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Sucre : comment la Côte d’Ivoire veut devenir autosuffisante en cinq ans

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Mis à jour le 02 août 2021 à 12h46
Souleymane Diarrassouba, ministre ivoirien du Commerce et de l’Industrie, le 29 juin 2017 à Abidjan.
Souleymane Diarrassouba, ministre ivoirien du Commerce et de l’Industrie, le 29 juin 2017 à Abidjan. © ISSOUF SANOGO / AFP

Alors que les prix alimentaires, dont celui du sucre, flambent en Afrique de l’Ouest, Souleymane Diarrassouba, le ministre ivoirien du Commerce et de l’Industrie, met en avant les efforts d’Abidjan pour développer la production locale.

Fixation de prix plafonds pour certains produits, dont le riz, l’huile et la farine, création de comités régionaux pour lutter contre la vie chère, multiplication des contrôles des tarifs réglementés : en Côte d’Ivoire, comme dans plusieurs autres pays en Afrique de l’Ouest, les exécutifs sont sur le pont pour contrer la hausse des prix alimentaires et limiter son impact sur le pouvoir d’achat.

Dans le même temps, les États, en partenariat avec le secteur privé, cherchent à accélérer sur le volet de la production locale. C’est le cas dans la filière ivoirienne du sucre, comme l’explique à Jeune Afrique le ministre du Commerce et de l’Industrie, ancien directeur général du groupe Atlantic Business International (ABI), Souleymane Diarrassouba.

Jeune Afrique : Que faites-vous pour relancer une filière sucrière ivoirienne peu compétitive à l’échelle internationale ?

Souleymane Diarrassouba : Le gouvernement a signé un contrat plan avec les entreprises Sucaf (Somdiaa) et Sucrivoire (Sifca) pour un investissement de 230 millions d’euros, avec pour objectif de faire passer la production de 206 037 tonnes en 2021 à 255 091 tonnes en 2025. Une autorisation spéciale d’importation – mais à marge nulle – a été accordée à ces industriels à hauteur de 50 % des besoins des industries agroalimentaires utilisant le sucre comme intrant. Enfin, un programme de recherche a été lancé pour améliorer le rendement de nos plantations de canne à sucre.

 Les importations de sucre en provenance du Brésil et de Thaïlande, qui se font souvent via d’autres pays ouest-africains, fragilisent le secteur. Quelles sont les solutions ?

Nous continuons de renforcer la surveillance du marché et le contrôle aux frontières pour traquer les contrevenants. Il s’agit de s’assurer également que le sucre importé pour des pays de l’hinterland n’est pas revendu chez nous lors du transit. Notre administration, avec la douane et l’Association des industries sucrières de Côte d’Ivoire (AIS), qui travaillent en parfaite intelligence, reste vigilante quant à la protection de la filière.

Comment parvenir à l’autosuffisance en sucre ?

Le contrat plan signé le 1er mai dernier permet d’entrevoir cet objectif au terme des cinq prochaines années. Les investissements des deux groupes agro-industriels dans leurs usines, les plantations et la R&D vont permettre d’augmenter progressivement et parallèlement les productions de canne brute et de sucre, et d’améliorer la compétitivité de la filière.

Côte d’Ivoire : Ouattara et Gbagbo « préfèrent l’injustice au désordre »

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Par  Ousseynou Nar Guèye

Éditorialiste sénégalais, fondateur du site Sentract.sn

Alassane Ouattara et son prédécesseur, Laurent Gbagbo, au palais présidentiel d’Abidjan, le 27 juillet 2021.
Alassane Ouattara et son prédécesseur, Laurent Gbagbo, au palais présidentiel d'Abidjan, le 27 juillet 2021. © ISSOUF SANOGO/AFP

Derrière les images des deux anciens rivaux tout sourires, c’est bien plus qu’une réconciliation qui se joue. Si, pour l’un comme pour l’autre, la rencontre du 27 juillet vise à tourner la page, elle n’est pas exempte d’arrière-pensées plus politiciennes.

Alassane Ouattara a donc reçu Laurent Gbagbo le 27 juillet. Entretien de 30 minutes qualifié de « fraternel et cordial », ce dont attestent les images des deux protagonistes main dans la main, de même que leur connivence et leurs sourires lors du point de presse qui a suivi. Les deux ont fait assaut d’amabilités, et aucune question n’est venue des journalistes, comme tétanisés par la scène.

L’actuel président veut-il ainsi rendre justice à son prédécesseur ? Et lui redonner (toute) sa place sur l’échiquier politique ? Pas sûr. Ouattara avait déjà restauré Gbagbo dans les droits et pensions auxquels il est éligible en tant qu’ancien chef d’État, pour un montant de plusieurs milliards de F CFA. Dans une volonté de le cantonner à ce rôle d’ex-, retraité de la politique active ? Ce rapprochement avec Gbagbo pourrait être surtout pour Ouattara une tentative de neutralisation. Afin de giscardiser Gbagbo. C’est-à-dire en faire le président d’un seul mandat, qui ne pourra jamais revenir en effectuer un second.

Trois victoires

À cet égard, Ouattara considère que le long mandat de dix ans de Gbagbo, qui n’a pas pu organiser d’élection présidentielle pour cause de rébellion armée dans la partie nord du pays,  compte pour deux. Alors que Gbagbo, qui se représentait en 2010, estime qu’il n’en a fait qu’un seul. Giscardisation ? En mai 1981, après avoir été battu à la fin d’un seul septennat, le président français Valéry Giscard d’Estaing apparaissait à la télévision dans une morne adresse toute en raideur, bouclée par un bizarre « au revoir », où il se levait de sa chaise pour sortir de l’écran. Cet « au revoir » fut, en définitive, un adieu. Alors, « le Christ de Mama » en voie de giscardisation par Ouattara ? On en est (encore) loin. Et l’intéressé s’y refusera de toute sa force de stratège politique, qui est grande.

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SI SIMONE EHIVET VEUT CONCOURIR À LA PRÉSIDENTIELLE DE 2025, CE SERA SANS LUI COMME TREMPLIN

En 2021, Gbagbo a obtenu une triple victoire. Juridique, politique et symbolique. Victoire judiciaire avec la confirmation de son non-lieu devant la Cour pénale internationale, qui fait désormais une vétille de sa condamnation à vingt ans de prison en Côte d’Ivoire pour le braquage de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) d’Abidjan, que plus personne n’évoque.

Victoire politique pour avoir été présent aux législatives – après le boycott de la présidentielle – avec sa coalition et avoir réussi à constituer un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, avec, en cerise sur le gâteau, un porteur du nom Gbagbo élu député : son fils Michel.

Victoire symbolique enfin, avec un retour sous les acclamations populaires et la bousculade des foules à Abidjan, après dix ans d’exil contraint et forcé ; et maintenant, cette rencontre au palais avec le président.

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LAURENT GBAGBO EST « INCAPABLE DE NE PAS FAIRE DE POLITIQUE »

Dès son retour, Gbagbo a aussi levé une hypothèque à la fois personnelle et politique : en « rendant sa liberté » à Simone Ehivet, la vice-présidente du Front populaire ivoirien (FPI) qu’ils ont cofondé, dont il a officiellement demandé le divorce. La mettant ainsi devant ses responsabilités : si Simone bientôt ex-Gbagbo veut concourir à la présidentielle de 2025, ce sera sans lui comme tremplin et peut-être bien en lui passant d’abord sur le corps.

Tous ces messages sont clairs : Laurent Gbagbo, comme il l’a proclamé lors de sa rencontre-meeting avec l’ancien président Bédié, son nouvel allié privilégié, est « incapable de ne pas faire de politique ». En 2025, il sera moins âgé que Ouattara le sera à l’issue de son troisième mandat, ou que le candidat Bédié l’était en 2020. Sur le papier, « Gbagbo 2025 » paraît donc séduisant. Et son camp a intérêt à le faire accroire pour maintenir les militants mobilisés et renforcer ses bastions politiques.

Minimum syndical

Mais sur une scène politique ivoirienne désormais encombrée de présidentiables quinquagénaires et sexagénaires crédibles pour prendre la succession du chef de l’État, la posture de Gbagbo est plus un baroud d’honneur : incarner l’exigence d’un coup d’arrêt au rééquilibrage continu de Ouattara en faveur du Nord, qui dure depuis dix ans. Pour que la Côte d’Ivoire retrouve ses équilibres Nord-Sud.

Lors de cette rencontre au sommet du 27 juillet, Gbagbo a ainsi demandé le minimum syndical à Ouattara : « Que le président fasse tout ce qu’il peut pour [faire] libérer les prisonnier » de la crise politique de 2020. Puisque lui, Gbagbo, « leur chef de file », est dehors.

Après le coup d’éponge sur la condamnation de l’ancien président dans son pays, la cessation de l’emprisonnement de ses affidés. À cet égard, on rappelle volontiers en Côte d’Ivoire la phrase du père de la nation, Félix Houphouët-Boigny, qui disait que « la paix est d’abord un comportement ». Mais dans ce cas d’espèce, une autre fameuse boutade de feu « le Bélier de Yamoussoukro » est plus appropriée : « Je préfère l’injustice au désordre. »

La réconciliation scellée entre Ouattara et Gbagbo est de cette eau-là : ils préfèrent l’injustice au désordre. Sur l’autel de la réconciliation a été immolé mardi le droit des familles des 3 000 morts de la crise post-électorale de 2010 à voir les bourreaux condamnés et à obtenir réparation. Sans compter les centaines d’autres morts des différentes guerres civiles ivoiriennes. La paix (définitive ?) est à ce prix.

Sénégal : pourquoi habiter Dakar est un cauchemar…

| Par - Envoyée spéciale
Vue du Plateau, dans le centre-ville de Dakar.
Vue du Plateau, dans le centre-ville de Dakar. © Sylvain Cherkaoui pour JA

… Et comment en sortir. La capitale sénégalaise est congestionnée, certes. Mais surtout, les logements y ont été trop longtemps conçus « à l’occidentale » plutôt que pour répondre au mode de vie des habitants. L’architecte Nzinga Biegueng Mboup explique comment on en est arrivé là. Et donne quelques solutions.

Plusieurs théories expliquent l’origine du nom de Dakar. Pour certains, c’est la présence sur la presqu’île du Cap-Vert de nombreux tamariniers (daxar gi, en wolof) qui a donné son nom à la ville. Pour d’autres, il découle de l’expression dekk raw (« pays refuge ») que les familles lébous ont donné à la zone où elles ont trouvé asile pour fuir le damel (le souverain) du Cayor, au XVe siècle. Elles seront progressivement délogées de ce qui est devenu le centre-ville de la capitale sénégalaise à l’arrivée des colons français. S’en suit un siècle d’importantes modifications de la ville, qui permet d’expliquer aujourd’hui la « mésentente profonde » des Dakarois avec leur logement.

L’architecte sénégalaise Nzinga Biegueng Mboup a exploré les raisons historiques, politiques et architecturales, qui ont créé cette situation, et analysé l’évolution du logement dans la ville depuis 1857. La jeune femme a fait ses armes aux côtés de l’architecte ghanéen David Adjaye – connu pour s’être affranchi des canons d’architecture occidentaux -, avant de revenir s’installer à Dakar. Cofondatrice du collectif Worofila, qui promeut la construction bioclimatique au Sénégal, elle s’est spécialisée dans la construction en terre.

Nzinga B. Mboup a conçu l’exposition Habiter Dakar, en collaboration avec sa consœur française Caroline Geffriaud (qui vit et exerce, elle aussi, dans la capitale sénégalaise), où elle montre les profondes mutations de la ville et comment le logement y a été pensé depuis la colonisation. Sans oublier de proposer diverses pistes qui permettraient aux Dakarois de se réconcilier avec leur habitat. Pandémie oblige, l’exposition virtuelle est accessible sur Facebook (et téléchargeable sur le site du Goethe-Institut Senegal).


L’architecte sénégalaise Nzinga Biegueng Mboup. © Djoloff

Jeune Afrique : Dans Habiter Dakar, vous abordez les grandes étapes de construction de la ville en vous concentrant sur l’évolution du logement. Pourquoi un tel choix ?

Nzinga Biegueng Mboup : Nous avons retenu le logement comme sujet critique pour repenser la ville. Nous voulions expliquer pourquoi il n’est pas adapté au contexte social et économique, pourquoi il ne répond pas aux attentes des habitants en matière de confort thermique, de place, de conception urbanistique. À partir d’une analyse historique, nous avons voulu comprendre comment on en était arrivé là, et proposer des solutions.

Analyser le logement permet aussi de comprendre l’organisation de l’espace public. On voit par exemple que la rue est devenue l’extension des habitations. De la même manière, la très forte occupation du territoire induit un problème d’écoulement des eaux qui explique les inondations et les difficultés en matière d’assainissement.

Dans la partie historique, vous revenez sur l’arrivée des colons, en 1857. Comment s’articule cette « ingérence d’une nouvelle manière d’habiter » ?

Avant l’arrivée des Français, la majorité des villages lébous (divisés en douze penc, « terroirs ») étaient situés dans la pointe de Dakar, autour du port. Le premier plan de la ville est tracé par les Français. Certaines bâtisses sont alors construites. Progressivement, alors que le rôle politique de Dakar s’accroît, surtout lorsqu’elle devient la capitale de l’Afrique occidentale française [AOF, en 1902], les Français construisent de plus en plus d’infrastructures autour du port, déplaçant les habitations lébous vers l’Ouest. En 1914, lorsqu’éclate une épidémie de peste, l’administration française indexe « l’insalubrité » des Africains et crée la Médina. Avec ce quartier « indigène », le Plateau devient une ville majoritairement blanche.

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DÉSORMAIS, CE QUI A DE LA VALEUR, C’EST LE TERRAIN, PAS LA MAISON.

Une autre « révolution » du logement commence dans les années 1950, avec la création de nouveaux quartiers résidentiels. Quel était l’objectif de ces programmes ?

Plusieurs cités sont en effet créées autour de l’avenue Bourguiba à partir de 1950, avec les Sicap Karack, Baobab, Amitié ou Sacré-Cœur, pour loger les travailleurs sénégalais. À partir de l’indépendance, ça devient un vrai projet politique pour Léopold Sédar Senghor, qui souhaite former une nouvelle classe moyenne africaine, éduquée, au mode de vie confortable. Des expérimentations voient le jour, par exemple, avec les maisons bulles de l’américain Wallace Neff. Est ensuite créée la Société immobilière du Cap-Vert, financée par l’État. Et, après les Sicap, des habitations à loyer modéré destinées à la classe ouvrière sont construites, avec la naissance des quartiers de Gueule-Tapée et de Fass.

À partir de quand ces politiques publiques du logement disparaissent-elles pour laisser place à des constructions anarchiques ?

Après les chocs pétroliers des années 1970, le gouvernement coupe ses investissements publics. Souvent financées par l’étranger, des organisations semi-étatiques voient le jour, comme la Banque de l’habitat du Sénégal. Puis, dans les années 1990-2000, beaucoup de personnes migrent en Occident et commencent à envoyer de l’argent à leurs familles. On construit alors des immeubles à but locatif, avec une faible qualité résidentielle. La plupart de ces autoconstructions, privées ou réalisées par des promoteurs, ne sont ni accompagnées ni encadrées et ne respectent pas les règles d’urbanisme. Selon un rapport de la Banque Mondiale de 2013, seuls 7 % des constructions sont faites sur plan réalisé ou signé par un architecte.

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SELON UN RAPPORT DE LA BANQUE MONDIALE, SEULS 7 % DES LOGEMENTS CONSTRUITS L’ONT ÉTÉ D’APRÈS UN PLAN RÉALISÉ OU SIGNÉ PAR UN ARCHITECTE

Avec la pression foncière, les espaces extérieurs sont considérablement réduits. Cela fait partie de ce que vous considérez comme une « occidentalisation des manières de vivre » ?

La typologie des appartements dakarois est assez paradoxale. On voit naître ce qu’on appelle « l’espace familial », qui est une sorte de grand couloir dans l’entrée, un lieu central, moins exposé à la chaleur que les autres pièces, qui correspond à la cour dans les anciennes concessions. On y mange, on y prie, on y fait le thé… Le salon, espace de vie dans un modèle occidental, devient un lieu de réception. La chambre, au contraire, qui est un espace pour dormir dans le modèle occidental, se convertit souvent dans les familles élargies en lieu de réception, où peuvent se tenir des conversations intimes, à l’écart du reste de la famille.

Alors que, comme partout, les prix du logement flambent, vous rappelez que, selon l’ONU-Habitat, la taille moyenne d’un ménage dakarois est de 8,2 personnes, que les logements n’y sont pas adaptés et que 44 % sont suroccupés…

La libéralisation des marchés, les investissements étrangers, l’arrivée de nombreuses organisations internationales dans la ville ont fortement contribué à la spéculation. Le modèle de la maison est en voie de disparition à Dakar, car il ne permet pas l’expansion urbaine. Désormais, ce qui a de la valeur, c’est le terrain, pas la maison.

Quelles solutions proposez-vous pour rendre les logements plus agréables ?

Respecter des espaces d’urbanisme, en continuant de végétaliser et de créer des extérieurs. On pourrait également penser l’espace communautaire (sport, baptêmes, jardins, fêtes religieuses…) sur les toitures-terrasses pour remplacer les rez-de-chaussée, les mettre en relation par des ponts, des passerelles, afin de créer une nouvelle couche urbaine accessible aux habitants.


Quelques maisons bulles « Airform » imaginées par l’architecte américain Wallace Neff dans les années 1950,
subsistent dans le quartier Fann-Point E-Amitié. © SYLVAIN CHERKAOUI pour JA

Vous évoquez un « fantasme de la ville moderne » symbolisé par l’utilisation du béton. Ce matériau n’est-il pas exploité aussi pour son coût peu élevé et sa facilité d’utilisation ?

On a souvent tendance à penser la modernité comme venant de l’extérieur. Et le béton est assimilé à la fois à la modernité et à la stabilité. Pourtant, il implique une industrie très polluante. En 1966, une loi d’urbanisme disait même qu’il était interdit de construire avec autre chose que des matériaux de récupération, dont la terre.

Votre collectif Worofila s’attache à promouvoir les constructions bioclimatiques. Quels en sont les bénéfices ?

À cause de l’arrivée de la climatisation, on a arrêté de réfléchir sur les façons de construire pour bénéficier d’un confort thermique. Aujourd’hui, on érige des bâtiments en verre, en plein soleil, parce que l’on sait qu’on l’on pourra installer une clim ! Pourtant, les architectures traditionnelles et coloniales, avec les vérandas, les galeries, les brise-soleils, les claustras, étaient bioclimatiques et incluaient des mécanismes de protection. Avec des principes de conception (tenir compte de l’orientation au soleil, s’assurer qu’il y ait de la ventilation naturelle…) et les matériaux que l’on utilise (comme la terre), on est en mesure de parvenir à une isolation thermique naturelle. Et ces matériaux coûtent bien moins cher que le béton.

Retour de Gbagbo en Côte d’Ivoire : on attendait Laurent, on a eu Simone – Par Marwane Ben Yahmed

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Mis à jour le 29 juillet 2021 à 14h26



Par  Marwane Ben Yahmed

Directeur de publication de Jeune Afrique.

(@marwaneBY)

Laurent et Simone Gbagbo, à Abidjan, en septembre 2004.

Laurent et Simone Gbagbo, à Abidjan, en septembre 2004. © LUTENS/PANAPRESS/MAXPPP

Tant attendu par ses partisans, et craint par une partie de ses adversaires, le retour de Laurent Gbagbo à Abidjan n’aura finalement pas eu la portée politique annoncée. Dans le théâtre d’ombres qu’est la Côte d’Ivoire aujourd’hui, Simone Gbagbo pourrait en revanche être appelée à jouer un rôle majeur.

Laurent Gbagbo est donc rentré au bercail après dix ans d’exil. Accueil triomphal dès le salon d’honneur de l’aéroport, foule de partisans en liesse sur la route d’Abidjan, quelques mots pour exprimer sa joie de retrouver enfin la terre d’Éburnie, mais pas un seul pour remercier Alassane Ouattara, ni pour appeler à la réconciliation ou expliquer son projet politique. La séquence, hautement symbolique, se prêtait pourtant à un signal fort, un message clair, une ligne directrice, un cap, bref de quoi se projeter sur l’avenir. Mais il n’en a rien été.

Demande de divorce

Premier « acte » posé : une demande de divorce d’avec Simone Ehivet Gbagbo, qui a écrit l’histoire du Front populaire ivoirien (FPI) avec lui. Après avoir loué publiquement les mérites de sa « petite femme », Nady Bamba, à ses côtés en permanence pendant son incarcération. Simone aurait été bien en peine d’en faire autant : elle-même était incarcérée en Côte d’Ivoire.

Ensuite un petit tour dans son village de Mama, puis un crochet par Kinshasa, à l’invitation de son ex-codétenu de Scheveningen Jean-Pierre Bemba, avant de prendre la direction de Daoukro, le 10 juillet, pour sceller son alliance, incongrue sur le fond, avec Henri Konan Bédié. Heureusement, la rencontre avec l’actuel chef de l’État, qui s’est tenue le 27 juillet, est arrivée à point nommé pour donner un peu plus de consistance à ce retour tant attendu et délivrer un message d’apaisement. Pas de quoi se lever la nuit toutefois, ni même regretter l’absence de Gbagbo du débat politique ivoirien depuis une décennie.


Alassane Ouattara et son prédécesseur, Laurent Gbagbo, au palais présidentiel d’Abidjan, le 27 juillet 2021. © ISSOUF SANOGO/AFP

Pendant ce temps, Simone, elle, a mis en ligne une vidéo sur les réseaux sociaux. Le message envoyé aux militants du FPI, comme aux autres Ivoiriens, est aux antipodes. Plus intéressant, disons. Chaque mot est pesé. Elle dit tout ce que son futur ex-mari a omis de dire. Évidemment, pour qui connaît sa ferveur religieuse, elle loue le Seigneur d’avoir ramené l’ancien président parmi les siens. Elle remercie les Ivoiriens pour l’accueil qu’ils lui ont réservé, ainsi que le président Alassane Ouattara pour avoir permis ce retour tant attendu, l’exhortant à poursuivre sur la voie de la réconciliation et de l’apaisement.

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EN QUELQUE SIX MINUTES, ELLE A FAIT PLUS ET MIEUX QUE CELUI DONT CERTAINS ATTENDAIENT TANT

Surtout, elle appelle ses concitoyens à dépasser leurs clivages pour soutenir le rêve « d’une nation véritablement réconciliée, développée, modernisée », loin des « ethnies, des religions ou des obédiences politiques ». Elle veut que les Ivoiriens ne laissent « aucune place à l’amertume, à la rancune, à la douleur, à la déception et à la colère ».

« Il faut garder le cap, les yeux fixés sur la vision. Tout va bien », conclut-elle, sans évoquer une seule fois les avanies qu’elle doit subir, la demande publique de divorce comme la remise en question de son statut de première vice-présidente du FPI, le parti qu’elle a cofondé avec Laurent il y a près de quarante ans et auquel elle a consacré toute sa vie. En quelque six minutes, elle a fait plus et mieux que celui dont certains attendaient tant. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, et Dieu sait qu’il y a beaucoup à lui reprocher, difficile de ne pas éprouver un respect certain pour son parcours et sa persévérance.

Lourd tribut

De toutes les « femmes de », Simone est la plus politique, la seule qui aurait fait carrière dans cette arène impitoyable, avec ou sans son époux. Elle est aussi, parmi tous les acteurs politiques, celle qui a payé le tribut le plus lourd pour son engagement. Arrêtée et tabassée en 1992, elle sera maltraitée en prison mais restera toujours discrète sur les sévices qu’elle a subis. Autre drame, cette fois en 1996, quand, avec son époux, elle est victime d’un accident de voiture qui a failli lui coûter la vie. Elle en sortira plus forte, convaincue qu’on a voulu les assassiner.

Rarement parcours aura été aussi contrasté que le sien. Autant l’exercice du pouvoir par l’épouse de Laurent Gbagbo fut calamiteux et, en définitive, fatal, y compris pour l’homme de sa vie, autant les cinquante et une premières années de son existence ne peuvent que susciter l’estime. Car il y a du Winnie Mandela dans l’itinéraire passionnément militant de cette fille de gendarme, née un jour de juin 1949 non loin de Grand-Bassam.

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SIMONE N’A QUE 17 ANS LORSQU’ELLE MÈNE SA PREMIÈRE GRÈVE

Très tôt politisée, au sein de la Jeunesse estudiantine catholique, puis dans le cadre des mouvements en faveur de l’« ivoirisation » des programmes d’enseignement, Simone, alors élève au lycée classique d’Abidjan, n’a que 17 ans lorsqu’elle mène sa première grève et est interpellée pour la première fois. Elle ne s’arrêtera plus.

Étudiante en lettres modernes, elle est recrutée en 1972 par l’enseignant marxiste Zadi Zaourou au sein de la cellule Lumumba, un groupe d’études révolutionnaires clandestin. Simone Ehivet fait la connaissance, chez Zaourou, d’un certain Laurent Gbagbo. De quatre ans son aîné, ce fils d’un ancien sergent de l’armée française, professeur d’histoire révoqué du lycée classique d’Abidjan pour « convictions communistes », sort tout juste d’une longue période d’internement dans les camps militaires de Séguéla et de Bouaké, là où Félix Houphouët-Boigny expédiait les récalcitrants.

Ardoise sur la poitrine

Au début de 1982, le noyau de ce qui allait constituer le FPI est formé : outre Gbagbo, y figurent notamment Aboudramane Sangaré, Émile Boga Doudou, Assoa Adou, Pascal Kokora, Pierre Kipré, et bien sûr Simone Ehivet, omniprésente. La même année, Laurent Gbagbo, poursuivi par la police d’Houphouët, quitte clandestinement la Côte d’Ivoire pour la France. Son exil durera près de six ans, jusqu’en septembre 1988.

Simone, qui a tenu la baraque pendant son absence, est partie prenante du congrès constitutif du FPI, qui se tient en novembre dans la discrète villa d’un sympathisant, au cœur de la palmeraie de Dabou. Jusqu’à l’instauration du multipartisme, en avril 1990, tous deux sont régulièrement arrêtés par la Direction de la surveillance du territoire (DST). Une décennie plus tard, parvenue au sommet du pouvoir, Simone fera encadrer leurs photos d’identité judiciaire respectives, avec ardoise sur la poitrine, puis les apposera au-dessus du lit de leur chambre de la résidence présidentielle de Cocody. Histoire, dit-elle, de ne « jamais oublier d’où nous venons ».

Dans le théâtre d’ombres qu’est la Côte d’Ivoire aujourd’hui, où ceux qui se détestaient hier, Gbagbo et Bédié, s’allient contre leur ancien partenaire, Alassane Ouattara, où les ego et les ambitions personnelles des politiques l’emportent le plus souvent sur l’intérêt général, sans doute Simone Gbagbo a-t-elle un rôle à jouer. Plus responsable que Laurent, plus rassembleuse aussi, elle mérite en tout cas d’être écoutée. Son proverbe fétiche, tout droit sorti de la culture des Abourés, son ethnie d’origine ? « Ce que dit ma bouche, mon bras le fait toujours. » Qui peut en dire autant ?

Mali : après le mandat d’arrêt contre Karim Keïta, l’ancien patron de la Sécurité d’État arrêté

| Par et 
Mis à jour le 29 juillet 2021 à 16h36
Des soldats maliens, lors de l’investiture d’Assimi Goïta, le 7 juin 2021 (illustration).

Des soldats maliens, lors de l'investiture d'Assimi Goïta, le 7 juin 2021 (illustration). © Nicolas Remene/Le Pictorium/Cover Images

Moussa Diawara, l’ancien directeur de la Sécurité d’État sous Ibrahim Boubacar Keïta, a été arrêté et inculpé pour « complicité de séquestration et d’enlèvement » dans l’affaire de la disparition de Birama Touré. Le fils de l’ancien président, Karim Keïta, est également cité dans l’affaire.

C’est un nouveau rebondissement dans l’affaire de la disparition du journaliste Birama Touré, dans laquelle le nom de Karim Keïta, le fils de l’ancien président malien, est notamment cité. Alors que l’enquête piétinait depuis que le reporter malien avait disparu le 26 janvier 2016, la procédure s’est soudain accélérée. Le 5 juillet, la justice malienne a saisi Interpol pour demander l’émission d’un mandat d’arrêt international à l’encontre de Karim Keïta, que les juges souhaitent auditionner.

Séquestration et tortures

Après le fils d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), c’est au tour du général de division Moussa Diawara, ancien chef d’état-major de la garde nationale, qui a également dirigé la Sécurité d’État (les services de renseignement maliens) de 2013 à la chute d’IBK, en août 2020, de se retrouver impliqué dans cette procédure.

Moussa Diawara a été arrêté à son domicile, ce jeudi 29 juillet, et inculpé pour « complicité de séquestration et d’enlèvement », de « tortures » et d’« associations de malfaiteurs » par le tribunal de la Commune-IV de Bamako, a indiqué à Jeune Afrique une source judiciaire. Il s’agit de la première inculpation, en cinq ans, dans le cadre de l’instruction menée sur la disparition du journaliste.

« Conformément à son statut de général, une demande de mise à disposition avait été formulée auprès du ministère de la Défense par le juge d’instruction chargé de l’affaire, après que la demande de mandat d’arrêt international a été émise à l’encontre de Karim Keïta », précise une source proche du dossier. « Le ministre [de la Défense, le colonel Sadio Camara] n’a pas fait obstacle », souligne la même personne. Moussa Diawara serait actuellement détenu dans les locaux de l’École de gendarmerie.

« Les langues se sont déliées »

Quelques jours avant cette arrestation, une source judiciaire confiait à Jeune Afrique que, depuis la chute d’IBK, « les langues se sont déliées » et des éléments nouveaux ont permis « des avancées non négligeables dans le dossier ». Depuis la saisine d’Interpol par la justice malienne, de nouveaux témoignages ont été rendus publics, notamment par Reporter sans frontières (RSF), qui a enquêté sur la disparition du journaliste. Certains de ces témoignages mettent directement en cause les services de renseignement maliens.

Selon RSF, Birama Touré aurait en effet été détenu pendant plusieurs mois dans une « prison secrète » de la Sécurité d’État. L’un de ses codétenus, dont Reporter sans frontières a obtenu le témoignage, assure que le journaliste a été exécuté « de trois coups de feu » en présence du lieutenant-colonel Cheick Oumar N’Diaye, responsable de la division recherche au sein de la Sécurité d’État. Ce dernier n’a, pour l’heure, pas été inquiété.