Témoignages

 

[Édito] Abiy Ahmed, un faucon sur le toit de l’Afrique

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Par  François Soudan

Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed le 31 octobre 2019.
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed le 31 octobre 2019. © Bernd Kammere/DPA/ABC/Andia.fr

Le conflit au Tigré se déroule à huis clos, mais une multiplicité de témoignages et de rapports d’ONG attestent de la gravité de la situation. Le Prix Nobel, audacieux réformiste, a laissé place à un chef de guerre intransigeant et mégalomane.

Deux ans. C’est le temps qu’il a fallu au Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, pour passer de l’autre côté du miroir. L’image du réformiste quadragénaire, audacieux et libéral, faiseur de paix avec l’ennemi héréditaire érythréen, nobélisé, encensé par les médias et les grands de ce monde, a cédé la place à celle, glaçante, de l’ancien colonel des services de renseignement, spécialiste en cybersécurité, secret, intransigeant, mégalomane et mystique.

Ce renversement d’image, semblable à celui qu’a connu la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi après la réception de son Nobel de la Paix en 2012, est étroitement lié à la sale guerre civile qui, depuis sept mois, se déroule dans la province septentrionale du Tigré, le long de la frontière avec l’Érythrée.

Destruction et exactions

Une multiplicité de témoignages et de rapports d’ONG, ainsi que les reportages des rares journalistes autorisés à se rendre dans la capitale régionale Mekele, font état de milliers de morts, de dizaines de fosses communes, de viols de masse, de campagnes de nettoyage ethnique ainsi que du pillage et de la destruction de centaines d’écoles, de dispensaires, de fermes et d’unités de production.

D’un côté, l’armée fédérale éthiopienne, appuyée par un contingent érythréen et des milices tribales amharas, accusés de commettre la plupart des exactions. De l’autre, les sécessionnistes tigréens des Tigray Defense Forces, « dispersés comme de la farine dans le vent » selon l’expression d’Abiy Ahmed, mais qui résistent toujours dans la région centrale de la province. Entre les deux : six millions de Tigréens pris en otage.

Aux yeux d’une bonne partie de ce qu’il est convenu d’appeler la communauté internationale – Chine, Russie et États du Golfe exceptés – le dossier contre Abiy Ahmed est accablant. Avec, dans le rôle de l’attaquant de pointe, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, signataire fin mars d’une mise en garde péremptoire à l’encontre du Premier ministre, derrière laquelle on perçoit aisément l’influence de l’ancienne conseillère à la Sécurité nationale de Barack Obama, Susan Rice, tête de pont du « lobby tigréen » à Washington.

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ABIY AHMED A FINI PAR RECONNAÎTRE LA RESPONSABILITÉ DE SES PROPRES TROUPES DANS L’ÉPIDÉMIE DE VIOLENCES SEXUELLES

Confronté à un rapport dévastateur de l’ONU sur l’épidémie de violences sexuelles dans la province, Abiy Ahmed a d’ailleurs fini par reconnaître devant le Parlement la responsabilité de ses propres troupes : « Ceux qui ont violé nos sœurs tigréennes, ceux qui ont pillé et tué des civils seront jugés. Nous vous avons envoyé pour détruire une junte, pas pour détruire un peuple ». L’aveu est de taille, d’autant qu’il s’ajoute aux courageuses mises en garde de la présidente – symbolique – de l’État éthiopien, Sahle-Work Zewde.

Guerre de propagande

Reste que cette guerre à huis clos, quasi inaccessible aux observateurs indépendants, est aussi une guerre de propagande et d’intoxication. Beaucoup de témoignages sont très difficiles à vérifier, comme le cas de cette étudiante tigréenne de 18 ans, Mona Lisa, dont le beau visage aquilin a fait la une de nombreux médias. Allongée sur un lit d’hôpital à Mekele, la main droite amputée et le corps criblé de sept balles, a-t-elle été, comme elle le dit, la victime d’une tentative de viol de la part de soldats éthiopiens, ou était-elle une milicienne du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), blessée lors de l’assaut contre les casernes de l’armée fédérale début novembre 2020, comme le raconte son père ?

Si le massacre de dizaines de civils devant l’église Sainte-Marie-de-Sion d’Aksoum, attribué aux soldats érythréens à la mi-décembre, semble sérieusement documenté, celui du camp de réfugiés amharas de Maï-Kadra un mois plus tôt ne l’est pas moins et serait l’œuvre du TPLF.

De même, si les témoignages se multiplient sur la campagne de nettoyage ethnique en cours dans l’ouest du Tigré, nul n’ignore en Éthiopie qu’elle se déroule sur fond de conflit foncier ouvert depuis le début des années 1990, quand le TPLF alors au pouvoir avait procédé à un redécoupage de la province au détriment des Amharas.

Enfin, et quelles que soient les responsabilités conjointes du Janus d’Addis Abeba et de son nouvel allié érythréen dans cette sale guerre, il convient de ne pas oublier que ce sont les dirigeants tigréens qui l’ont déclenchée le 4 novembre 2020.

Équilibre précaire

Pour Abiy Ahmed, l’Histoire avait pourtant bien commencé. Lorsqu’il accède à la lumière en 2018, porté par une révolution de la majorité du peuple, l’Éthiopie est une incontestable réussite économique mais aussi une quasi dictature. En 27 ans de pouvoir quasi absolu de la minorité tigréenne (6 % de la population), incarnée pendant près de deux décennies par Mélès Zenawi, ce pays de 110 millions d’habitants a vu son taux de pauvreté diminuer de façon significative et son économie se transformer en un hub manufacturier prisé. Ethiopian Airlines est devenue la meilleure compagnie du continent, le tourisme s’est développé et une classe moyenne urbaine et connectée a fait son apparition.

Mais cet allié stratégique des États-Unis, de la Chine et d’Israël était aussi un État policier et paranoïaque, et le « visionnaire hors du commun » Zenawi, encensé en ces termes par Susan Rice, un dictateur qui, pour mieux régner, avait divisé les 80 communautés que compte l’Éthiopie en 9 régions ethniques. L’émergence d’Abiy Ahmed, avec son ambition pan-éthiopienne et son mot mantra de « medemer » (« ensemble dans la diversité ») a en quelque sorte soulevé le couvercle de fer qui maintenait les Éthiopiens en état d’apnée politique.

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IL A SU FAIRE DE LA GUERRE UN OUTIL DE MOBILISATION POPULAIRE EN SA FAVEUR. POUR COMBIEN DE TEMPS ET SURTOUT, À QUEL PRIX ?

Il a certes libéré les médias et des milliers de détenus, mais aussi tous les démons scissipares de la République fédérale et sa tentative audacieuse de conjuguer success story économique avec success story démocratique a rapidement tourné court.

Lui imputer l’unique responsabilité de cet échec serait pourtant injuste : restaurer l’identité nationale éthiopienne passait forcément par la marginalisation des dirigeants du TPLF, ce que ces derniers n’ont jamais accepté. Pas plus qu’ils n’ont admis la conclusion de l’accord de paix avec celui qu’ils considèrent comme leur ennemi héréditaire, le président érythréen Afewerki.

L’Éthiopie de 2021 repose donc plus que jamais sur un équilibre précaire. Le rêve du « medemer » a débouché sur le réveil des particularismes et l’exacerbation des conflits internes entre Oromos, Amharas, Somalis, Afars. Quant aux Tigréens, les campagnes d’épuration dont ils font l’objet dans les administrations, la police, l’armée et les sociétés d’État laisseront des traces indélébiles.

Pourtant, l’économie est résiliente. Même si les destructions au Tigré sont évaluées à un milliard de dollars, cette province ne pèse pas plus de 10 % du tissu économique national et les autorités d’Addis-Abeba comptent sur un taux de croissance revigoré cette année : entre 3 % et 8 %. À condition bien sûr que le conflit ne se prolonge pas, que les investisseurs reviennent, que l’Union européenne et les États-Unis dégèlent leur aide.

Des élections législatives sont prévues pour le mois de juin et tous les observateurs estiment qu’Abiy Ahmed devrait les remporter. Ce protestant pentecôtiste, persuadé que Dieu l’a choisi pour guider l’Éthiopie, a su faire de la guerre un outil de mobilisation populaire en sa faveur. Pour combien de temps et surtout, à quel prix ?

 

130 migrants disparus en Méditerranée: une «honte» pour le pape François

L'ONG SOS Méditerranée avait indiqué le 22 avril 2021 avoir repéré au large de la Libye une dizaine de corps près d'un bateau pneumatique retourné qui avait été signalé en détresse avec environ 130 personnes à bord.
L'ONG SOS Méditerranée avait indiqué le 22 avril 2021 avoir repéré au large de la Libye une dizaine de corps près d'un bateau pneumatique retourné qui avait été signalé en détresse avec environ 130 personnes à bord. Via REUTERS - FLAVIO GASPERINI/SOS MEDITERRANE

Le pape François a qualifié dimanche 25 avril de « honte » le sort de 130 migrants portés disparus depuis jeudi à la suite d'un naufrage en Méditerranée, et s’est dit « très attristé par cette tragédie ».

Avec notre correspondant au Vatican, Eric Sénanque

« Je vous confesse que je suis très attristé par la tragédie qui encore une fois s'est produite ces derniers jours en Méditerranée. Frères et soeurs, interrogeons-nous tous sur cette énième tragédie. C'est un moment de honte », » a expliqué un pape visiblement touché par ce nouveau naufrage. L’évêque de Rome qui, la voix grave, a retracé les heures sombres de ces migrants ayant espéré des secours jamais venus.

Ils ont « deux journées entières vainement imploré de l'aide »

« Cent trente migrants sont morts en mer, ce sont des personnes, ce sont des vies humaines qui ont pendant deux journées entières vainement imploré de l'aide. Une aide qui n'est pas arrivée. Frères et sœurs, interrogeons-nous tous sur cette énième tragédie. C'est le moment de la honte ! ».

« Prions aussi pour tous ceux qui continuent à mourir au cours de ces voyages dramatiques » a poursuivi François en s’adressant aux fidèles de la place Saint-Pierre, mais aussi, a-t-il précisé, pour ceux qui peuvent sauver ces migrants mais préfèrent regarder ailleurs. Une critique à peine voilée des autorités européennes. Les ONG de sauvetage en mer Méditerranée ont dénoncé quant à elles une « inaction délibérée » des pays européens comme de la Libye.

L'ONG SOS Méditerranée avait indiqué jeudi 22 avril avoir repéré au large de la Libye une dizaine de corps près d'un bateau pneumatique retourné qui avait été signalé en détresse avec environ 130 personnes à bord. Les ONG humanitaires accusent les pays de l'Union européenne non seulement de ne pas vouloir secourir les migrants en danger dans la Méditerranée, mais également d'entraver leurs propres activités de sauvetage.

Selon des chiffres de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) arrêtés au 21 avril, au moins 453 migrants ont péri depuis le 1er janvier 2021 en Méditerranée, essentiellement sur cette route centrale au départ de la Tunisie et de la Libye.

[Exclusif] Tchad : les dernières heures du président Idriss Déby

| Par et 
Mis à jour le 22 avril 2021 à 10h49
Le président tchadien Idriss Déby Itno lors de l’opération Colère de Bomo, fin mars 2020.
Le président tchadien Idriss Déby Itno lors de l'opération Colère de Bomo, fin mars 2020. © DR / Présidence tchadienne.

 

Le décès du président tchadien a été annoncé ce 20 avril. JA a reconstitué le récit détaillé de l’ultime bataille du maréchal. 

Samedi 17 avril. La nuit est tombée sur N’Djamena et la plupart des Tchadiens n’ont qu’une chose en tête : rompre le jeûne du ramadan, qui a débuté moins d’une semaine plus tôt. Idriss Déby Itno (IDI) pense, lui, à tout autre chose. Depuis le 11 avril, des colonnes de rebelles sont entrées sur le territoire tchadien, en provenance de Libye.

D’après les derniers renseignements – français et tchadiens – en sa possession, les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) ont fait une percée dans le Kanem. Ils sont au nord de la ville de Mao, à quelque 300 kilomètres de la capitale. 

Le maréchal a envoyé des renforts, mais les insurgés sont bien armés et disposent d’un matériel en partie russe amassé en Libye. IDI doute. Comme souvent, il prend la décision de se rendre sur le front. Comme en 2020 sur les rives du lac Tchad, il compte se montrer et galvaniser ses troupes.

Sur les coups de 22 heures, il monte à bord d’un véhicule Toyota blindé.

Convoi présidentiel blindé

IDI est accompagné de son aide de camp Khoudar Mahamat Acyl, frère de la première dame Hinda Déby Itno. Son fils Mahamat Idriss Déby (dit Kaka) l’attend sur place, tandis que les généraux Taher Erda et Mahamat Charfadine Abdelkerim font route de leur côté. Le convoi présidentiel fonce vers la zone de Mao, où l’attend son armée qui a établi son camp à quelques dizaines de kilomètres de la ville.

Dans la nuit, le président effectue une halte pour faire le point avec certains hauts gradés du front. Idriss Déby Itno écoute les dernières informations, reprend la route puis, au petit matin, arrive sur le théâtre des opérations, dans les environs de Nokou, à quarante kilomètres au nord-est de Mao.

L’armée tchadienne semble prendre progressivement le dessus, bien aidée par les renseignements français, qui décryptent les stratégies du FACT depuis le ciel. Une colonne de rebelles a été mise en déroute par des troupes menées par Mahamat Idriss Déby, mais une autre a réussi à les contourner.

Ces rebelles tiennent tant bien que mal. Au pied du mur, ils tentent un dernier coup de force. Les combats s’intensifient, faisant craindre un renversement du rapport de force.  

Dans l’après-midi, Idriss Déby Itno décide une nouvelle fois de tenter de faire pencher la balance. Comme il l’a déjà fait par le passé, au grand dam de certains de ses généraux, il monte dans un véhicule et ordonne à son conducteur de l’emmener sur le front. Sa garde rapprochée lui emboîte le pas, autant pour le protéger que pour combattre les rebelles.

La colonne du président rencontre celle des rescapés du FACT. Idriss Déby Itno est blessé dans la manœuvre, d’une balle dans la poitrine, qui aurait touché le rein. Il est évacué aussitôt vers l’arrière, tandis que les troupes menées par Mahamat Idriss Déby poursuivent l’offensive. L’avancée des rebelles est brisée. 

Un secret bien gardé

La blessure d’Idriss Déby Itno est grave. Le pronostic vital est engagé. Un hélicoptère médicalisé est aussitôt demandé à N’Djamena. Mais l’appareil arrive trop tard au camp de l’armée tchadienne, près de Mao. Le maréchal du Tchad a succombé à ses blessures. 

Dans la nuit, l’hélicoptère rejoint N’Djamena avec, à son bord, la dépouille du président. Il se pose au sein même de la présidence, où le corps d’Idriss Déby Itno est débarqué. Seul un cercle très restreint de la famille du chef de l’État est alors au courant de la nouvelle. La rumeur ne commencera à courir que le 19 avril, en fin d’après-midi, dans les familles les mieux informées. 

Entre-temps, Mahamat Idriss Déby est rentré à N’Djamena. Les discussions débutent alors au sujet de la période de transition qui s’amorce, où différentes générations de hauts gradés et de familiers du clan zaghawa veulent faire valoir leur point de vue. Quelques heures plus tard, un consensus se dégage autour de la création d’un conseil militaire de transition, dirigé par le fils du président et composé des principaux pontes de l’armée. 

Sur les coups de 21 heures, la Commission électorale nationale indépendante (dont les membres n’étaient probablement pas informés du décès, qui ne sera rendu public que le lendemain vers 11 heures) annonce la victoire d’IDI au premier tour de la présidentielle du 11 avril, avec 79,32 % des voix. Mais, contre toute attente, l’après-Idriss Déby Itno a déjà commencé. Les obsèques du maréchal auront lieu vendredi 23 avril à N’Djamena, avant que le corps du défunt ne soit transporté dans son village d’Amdjarass, où il reposera.

                                VENDREDI 23 AVRIL 2021

 Dominique Greiner,

 rédacteur en chef de Croire-La Croix

ÉDITO

Une unique vocation : la sainteté !

 

Ce dimanche 25 avril, a lieu la 58e Journée mondiale de prière pour les vocations.

Cette proposition revient tous les ans, le quatrième dimanche de Pâques, jour où est proclamé l’évangile dit du bon pasteur tiré de l’Évangile de Jean (10, 11-18).
L’objectif de cette journée n’est pas seulement de demander à Dieu des prêtres et des personnes consacrées. Il s’agit d’entretenir une culture de l’appel au sein de l’Église.

Nous sommes tous appelés, d’une manière ou d’une autre, et nous avons tous besoin de soutien
pour entendre cet appel et y répondre.
Pour qu’une liberté humaine découvre son chemin et se déploie dans la fidélité,
elle a besoin d’être éclairée, stimulée, soutenue.

Et c’est un même horizon qui est proposé à tous, quel que soit son état de vie :
« Tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur condition et leur état de vie, sont appelés par Dieu,
chacun dans sa route, à une sainteté dont la perfection est celle même du Père
»,
déclare le concile Vatican II dans la constitution dogmatique Lumen Gentium sur l’Église (n° 11).
Cet appel à la sainteté est une invitation à tirer le meilleur de soi pour la gloire de Dieu
et pour le bien des autres, à afficher des rêves que ce monde n’offre pas :
« témoigner de la beauté de la générosité, du service, de la pureté, du courage, du pardon,
de la fidélité à sa vocation, de la prière, de la lutte pour la justice et le bien commun,
de l’amour des pauvres, de l’amitié sociale
», liste le pape François dans son exhortation Christus vivit.
La prière pour les vocations veut remercier Dieu pour la diversité des chemins
qu’il nous propose pour répondre à son appel à devenir des saints. Rien de moins.

Rachel Khan : « Reproduire des haines et des ressentiments ne me convient pas »

| Par 
Mis à jour le 20 avril 2021 à 11h11
L’actrice Rachel Khan, le 19 février 2021.

L'actrice Rachel Khan, le 19 février 2021. © Celine NIESZAWER/Leextra via Leemage

 

Dans un essai mordant, « Racée », cette juriste et militante décortique le prêt-à-penser des « identitaires » à qui elle oppose des mots pour se réconcilier avec soi-même et les autres.

Le 16 mai 2018, Rachel Khan faisait une apparition remarquée au Festival de Cannes. L’ancienne championne de France de 4×100 mètres s’offrait une pose, athlétique silhouette en combinaison noire sur les marches rouges du festival. Mais elle était alors entourée de quinze autres femmes, actrices, comme elle, avec lesquelles elle avait cosigné l’essai Noire n’est pas mon métier (éd. du Seuil), dénonçant les stéréotypes dont les femmes noires et métisses sont victimes dans le cinéma français. Le collectif rassemblant Aïssa Maïga, Nadège Beausson-Diagne ou encore Sonia Rolland est alors soudé. Les comédiennes s’offrent une danse, hilares et rayonnantes, tandis que résonne le tube Diamonds de Rihanna, avant de lever le poing en l’air.

Le 10 mars 2021, c’est seule que Rachel Khan apparaît sur la couverture de son livre Racée (éd. de l’Observatoire). Ancienne athlète et danseuse hip-hop, mais aussi actrice, donc (notamment dans Jeune et Jolie, de François Ozon), juriste, auteure, nouvelle présidente de la commission Jeunesse et Sport de la Licra, cette stakhanoviste s’est toujours sentie à l’étroit dans les cases qu’on a voulu lui assigner. La case « noire », comme les autres.

Universaliste, laïque, binationale, celle qui se définit sourire en coin comme une « Afro-Yiddish tourangelle », née à Tours d’un père gambien et d’une mère française d’origine juive polonaise, fait entendre dans Racée une voix singulière. Contre les réunions non mixtes, jugeant l’intersectionnalité non pertinente, refusant la mise en scène de la « douleur de peau », elle prend ses distances avec la radicalisation des afroféministes occidentales.

Jeune Afrique : Quand et comment est né ce livre ?

Rachel Khan : Dès septembre 2018, quelques mois seulement après la montée des marches, les réunions avec les autres auteures de Noire n’est pas mon métier me saoulaient déjà… Le fait d’y être désignée comme « afro-descendante », qu’on passe plus de temps à se plaindre qu’à travailler, ne me convenait pas. J’avais besoin de faire le point et de détricoter des concepts qu’on emploie constamment, prêts à consommer, et qui me semblaient très étriqués.

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ON M’A TRAITÉE DE « BOUNTY », DE « NÉGRESSE DE MAISON »

Il y a des mots qui divisent, comme « racisé », des mots qui mentent, comme « diversité », et, derrière, un militantisme plein de colère, d’une nécessité de vengeance, qui finalement nous réduit. Je me bats depuis 20 ans contre les discriminations, je suis bien placée pour savoir que les enfants d’immigrés s’intègrent difficilement à la société française, mais reproduire des haines et des ressentiments ne me convient pas.

Était-ce compliqué d’écrire Racée ? Vous n’avez pas eu peur d’être perçue comme une traître à la cause ?

Bien sûr, c’était compliqué. On ne veut pas heurter, et les réseaux sociaux sont extrêmement violents quand on exprime sa singularité. On m’a par exemple traitée de « bounty », de « négresse de maison ». Mais j’ai voulu dépasser ma peur et être honnête avec moi-même. C’est sans doute moins confortable aujourd’hui d’écrire un livre comme le mien que de dénoncer une nouvelle fois la stigmatisation… Et personnellement, je pense que ça embête plus l’extrême-droite de dire son amour de la France plutôt que de prendre une posture victimaire.

L’auteur Romain Gary est le fil rouge de votre ouvrage. Pourquoi ?

Son œuvre littéraire est colossale… C’est le seul à avoir reçu le prix Goncourt deux fois, en utilisant le pseudonyme d’Émile Ajar. Non seulement il jouait avec ses identités, mais c’était un visionnaire, un humaniste, qui en plus posait un regard cynique, bienveillant, amusé, sur tous les continents… Comme dans Les Racines du ciel (le combat d’un homme en faveur des éléphants sur fond de lutte pour l’indépendance en Afrique-Équatoriale française, ndlr).

Vous citez l’une de ses expressions : « On est tous des additionnés. » Pour vous, l’humain est un mille-feuilles ?

Oui, dont certains militants ne voudraient conserver aujourd’hui qu’une seule feuille. On cherche à vous rétrécir à ce qui est utile à la cause.

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L’IDENTITÉ, C’EST UNE UTOPIE, C’EST UN POSSIBLE, UN MOUVEMENT, UNE LIBERTÉ !

Vous convoquez aussi Édouard Glissant.

C’est l’un des grands penseurs du siècle. Je parle de lui dans la dernière partie de mon ouvrage qui évoque « les mots qui réparent ». Sa réflexion sur la créolisation permet de comprendre que l’on est libre de faire ce que l’on veut de son identité. L’identité, c’est une utopie, c’est un possible, un mouvement, une liberté ! Dans la relation à l’autre, on devient à chaque fois soi-même un autre, et l’on se redécouvre, c’est ça qui est intéressant.

Vous prenez en revanche vos distances avec les co-auteures de Noire n’est pas mon métier, notamment Aïssa Maïga.

Je n’ai pas compris ce qui s’est passé à la cérémonie des Césars (le 28 février 2020, Aïssa Maïga a taclé le cinéma français, trop blanc, dans un discours souvent jugé « gênant », ndlr). On avait écrit un ouvrage collectif ensemble, et ce qui était beau, c’est que nous avions toutes une voix, une vision propre. Là, c’est tout l’inverse qui s’est produit.

En résumant les acteurs à leur couleur de peau, Noir devenait notre métier ! D’autant que c’était nier des avancées : on avait été interviewées, il y avait des discussions avec des télés, des distributeurs, le CNC. Et à cette cérémonie, Ladj Ly recevait le César du meilleur film pour Les Misérables  ! Je pensais que le bouquin serait le point de départ d’un boulot sur des scénarios, des projets artistiques… Il y avait 16 comédiennes au top, on aurait pu s’éclater ! Dès qu’on nous a défini comme « racisées », ça n’allait plus.

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UNE PERSONNE « RACIALISÉE » A VÉCU UNE DISCRIMINATION. UN INDIVIDU PEUT EN REVANCHE ÊTRE « RACISÉ » QUEL QUE SOIT SON PASSÉ

« Racisé » est l’un des nombreux termes que vous décortiquez.

Une personne « racialisée » a vécu une discrimination. Un individu peut en revanche être « racisé » quel que soit son passé. C’est donc un concept commode qui permet de s’indigner des injustices que l’on pourrait subir, et qui divise en deux camps : les racisés, intouchables, et les autres, responsables. Je ne peux pas accepter, par exemple, que l’association féministe Lallab s’oppose à la pénalisation du harcèlement de rue, sous-prétexte qu’elle viserait des hommes « racisés ». Pour moi, un agresseur, quelle que soit sa couleur de peau, reste un agresseur.

Vous vous opposez également aux réunions en non-mixité, interdites aux Blancs. Ne pensez-vous pas qu’ils permettent de libérer la parole ?

Vous savez, dans ma famille, dans mon « safe space », personne ne se ressemble. Quand tout le monde se ressemble, ou cherche à se ressembler, c’est là que je ne me sens pas bien. Quand bien même je voudrais participer à une réunion en non-mixité, il faudrait que je ne rassemble que des métisses afro-yiddish ? Une réunion en non-mixité n’existe pas, l’autre sera toujours différent.

Et puis je crois qu’une seule expérience de la ségrégation était suffisante, aujourd’hui j’espère que nous sommes assez évolués pour nous entraider. Enfin, quand une personne ne va pas bien, qu’elle est victime d’une agression, je pense qu’elle doit plutôt se confier à un professionnel, psychologue, médecin, que sais-je. L’UNEF par exemple (dont la présidente a reconnu l’existence de réunions interdites aux Blancs, ndlr), est un syndicat étudiant, pas une association à vocation thérapeutique (rires).

L’universalisme, que vous défendez, n’est pas forcément un outil fiable pour lutter contre les discriminations…

Parce que personne ne le prend en main, personne ne le fait vivre. Il faut créer un hashtag #universalisme2021 ! (nouveaux rires)

Il y a des grands principes qui résonnent sur tous les continents, qui sont contenus dans des grands textes juridiques comme l’Habeas Corpus, ou religieux, et qui visent au respect des libertés et de la personne humaine. C’est cela que nous devons nous réapproprier !

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LES MOTS VIOLENTS ANNONCENT DE NOUVELLES VIOLENCES

Quand j’accompagne des jeunes dans mon travail associatif (par exemple chez 1 000 visages, qui vise à l’insertion de jeunes de quartiers populaires dans le milieu du cinéma, ndlr), je les reconnais en tant que personnes, et j’essaie de leur montrer qu’ils ont des perspectives, qu’un monde de possibles leur est ouvert. Je trouve irresponsable de répéter à ces jeunes qu’ils sont les cibles de l’État… car c’est très compliqué par la suite de les sortir de ce statut d’éternelles victimes.

Le terme d’ « afro-descendant » vous met aussi mal à l’aise. Pourquoi ?

Parce qu’en France, il désigne aujourd’hui toute personne qui a un lien de sang avec l’Afrique. Mais on ne peut pas confondre dans un même terme les enfants de déportés des communautés noires américaines, antillaises, guyanaises… avec les enfants d’immigrés, en ravivant les plaies de l’esclavage et en rajoutant de la culpabilité dans le regard de l’autre.

Ce travail sur le langage, c’est parce que vous avez le sentiment qu’il permet de résoudre le problème en partie ?

Les mots violents annoncent de nouvelles violences. Grâce au français, à la nuance, à la complexité de notre langue commune, on peut aussi essayer de se rapprocher le plus possible. Il y a des mots qui sont « artistes » de nous-même : quand on les emploie, c’est une première énergie pour s’émanciper, pour se créer soi-même.


Des mots qui réparent contre ceux qui séparent

En 2016, Rachel Khan écrivait un roman d’inspiration autobiographique, Les grandes et les petites choses (éd. Anne Carrière), qui suivait la construction identitaire d’une jeune athlète, Nina Gary. L’auteure s’y livrait, convaincante (des adaptations au cinéma et en bande dessinée sont programmées) et abordait déjà la question des origines.

L’expérience de Noire n’est pas mon métier, et ses suites, a radicalisé la position de cette universaliste. Dans Racée, elle entreprend un travail salvateur en décortiquant les mots des « identitaires », moins pour en découdre (même si elle règle quelques comptes) que pour comprendre ce que dissimulent les termes qui enferment dans une vision binaire du monde. À cette pensée qui n’en est pas une, elle oppose, parfois avec humour, quelques maîtres inspirants (Gary, Glissant), la complexité de l’humain, quelle que soit sa couleur, et des « mots qui réparent » : intimité, création, créolisation… On sort de l’ouvrage grandi et plein d’espoir. Ce qui n’est déjà pas si mal.

Racée, Rachel Khan, éditions de l’Observatoire, 160 p., 16 euros.

 

Sous-catégories

Les informations sur nos maisons de formation datent de quelques années, et nous avons demandé aux responsables de ces maisons de nous donner des nouvelles plus récentes.
La première réponse reçue vient de Samagan, le noviciat près de Bobo-Dioulasso (lire la suite)

 

La deuxième réponse nous a été donnée par la "Maison Lavigerie", notre maison de formation à la périphérie de Ouagadougou, où les candidats ont leurs trois premières années de formation (lire la suite)