Vu au Sud - Vu du Sud

Capital-investissement et santé : un mariage à consolider en Afrique

| Par 
Mis à jour le 21 juin 2021 à 10h40
Les sites de production de médicaments intéressent particulièrement les sociétés d’investissement. Ici, au Caire.

Les sites de production de médicaments intéressent particulièrement les sociétés d'investissement. Ici, au Caire. © Mohamed Abd El Ghany/REUTERS

 

Malgré un engouement pour le secteur sanitaire, les opérations – menées notamment par DPI et SPE Capital – restent limitées, faute de cibles suffisamment attractives ou prêtes à ouvrir leur capital.

Le 26 mars 2020, à l’aube de la crise mondiale, les dirigeants du G20 annonçaient d’une voix unanime : « La consolidation de la défense sanitaire de l’Afrique est essentielle pour la résilience de la santé mondiale. » Le constat, sans appel, a entraîné le déblocage de milliards de dollars à destination du continent. 

Au-delà des organisations non gouvernementales (ONG) et des acteurs publics, le secteur privé et notamment les capital-investisseurs sont appelés à jouer un rôle central dans la réponse au Covid-19. 

Une gageure pour les associés des fonds d’investissement plutôt frileux à l’égard d’une activité santé qui représentait en 2018 seulement 4 % des investissements sur le continent. Mais la « vague Covid »  a-t-elle fait bouger les lignes ?   

Un engouement réel pour la santé

Au premier abord, la réponse semble pencher vers l’affirmative. Selon l’Association des capital-investisseurs et capital-risqueurs africains (Avca), le secteur de la santé a capté 24 % des investissements sur le continent au cours du premier semestre 2020. 

Un record historique et une résilience louable d’autant qu’une autre donnée pousse à l’optimisme : le gotha des investisseurs sondés par l’Avca place la santé en pôle position en matière d’attractivité sur le continent, pour les trois prochaines années.

Mais à y regarder de plus près, les opérations concrètes ne reflètent pas vraiment cet engouement affiché. D’abord, certaines n’ont été réalisées que pour venir au secours d’actifs en difficulté. Et cette performance, sur une période très courte, doit pour ces investisseurs être prise comme la confirmation d’une tendance plus qu’une inflexion liée au Covid.

« Nous regardons les opportunités dans la santé depuis 2012 », rappelle Jade Del Lero, dont la structure Development Partners International (DPI, 1,7 milliard de dollars d’actifs sous gestion) est entrée au capital du laboratoire algérien Biopharm dès 2013. Attirés par un climat d’affaires plus favorable – lié à des déréglementations, à l’ouverture de sociétés familiales, au développement de l’assurance sociale –, les investisseurs n’ont pas attendu la pandémie pour placer leur argent dans le domaine de la santé.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

LE SECTEUR EST SUBDIVISÉ EN DE NOMBREUX SEGMENTS AUX RÉALITÉS TRÈS DIVERSES

Mais là encore, le diable est dans les détails. « Le secteur est subdivisé en de nombreux segments aux réalités très diverses », souligne Biju Mohandas, coresponsable healthcare chez LeapFrog Investments et ancien directeur des pôles santé et éducation pour le périmètre subsaharien de l’International Finance Corporation, filiale de la Banque mondiale. 

Loin de s’être lancés dans des investissements tous azimuts, les capital-investisseurs privilégient les placements « résilients au Covid », capables d’encaisser les chocs de la pandémie, voire d’en tirer profit. Au premier rang desquels le volet pharmaceutique qui avait déjà acquis ses titres de noblesse. 

« C’est une industrie initialement basée sur l’importation, mais où davantage d’entreprises indigènes sortent leurs propres génériques offrant une croissance au-delà de celle du marché. Et l’industrie est structurellement rentable avec des marges d’Ebitda jusqu’à 30 à 60 % », analyse Nabil Triki, directeur général de SPE Pharma et acquéreur début 2020 du groupe Saham Pharma (depuis renommé Amanys Pharma), au Maroc.

Profitant de l’effet vaccin et des opportunités à l’exportation, les chiffres de l’industrie pharmaceutique s’envolent. En novembre dernier, DPI a lancé une plateforme dédiée à l’acquisition d’unités de production. Le premier tour de table, porté par le CDC et la Berd, a bouclé à 250 millions de dollars. Son objectif à dix-huit mois : 750 millions de dollars. Du jamais vu.  


>>> À lire sur Jeune Afrique Business+ : Santé : les plans de Sofiane Lahmar (DPI) et de ses partenaires CDC et BERD pour leur nouvelle plateforme


La logistique médicale, nerf de la guerre

Autres cibles de choix : les activités logistiques – « nerf de la guerre » selon Jade Del Lero –, et toujours les cliniques et les centres de soins privés, malgré les remous de la tempête Covid qui ont entraîné des déprogrammations ou des reports de soins, en raison des capacités allouées aux malades du Covid, ou bien de la crainte des autres patients d’attraper le virus au sein des structures médicales. 

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

NOUS NE FAISONS PAS DU CAPITAL-RISQUE, IL NOUS FAUT DES ACTIFS AVEC UNE TAILLE CRITIQUE

Mais au-delà de ces trois postes – industrie pharmaceutique, logistique médicale et centres de soins privés – les prises de participation de grande ampleur s’avèrent peu nombreuses. Les applications de la Tech notamment – qui absorbent 45 % des investissements dans le healthcare africain en 2020 – se révèlent des poissons trop petits (avec des tickets d’entrée ne dépassant pas la dizaine de millions de dollars) pour attirer les grands fonds.

« Nous ne faisons pas du capital-risque, il nous faut des actifs avec une taille critique »,  fait valoir Nabil Triki. Même en terme géographique, les capital-investisseurs chassent sur un terrain restreint avec une poignée de nations se partageant la majorité des flux.

« Nous visons en priorité les pays de la catégorie Tiers 1, désignant l’Algérie, l’Égypte et l’Afrique du Sud où le marché national dépasse trois milliards de dollars, situe Jade Del Lero.  Suivis des Tiers 2 incluant le Maroc, le Kenya ou encore le Nigeria. »

Encore faut-il trouver des candidats sensibles à l’apport des capital-investisseurs. « Au-delà des conditions externes, il faut nécessairement que les intérêts se rejoignent. Si un sponsor ou un promoteur n’est pas prêt à ouvrir son capital, nous ne pouvons intervenir », rappelle prosaïquement Damien Braud, responsable de la division Private Equity Afrique et Méditerranée chez Proparco. Une réticence due notamment au caractère familial de bon nombre des sociétés du secteur, qui veillent à garder la main sur le management. 

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

LE CAPITAL-INVESTISSEMENT COMPTE QUELQUE 250 DEALS PAR AN

La question des compétences en ressources humaines, tant sur le plan de la direction que des salariés, reste une autre faiblesse du secteur. Derrière l’effervescence attendue, les bonnes affaires ne sont pas encore légion. “Le capital-investissement compte quelque 250 deals par an. 

Malgré l’intérêt croissant du domaine de la santé pour l’arrivée de nouveaux investisseurs, il faut que les cibles aient atteint une certaine taille critique pour attirer les DFIs [Institutions de financement du développement, ndlr] et les fonds d’investissement, ce qui limite mécaniquement le nombre d’opérations possibles », regrette Damien Braud dont la structure gère 110 millions d’euros d’actifs dans ce secteur africain. 

Avec la situation pandémique actuelle, nécessitant des réponses d’urgence, les ONG, les institutions publiques nationales, régionales et internationales restent les plus contributives aux structures de santé sur le continent. Les capital-investisseurs suivent une temporalité plus longue, même s’ils sont aujourd’hui davantage prêts à entrer dans une logique de partenariat public-privé dans ce domaine crucial de la santé. 


Biju Mohandas, l’atout santé de LeapFrog


Biju Mohandas © Caleb Wachira

 

Ancien major de l’armée indienne devenu financier, Biju Mohandas est diplômé de la prestigieuse Indian School of Business. Il a longtemps supervisé les investissements Santé et Éducation de la Société financière internationale (IFC) pour l’Afrique.

Au total, entre 2012 et 2021, Biju Mohandas a piloté neuf opérations dans huit pays pour un portefeuille total de 300 millions de dollars.

Un solide pedigree qui a convaincu LeapFrog Investments, fonds de quelque un milliard de dollars sous gestion, de le recruter comme global co-lead pour son segment healthcare. D’autant que la société d’investissement à impact, centrée sur l’Afrique et l’Asie, vient d’obtenir un chèque de 500 millions de dollars du fonds souverain singapourien Temasek pour intensifier ses prises…

Monnaie: le lancement de l'éco envisagé à l'horizon 2027 après un an d'arrêt

Jean Claude Kassi Brou, le président de la Commission de la Cédéao a annoncé que l'eco devrait arriver d'ici 2027.
Jean Claude Kassi Brou, le président de la Commission de la Cédéao a annoncé que l'eco devrait arriver d'ici 2027. © NIPAH DENNIS/AFP

Le projet de monnaie commune aux quinze pays de la Cédéao est de nouveau sur les rails après avoir été suspendu en raison de la pandémie. Samedi 19 juin, lors du sommet des chefs d'État de la Cédéao, le président de la commission Jean-Claude Kassi Brou a présenté une nouvelle feuille de route. L'éco sera lancé en 2027.

PUBLICITÉ

Depuis 2020, le processus est à l'arrêt. En raison de la pandémie de Covid-19, les pays membres de la Cédéao avaient suspendu leur pacte de convergence monétaire. Il va reprendre dès 2022, annonce Jean-Claude Kassi Brou, le président de la Commission de la Cédéao, et ce, jusqu'en 2027. À cette date, les économies se seront suffisamment rapprochées pour permettre l'adoption de l'éco.

Reste que ce calendrier, le quatrième déjà annoncé par la Cédéao, peut sembler très serré. Selon l'économiste sénégalais Moubarack Lô, il parait difficile de faire converger un pays comme le Nigéria et ses 10% d'inflation avec ceux de la zone UEMOA, l'union économique et monétaire ouest-africaine, l'actuelle zone franc, où l'inflation est sous la barre des 2%. De plus, les intérêts économiques divergents entre les pays producteurs de pétrole d'une part et d'autre part, les pays importateurs doivent être conciliés. Ce qui, là encore, peut prendre du temps. Pour Moubarack Lô, si les responsables politiques sont dans leur rôle en présentant une feuille de route, ce sera finalement l'économie réelle qui décidera de l'avenir de la monnaie commune.

S'émanciper au niveau monétaire

En attendant, les pays de l'actuelle zone franc doivent de leur côté parachever les réformes entreprises en décembre 2019 avec la signature d'un nouveau traité monétaire avec Paris. Les parlements nationaux des huit pays vont devoir ratifier le texte et examiner des questions fondamentales, comme le taux de change de leur monnaie commune et le lien de garantie proposé par Paris. Un fort courant souverainiste au sein de l'UEMOA plaide pour une émancipation totale. 

►À lire aussi : Le Togo accueille les états généraux de l'eco, la future monnaie ouest-africaine

[Exclusif] Algérie-France : Saïd Chengriha en « mission secrète » à Paris pour discuter du Sahel

| Par Jeune Afrique
Mis à jour le 15 juin 2021 à 15h29
Le chef d’état-major de l’armée Said Chengriha assiste à la cérémonie d’investiture du président Abdelmajid Tebboune, à Alger, le 19 décembre 2019.

Le chef d’état-major de l’armée Said Chengriha assiste à la cérémonie d'investiture du président Abdelmajid Tebboune, à Alger,
le 19 décembre 2019. © Fateh Guidoum/AP/SIPA

Le patron de l’armée algérienne s’est discrètement rendu dans la capitale française pour discuter de la nouvelle donne sécuritaire au Sahel, après l’annonce de la fin de l’opération Barkhane.

Le chef d’état-major de l’armée algérienne Saïd Chengriha se trouve à Paris depuis quelques jours, dans le cadre d’une mission « secrète », selon nos informations. L’objectif de la visite du patron de l’armée algérienne : discuter avec les autorités françaises de la nouvelle donne sécuritaire au Sahel, après l’annonce par le président français Emmanuel Macron de la fin de l’opération Barkhane, ainsi que du rôle que pourrait jouer l’Algérie dans ce contexte.

Depuis la réforme constitutionnelle de novembre 2020, le parlement algérien est en mesure de discuter de l’envoi de troupes à l’étranger sur proposition du chef de l’État.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

LE PRÉSIDENT ALGÉRIEN A CONFIRMÉ QUE L’ARMÉE NATIONALE POPULAIRE (ANP) S’EST TENUE PRÊTE À INTERVENIR EN LIBYE

La non-intervention hors des frontières nationales était jusqu’alors un dogme de l’armée algérienne.

Début juin, lors d’un entretien accordé à la chaîne qatarie Al-Jazira, le président algérien a confirmé que l’armée nationale populaire (ANP) s’est tenue prête à intervenir en Libye lors de l’offensive du maréchal Khalifa Haftar contre la capitale Tripoli, entre 2019 et 2020. En janvier 2020, la présidence algérienne avait indiqué que l’éventuelle prise de la ville par les troupes de Haftar constituait une « ligne rouge à ne pas franchir ». Le maréchal a finalement dû se retirer de la Tripolitaine à l’été 2020 après une série de revers.

L’Algérie considère également avec inquiétude l’instabilité au Mali, et a vertement critiqué le versement de rançons aux groupes jihadistes dans le nord du pays, ainsi que la libération de centaines de jihadistes en échange de celle des otages Soumaïla Cissé et Sophie Pétronin. Selon Alger, certains de ces éléments jihadistes ont pénétré le territoire algérien et menacent sa sécurité nationale.

Lors d’une interview accordée le 15 juin à la radio RFI, Ammar Belhimer, ministre algérien de la Communication et porte-parole du gouvernement, a abordé la question de la fin de la mission Barkhane, et constaté « qu’il y a beaucoup plus de menaces qui pèsent sur le Sahel qu’au départ de l’opération ».

Il a également évoqué l’approche algérienne de la crise au Sahel : « Est-ce qu’il n’aurait pas fallu consolider les constructions et les entités étatiques locales à l’époque, y compris en apportant du soutien militaire, sécuritaire, logistique à leurs armées, à leurs forces de sécurité (…) ? »

Les crimes présumés de l'armée tchadienne sur le bureau du nouveau procureur de la CPI

Karim Khan a succédé à Fatou Bensouda comme procureur de la Cour pénal internationale de La Haye.
Karim Khan a succédé à Fatou Bensouda comme procureur de la Cour pénal internationale de La Haye. REUTERS - Michael Kooren

À peine entré en fonction, Karim Khan, le nouveau procureur de la Cour pénale internationale, va trouver sur son bureau une demande d'enquête concernant le Tchad.

Il s'agit des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité présumés commis depuis un an par l'armée nationale tchadienne contre la rébellion, mais aussi contre la population civile depuis la prise du pouvoir par le Conseil militaire de transition (CMT).

Quatre organisations des droits de l'homme, dont deux organisations tchadiennes, la LTDH et la CTDDH, ont déjà adressé un dossier à la CPI, le mois dernier. Leur avocat, Philippe Larochelle, espère que cette relance adressée à Karim Khan permettra de protéger rapidement les témoins.

Les crimes de guerre qui étaient déjà commis dans le cadre des affrontements avec Boko Haram ou avec les forces du Fact, se portent maintenant sur la population civile elle-même. Nous estimons que le procureur est en mesure dès à présent de demander des mesures de protection pour les victimes et les témoins dont nous entendons lui fournir l'identité [...] On a déjà des tableaux avec des centaines de victimes à communiquer au procureur. Notre demande repose sur de nombreuses preuves [...]

Maître Philippe Larochelle

► Lire aussi : Justice internationale: avec Karim Khan, la CPI doit faire oublier ses échecs en Afrique

Côte d’Ivoire – Laurent Gbagbo : l’heure des « GOR » est-elle venue ?

| Par 
Mis à jour le 15 juin 2021 à 10h06
Montage JA : Issam Zejlu pour JA; SIA KAMBOU/AFP; Issam Zejly pour JA; DR
© Montage JA : Issam Zejlu pour JA; SIA KAMBOU/AFP; Issam Zejly pour JA; DR

Ragaillardi par l’annonce du retour de Laurent Gbagbo, le FPI compte bien regagner du terrain. D’autant qu’après dix ans de boycott des élections législatives, les partisans de l’ex-président ont fait leur grand retour à l’Assemblée nationale.

Voilà plus de dix ans qu’ils n’avaient pas participé à une élection. Le 6 mars dernier, les GOR (les partisans restés sur la ligne « Gbagbo ou rien ») au sein du Front populaire ivoirien (FPI) effectuaient leur grand retour sur la scène politique à l’occasion des législatives. Cette stratégie mûrement réfléchie avait été décidée en 2018, lors du congrès du FPI pro-Gbagbo à Moossou. Pour les fidèles de l’ancien président, il n’était plus possible de rester en dehors du jeu électoral. Trop coûteux politiquement et financièrement. « Ce n’était plus tenable. Si nous étions restés dans cette logique de boycott, nous serions morts à petit feu », confie l’un d’entre eux.

Le FPI légalement reconnu étant toujours présidé par Pascal Affi N’Guessan, avec lequel la réconciliation est au point mort, les candidats de l’ex-chef de l’État ne pouvaient pas battre campagne avec le sigle et le logo du parti que leur leader a fondé en 1982. Pour ce retour aux urnes, les GOR se sont donc regroupés sous la bannière d’Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS). Fort d’une alliance avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) dans la plupart des 205 circonscriptions du pays, EDS est parvenu à obtenir 17 sièges de députés – dont seulement deux femmes – sur les 255 que compte l’Assemblée nationale. De quoi en faire le deuxième groupe parlementaire d’opposition derrière celui du PDCI, qui compte 65 élus.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

OBTENIR 17 DÉPUTÉS DANS CES CONDITIONS EST TOUT À FAIT HONORABLE

Même si ce résultat n’est pas tout à fait à la hauteur de ce qu’ils espéraient, les pro-Gbagbo le jugent satisfaisant. « Il faut être réaliste. Nous n’avons participé à aucune élection depuis dix ans et nous avions très peu de moyens par rapport à nos concurrents. Obtenir 17 députés dans ces conditions est donc tout à fait honorable », estime une figure des GOR.

Pour eux, l’essentiel est ailleurs : ils sont de retour sur l’échiquier politique ivoirien et disposent désormais d’une tribune à l’Assemblée nationale. Tout un symbole, alors que Laurent Gbagbo doit lui-même rentrer à Abidjan le 17 juin, plus de dix ans après son arrestation et un procès à rallonge devant la Cour pénale internationale (CPI) à l’issue duquel il a finalement été définitivement acquitté le 31 mars. Toujours déterminé à jouer un rôle de premier plan, il pourra s’appuyer sur « ses députés », dont voici les principales figures.

Georges-Armand Ouégnin, le patron d’EDS


Quand  il évoque Laurent Gbagbo, il le décrit souvent comme son « référent politique ». S’il n’est pas l’un des compagnons de la première heure de l’ancien président, Georges-Armand Ouégnin n’en est pas moins devenu l’un de ses principaux lieutenants. Ces derniers mois, le président d’EDS n’a cessé de défendre la cause de l’ex-chef de l’État. Après avoir soutenu sa candidature infructueuse à la présidentielle puis boycotté le scrutin qui a abouti à un troisième mandat d’Alassane Ouattara, ce chirurgien urologue de formation a mobilisé les GOR en vue des législatives du 6 mars. Lui-même a été élu à Yopougon, fief historique de Laurent Gbagbo et du FPI. Une victoire acquise, notamment, grâce à la liste commune que les GOR y ont présentée avec le PDCI.

Cette alliance entre les pro-Gbagbo et le parti d’Henri Konan Bédié, Ouégnin, 69 ans, en a été l’un des grands artisans. Et pour cause. Comme il s’amuse à le dire, il est « issu d’une famille 100 % PDCI ». Son père a été député de Grand-Bassam de 1960 à 1980 et était proche de Félix Houphouët-Boigny. Son frère aîné, Georges Ouégnin, en a été l’emblématique directeur du protocole.

Membre du bureau politique de 1991 à 2001, Georges-Armand Ouégnin prend ses distances avec le parti puis rejoint le Rassemblement pour la paix (RPP), de Laurent Dona Fologo, en 2008. En 2010, il soutient la candidature présidentielle de Laurent Gbagbo, qui le nomme secrétaire d’État chargé de la Sécurité sociale dans son gouvernement. Après la chute de l’ex-président, le 11 avril 2011, il est lui aussi arrêté et envoyé en prison à Boundiali. À sa sortie, il se rapproche d’Aboudramane Sangaré et des pro-Gbagbo.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

NOUS ALLONS CONTINUER À TRAVAILLER ENSEMBLE, DANS LA DROITE LIGNE DES BONNES RELATIONS ENTRE LES PRÉSIDENTS GBAGBO ET BÉDIÉ

Progressivement, il s’impose au sein du dispositif piloté depuis Bruxelles par Gbagbo.  En 2017, la plateforme EDS est créée. Ouégnin en prend la tête. Avec le retour de son mentor à Abidjan se pose désormais la question de la réunification du FPI et donc celle de l’avenir d’EDS, sorte de vitrine légale du FPI pro-Gbagbo. « Ce sera à lui de décider ce qu’il veut faire d’EDS. Nous, nous sommes à sa disposition », tranche celui qui a été élu vice-président de l’Assemblée nationale.

En attendant d’y voir plus clair, une chose est certaine : les députés d’EDS entendent maintenir leur alliance avec les élus du PDCI. « Nous allons continuer à travailler ensemble, dans la droite ligne des bonnes relations entre les présidents Gbagbo et Bédié », assure-t-il.

Michel Gbagbo, les liens du sang


Il occupe  forcément une place à part. Le fils de l’ancien président Michel Gbagbo était à ses côtés dans son bunker quand celui-ci a été arrêté par les forces d’Alassane Ouattara, le 11 avril 2011. Tandis que son père est envoyé en détention à Korhogo, lui 
est transféré à Bouna, dans le nord-est du pays. Il y reste deux ans, durant lesquels il subit les mauvais traitements et les humiliations de la part de ses geôliers. Une fois libéré, il reprend son métier de professeur de psychologie à la faculté d’Abidjan. Il continue aussi à s’investir au sein du parti de son père, dont il devient secrétaire général adjoint. Après y avoir songé pendant plusieurs années, il se lance en quête de son premier mandat de député lors des dernières législatives. Avec Georges-Armand Ouégnin, il apparaît comme la tête d’affiche de la liste commune présentée par le FPI et le PDCI à Yopougon.  
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

C’EST UNE SORTE DE RETOUR À LA NORMALE

Désormais auréolé du titre d’« honorable », Michel Gbagbo, 51 ans, se félicite du retour des GOR dans le jeu électoral. « Les trois grands partis du pays [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix – RHDP, le PDCI et le FPI pro-Gbagbo) ont participé à ces législatives, qui se sont globalement bien déroulées. Et aujourd’hui, ils sont tous présents à l’Assemblée nationale, ce qui n’était plus arrivé depuis plus de dix ans. C’est une sorte de retour à la normale », analyse-t-il. À ses yeux, ce retour d’un groupe parlementaire pro-Gbagbo dans l’hémicycle, combiné à celui de son père à Abidjan, représente un nouveau départ pour leur famille politique. « Nous allons pouvoir davantage faire entendre notre voix dans le débat public. Cela va aussi nous permettre de poser des jalons pour l’avenir », affirme-t-il.

Hubert Oulaye, le fidèle


Il est l’un des vieux camarades de Laurent Gbagbo et l’une des personnalités emblématiques des GOR. Hubert Oulaye, 67 ans, a adhéré au FPI en 1990 après avoir dirigé le Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares) dans les années 1980. Ce professeur de droit et de sciences politiques à l’Université Félix-Houphouët-Boigny, à Cocody, a été le directeur de cabinet de l’ancien président de 1996 à 1999, avant que ce dernier accède à la magistrature suprême en 2000. Une fois son patron au pouvoir, Oulaye occupe, sans surprise, plusieurs postes de ministre jusqu’en 2010 : de la Fonction publique, du Travail, de la Communication…

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

LE RETOUR DE LAURENT GBAGBO À ABIDJAN DEVRAIT PERMETTRE DE RÉUNIR ENFIN LES DIFFÉRENTES BRANCHES DU FPI

Connu à Guiglo, dont il a déjà été député en 2000, il est réélu dans sa circonscription natale lors des législatives du 6 mars. Ce politique expérimenté est alors choisi pour être président du groupe parlementaire EDS. S’il tient à l’autonomie de ses troupes, lui aussi affirme qu’elles « entretiendront des relations très proches » avec celles du PDCI et de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), l’autre groupe parlementaire d’opposition à l’Assemblée nationale.

Il se réjouit surtout du retour de Laurent Gbagbo à Abidjan qui, selon lui, devrait permettre de réunir enfin les différentes branches du FPI. « Ce parti représente beaucoup, tant d’un point de vue politique qu’historique. Beaucoup de nos militants y sont très attachés. Laurent Gbagbo est le fondateur et le président du FPI. Il faut régler nos divisions internes. Et sa présence permettra que tout le monde se retrouve », estime-t-il, en évoquant notamment le cas de Pascal Affi N’Guessan. Selon lui, ce retour n’est « pas une revanche mais une victoire » sur « tous ceux qui pensaient qu’il ne reviendrait pas ». Se contentera-t-il d’une posture de vieux sage ou jouera-t-il un rôle plus politique ? « Il revient avec l’intention de faire de la politique. Et pourquoi pas imaginer qu’il se présente à une élection s’il le souhaite ? » conclut-il, sourire en coin.

Auguste Dago Kouassi, un « pur fruit » du FPI


À 46 ans, il est le cadet du groupe parlementaire EDS. Et l’une des jeunes pousses du FPI, dont il estime être un « pur fruit ». Auguste Dago Kouassi milite dans le parti de Gbagbo depuis la fin des années 1990. Il prépare alors une licence de droit public. Après une maîtrise et l’École nationale d’administration (ENA), il devient administrateur des affaires maritimes et portuaires.

Lors des législatives du 6 mars, il se présente pour la première fois à une élection dans la circonscription d’Hiré. Il parvient à battre le député-maire RHDP sortant, Gilbert Francis Kacou. Désigné secrétaire du groupe parlementaire EDS, le néophyte ne tarit pas d’éloges sur Laurent Gbagbo. « C’est une icône. Il s’est battu pour la démocratie et la souveraineté de notre pays. Je n’ai jamais eu la chance de le rencontrer mais j’ai épousé son idéologie. Nous sommes nombreux à nous être engagés à ses côtés sans le connaître personnellement », explique-t-il.

Affichant trente ans de moins que son idole, Auguste Dago Kouassi incarne la nouvelle génération du FPI, dans un pays où les doyens continuent à tenir les premiers rôles. « Dans les instances du parti, les jeunes sont présents. Le renouvellement se fera avec le temps, de façon subtile, assure-t-il tout aussi subtilement, en prenant soin de ne froisser personne. Je suis jeune et j’ai été élu. Même s’ils n’ont pas été élus, nous avions beaucoup d’autres jeunes candidats. C’est la preuve que nous avons un vivier. »