Mali – Issa Kaou Djim : de l’imam Dicko à Assimi Goïta, portrait d’un « affranchi »

| Par - à Bamako
Mis à jour le 16 avril 2021 à 16h04
Issa Kaou Djim à son bureau, à Bamako, le 7 avril 2021.
Issa Kaou Djim à son bureau, à Bamako, le 7 avril 2021. © Mahamadou BAGAYOKO pour JA

Il agace autant qu’il fascine. Quatrième vice-président du Conseil national de transition, Issa Kaou Djim est à la tête de la plateforme Appel citoyen pour la réussite de la transition, qui exhorte Assimi Goïta à se porter candidat à la présidentielle.

Jusqu’au renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) par l’ex-Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), le 18 août 2020, Issa Kaou Djim était l’un des leaders du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Au sein du comité stratégique de ce mouvement hétéroclite de contestation, il représentait la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de l’imam Mahmoud Dicko, dont il était le coordinateur général. Sous son leadership, la CMAS fera cavalier seul pour soutenir la transition, une position à contre-courant de celle du M5-RFP en froid avec les militaires putschistes bien avant l’installation des institutions de la transition.

En pleine contestation, il avait joué le trublion à travers ses sorties médiatiques, entraînant parfois le M5 au bord de l’implosion, comme lorsqu’il a déclaré : « le M5-RFP est mort de sa belle mort  », lors des concertations nationales, en septembre 2020. « Tout ce que j’ai fait, c’était en complicité avec l’imam, rétorque Issa Kaou Djim. La complicité entre nous était religieuse. » Les deux hommes ont d’ailleurs longtemps été décrits par certains observateurs comme « l’incarnation du mauvais et du bon flic ».

Lorsqu’ils se sont rencontrés en 2004, Mahmoud Dicko était un prêcheur charismatique et directeur de la Radio islamique. « J’écoutais ses prêches et je voulais créer mon organisation islamique Allah Kama Ton [Association pour servir la cause de Dieu], et il m’a encouragé  », se souvient Issa Kaou Djim, qui est encore aujourd’hui directeur de ce centre de formation coranique pour les jeunes et les femmes.

Le Peul et le Diawando

Natif de Bagadadji, quartier populaire situé en plein cœur de Bamako, Issa Kaou Djim, 54 ans, appartient à la communauté Diokoramé (Diawando), présente dans presque tous les secteurs de l’économie. Lorsqu’il quitte l’école, en 1979, il suit son oncle maternel au grand marché de Bamako, puis, en 1988, s’installe à son propre compte, dans la vente de tissus, notamment de bazin.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

NOUS AVONS TOUJOURS VOULU SAUVER LES INSTITUTIONS SANS NOUS OCCUPER DES CAUSES PROFONDES DES CRISES

Lors des évènements qui ont conduit à la chute de Moussa Traoré en 1991, il est « sorti pour marcher » et se fera alors appeler « CTSP » – du nom du Comité de transition pour le salut du peuple, qui dirigea le pays après le coup d’État. « Depuis ce temps-là, j’observe. J’ai vu la dislocation des partis politiques, qui ont fait pire que Moussa Traoré. Il n’y a pas d’alternance à la démocratie… Mais, nous n’avons jamais eu de démocratie. Nous avons toujours voulu sauver les institutions sans nous occuper des causes profondes des crises. Et aujourd’hui le pays est dévasté », déplore Issa Kaou Djim, qui ne rate jamais une occasion de critiquer le personnel politique malien.

Djim, l’enfant terrible de Dicko

« Je suis un libéral qui intègre certaines valeurs conservatrices », confie l’autodidacte, qui a lu Marx et Lénine, et a suivi l’enseignement coranique : « L’imam a contribué à ma formation, poursuit-il. Il connaît la société malienne et a une grande capacité d’analyse. Il a une lecture éclairée de l’islam. » Par ailleurs, l’imam Dicko lui donnera d’ailleurs sa fille en mariage.

« L’avantage de Kaou Djim, c’est qu’il est dynamique », dit de lui Hamidou Magassa, un anthropologue proche de Mahmoud Dicko, qu’il a conseillé au sein du Haut conseil islamique du Mali (HCIM). « Pour comprendre le couple Dicko-Djim, il faut l’inscrire dans le marché malien, notamment à travers les liens entre le Peul et le Diawando, son agent d’affaires, explique Hamidou Magassa. Les Peuls font de la poésie et les Diawambé mettent en vente leur bétail. Le Peul a toujours un Diawando dans sa garde rapprochée. »

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

DJIM A PRIS LA PLACE DE TOUS LES GENS QUI ONT AIDÉ DICKO PENDANT SON PREMIER MANDAT

C’est en 2013, lorsque Mahmoud Dicko est élu pour un second mandat à la tête du HCIM, qu’Issa Kaou Djim entre dans le bureau exécutif de l’instance, fort de l’expérience acquise sur les chaînes de télé bamakoises, où il animait des émissions sur l’islam et la société. Et l’imam fera de lui plus tard son porte-parole. « Djim a pris la place de tous les gens qui ont aidé Dicko pendant son premier mandat. Il a fait le vide autour de l’imam et a capitalisé sur lui, confie un ancien collaborateur de l’imam. Dicko écoute énormément les jeunes, ne supporte pas les gens de son âge et se soumet à ses aînés… Djim a été l’enfant terrible. »

Son éviction du poste de coordinateur général de la CMAS, en janvier dernier, va distendre les liens entre Djim et celui qu’il appelait jusqu’alors « le très respecté et éclairé imam » Mahmoud Dicko. « Mes potentialités ne peuvent pas être reléguées à la périphérie, je ne peux plus rester sous les ordres. Quand il a dit qu’il retournait à la mosquée, soit je restais son caporal, soit je m’affranchissais. Le choix a été vite fait », dit Issa Kaou Djim, désormais membre du CNT et quatrième vice-président de la transition. « “S’affranchir” veut dire pour lui “Je suis ton égal”, commente Hamidou Magassa. La rupture est classique. »

Son cheval de bataille : Goïta candidat

Depuis quelques mois, son cheval de bataille est la candidature à la magistrature suprême d’Assimi Goïta. Il pilote d’ailleurs la plateforme « Appel citoyen pour la réussite de la transition », qui exhorte le vice-président à se présenter. « L’imperturbable patriote Assimi Goïta sera le candidat du peuple en 2022, a-t-il lancé début mars. Nous pensons qu’il n’y a pas d’alternative à cette démarche car il faut arrêter les politiciens de 1991. Aujourd’hui, l’espoir est permis avec le leadership d’Assimi Goïta. »

En a-t-il parlé avec le colonel Goïta ? « Je ne lui ai pas demandé, mais il est l’homme de la situation : un bon candidat pour la rupture. Le pays est tombé si bas qu’il faut de l’autorité. Goïta fait partie des officiers propres, et il ne doit pas tourner le dos au peuple  », répond Djim, qui décrit ses relations avec l’ancien homme fort de la junte comme « empreintes d’estime et de respect mutuel ». Pour le politologue Ballan Diakité, « Issa Kaou Djim est rarement sur le registre du réel. Ses propos sur Goïta révèlent le caractère machiavélique de ceux qui ne visent que leurs intérêts et n’ont aucune culture politique. »

Droit dans ses bottes

La charte de la transition interdit pourtant à Assimi Goïta de se porter candidat. Mais pour Issa Kaou Djim, ce n’est pas un obstacle : « La charte est politique, c’est nous qui l’avions rédigée. Mais elle relève d’un faux débat. Le vrai, c’est la volonté du peuple. » Il ajoute à son plaidoyer pro domo : « Les grandes démocraties sont passées par des militaires, comme le général de Gaulle, mais aussi Paul Kagame, qui est respecté, ou encore Jerry Rawlings, qui a remis le Ghana sur les rails. La seule force qui peut rassurer, c’est l’armée. »

Malgré l’appel à son exclusion du CNT, du Conseil supérieur de la diaspora et le rappel à l’ordre de ses pairs de la conférence des présidents (devant le colonel Malick Diaw), Issa Kaou Djim reste droit dans ses bottes : « Goïta, c’est la solution », maintient-il.