Banane : Côte d’Ivoire contre Équateur, un combat perdu d’avance ?

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Plantation de bananes en Côte d’Ivoire

Alors que la banane sud-américaine ne cesse de gagner du terrain sur le marché européen, crucial pour les producteurs ivoiriens, camerounais et ghanéens, l’association panafricaine Afruibana appelle à organiser la résistance.

Sur le marché européen, la banane africaine affronte sa concurrente sud-américaine telle David devant Goliath. Sauf que l’issue de la bataille risque d’être l’inverse de celle de l’épisode biblique avec le triomphe du grand – l’Amérique du Sud représentée par l’Équateur, la Colombie et le Costa Rica – sur le petit, l’Afrique et ses trois principaux producteurs, la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Ghana.

Représentant 6,7 millions de tonnes en 2020, dont seulement 630 000 produites au sein de l’Union européenne (UE), le marché européen est approvisionné à 75 % par la banane sud-américaine dite « dollar » contre seulement 15 % par les produits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).

Face à cette situation, Afruibana, association panafricaine de producteurs et d’exportateurs de fruits créée en 2017 et présidée par le Camerounais Joseph Owona Kono, tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme.

Construire un commerce gagnant-gagnant

Après avoir lancé un appel à Abidjan en 2019 pour sauver les exportations africaines vers l’Europe, elle a présenté le 21 avril un livre blanc sur la filière africaine en marge d’une visio-conférence réunissant, outre son président et son vice-président, l’Ivoirien Jean-Marie Kakou-Gervais, trois eurodéputés, la Française Marie-Pierre Vedrenne, l’Allemande Pierrette Herzberger-Fofana et le Portugais Carlos Zorrinho, entre autres.

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FACE À UN VÉRITABLE DÉFERLEMENT DE PRODUITS, NOUS AVONS BESOIN D’UN MINIMUM DE RÉGULATION

Objectif : renforcer le partenariat entre l’Afrique et l’Europe pour construire un commerce des bananes gagnant-gagnant dans le cadre de l’accord post-Cotonou, sur lequel les pays ACP et l’UE sont parvenus à un consensus politique fin 2020, et de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), entrée en vigueur début 2021.

« Nous devons construire ensemble un plan d’accompagnement du secteur pour assurer sa durabilité, en investissant notamment dans la qualité, la formation et la décarbonation », plaide Joseph Owona Kono, insistant sur le fait que les producteurs européens, dont la France via les Antilles, le Portugal, l’Espagne et la Grèce, sont touchés, comme leurs homologues africains, par la concurrence sud-américaine.

« Face à un véritable déferlement de produits, nous avons aussi besoin d’un minimum de régulation », ajoute Joseph Owona Kono, également secrétaire exécutif de l’Association bananière du Cameroun (Assobacam).

Chute des prix

Un combat qui semble toutefois difficile à mener. Dans les années 1990, la banane a provoqué une guerre commerciale entre l’Europe et les producteurs sud-américains, ces derniers (soutenus par les États-Unis) demandant devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) la suppression des droits de douane imposés aux bananes « dollar » – dont les bananes ACP étaient exemptées.

Après une longue procédure, le conflit s’est résolu par la signature d’un accord en 2009, entérinant la baisse progressive des droits de douane sur la banane « dollar » et, de facto, la réduction de la protection offerte aux bananes ACP. Le tarif douanier, qui devait passer de 176 euros la tonne en 2009 à 114 euros en 2019, est tombé à 75 euros en 2020 et 2021.

Résultat, les producteurs équatoriens, colombiens et costaricains ont rapidement pris une position dominante en Europe. « Entre 2014 et 2020, l’origine “dollar” a progressé de plus d’un million de tonnes quand les autres provenances ont stagné ou baissé », note Denis Loeillet, agroéconomiste et spécialiste de la banane au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Rien qu’entre 2019 et 2020, les volumes sud-américains ont progressé de près de 6 % quand ceux des pays ACP ont reculé de près de 5%.

À cela s’ajoute la baisse continue des prix – passé de 14,10 euros en 2014 à 11,70 euros en 2020 pour le carton de bananes et de 76 à 63 centimes d’euros sur la même période pour le kilo de bananes importées – en raison d’une abondance de l’offre au regard de la demande, ce qui réduit les revenus des producteurs.

80 000 emplois en jeu

« Les plus compétitifs, dont l’Équateur, qui exporte dans 100 pays et a livré 1,6 million de tonnes en 2020 en Europe, disent que leurs marges se réduisent comme peau de chagrin. Imaginez la situation des producteurs africains, moins compétitifs, assurant seulement 600 000 tonnes d’exportations vers l’Europe et très dépendants de ce seul marché… », expose Denis Loeillet.

Premier exportateur africain en Europe, la Côte d’Ivoire a vendu 300 000 tonnes en 2020, suivie du Cameroun avec 180 000 tonnes et du Ghana avec 77 000 tonnes, le continent assurant 9 % du marché européen des bananes dessert selon Afruibana. Dans les trois pays, le secteur représente 80 000 emplois directs et indirects, toujours selon l’association.

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VISER UNE PRODUCTION ZÉRO INSECTICIDE À L’HORIZON DE QUELQUES ANNÉES

Alors que la bataille sur les tarifs douaniers semble bien perdue, les acteurs continentaux n’ont pas d’autre choix que de chercher à se démarquer de la concurrence en investissant dans la production de qualité, écologique et responsable.

Ce positionnement, qui répond aux attentes des consommateurs européens et aux engagements « vert » de plus en plus forts de l’UE, implique aussi des efforts de la part des distributeurs pour créer des canaux de vente adaptés et rémunérateurs.

« Du côté des producteurs africains, la montée en gamme est déjà en cours notamment grâce à de nouveaux systèmes de production plus vertueux, ce qui permet de viser, par exemple, une production zéro insecticide à l’horizon de quelques années », juge Denis Loeillet, ajoutant que ce mouvement devra, pour percer, aussi s’appuyer sur l’essor des marchés nationaux et régionaux.