L'Eglise en TUNISIE, précis historique

I - Des origines au VIe siècle

 C’est à travers les témoignages des martyrs que nous avons connaissance pour la première  fois de la présence chrétienne en Afrique du Nord. Le premier document connu remonte à 180 et il fait état de 12 martyres originaires de Scilli dans la région de la Proconsulaire, pas loin de Carthage.

 

Tertullien, né en 155 à Carthage, premier écrivain en date, et principal témoin de l’époque, qui suivit une formation poussée en droit et en rhétorique à Rome et à Carthage, est le premier auteur latin chrétien. Son témoignage sur la présence chrétienne est concluant : « Chaque jour des chrétiens comparaissent devant les tribunaux…il y avait des chrétiens, de tout sexe, de tout âge, de  toute condition et tous répartis dans les villes, les bourgs fortifiés et jusque  dans les campagnes et dans les îles… ». D’autres données historiques viennent confirmer cette réalité. En 215 se tient à Carthage le premier Concile connu de la Proconsulaire et de la Numidie (Tunisie et l’Est algérien) 70 évêques y étaient présents. En 255 un deuxième Concile réunissait 90 évêques. Il semble donc bien établi que l’apparition du christianisme au Maghreb remonte à la fin du premier siècle ou au début du deuxième siècle.

D’où venaient les premiers chrétiens ? Tout porte à croire que l’Afrique du Nord a été christianisée par des gens venus des rivages romains et siciliens. Les ports des deux régions étaient les plus proches du littoral maghrébin, avec lequel ils entretenaient de nombreux échanges. Ce qui semble confirmer la prédominance presque totale de la culture latine. Ainsi on a pu affirmer que l’Afrique du nord est la Patrie de la Bible Latine (Supplément du Dictionnaire de la Bible cité par le P Cuoq dans « L’Eglise de l’Afrique du Nord »).

Parmi les grandes figures de cette période qui ont eu des relations directes avec Rome, il faut citer Saint Augustin (354-430) qui séjourna pendant un certain temps à Rome et à Milan où il se convertit au christianisme et reçut le baptême. Saint Fulgence (467-532), après sa conversion cherche une vie plus parfaite et pense à la vie contemplative. Il entre dans le monastère de saint Faustus et veut  partir en Egypte qu’il n’atteint pas. Par contre c’est à  Syracuse et à Rome qu’il restera jusqu’à l’an 500, date de son retour à Carthage. Il fut exilé par les Vandales en Sardaigne où il profitera de son exil pour fonder un monastère. D’autres évêques des provinces romaines Proconsulaire et Bizacène  ont été aussi exilés vers l’autre rive de la Méditerranée.

II – De  l’arrivée des Arabes au XIIe siècle 

En 646 les Arabes préparent la première expédition vers les provinces romaines de l’Afrique du Nord. Il aura fallu sept campagnes avant qu’ils ne puissent s’installer définitivement à Carthage en 695. Par des historiens on sait que déjà en 649 des moines s’étaient repliés sur Rome et à la reprise de Carthage nombreux furent les chrétiens carthaginois qui partirent pour Pantelleria, la Sicile et la Sardaigne. L’islamisation du pays se fit progressivement. D’après les anciens documents il semble qu’on doit  l’attribuer plutôt au pouvoir et à la structure  socio – culturelle qu’imposait à la société la loi islamique, qu’à la contrainte.

Par la correspondance des Evêques avec Rome on peut suivre l’évolution ecclésiale. Le Pape Adrien I (772-795) parle encore  des évêques d’Afrique.  Le Pape Léon IX déplore en 1053 qu’on ne puisse plus trouver en Afrique que cinq évêques  La dernière nomination connue est celle de Cosmas, Evêque de Mahdia, faite par le pape Eugène III (1145-1153). Toujours par les sources arabes, on sait qu’il y avait des  chrétiens et qu’on parlait encore latin à Gafsa en 1158.  Et d’après Ibn Khaldun (1332-1406) des villages chrétiens existaient encore dans le Nefzawa : Gafsa et Nefta. Pendant cette même période un événement très important eut lieu dans l’autre rive de la Méditerranée : la conquête de la Sicile par les Arabes. En 827 une centaine de navires débarquèrent à Mazara  et quatre ans après Palermo capitulait.  A partir de cette date la Sicile devient «une province de l’Ifriquia», même si la conquête intégrale de l’île sera lente et laborieuse à cause de la résistance de Syracuse. La présence arabe en Sicile durera jusqu’à l’an 1091, lorsque l’île sera conquise par les Normands.

Le survol historique sur ces siècles met en relief les échanges culturels et religieux qui ont eu lieu entre Rome, la Sicile et le Nord de l’Afrique. Échanges, sans aucun doute, très enrichissants autant d’un côté  que de l’autre. 

 

III -  L’Eglise des «émigrés» et des esclaves du XIIe  au XIXe siècle

Au début du XIIème siècle les nations européennes commencent à établir des relations commerciales avec la Tunisie. Les Etats vont s’assurer des «comptoirs» sur la rive sud de la Méditerranée. Ces comptoirs auront leurs commerçants, leurs artisans, leurs prêtres bénéficiant de petites églises ou chapelles. Tous venus d’ailleurs… Aujourd’hui on dirait « des émigrés ». Des comptoirs ont été installés à Tunis, Bizerte, Tabarka, Mahdia, Sfax, Gabès et Djerba.


A la même époque quelques religieux envisagent de créer des relations aussi profondes que possible avec les musulmans. Dans ce but le père Ramon Marti, dominicain, fonda en 1250 un Centre d’Etudes Arabes à Tunis. Sept autres religieux l’accompagnaient.  

A côté de ces relations institutionnalisées entre les pays des deux rives de la Méditerranée, d’autres relations, fruit de ce qu’on appelle «la course», vont s’établir et elles vont entraîner la présence, de plus en plus importante de prisonniers réduits à la condition d’esclaves, dont la majorité était chrétienne.

Les XIIe et XIIIe siècles ont vu naître plusieurs Ordres religieux ayant spécialement pour tâche le soutien et le rachat des captifs chrétiens.  Pour cette nouvelle catégorie de chrétiens, des bagnes seront construits avec de petites chapelles à l’intérieur. A Tunis il y avait treize bagnes.

De 1213 jusqu’à 1818, date de l’abolition de l’esclavage par Ahmed Bey, une fois par an ou au moins tous les deux ans, des expéditions étaient organisées pour ramener, dans les pays européens, les esclaves rachetés.  En 1624, le pape Urbain VIII, par un Bref du 20 avril, fonda la «Mission Apostolique»  qu’il confia aux Pères Capucins italiens. Les premiers connus, entre 1624 et 1638 étaient des  siciliens. Après cette date il y a eu aussi des Capucins venant d’autres régions de l’Italie à l’exception du père Le Vacher, prêtre de la Mission (Lazariste) d’origine française, de 1651 à 1672, date de la réhabilitation des pères capucins. Le responsable de la Mission portait le titre de «Procurateur de la Mission».

En 1841, le Pape Grégoire XV créa le «Vicariat Apostolique de Tunisie» sans caractère épiscopal. Le père Fidèle Sutter, capucin de Ferrara, en reçut l’administration. En 1844 il est promu évêque titulaire de Rosalia. Pendant le dix-neuvième siècle, ont été fondées les premières paroisses de la Tunisie : Sousse 1836 ; Sainte Croix  à Tunis 1837 ; La Goulette 1838 ; Sfax 1841 ; Jerba 1848 ; Mahdia 1848 ; Bizerte 1851 ; Porto Farina 1853 ; Monastir 1863. La création des  paroisses était  motivée par l’augmentation de la population européenne, surtout sicilienne et maltaise, et par sa dispersion à travers le pays.

Les données démographiques concernant la population étrangère sont plutôt rares au début du dix-neuvième siècle. Certaines études de l’époque  parlent de la présence d’un noyau d’italophones, constitué par des esclaves libérés  ou passés au service du Bey.

Vers la fin du siècle, se produit une arrivée massive des Siciliens, à cause des convulsions politique qu’a vécu la Sicile à cette époque-là. La plupart s’installe à La Goulette, d’autres dans un quartier populaire de Tunis, qui prit le nom de «La petite Sicile», dans le quartier de Bab Jedid   ou à l’intérieur du pays, en particulier au Cap Bon. A cette même époque ont eu lieu deux événements qui vont avoir une influence décisive dans la vie de l’Eglise et dans le pays. D’une part, Mgr Sutter, Vicaire Apostolique, arrivé à l’âge de 84 ans, sera remplacé en 1881  par Mgr Lavigerie.

D’autre part  à cette même date sera signé le traité du Bardo entre la Tunisie et la France. Ces deux événements vont avoir une répercussion évidente sur l’augmentation de la population française civile et militaire et aussi sur le nombre des prêtres d’origine française.

Pendant tous ces siècles et malgré le contexte, apparemment  peu propice aux rapports sereins, les études réalisées montrent que des relations commerciales, politiques  et  religieuses, ont existé  entre la Tunisie et  certains pays européens, surtout avec ceux de l’autre rive de la Méditerranée et avec le Vatican. Des comptoirs ont été installés dans les côtes, des Consulats et des Bagnes pour les esclaves ont été ouverts, des conventions conclues  entre les délégués du Pape et les princes musulmans, en particulier la création de la Mission Apostolique devenue plus tard Vicariat Apostolique.

 

IV – Du  XXe siècle à nos jours

Avec  le  Protectorat  français une étape  toute nouvelle commence pour  l’Eglise.  Les nombreux étrangers arrivés en Tunisie  – en particulier français –  vont  se disperser partout dans le pays. Des églises seront construites dans toutes les grandes villes et même dans la campagne. Les pères Capucins avaient créé 9 paroisses, le Cardinal Lavigerie en avait ajouté 14. Au moment de l’Indépendance (1956) il y avait 78 paroisses, et si on ajoute les annexes où le culte était célébré régulièrement, le total est de 180. Le plus grand nombre de ces paroisses  étaient confié à des prêtres d’origine française.

Malgré cette évolution, le nombre des italo-siciliens était toujours très important dans certaines paroisses qui seront marquées et enrichies par leur influence. A titre d’exemple on peut citer la paroisse de La Goulette  où les Siciliens continuaient à être les plus nombreux. Les processions du 15 août en honneur de «Notre Dame de Trapani» mobilisaient une foule constituée des paroissiens, mais aussi des participants venus d’autres paroisses de Tunis. Cette procession avait aussi un grand impact sur la population musulmane et juive locale qui se mêlait  à la foule pour prier la «Madonna».

Sur la ville de Tunis, les Siciliens installés dans le quartier appelé «La Petite Sicile» avaient, depuis 1913, leur propre paroisse. La procession de la fête de Saint Joseph, patron de la Paroisse, attirait aussi beaucoup de chrétiens, toutes nationalités confondues. Au quartier de Bab Jedid, une chapelle sera installée pour la communauté sicilienne « Santa Lucia dei Siciliani ». Devenue trop petite, elle sera remplacée par l’Eglise du Rosaire, toujours dans le même quartier. Cette paroisse sera confiée à une communauté de Pères Salésiens de Don Bosco d’origine italienne.

L’indépendance de la Tunisie en 1956 a été une surprise pour la majorité des chrétiens résidents dans le pays. Beaucoup (prêtres, religieux/religieuses et fidèles) auront du mal à faire le rétablissement et préféreront partir vers leur pays d’origine. Certains restent cependant et font un double retournement : Repenser totalement sa manière de croire et se situer par rapport à un pays en construction de son indépendance. D’où une attitude de service et de coopération dans la construction du pays, non pas en maîtres d’œuvre, mais selon les capacités, même si elles sont modestes. Avec Vatican II, et surtout après, cette période de « présence invisible » est résumée dans la déclaration finale du Synode diocésain tenu en 1990.

Peu après le synode  de 1990, Mgr Callens, dernier évêque père blanc et français, mourait. Après deux ans d’administration confíée au P. Paul Geers, Mgr Fwad Twal, jordanien était nommé nouveau Pasteur de l’Eglise de Tunisie, En 2005, Mgr Maroun Lahham est nommé Evêque de Tunis. Déjà on notait toute une série de situations nouvelles dans l’Église de Tunisie : vieillissement des personnes (prêtres, religieux/ses, laïcs résidents), fermeture d’un grand nombre d’écoles, arrivée de nouvelles congrégations, de membres de nouveaux mouvements ecclésiaux, désir d’une foi moins aventureuse et plus sécuritaire, souci de trouver davantage de visibilité tranquille sans pour autant être triomphaliste…

Il devient clair qu’un monde ancien (au niveau de l’Église) est en voie de disparition et un monde nouveau se cherche et ne s’est pas encore trouvé tout à fait. D’ailleurs, l’arrivée de centaines de jeunes africains pour étudier dans les universités du pays, le déplacement de la BAD (Banque africaine de développement), la présence de centaines de compagnies étrangères, l’arrivée soutenue de chrétiens arabes des pays du Moyen Orient, sans parler des millions de touristes… tout cela oblige à penser à de nouvelles formes de présence et de service de l’Église. C’est, encore une fois, l’Esprit de Dieu qui renouvelle la face de la terre.

 

 + Mgr Maroun LAHHAM

Pâques 2007

 

Saint Cyprien de Carthage

L’Archevêché–Sidi Dhrif  B.P.6 – La Marsa

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