Oumar Toguyeni (Iamgold) : « L’Afrique de l’Ouest reste au cœur de notre stratégie »

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Mis à jour le 14 juin 2021 à 14h43
Oumar toguyeni

Contenu local, départ du site malien de Sadiola, rendement de la mine burkinabè d’Essakane… Le vice-président du minier canadien, en exploration au Burkina Faso, au Mali, au Sénégal et en Guinée, défend sa stratégie.

À 59 ans, le Burkinabé Oumar Toguyeni, vice-président principal du groupe canadien Iamgold, en charge des affaires internationales et du développement durable, est une personnalité de premier plan du secteur minier aurifère africain.

Géologue expérimenté, passé d’abord par la mine d’or de Poura au Burkina Faso au milieu des années 1990, puis par la société Billiton Metals, au Burkina, en Guinée et aux Pays-Bas avant de rejoindre, en 2003, la compagnie d’aluminium Alcoa aux États Unis, il évoque pour Jeune Afrique les enjeux de l’exploitation minière et réaffirme la prépondérance de l’Afrique de l’Ouest dans la stratégie d’Iamgold, malgré la cession d’actifs au Mali en 2020.

Le groupe canadien, également actif en Amérique du Nord et du Sud, a produit 653 000 onces d’or en 2020 pour 223,2 millions de dollars de flux de trésorerie. Il vise une production située entre 630 000 et 700 000 onces d’or cette année.

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Jeune Afrique : Au Mali, au Burkina, au Niger… un peu partout en Afrique de l’Ouest, la fronde monte contre les sociétés minières, accusées de pillages des richesses nationales. Comprenez-vous cette colère ?

Oumar Toguyeni : C’est une perception qui, à mon avis, ne rend pas justice à la grande majorité des compagnies minières. D’abord, la plupart d’entre elles sont cotées sur les principales places financières, ce qui les astreint à des règles strictes de gestion, de gouvernance et de transparence. Leurs rapports de production sont passés à la loupe par les analystes et les investisseurs.

Ensuite, dans nos pays, les systèmes de contrôle à l’exportation en place comportent plusieurs niveaux de vérification, minimisant ainsi les risques de fraude. Savez-vous que, dans les États d’Afrique de l’Ouest, aucun lingot d’or ne peut sortir d’une mine industrielle pour expédition à l’extérieur sans la présence et le suivi tout au long du parcours des services concernés (mines et douanes), depuis la salle d’or jusqu’à la dernière porte de sortie qui est en général l’aéroport national ?

Enfin, il existe des organismes de vérification indépendants comme l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) qui édicte ses propres règles en la matière.

D’où vient donc ce sentiment ? 

Il est certainement dû, en grande partie, au manque d’information et de compréhension. J’évoquerai également l’absence de visibilité quant au mécanisme d’allocation ou d’investissement des revenus tirés du secteur minier par l’État.

En effet, la plupart des analystes se focalisent uniquement sur les contributions directes (taxes, impôts, redevance, etc.) versées au Trésor public, mais cela ne représente qu’une infime part de l’apport global. Il faudrait intégrer les apports indirects à l’économie nationale tels que les salaires, les achats de biens et services locaux, ainsi que les contributions en matière de RSE pour les communautés riveraines.

J’admets volontiers que des progrès sont encore nécessaires, notamment à travers le contenu local. Cela requiert que toutes les parties impliquées (État, sociétés minières, secteur privé local) jouent pleinement leur rôle.

Sur le plan du développement des communautés riveraines, nous assistons de plus en plus à la mise en place par les États d’un fonds minier de développement local financé par des taxes sur les exportations minières. Il s’agit maintenant de mettre en place les instruments nécessaires de gouvernance et de renforcer les capacités des récipiendaires afin que ces fonds contribuent effectivement à la réalisation des objectifs de développement humain durable.

Le spectre d’un désastre social et environnemental plane sur l’après-mine. Comment Iamgold prépare-t-il la fermeture et la réhabilitation de ses sites ?

Nous encourageons la réhabilitation progressive des zones exploitées, sans même attendre la fermeture de la mine. Nous développons actuellement une stratégie de transition vers le domaine de l’agrobusiness, bien entendu avec l’adhésion des communautés.

Il est vrai que, par le passé, on a pu voir de mauvais exemples à travers le monde, pas seulement en Afrique, de sites laissés à l’abandon après leur fermeture. Mais, depuis quelques années, on assiste à une nette amélioration des pratiques en matière de gestion environnementale pendant et après la vie de la mine.

Ces progrès ont été réalisés grâce aux efforts de toutes les parties prenantes – la veille citoyenne, les demandes des investisseurs, les évolutions réglementaires –, ainsi qu’à l’évolution même des mentalités au sein des compagnies minières.

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NOTRE JEUNESSE A LA CAPACITÉ D’ÊTRE PERFORMANTE AU PLUS HAUT NIVEAU SI ON LUI EN DONNE L’OPPORTUNITÉ

Les exigences de performances environnementales et sociales sont aujourd’hui incontournables. Dans tous les pays de la sous-région, l’obtention du permis d’exploitation est subordonnée à une étude d’impact environnemental et social incluant le plan de fermeture, qui doit être approuvée par les départements techniques compétents.

La question de l’emploi et de la nationalisation des postes à responsabilité dans le secteur minier représente aussi un enjeu important. Qu’avez-vous mis en place à ce niveau ?

Vous touchez là un point qui me tient vraiment à cœur, puisque j’appartiens à la petite minorité d’Africains qui a pu atteindre un certain niveau de responsabilité dans le secteur.

Ma conviction a toujours été que notre jeunesse en Afrique, quelles que soient les écoles d’où elle provient, a la capacité d’être performante au plus haut niveau si on lui en donne l’opportunité.

Fort heureusement, le secteur minier est en pleine mutation sur ce volet car je note que la plupart des compagnies mettent de plus en plus l’accent sur le développement et la promotion des nationaux à des postes à responsabilité.

À Essakane (province de l’Oudalan, nord-est du Burkina Faso), par exemple, nous avons mis en place, dès 2013, un Plan de relève (PDR) qui accompagne les employés nationaux méritants et leur apporte un suivi et un encadrement techniques et professionnels à travers un plan de développement individuel.

Cela leur permet, dans la plupart des cas, d’être promus aux postes précédemment occupés par des expatriés. Nous avons assisté, ces dernières années, à la promotion de centaines de cadres nationaux, et aujourd’hui 97  % de notre main d’œuvre est burkinabè.

L’État a également un rôle prépondérant à jouer en mettant en place la réglementation nécessaire et en assurant un enseignement de qualité, au niveau professionnel autant qu’universitaire, dans les diverses spécialités dont le secteur a besoin : géologues, mineurs, mécaniciens, électriciens, financiers, etc. Toutes ces compétences sont nécessaires pour exploiter et développer une mine.

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NOUS AVONS CÉDÉ NOTRE PARTICIPATION DANS LA MINE DE SADIOLA FAUTE DE TROUVER LA BONNE FORMULE AVEC NOS PARTENAIRES

Comment les États peuvent-ils se servir du boom minier comme tremplin pour transformer leurs économies ?

L’exploitation du secteur minier peut servir de tremplin pour le développement économique et social, à condition que les autorités l’intègrent dans leur stratégie.

Il serait, par exemple, envisageable d’utiliser les besoins en énergie des mines en construction, qui sont souvent situées dans des régions reculées, pour connecter la région hôte au réseau électrique national afin que les populations en bénéficient également. Idem pour les hôpitaux, les infrastructures routières, la formation professionnelle, etc.

Iamgold s’est retiré de Sadiola au Mali. Quelles sont les grandes lignes de votre stratégie en Afrique de l’Ouest ?

Nous avons cédé notre participation dans la mine de Sadiola parce que, malheureusement, nous n’avons pas pu trouver la bonne formule avec nos partenaires [l’État du Mali et AngloGold Ashanti], pour la seconde vie de la mine. Dans ces conditions, il était préférable de se retirer au profit d’autres opérateurs qui, je l’espère, assureront la continuité de la vie de cette mine exceptionnelle.

Mais nous sommes toujours présents au Mali, notamment avec nos projets au sud de Kenieba, et l’Afrique de l’Ouest restera longtemps encore au cœur de la stratégie globale, notamment du fait de notre histoire qui a débuté au Mali, dans les années 1990, avec la mine de Sadiola.

Les performances de la mine d’Essakane, au Burkina Faso, en font le fer de lance du groupe et une des plus belles mines dans la région.

En termes de stratégie, nous avons un pipeline d’actifs solides, à commencer par le projet Boto, au Sénégal, pour lequel les travaux d’infrastructures sont en cours, notamment la route d’accès de 70 km,  ainsi qu’un certain nombre de permis de recherche et d’exploration prometteurs au Burkina Faso, au Mali, au Sénégal et en Guinée.

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IL FAUT ARRIVER À UNE CERTAINE DÉMOCRATISATION DE L’ACTIONNARIAT MINIER

La Cedeao tente d’asseoir un code minier unique applicable dans ses pays membres. Cela est-il perçu par les investisseurs miniers comme une bonne nouvelle ?

A priori oui. De nombreux groupes miniers, dont Iamgold, sont présents dans plusieurs pays simultanément et à différents stades : prospection, exploration, exploitation, etc.

L’instauration d’une réglementation communautaire harmonisée en matière de fiscalité, d’environnementaux et de droits sociaux pourrait booster les investissements. À condition toutefois de maintenir la compétitivité de la région, un aspect crucial pour continuer à attirer les investissements directs étrangers dans le secteur.

Faut-il encourager les investisseurs nationaux ou régionaux à miser sur les mines, comme le font Ecobank, Oragroup, Coris Bank ou encore Bank of Africa ?

Absolument ! Au cours de dernières années, certaines banques locales ont investi dans des projets miniers de la sous-région, allant ainsi au-delà de la réception simple des recettes d’exportation. Leurs possibilités sont très importantes, aussi bien en termes de financement de projets, d’options de financement ou de leasing des équipements – c’est ce qui a été fait pour notre mine Essakane.

Il faut aussi arriver à une certaine démocratisation de l’actionnariat minier, afin que le citoyen lambda puisse acheter des actions ou des obligations dans les sociétés minières par le canal d’institutions financières locales.

Certains États ont inclus, dans leur code minier, la possibilité pour l’État ou le privé national d’acquérir entre 10 et 25 % du capital des sociétés d’exploitation minière. Pourquoi ne pas trouver une formule pour lister ces actions sur le marché de la BRVM afin que les personnes physiques ou morales puissent les acquérir, comme c’est le cas actuellement pour les actions des compagnies de télécommunication ?