Mali : pour la transition, le plus dur reste à faire

| Par - Envoyée spéciale
De g. à d. : Assimi Goïta, le vice-président et Bah N’Daw, le président de la tran-sition, ainsi que Malick Diaw, le président du Comité national de la transition, le 24 septembre 2020, à Bamako.
De g. à d. : Assimi Goïta, le vice-président, et Bah N’Daw, le président de la transition, ainsi que Malick Diaw, le président du Comité national de la transition,
le 24 septembre 2020, à Bamako. © H.DIAKITE/EPA/MAXPPP

Révision constitutionnelle, redécoupage territorial, lutte contre la corruption… Il reste moins d’un an au discret président de la transition, Bah N’Daw, à son vice-président, Assimi Goïta, et au chef du gouvernement, Moctar Ouane, pour mener à bien les réformes dont le pays a besoin. Et elles sont nombreuses.

« Ma plus grande satisfaction résidera dans la passation de témoin au futur président de la République, élu proprement et indiscutablement », insiste Bah N’Daw. Tonnerre d’applaudissements des invités, réunis au Centre international de conférence de Bamako, le 25 septembre 2020, pour son investiture en tant que président de la transition ainsi que celle de son vice-président, le colonel Assimi Goïta. Dans un discours d’une vingtaine de minutes, Bah N’Daw égrène ce qui sera la boussole de la transition : lutter contre le terrorisme, éradiquer la corruption, organiser des élections transparentes, amorcer la réconciliation nationale, renforcer les mesures contre l’épidémie de Covid-19…

Le 20 février, cette volonté du président, déclinée dans un programme d’action gouvernemental, a été présentée par le Premier ministre, Moctar Ouane, devant le Conseil national de la transition (CNT). Alors que la présidentielle et les législatives arrivent à grands pas – leur premier tour a été fixé au 27 février 2022 –, de nombreux défis leur restent à relever.

Le cycle de l’insécurité

L’un des chantiers majeurs de la transition demeure la gestion de la crise sécuritaire. La forte présence de militaires dans l’équipe au pouvoir a suscité de l’espoir. Les principales figures de l’ex-Comité national pour le salut du peuple (CNSP), qui a renversé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) le 18 août 2020, étaient présentées comme des militaires de terrain, au fait des réalités. Bien que celles-ci demeurent au cœur des pouvoirs exécutif et législatif, la situation sécuritaire du Mali n’a fait que s’aggraver au cours des derniers mois, selon plusieurs observateurs.

Le cas du village de Farabougou, dans la région de Ségou, a suscité l’émoi. Sous embargo jihadiste depuis octobre dernier, et ce malgré l’intervention de l’armée puis la visite d’Assimi Goïta, la localité n’a vu cette crise résolue que récemment, grâce à l’intervention du Haut conseil islamique du Mali avec la bénédiction des autorités. Le 14 mars, un accord de cessez-le feu a été conclu entre les jihadistes – affiliés à la katiba Macina, groupe lui-même lié au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) – et les chasseurs traditionnels dozos, marquant la première étape d’un accord plus durable.

« Le cycle de l’insécurité n’a pas pu être inversé. Au contraire, cela s’aggrave, regrette Housseini Amion Guindo, le président de la Convergence pour le développement  du Mali (Codem). Désormais, de grandes villes comme Bandiagara et San sont aussi attaquées. Le pays a besoin d’une nouvelle doctrine sécuritaire. » Les autorités de la transition ont plusieurs fois réaffirmé leur volonté de dialoguer avec les chefs jihadistes maliens, Amadou Koufa et Iyad Ag Ghaly, conformément aux conclusions du dialogue national inclusif qui a eu lieu à la fin 2019. Mais pour l’heure, aucune indication n’a été donnée sur d’éventuelles tentatives d’entrer en contact avec ces derniers, ni sur les points qui pourraient faire l’objet de négociations.

Économie fragilisée

En plus de l’épineuse question sécuritaire, les autorités de la transition ont hérité d’une économie durement fragilisée par plusieurs mois d’instabilité politique et par la pandémie de coronavirus. D’autant que, face à une deuxième vague du virus qui sestrévélée plus meurtrière à la fin de 2020, l’exécutif a dû prendre une nouvelle série de mesures restrictives, qui auront un impact sur l’économie. Cependant, malgré la grave crise du secteur cotonnier, le pays a été porté par la bonne santé de l’or et a pu tenir le cap, avec une récession de seulement 2 % en 2020, selon le FMI. Ses prévisions sont même optimistes pour 2021, avec une croissance attendue de 4 %.

Et force est de constater que le gouvernement y travaille, en essayant d’agir sur les filières clés. En février, le ministre de l’Agriculture, Mahmoud Ould Mohamed, a lancé des assises du coton afin de relancer la production. Le ministre des Mines, de l’Énergie et de l’Eau, Lamine Seydou Traoré, veut dynamiser le secteur minier en accélérant la mise en application du nouveau code minier, adopté en 2019…

Mais cette relative stabilité de la croissance permettra-t-elle de répondre aux doléances des syndicats, dont ceux du domaine de l’éducation et de la santé, qui multiplient les grèves depuis le début de la transition ?

Des réformes très attendues

En plus du front social bouillonnant, les autorités de la transition doivent faire face à de nombreuses attentes sur le plan politique : réformes institutionnelles et électorales, redécoupage territorial, lutte contre la corruption et l’impunité… Autant de points pris en compte dans le programme d’action du gouvernement. « C’est très ambitieux au vu du temps imparti à la transition. Mais ce sont des dossiers qui doivent être pris en charge par différents départements. Çela devrait donc aller, se réjouit un diplomate basé à Bamako. La politique du Premier ministre est déclinée et il s’est entouré d’une équipe compétente. »

La majeure partie des réformes envisagées est d’ailleurs acceptée par tous les Maliens, car la plupart d’entre elles ont été répétées au fil de divers forums depuis plusieurs années. Mais si l’introduction de la proportionnelle dans l’élection des députés pour obtenir une meilleure représentativité ou la création d’une cour des comptes pour parvenir à plus de transparence font l’unanimité, d’autres sujets, comme l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation, continuent à créer des tensions. D’où la nécessité pour Moctar Ouane de parvenir à un consensus.

Le Premier ministre a mis en place un comité d’orientation stratégique qui réunit les partis politiques et des organisations de la société civile afin d’échanger sur les différentes réformes à effectuer. Le 15 avril, le gouvernement a par ailleurs rendu public un chronogramme des élections, qui prévoit notamment un référendum constitutionnel le 31 octobre.

Certains soulignent cependant un « manque d’inclusivité » dans la gestion de la transition, en prenant pour exemple la publication même du chronogramme des élections. « Comment comprenez-vous qu’on rencontre la classe politique le mardi au ministère de l’Administration territoriale, qu’on ne discute pas avec elle du processus électoral dont elle est l’acteur principal, et que, deux jours plus tard, on publie un calendrier électoral ? » s’interroge Ibrahim Ikassa Maïga, coordinateur national du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui a manifesté pendant trois mois l’an dernier pour réclamer la démission d’IBK.

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CE CALENDRIER, C’EST JUSTE DU SAUPOUDRAGE, UNE FUITE EN AVANT

« Ce calendrier, c’est juste du saupoudrage, ajoute-t-il. Une fuite en avant pour répondre à la forte pression de la communauté internationale qui oblige les autorités actuelles à tenir leur promesse de respecter le délai de la transition. »

Bras de fer sur l’organisation des élections

Pour d’autres, le calendrier électoral pose également une question de temps. « Non seulement les conditions d’un consensus ne sont pas réunies pour toucher à la loi fondamentale, mais la transition ne dispose pas d’un délai suffisant pour mener les réformes. Dix-huit mois ne suffiront pas et je crains que les élections se tiennent à marche forcée », regrette Brahima Fomba, enseignant à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako.

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AUJOURD’HUI, PERSONNE NE PEUT DIRE QU’IL Y A UN RÉEL CHANGEMENT

« Pour qu’une transition fonctionne, il faut passer par un processus d’extirpation puis de constitution. Les nouvelles autorités auraient dû montrer la rupture avec l’ancien régime et jeter les bases de la fameuse refondation qu’elles prônaient au départ. Aujourd’hui, personne ne peut dire qu’il y a un réel changement », analyse pour sa part Boubacar Haïdara, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM).

« On s’achemine déjà vers le milieu de la transition. Le seul chantier qui devrait occuper ses dirigeants, c’est l’organisation des élections. Ils n’auront plus ni les moyens ni le temps de faire le reste », conclut-il.

L’organisation des élections fait l’objet d’un bras de fer entre les autorités et les partis. Tandis que l’une des attentes majeures des politiques est la création d’un organe unique de gestion des scrutins, le gouvernement semble vouloir maintenir le statu quo, en confiant la préparation des scrutins au ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation.

Plusieurs responsables au sein de l’administration évoquent un manque de temps : un nouveau mode de gestion ne pourrait être fonctionnel avant les prochains votes. « Nous tenons à l’organe unique de gestion des élections. Il faut a minima le créer sur le papier et mettre en place une disposition transitoire, quitte à le rendre opérationnel plus tard. La proclamation des résultats doit être réalisée par un organe indépendant », insiste un représentant de la Cedeao chargé du dossier malien depuis le début de la crise. La mission effectuée fin avril par le médiateur de la Cedeao, le Nigérian Goodluck Jonathan, pour évaluer les progrès faits par la transition, devrait permettre d’avancer sur cette question d’organe unique.

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ILS FONT DU IBK SANS IBK

Pour le coordinateur du M5, Ibrahim Ikassa Maïga, « il faut d’abord rectifier la transition, opérer la refondation structurelle de l’État et, sur la base d’un fichier électoral accepté par tous, organiser des élections libres et transparentes ». Le M5 a annoncé observer une trêve durant le mois de ramadan, mais se dit prêt à appeler à la mobilisation dès que cette péridoe s’achèvera. « Après la trêve, nous sortirons pour obliger [les autorités en place] à rectifier la transition. Si on continue ainsi, il y aura une crise avant, pendant et après les élections car ils font du IBK sans IBK. »