvellement à la tête du parti. « Je pense que les militants ne sont pas satisfaits de la gestion des affaires. Pour beaucoup, l’Adema a raté le coche lors de tournants décisifs de l’histoire du Mali », tance-t-il.

Une frustration qui pourrait coûter sa place à Tiémoko Sangaré. Face à lui, les noms de plusieurs potentiels challengers circulent. « On compte déjà quatre clans pour prendre la présidence du parti. Celui de Tiémoko Sangaré, le seul à revendiquer son envie d’un candidat Adema. Ceux des caciques Adama Sangaré, maire de Bamako, et Moustapha Dicko, ancien ministre de l’Éducation. Et celui du jeune loup Adama Noumpounon Diarra, dont la campagne a déjà commencé », décrypte le journaliste et analyste politique Alexis Kalambry.

On risque de revivre des événements similaires à ceux qui avaient mené au départ d’IBK ou de Soumaïla Cissé"
 

À cette pression interne s’ajoutent les appels du pieds de plus en plus pressants de candidats extérieurs, officiellement déclarés ou non. Bien implanté sur l’ensemble du territoire et comptant de nombreux militants dans ses rangs, l’Adema, longtemps considéré comme un faiseur de roi, reste un soutien de poids.

« Malgré tous les maux dont peut souffrir le parti, il est l’un des seuls à avoir un ancrage national et local. Mais il souffre d’un manque de leadership », poursuit Alexis Kalambry. « L’Adema a l’emballage mais pas le produit. Nous nous avons le produit, mais pas l’emballage », renchérit le proche collaborateur d’un ancien ministre qui a des vues sur Koulouba et cherche à obtenir le soutien de l’Adema.

La fin du parti ?

Candidat interne ou parrainage ? La direction à prendre pourrait être déterminée par les finances de la formation. Lourdement endettée, l’Adema dépendra pour faire campagne du soutien financier de certains de ses alliés. Elle pourrait ainsi soutenir dès le départ un candidat extérieur en contrepartie de postes-clés si ce dernier est élu. « Mais de plus en plus de voix reprochent à l’Adema son mercantilisme et veulent se choisir un leader qui rompe avec cette tradition », nuance Alexis Kalambry.

Autant de questions qui seront tranchées lors du congrès de la fin mai. L’enjeu ? Trouver un leader consensuel capable de fédérer autour d’un projet commun ou, à défaut, creuser un peu plus les dissensions existantes. "Ce congrès doit consacrer l’amélioration de l’organisation et la responsabilisation du parti, estime Tiémoko Sangaré. Il n’y a pas d’enjeux personnels. Sans organisation forte, aucun leader ne peut aller nulle part. »

« S’il n’y a pas d’entente, on risque de revivre des événements similaires à ceux qui avaient mené au départ d’IBK ou de Soumaïla Cissé, met en garde l’enseignant-chercheur Abdoul Sogodogo. La formation pourrait ne pas résister à une nouvelle scission. Si de grands noms devaient encore quitter le parti, cela pourrait être la fin de l’Adema. »

Alpha Condé : « Toutes les tentatives de déstabilisation visant la Guinée
viennent du Sénégal »

| Par - à Conakry
Mis à jour le 31 mars 2021 à 09h04
Alpha Condé et Macky Sall, à Dakar le 9 août 2015
Alpha Condé et Macky Sall, à Dakar le 9 août 2015 © DR / Présidence Sénégal

Ses relations avec ses pairs africains, la fermeture des frontières avec le Sénégal, l’état de l’opposition, Macron, Bolloré et le port de Conakry… Une interview exclusive du chef de l’État guinéen, réélu en octobre 2020.

Pour lui, la page est tournée. Le chapitre du référendum constitutionnel et de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020, avec son cortège de tensions, de violences, de victimes et de contestations tant internes qu’externes est désormais clos. Place au suivant, celui de la « nouvelle gouvernance » et de l’émergence, dont le but est, dit-il, de faire de la Guinée « la deuxième puissance économique de la région après le Nigeria » à l’horizon 2026.

Alpha Condé, 83 ans, étonnamment en forme pour son âge, ne doute de rien. Ce proactif, qui entend mettre à profit la première année de son nouveau mandat pour prendre un certain nombre de mesures coercitives destinées à imposer à ses concitoyens ce qu’il n’est pas parvenu à faire au cours de la décennie précédente – en l’occurrence, les « discipliner » et remettre la notion de service de l’État au centre du village –, assume sans états d’âme son rôle de « Big Brother ».

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L’ENGUEULADE TOMBE COMME LA FOUDRE, ET LA SANCTION EST IMMÉDIATE

Ses ministres et collaborateurs se savent sous surveillance : gare à celui qui, sans raison valable, n’était pas à son poste le jour d’une descente coup de poing du président dans son administration. Gare aussi à celui qui fabule sur l’état d’avancement des travaux d’une route ou d’un pont, le logiciel américain dont s’est doté Alpha Condé lui permettant de vérifier, grâce à des images prises par satellite, l’étendue de son bluff. À chaque fois, l’engueulade tombe comme la foudre, et la sanction – qui peut aller jusqu’à la révocation – est immédiate.

Ainsi va Alpha, lui qui pense, rêve, déjeune, dîne, respire Guinée à chaque minute de sa vie et se comporte comme s’il était éternel. « Ce que tu penses de moi m’est égal ; le seul avis qui compte, c’est celui des Guinéens », a-t-il dit un jour à Emmanuel Macron qui lui faisait reproche de sa nouvelle candidature, avant d’ajouter : « Je ne suis pas un tirailleur. »

Ce francophile très marqué par ses années d’exil et d’études sur les rives de la Seine se veut à la fois panafricain et nationaliste – une contradiction dont il s’accommode. Ses amis français s’appellent François Hollande, Ségolène Royal, Rachida Dati ou Nicolas Sarkozy. Ses frères africains ont pour nom Denis Sassou Nguesso, Cyril Ramaphosa, Julius Malema, Issayas Afeworki, Roch Kaboré, Alassane Ouattara.

Quand Hamed Bakayoko, qu’il considérait comme son fils, est au plus mal, c’est à lui que le chef de l’État ivoirien téléphone pour tenter de le faire évacuer en Turquie. Alpha Condé appelle aussitôt Recep Tayyip Erdogan, dont il est proche, lequel dépêche à Paris un avion médicalisé avec, à son bord, son médecin personnel (qui est aussi son ministre de la Santé). En vain, comme on le sait.

Tel est l’ex-président de l’illustre FEANF [Fédération des étudiants d’Afrique noire en France], toujours prêt à rendre service à ses pairs, mais, dans le fond, jamais aussi serein que lorsqu’il est en tête à tête avec lui-même. La nuit venue, reclus dans son palais désert au point que son entourage s’inquiète parfois de le savoir si seul, Alpha Condé a une obsession : le temps qui passe et après lequel il court pour que prenne enfin corps sa vision de la Guinée. Si le sommeil était une option, nul doute qu’il s’en passerait…


Alpha Condé, en 2016 au palais présidentiel. © Vincent Fournier/JA 

 

Jeune Afrique : Cinq mois après votre réélection pour un troisième mandat, dans des conditions contestées par vos adversaires, comment se porte la démocratie en Guinée ?

Alpha Condé : Je vous corrige : il ne s’agit pas de mon troisième mandat, mais de mon premier mandat sous la IVe République, adoptée par référendum. Un référendum qui n’était d’ailleurs pas inédit dans l’histoire de la Guinée : souvenez-vous de celui de novembre 2001 instaurant un septennat renouvelable à vie pour le président Lansana Conté, disposition liberticide dont l’un des plus chauds partisans, à l’époque, était un certain Cellou Dalein Diallo.

Aujourd’hui, en vertu de la nouvelle Constitution, le mandat est de six ans, renouvelable une seule fois. J’ai déjà expliqué pourquoi cette IVe République était nécessaire et pourquoi j’ai décidé de me présenter à la présidentielle d’octobre dernier. Les deux principaux leaders de l’opposition étant ceux-là mêmes qui avaient laissé la Guinée dans l’état désastreux où je l’avais trouvée en 2010, il n’était pas envisageable pour moi qu’elle puisse à nouveau tomber entre leurs mains. Quant à la démocratie, c’est un très long combat, ici comme ailleurs. Mais elle progresse et, comme vous pouvez le constater, le pays est calme.

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DES FAUTEURS DE TROUBLES ONT ENVOYÉ CONTRE LA POLICE DES JEUNES MUNIS D’ARMES BLANCHES, ET PARFOIS DE FUSILS

Si l’on en croit vos adversaires politiques, les ONG de défense des droits de l’homme et même le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ce calme a un prix : les détenus d’opinion…

C’est inexact. Les quelques responsables de l’UFDG [Union des forces démocratiques de Guinée] arrêtés l’ont été en tant que commanditaires directs d’actes de violence commis tant à Conakry qu’à l’intérieur du pays : maisons incendiées, destructions de biens publics, poteaux électriques sciés, assassinat de membres des forces de l’ordre etc.

Il ne s’agit en aucun cas de prisonniers politiques, mais de fauteurs de troubles, coupables d’avoir envoyé contre la police des jeunes munis d’armes blanches, parfois de fusils et d’explosifs. Nous avons toutes les preuves, et elles seront exposées lors des procès, y compris les appels au meurtre contre ma personne.

Les Guinéens savent quelle est l’étendue de la responsabilité de ces gens dans les violences, et pas un chat n’a bougé lors de leur arrestation. Les jeunes manipulés et téléguidés ont, eux, pour l’essentiel, été libérés à l’issue de leur peine.

Quant aux leçons venues d’ailleurs, une simple comparaison : 3 200 gilets jaunes ont été condamnés en France entre novembre 2018 et novembre 2019, dont un millier à de la prison ferme. C’est beaucoup plus qu’en Guinée, pour des délits pourtant beaucoup moins graves.


Cellou Dallein Diallo, lors d’une marche à Conakry, le 15 octobre 2020. © CELLOU BINANI/AFP

 

CE N’EST PAS LE FOUTA QU’IL FAUT ISOLER, MAIS CELLOU

Les résultats de l’élection présidentielle de 2020, tout comme ceux de 2010 et de 2015, montrent un pays fracturé en deux blocs antagonistes : l’un vous est acquis, l’autre vote Cellou Dalein Diallo. Pourquoi cette polarisation, qui repose largement sur des bases communautaires, persiste-t-elle ?

Cette polarisation, qui en réalité concerne une seule région, le Fouta – d’ailleurs loin d’être monolithique puisque plusieurs communautés y vivent –, n’est pas de mon fait. Elle est de la responsabilité de Cellou Dalein Diallo, qui fait tout pour qu’elle perdure afin de conserver son fief. Elle lui a aussi servi de dérivatif pour masquer la vacuité de son programme.

Le Fouta a une grande culture d’accueil et de respect des chefs et des aînés. L’État y a beaucoup investi car, comme je l’ai dit à Mamou pendant la campagne, ce n’est pas le Fouta qu’il faut isoler, mais Cellou.

Quoi qu’il en soit, ne serait-il pas temps de tourner la page et de dialoguer avec Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré ?

Il existe un cadre permanent de dialogue dirigé par le Premier ministre et au sein duquel tous les sujets, politiques ou autres, peuvent être débattus. Ce ne sont pas les individus qui m’intéressent, ce sont les problèmes et la façon dont ils peuvent être résolus. La Guinée de 2021 n’est plus celle de 2020. Une recomposition politique est en cours, à l’issue de laquelle les deux personnalités que vous venez de citer ne seront peut-être plus les leaders qu’ils furent.

D’ores et déjà, je considère que Sidya Touré et son parti sont devenus politiquement inexistants. En réalité, il existe dans les deux camps – celui du pouvoir et celui de l’opposition –, des extrémistes qui ne veulent pas du dialogue et du progrès en Guinée. Je fais le pari que la majorité raisonnable l’emportera.

Onze candidats se sont présentés face à vous à la présidentielle d’octobre 2020. Comptez-vous leur tendre la main ?

Je ne la refuse à personne, mais je ne suis pas né de la dernière pluie. Tous, à l’exception de Cellou, qui avait son propre agenda de prise du pouvoir, se sont présentés en espérant par la suite négocier avec moi un poste de ministre. Aucun ne l’obtiendra. Ce n’est pas comme cela que je fonctionne.

Alpha Condé, à la sortie du bureau de vote de Conakry où il vient de voter pour la présidentielle,
le 18 octobre 2020. © JOHN WESSELS/AFP

Vous avez lancé le slogan « gouverner autrement ». Quel contenu concret allez-vous lui donner ?

Lorsque mon parti, le RPG [Rassemblement du peuple de Guinée], et ses alliés ont décidé de présenter ma candidature, je leur ai dit très clairement qu’ils devaient changer leur logiciel mental et se préoccuper enfin de ces centaines de milliers de démunis qu’ils ont une fâcheuse tendance à oublier en dehors des périodes électorales.

De mon côté, je les ai prévenus : je ne ferai pas de chasse aux sorcières, mais je ne tolérerai aucune corruption, aucune malversation, aucun clientélisme, aucun népotisme, aucun trafic d’influence. J’ai demandé à la BAD de m’aider à certifier les cadres de l’administration, les plus brillants d’entre eux étant trop souvent écrasés par les plus médiocres.

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JE FAIS DES DESCENTES SURPRISES DANS LES ADMINISTRATIONS, POUR VÉRIFIER QUI EST PRÉSENT, À COMMENCER PAR LES MINISTRES

J’ai établi des contrats de performance pour chacun des ministres. S’ils les remplissent, ils auront une prime ; dans le cas contraire, ce sera la porte. J’ai décidé que, dorénavant, aucun conjoint de haut fonctionnaire détenteur d’une charge d’État ne pourra exercer une activité privée dans le même domaine. Toutes les sociétés soumissionnaires de marchés d’État dont une enquête a établi qu’elles tombent sous le coup du conflit d’intérêt seront dissoutes.

Nous allons traquer les fraudeurs grâce au Guichet unique du commerce extérieur, et lutter contre l’évasion fiscale. L’objectif est de doubler nos recettes sans taxes supplémentaires, mais en faisant en sorte que tout citoyen paie l’impôt en fonction de ses revenus, ne serait-ce que 1 000 francs pour les plus modestes.

Nous devons être plus rigoureux et plus transparents encore que ce qu’exigent le FMI et la Banque mondiale. Moi-même, je fais en ce moment des descentes surprises dans les administrations à 8 heures et à 16 heures pour vérifier qui est présent, à commencer par les ministres. Toute absence sans justificatif vaut avertissement. C’est cela, gouverner autrement : une véritable révolution culturelle.

« Nous allons renouer avec la discipline », dites-vous. Cette discipline collective et l’esprit civique ont-ils déjà existé en Guinée ?

Oui, sous la Ière République, pendant les années Sékou Touré. Il y régnait une discipline de fer avant que le pays ne sombre dans l’anarchie sous la IIe République. Je veux renouer avec un État discipliné qui, tout en respectant les droits de l’homme, fasse en sorte que chacun respecte la loi.

Je n’ignore pas que ces mesures de rigueur seront, dans un premier temps, impopulaires auprès de certains. Mais je considère qu’un homme politique digne de ce nom doit agir pour le bien du peuple et non en fonction de son baromètre de popularité.

Cela s’applique-t-il aussi à votre propre famille ?

En premier lieu. Aucun de mes parents ne peut se prévaloir de son lien familial pour emporter un marché ou réclamer un passe-droit. Quant à moi, les choses sont claires. Lorsque je reçois des investisseurs ou des hommes d’affaires, j’ai l’habitude de commencer par cette phrase : « J’espère qu’on vous a prévenus : je ne prends pas de cadeaux. »

Depuis près de six mois, et sur votre décision, les frontières de votre pays demeurent fermées avec deux de ses six voisins : le Sénégal et la Guinée-Bissau. Pourquoi cette mesure, pénalisante pour la libre circulation, perdure-t-elle ?

Cela fait un moment que, comme à l’époque où Senghor et Sékou Touré s’affrontaient, toutes les tentatives de déstabilisation de la Guinée viennent du Sénégal. Le président Macky Sall m’ayant assuré qu’un tel projet n’entrait aucunement dans ses intentions, je lui ai proposé d’organiser des patrouilles mixtes à la frontière pour empêcher les infiltrations d’éléments hostiles. Cela ne s’est pas fait.

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EN 2020, LE PRÉSIDENT EN EXERCICE DE LA CEDEAO A VOULU TÉLÉGUIDER UNE MISSION DE CHEFS D’ÉTAT, ENVOYÉS COMME DES TOUTOUS EN GUINÉE

J’ai donc demandé à mon ministre de la Défense de formuler de nouvelles propositions. Nous avons déjà rouvert notre frontière avec la Sierra Leone, il n’y a pas de raison que celle avec le Sénégal reste indéfiniment fermée. Je n’ai, à titre personnel, aucun problème avec ce peuple frère, dont l’élite m’a soutenu quand j’étais en prison. Je suis totalement ouvert à la coopération, mais la sécurité de la Guinée passe avant tout.

Et avec le président bissau-guinéen Sissoco Embaló ?

C’est un autre problème, dont je préfère ne pas parler.

Pourquoi ?

Je viens de vous le dire. Je n’en parlerai pas.

Autre personnalité avec qui vos relations sont glaciales : Mahamadou Issoufou, le président sortant du Niger. Vous ne lui pardonnez pas de s’être prononcé contre le changement de Constitution en Guinée. Pensez-vous que les choses peuvent s’arranger avec le nouveau président élu, Mohamed Bazoum ?

Moi, je ne me mêle pas des affaires intérieures des autres pays. On sait très bien ce qu’il s’est passé il y a un an, quand le président en exercice de la Cedeao a voulu téléguider une mission de chefs d’État, envoyés comme des toutous pour empêcher la Guinée de progresser. La manœuvre a échoué. Et la page est tournée. Je n’en veux à personne.

Le décès du Premier ministre ivoirien, Hamed Bakayoko, vous a-t-il affecté ?

Profondément. Je le considérais comme mon fils, depuis l’époque où j’étais un opposant en exil. Je me souviens que, lors de la première visite officielle d’Alassane Ouattara en Guinée après mon élection, il y a dix ans, j’avais embrassé Hamed en l’appelant « mon fils ». Alassane s’était alors récrié : « Non, c’est le mien ! ». Je lui avais répondu : « Mon frère, mettons-nous d’accord : Hamed est notre fils. » C’est un drame, assurément.

                                  Alpha Condé et Emmanuel Macron, à Noukchott, le 2 juillet 2018. © LUDOVIC MARIN/AFP

Vos rapports avec l’ancien président français, François Hollande, étaient excellents. Ils paraissent beaucoup plus complexes avec son successeur, Emmanuel Macron, qui, dans une interview à JA, n’a pas hésité à dire que vous aviez fait modifier la Constitution dans l’unique but de rester au pouvoir et qu’il vous avait mis en garde contre cela. Est-ce exact ?

J’ai été élu par le peuple de Guinée et je n’ai de comptes à rendre qu’à lui. Il est mon seul juge. Depuis 1958, mon pays a toujours été jaloux de sa souveraineté, cela n’a pas changé. Pour le reste, oui, François Hollande était et demeure mon ami et mon camarade. Mais chaque président français est libre de ses opinions. Je les commenterai d’autant moins que ce qui se dit sur la Guinée en dehors de la Guinée n’est pas ma priorité et que je préfère toujours retenir ce qu’il y a de positif dans les relations d’État à État.

Dans le cas d’espèce, je me réjouis que l’Agence française de développement [AFD] ait multiplié par dix le montant de ses interventions en Guinée et que la France ait été le premier pays à nous apporter son soutien pour combattre la résurgence de l’épidémie d’Ebola. J’ai tenu à féliciter le président Macron pour ce geste.

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TOUTES LES SOCIÉTÉS QUI VEULENT INVESTIR EN GUINÉE SONT LES BIENVENUES, MÊME SI ELLES VIENNENT DE LA PLANÈTE MARS

Vos bonnes relations avec les régimes chinois, russe et turc sont de notoriété publique. N’avez-vous pas l’impression que Paris vous en fait reproche ?

Lorsque la Guinée a voté non au référendum du 28 septembre 1958, tous les cadres et coopérants français sans exception ont été rapatriés, dès le lendemain, sur ordre du général de Gaulle. Il ne restait ici qu’un seul médecin, le docteur Kaba Bah, décédé récemment. Un seul. Et qui est venu à notre secours ? Les Soviétiques, les Chinois et des militants panafricanistes de l’époque. Nos liens n’ont donc rien de nouveau.

J’ai certes de très bon rapports avec Xi Jinping, avec Recep Tayyip Erdogan, que je considère comme un frère, et avec Vladimir Poutine. Mais ce qui compte pour moi, c’est de coopérer avec toutes les bonnes volontés dans l’intérêt de la Guinée. Peu importe les régimes : je ne les juge pas.

On dit parfois que j’ai tout donné aux Chinois, rien n’est plus faux. La société américaine Alcoa détient 5 milliards de tonnes de réserve de bauxite, alors que les trois sociétés chinoises présentes dans ce secteur n’en possèdent pas les deux tiers.

Il y a ici des sociétés minières venues d’Allemagne, d’Inde, du Canada, de Russie, des Émirats. Toutes celles qui veulent investir en Guinée, même si elles viennent de la planète Mars, sont les bienvenues. À une condition : qu’elles s’installent en Guinée pour y investir, pas pour y rechercher des marchés.

Vincent Bolloré, dont le groupe gère le terminal à conteneurs du port de Conakry, sera jugé pour des faits de corruption, qui auraient été commis au Togo. Lors de l’audience au tribunal judiciaire de Paris, à la fin de février, les conditions dans lesquelles l’homme d’affaires français s’est vu attribuer sa concession en Guinée ont une nouvelle fois été évoquées. Cela vous inquiète-t-il ?

Absolument pas. Tout d’abord, parce que le volet guinéen de cette affaire a été déclaré prescrit par la justice française il y a près de deux ans. Ensuite, parce qu’il n’y a jamais eu d’affaire en ce qui nous concerne. Getma, la filiale de Necotrans qui gérait le terminal avant mon arrivée au pouvoir, avait obtenu ce contrat par des moyens douteux et sans investir un seul dollar. Au point que les présidents Lansana Conté puis Dadis Camara avaient rompu avec elle.

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J’AI DIT À BOLLORÉ : « VINCENT, JE TE DONNE VINGT-QUATRE HEURES POUR VENIR ET MODIFIER LE CONTRAT »

Lorsque le président Blaise Compaoré a voulu intervenir pour rétablir Getma dans ses droits mal acquis, je suis allé le voir avec un message clair : « Si je suis élu, Necotrans devra quitter définitivement la Guinée ».

Devenu président, j’ai fait rouvrir l’appel d’offres, lequel a bénéficié à Bolloré. Mais, quand je me suis aperçu qu’aux termes du contrat le groupe s’arrogeait la gestion de l’ensemble du port autonome de Conakry – et non du seul terminal à conteneurs comme je le voulais –, j’ai immédiatement appelé Vincent Bolloré. « Vincent, lui ai-je dit, je te donne 24 heures pour venir ici et modifier le contrat, sinon j’annule tout ». Il est venu. Depuis, Bolloré a investi 200 millions d’euros, et le terminal fonctionne parfaitement.

Il a pourtant été dit qu’en échange de la promesse de lui attribuer cette concession, Bolloré a mis Havas, la filiale de communication de son groupe, à votre service pour la campagne présidentielle de 2010…

C’est faux. Vincent Bolloré est certes un ami depuis quarante ans et j’en suis fier. Mais Havas n’a jamais travaillé pour moi. D’ailleurs, je ne crois pas du tout à l’utilité de ces cabinets de conseil qui, en règle générale, ne connaissent strictement rien aux réalités africaines.

Une personne dont je tairai le nom est venue me voir pour me proposer de faire ma communication en échange de 1 million d’euros. Je l’ai éconduite. Lorsqu’il l’a appris, l’ambassadeur de France de l’époque m’a confié que certains de mes pairs dépensaient cinq ou six fois ce montant pour leur image. C’est leur droit. Moi, je ne vois pas quels conseils des gens étrangers à l’Afrique pourraient me donner.

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SI QUELQU’UN PENSE QU’IL EST MON DAUPHIN, C’EST SON PROBLÈME. NOUS NE SOMMES PAS EN MONARCHIE

Vous avez tendance à tout contrôler, au point que l’on vous a parfois reproché de faire du micro-management. Quelle est, dans ces conditions, la marge de manœuvre dont dispose votre Premier ministre, Kassory Fofana ?

Je connais ce reproche, et je n’en ai cure. Quand les choses ne vont pas, ce n’est pas au Premier ministre que le peuple demande des comptes, c’est à moi. C’est moi qui suis le premier comptable des engagements que j’ai pris et c’est à moi qu’il revient de m’assurer qu’ils sont respectés.

Un président se doit d’être un leader avec une vision, mais aussi un manager. Pour le reste, les choses sont claires : le Premier ministre coordonne l’action du gouvernement, il jouit de ma confiance, mais celui qui a été élu, c’est moi.

La prochaine échéance présidentielle est pour 2026. Comptez-vous préparer un dauphin ?

« Omnis potestas a Deo », disait Saint Paul : « Tout pouvoir vient de Dieu ». Ce à quoi Thomas d’Aquin a ajouté : « Sed per populum » (« à travers le peuple »). Quant au saint Coran, il précise : « Dieu donne le pouvoir à qui il veut et l’enlève à qui il veut. » Tout cela pour vous dire que, demain, Dieu seul conduira le peuple de Guinée à choisir. Je n’ai été le dauphin de personne. Si quelqu’un pense qu’il est mon dauphin, c’est son problème. Nous ne sommes pas en monarchie.

Burkina Faso : « Nous voulons limiter la dépendance énergétique à l’égard de la Côte d’Ivoire et du Ghana »

| Par - Propos recueillis à Ouagadougou
Bachir Ismaël Ouédraogo, ministre de l’Énergie, des Mines et des Carrières du Burkina Faso, le 3 mars, à Ouagadougou.
Bachir Ismaël Ouédraogo, ministre de l'Énergie, des Mines et des Carrières du Burkina Faso, le 3 mars, à Ouagadougou.
© Sophie Garcia pour JA


Alors que le Burkina Faso importe 60 % de sa consommation d’électricité, son ministre de l’Énergie, des Mines et des Carrières, Bachir Ismaël Ouédraogo, mise sur le solaire et les PME locales pour développer la production.

À 41 ans, Bachir Ismaël Ouédraogo est le benjamin du gouvernement Dabiré. Titulaire d’un doctorat en économie des énergies renouvelables et du changement climatique de l’université de Manchester (Royaume-Uni), membre du bureau exécutif du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP, au pouvoir), il a vu le portefeuille de l’Énergie, qu’il dirigeait depuis janvier 2018, élargi, en janvier dernier, à celui des Mines et Carrières. Un secteur stratégique puisqu’il constitue 10 % à 12 % du PIB du Burkina. Entretien.

Jeune Afrique : Quelles sont les priorités et complémentarités de vos portefeuilles ?

Bachir Ismaël Ouédraogo : L’énergie et les mines sont les moteurs de notre économie. Leur fusion doit nous permettre de concrétiser l’accès universel à l’énergie, grâce au potentiel minier. Et nous devons produire des résultats pour répondre aux attentes des Burkinabè. Sans énergie, point de développement. Au cours des cinq dernières années, le taux d’accès à l’électricité est passé de 18 % à 45 %. Notre objectif est d’atteindre le seuil de 75 % à l’horizon 2025.

Quant au secteur minier, la filière aurifère a généré plus de 2 000 milliards de F CFA [plus de 3 milliards d’euros] de revenus en 2020, avec une production de 60 tonnes d’or, et nous voulons accroître la production de minerais en misant sur la stratégie du « local content, local ownership » [production locale, actionnariat local]. Il s’agit de faire en sorte que des PME et des hommes d’affaires burkinabè puissent prendre des parts de marché dans la chaîne de commande, et d’inciter les investisseurs locaux à saisir les opportunités du secteur.

La feuille de route que nous a donnée le chef de l’État est claire sur ce point. Nous avons mis en place une direction générale consacrée à la promotion des économies minières et énergétiques, de façon à favoriser l’émergence de PME fortes, capables de construire des centrales et des mines. Cela va nous permettre d’installer des industries pour préparer « l’après-mine », en utilisant le potentiel du secteur extractif afin de développer d’autres pans de l’économie.

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BAISSER LE COÛT DE L’ÉNERGIE, QUI REPRÉSENTE 40 % DU PRIX DE L’ONCE D’OR PRODUITE, EST UNE PRIORITÉ

Déjà, nous nous réjouissons d’avoir obtenu l’extension de la mine de Bomboré [Centre], financée par une banque locale, et d’avoir octroyé le premier permis minier détenu à 100 % par des capitaux burkinabè, Salma Mining.

Une autre de nos priorités est la baisse du coût de l’énergie, qui représente 40 % du prix de l’once d’or produite. Paradoxalement, les mines disposent de 400 mégawatts [MW] « off grid », hors réseau. Cette puissance peut servir à électrifier les villages environnants et l’excédent peut être injecté dans le réseau connecté de la Sonabel. Le développement des technologies du gaz liquéfié et du solaire vont aussi nous permettre de réduire le coût du kilowattheure [kWh] par rapport au DDO [fuel distillé] et au HFO [fuel lourd].

De quel ordre de grandeur sera cette baisse du coût du kWh, qui reste élevé pour le moment, à 139 F CFA (20 centimes d’euros) ?

Évidemment, nous ne pourrons pas être plus royalistes que le roi. Nous importons 60 % de notre consommation d’électricité depuis la Côte d’Ivoire et le Ghana. Les interconnections sont salutaires car elles permettent à nos pays d’être solidaires en matière d’électricité, en favorisant les importations basées sur l’avantage comparé de chacun. La Côte d’Ivoire possède du gaz et une capacité hydroélectrique, elle a donc un avantage comparé au Burkina, qui importe le DDO et le HFO.

Notre objectif est de minimiser notre dépendance à ces produits en augmentant la part du solaire, moins cher comparé aux autres énergies. Ainsi, le prix du kWh produit par une centrale solaire au Burkina est trois fois moins élevé que celui d’une centrale thermique (40 F CFA contre 120 F CFA).

L’Afrique de l’Ouest se prépare à ouvrir son marché régional de l’électricité. Comment le Burkina va-t-il s’y positionner ?

Si nous achetons de l’énergie en Côte d’Ivoire, c’est parce que sa production est plus abordable que la nôtre. Nous nous positionnons sur le solaire, qui a un grand potentiel. Il nous confère un avantage par rapport aux autres pays : dans nos pipelines, nous avons 250 MW de solaire, dont 150 MW en construction. Notamment à travers le projet « Yeleen », que nous développons avec la Banque mondiale, l’Union européenne et la Banque africaine de développement, qui va apporter une puissance de 50 MW de solaire et 10 MWh de stockage.

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NOUS ALLONS CONSTRUIRE UNE CENTRALE SOLAIRE SOUS-RÉGIONALE, QUI PERMETTRA AU BURKINA D’EXPORTER DE L’ÉLECTRICITÉ

En outre, dans le cadre du Wapp [Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain], nous allons construire une centrale solaire sous-régionale dont la vocation est de permettre au Burkina d’exporter de l’électricité. Nous attendons la construction de la ligne dorsale nord, qui part du Nigeria et passe par le Niger, pour assurer le transport de cette production solaire vers le Mali et d’autres pays.

Enfin, le Millenium Challenge Account va nous permettre d’investir plus de 300 milliards de F CFA pour renforcer le réseau de transport et de distribution électrique.

Deux ans après la reprise par l’État du permis d’exploitation au groupe de Frank Timis, où en est le projet de développement de la mine de manganèse de Tambao ?

Tambao est un projet emblématique. En tirant les leçons de notre expérience avec le groupe Pan African Minerals, il convient d’installer les garde-fous nécessaires pour que, dès le départ, ce projet réponde aux aspirations de la population. Cette fois-ci, nous avons l’intention d’associer les capitaux burkinabè au démarrage du projet Tambao.

Tout d’abord, il s’agit de régler l’épineuse question du transport et de la logistique : il faut réhabiliter le tronçon ferroviaire Ouaga-Kaya, construire une nouvelle ligne de Kaya à Tambao (soit 140 km) et bitumer l’axe routier Dori-Tambao. Ensuite, l’exploitation du gisement de manganèse doit s’accompagner d’un plan sécuritaire avec des bases militaires dotées de moyens modernes de surveillance (drones, avions, etc.).

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NOUS ALLONS DÉLIVRER AUX ORPAILLEURS UNE CARTE D’ARTISAN MINIER

Enfin, dans le cadre de la relance des activités à Tambao, nous étudions l’option d’un mécanisme de développement pour le Sahel, car ce gisement peut représenter un tournant décisif dans le processus de développement du Burkina. Nous avons reçu treize manifestations d’intérêt, dont l’une émanant d’un consortium d’hommes d’affaires burkinabè. La commission chargée de réfléchir à la relance du projet a travaillé d’arrache-pied. Un dossier sera présenté d’ici au mois de juin.

De quels moyens disposez-vous pour encadrer l’orpaillage ?

Plus de deux millions de Burkinabè travaillent dans l’orpaillage et plus de 20 tonnes d’or sont produites par an de façon illégale… Imaginez la masse d’argent qui échappe au contrôle de l’État et du fisc. Cela alimente les réseaux mafieux et le terrorisme. Nous connaissons le circuit clandestin de ce trafic aurifère, qui transite par des pays voisins comme le Ghana, le Mali ou encore le Togo. Entre 5 et 10 tonnes d’or sortent du Togo chaque année alors même que ce pays n’en produit pas…

Nous devons régler ce problème fondamental et avons engagé le dialogue avec le syndicat des orpailleurs. Nous ne pouvons plus nous regarder en chiens de faïence. Le ministre délégué et moi-même avons assisté à leur assemblée générale afin de les rassurer sur le fait que nous sommes là pour protéger le secteur.

Nous allons démarrer les activités de raffinage pour sécuriser les sites de production d’or et innover en matière de traçabilité, mais aussi délivrer aux orpailleurs une carte d’artisan minier. Enfin, nous prévoyons d’autres mécanismes incitatifs pour les encourager à s’orienter vers une exploitation semi-mécanique, voire semi-industrielle.

Présidentielle au Tchad : le plan de sortie que l’opposition propose à Idriss Déby Itno

 | Par Jeune Afrique
Idriss Déby Itno, à Paris en novembre 2019.
Idriss Déby Itno, à Paris en novembre 2019. © Idriss Deby Itno (Tchad), president de la Republique.
A Paris, le 13.11.2019. © Vincent FOURNIER/JA


À moins de deux semaines du scrutin, l’opposition espère encore convaincre le président de ne pas briguer un sixième mandat. « Jeune Afrique » vous dévoile en exclusivité le courrier qu’elle lui a adressé ce 29 mars. 

C’est un document d’à peine deux pages qui a été transmis à Idriss Déby Itno (IDI) le 29 mars, à treize jours du premier tour de l’élection présidentielle au terme de laquelle il compte obtenir un sixième mandat. Rédigé et signé par le président des Transformateurs, Succès Masra, le texte a été élaboré après consultation des principales personnalités de l’opposition, de Saleh Kebzabo à Ngarlejy Yorongar, en passant par Mahamat Ahmat Alhabo et Théophile Bongoro.

Dans cette missive, que Jeune Afrique a consultée en exclusivité, Succès Masra présente au chef de l’État les principaux points d’un plan de sortie de crise sur lesquels se sont accordés les principaux opposants du pays, qui ont dans le même temps organisé plusieurs manifestations à N’Djamena réclamant son départ – la dernière a eu lieu le 27 mars.

Si l’initiative n’a que peu de chances de faire plier le chef de l’État, l’étape numéro un proposée à Idriss Déby Itno est claire : renoncer à un sixième mandat.

Une autre présidentielle sans Idriss Déby Itno ?

« Il y a une vie après le pouvoir, dont vous ne devez pas, ou plus, avoir peur », détaille notamment le courrier. Toujours selon ce document, l’opposition proposerait à IDI de se désister lors d’une annonce publique, laquelle devrait intervenir avant le 31 mars, afin de déclencher un report des élections, « un nouveau départ » et un « dialogue inclusif ». « Le soldat que vous êtes continuera à servir notre pays et à partager son expérience dans la longue lutte contre le terrorisme », poursuit le texte.

Succès Masra et les instigateurs de la lettre imaginent ainsi tenir cette concertation nationale – d’une durée d’une semaine maximum – dès le 11 avril, en lieu et place du premier tour de la présidentielle. Les leaders de l’opposition et de la société civile actuellement favorables au boycott du scrutin se sont mis d’accord sur l’opportunité de mettre en place une nouvelle constitution sur la base du texte fondamental de 1996. Il est selon eux envisageable de le reprendre intégralement.

Toujours selon le calendrier proposé, les candidatures à une élection présidentielle seraient alors rouvertes, du 26 au 30 avril, IDI s’étant engagé à ne pas participer. Cela permettrait à des personnalités ayant dû renoncer à se présenter pour le moment, notamment Succès Masra lui-même, de se lancer dans la course.

Dans cette lettre, l’opposition engage le chef de l’État sortant à « faire confiance au peuple tchadien pour s’occuper de son avenir, même sans [lui] ». Le scrutin pourrait se tenir dès le 13 juin, pour le premier tour, après une campagne d’un mois, du 11 mai au 11 juin. Le second round serait prévu pour le 27 juin, deux semaines plus tard.

Un nouveau président avant le 8 août ?

Le texte propose également d’établir une charte que tous les candidats à la magistrature suprême auraient l’obligation de signer. Ils s’engageraient notamment à ne pas supprimer la limitation des mandats présidentiels (deux actuellement) et à mettre en place certaines mesures comme l’instauration d’une commission réconciliation ou une réforme des services de sécurité.

Les personnalités à l’origine de ce courrier, qui ont prévu de se réunir de nouveau prochainement, promettent à Idriss Déby Itno un traitement de chef d’État et une immunité à vie. Souhaitant lui offrir une « sortie honorable », Succès Masra et les opposants consultés – dont certains placent néanmoins peu d’espoir en l’initiative de leur cadet – souhaitent qu’une passation de pouvoir soit prévue avant le 8 août (IDI ayant prêté serment le 8 août 2016) afin d’éviter un vide institutionnel.

Le 16 mars dernier, Masra, accompagné de deux de ses vice-présidents, avait rencontré Idriss Déby Itno, entouré de plusieurs généraux, dont le patron des renseignements militaires Tahir Erda et le directeur du cérémonial au palais présidentiel, Seïd Mahamat Seït. « Le président nous avait demandé, à l’issue de cette discussion de deux heures, de nous concerter au sein de l’opposition et de lui transmettre des propositions, explique-t-il. C’est ce que nous faisons avec ce courrier ».