Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Guinée: l'activiste du FNDC Oumar Sylla comparaît devant la cour d'appel de Conakry

Des manifestants du FNDC dans les rues de Conakry en janvier 2020 (image d'illustration).
Des manifestants du FNDC dans les rues de Conakry en janvier 2020 (image d'illustration). CELLOU BINANI / AFP

L’activiste de la société civile et responsable chargé de la mobilisation du FNDC, jugé en première instance par le tribunal de Mafanco dans la banlieue de Conakry, et condamné à 11 mois de prison ferme le 28 janvier dernier, Oumar Sylla alias « Foniké Menguet » a comparu ce jeudi 3 juin devant la cour d’appel de Conakry

Avec notre correspondant à Conakry, Moktar Bah

Aux nombreuses questions du procureur Mohamed Kaba dont entre autre « reconnaissez-vous avoir tenu des propos tels que : "Alpha Condé est un dictateur", ou "on va faire l’assaut" ? », le prévenu a préféré garder le silence. Il n’a répondu à aucune question.

Et le procureur d’ajouter « la Guinée est un pays où la liberté d’expression est garantie mais, poursuit-il, si chacun pouvait abuser de cette liberté d’expression et tenir des propos de ce genre, la République n’existerait pas ».

Ce à quoi, le prévenu a dit : « Je ne réponds pas, allons aux débats ».

Dans son réquisitoire, Mohamed Kaba a demandé au tribunal de retenir dans les liens de la prévention le leader des jeunes pour une période de 2 ans de prison ferme et au paiement d’une amende de 20 millions de francs guinéens environ 1 800 euros d’amende.

Dans sa plaidoirie, l’un des avocats de la défense a déclaré que son client est victime d’un règlement de comptes à cause de son opposition au tripatouillage de la Constitution et à un troisième mandat d’Alpha Condé.

Je pense que les avocats que nous sommes sont satisfaits du déroulement du débat par ce que nous avons pu quand même démontrer que les faits qui sont reprochés à Oumar Sylla alias Foniké Menguet ne tiennent pas par ce que les moyens d’appel que le procureur a développés ne sont pas consistants.

Au sortir du tribunal, les avocats de la défense reviennent sur leurs plaidoiries

Le jugement a été mis en délibéré pour le 10 juin, c’est-à-dire jeudi prochain.

[Tribune] Violences en Côte d’Ivoire : l’« étranger », éternel bouc émissaire

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Par  Gauz

Écrivain ivoirien, auteur de "Debout payé" (2014), "Camarade papa" (2018), et "Black Manoo" (2020).

Abidjan, en novembre 2002.

Abidjan, en novembre 2002. © ISSOUF SANOGO/AFP

Difficile d’expliquer la nouvelle flambée de violences xénophobes qui vient d’embraser la Côte d’Ivoire. Mais le combustible est toujours le même : le mot « étranger », répété comme un mantra jusqu’à la nausée.

Anthropo, socio, ethno, toutes les études en « logie », toutes leurs combinaisons (anthropo-socio, socio-ethno, ethno-anthropo, etc.) et même économie… J’ai tendance à lire des thèses pour me détendre (personne n’est parfait) et rester au contact de la production universitaire de mon pays. Je peux donc affirmer que le sujet des violences xénophobes en Côte d’Ivoire est une star des soutenances.

Je vous épargne la logorrhée universitaire souvent indigeste pour vous en dire succinctement ce que j’en tire au regard de la dernière flambée. Entre l’urbain et le rural, une grande différence saute aux yeux sur l’origine de ces crises. Depuis San Pedro en 1998 (oppositions entre Kroumen et Burkinabés), dans les régions et les villages, la cause quasi exclusive des violences est toujours concrète, tangible, solide sous les pieds : la terre ! Sa possession et son exploitation sont au centre de tous les affrontements.

La problématique du foncier rural est le serpent de mer qu’étirent tous les pouvoirs depuis la colonisation. On peut dire sans se tromper qu’il est l’enjeu réel sur lequel s’est nouée la crise qui a secoué le pays à partir de 2002, dont le point d’orgue fut la guerre de 2011. En « brousse », les choses sont donc « claires ». Même si les réponses à y apporter peuvent être « complexes », les politiques devraient faire un peu comme moi, se pencher plus souvent sur le travail excellent et foisonnant des chercheurs pour éclairer leur lanterne. Je vais même plus loin en disant que la résolution des problèmes fonciers ruraux est le chemin par lequel la Côte d’Ivoire trouvera la réconciliation et la paix.

Bien avant les réseaux sociaux

En ville, les violences xénophobes relèvent de raisons qui sont difficilement lisibles. Même si tout le monde admet qu’un certain nombre de conditions doivent être réunies pour qu’elles éclatent, on est à peu près sûr que, dans le cadre urbain, les mêmes causes n’ont pas les mêmes effets. Un appel comme celui de cette fameuse influenceuse qui a mis le feu aux poudres il y a quelques jours aurait pu être lancé la semaine précédente sans lever un seul sourcil d’un habitant d’Abobo.

Il existe des précédents encore plus violents, plus incompréhensibles et qui datent d’une époque où n’existaient pas les réseaux sociaux mis à l’index. Souvenons-nous de cette chasse aux Ghanéens à cause d’un simple match de football (Asec vs Ashanti Kotoko, octobre 1993). Souvenons-nous des rumeurs de « sexes disparus » qui ont régulièrement provoqué le lynchage aveugle de Haoussa (déjà !) dans différentes villes. Souvenons-nous en 1958, avant l’indépendance, les Dahoméens et les Togolais ont subi à Treichville une ire populaire de la même violence. Principalement enseignants et agents administratifs, ils ont été désignés responsables de la situation des chômeurs (pour la plupart sans diplômes) et ont été pourchassés jusqu’à l’exil.

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SI LE POISSON POURRIT PAR LA TÊTE, CE PEUPLE EST EN TRAIN DE POURRIR PAR SES LEADERS

On nage dans l’absurde total, pourtant pas de nœuds à se faire au cerveau pour comprendre ce qui s’est passé à Abobo. La pauvreté ? Elle est générale. Le taux d’analphabétisme ? Les plus de 80 % (selon le recensement de 2014) du Gontougo, du Bafing ou du Tchologo donnent le vertige. Le pourcentage « d’étrangers » ? Il n’y a rien eu à Adjamé. Le niveau intellectuel de la Jeanne d’Arc d’Abobo et des leaders d’opinion sur les réseaux sociaux ? Les QI de moules sont légion au-dessus de 100 000 abonnés…

Mon idée pour expliquer ces crises de la bêtise en réunion est simple. Chaque situation du genre trouve son alchimie propre pour faire brûler le foyer. Mais le combustible est le même, toujours : étranger. Si la « fièvre xénophobique » est si récurrente et violente, c’est parce que le mot « étranger » est une sorte de mantra répété jusqu’à la nausée, au nom de tout et n’importe quoi, depuis bien trop longtemps par tout ce que ce pays a compté comme personnel politique. Si le poisson pourrit par la tête, ce peuple est en train de pourrir par ses leaders.

Le dilemme malien de la France

Editorial 

Emmanuel Macron s’interroge sur la présence militaire française au Sahel

  • Jérôme Chapuis, 

Lecture en 1 min.

Le dilemme malien de la France
 

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron évoque ouvertement un retrait des troupes françaises du Mali. Mais il n’a jamais semblé aussi disposé à passer à l’acte, manifestement exaspéré par les derniers développements de la crise. Lundi dernier, les officiers de l’armée malienne ont renversé l’exécutif pour la deuxième fois en neuf mois. En réponse, le président français a rappelé, dans le JDD, les conditions de l’engagement de la France : l’organisation d’un retour à la démocratie et l’étanchéité des liens avec les islamistes. Puisque ces conditions ne semblent pas remplies à ce jour, il est légitime de s’interroger sur le devenir de l’opération Barkhane.

→ ANALYSE. Opération Barkhane : partir ou rester au Mali, la France doit choisir entre deux maux

Pour autant, un retrait serait si lourd de conséquences qu’il semble aujourd’hui irréaliste. Les raisons qui ont conduit l’armée française à intervenir en 2013 sont toujours là. Les groupes djihadistes continuent de déstabiliser l’ensemble de la région. Du Niger au Burkina Faso, on craint l’effet domino. L’allié tchadien est fragilisé par la mort sur le front du président Idriss Déby. A ce stade, pour la France, un retrait serait synonyme d’échec, après plus de huit années de combats qui ont coûté la vie à 55 de ses soldats. Il laisserait le champ libre à d’autres puissances qui n’attendent que cela et accroitrait le risque de crises migratoires dans les années à venir. D’où l’insistance d’Emmanuel Macron sur l’engagement des Européens. En relançant l’idée d’un « plan Marshall » pour l’Afrique, il espère impliquer économiquement ceux qui rechignent à s’engager militairement. Sans constituer un aveu de faiblesse, il faut entendre ce que cela signifie en creux : la France ne compte pas endosser seule la responsabilité d’un échec au Mali.

 

France: vers une nouvelle doctrine ou une ouverture à la carte de l'accès aux archives?

Photo prise le 29 octobre 2001 dans une salle du Service historique de l'Armée de terre (SHAT) au château de Vincennes, des rayonnages où sont archivés les documents historiques recueillis sur la guerre d'Algérie.
Photo prise le 29 octobre 2001 dans une salle du Service historique de l'Armée de terre (SHAT) au château de Vincennes, des rayonnages où sont archivés les documents historiques recueillis sur la guerre d'Algérie. AFP - DANIEL JANIN

Emmanuel Macron sera jeudi 27 mai en visite officielle au Rwanda. Ce rapprochement avec Kigali est notamment permis grâce au rapport de la commission Duclert sur la responsabilité de la France dans le génocide de 1994. Il a été rédigé sur la base d’un accès facilité aux archives officielles de l'époque. Pourtant, malgré la promesse de plus de transparence, l'accès aux documents classés est encore fastidieux pour les chercheurs.

En France, le principe, qui a valeur constitutionnelle, est le libre accès aux archives publiques. Mais il y a des exceptions : pour ce qui a trait au nucléaire, par exemple, les documents sont « incommunicables ». Sauf autorisation explicite, on ne peut y avoir accès. Pour ce qui est du secret-défense, il y a un délai légal de cinquante ans, à l'issue duquel ils sont accessibles.

Procédure alourdie

Problème, les chercheurs se plaignent depuis le 1er janvier 2020, d’une procédure alourdie par l’application stricte des règles administratives (IGI 1300, pour instruction générale interministérielle) qui fait que chaque document doit être vu, déclassifié et tamponné par un archiviste. Une tâche herculéenne quand on connait la masse de dossiers conservés par les différentes administrations. Au seul service historique de la Défense, « environ 630 000 cartons de documents sont concernés », selon Thomas Vaisset, enseignant à l'université du Havre, membre d'un collectif d'historiens pour un accès facilité aux archives.

►À lire aussi : Analyse - Accès aux archives sensibles: un accroissement des entraves qui suscite la polémique

Cela a entraîné un important mouvement de protestation de la part des archivistes et des historiens, bloqués dans leurs travaux, par exemple sur les conflits de la décolonisation. Ils peuvent par exemple être amenés à demander la déclassification d’un document qu’ils consultaient librement auparavant.

 

Des dérogations pour les affaires récentes

Pour les affaires plus récentes, il y a une procédure permettant à une personne intéressée (avocat, famille, association, chercheur) de demander une dérogation pour consulter les archives. Et c'est l'administration concernée qui tranche. Ce qui fait que beaucoup se heurtent au secret-défense, comme l'a récemment dénoncé l'ancienne rapporteuse spéciale de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, Agnès Callamard, à propos des meurtres de nos collègues Ghislaine Dupont et Claude Verlon au Mali en 2013, dont les proches ont réclamé « un débat public au Parlement » sur « le secret-défense ».

En termes d'accès aux archives, le rapport Duclert serait donc l'exception qui confirme la règle. Les archives ont été largement ouvertes à ses membres sur demande explicite d'Emmanuel Macron. Celui-ci a aussi promis un accès facilité sur l'Algérie, comme le recommandait le rapport Stora, ou encore la transmission au Burkina Faso de tous les documents liés à Thomas Sankara, assassiné en 1987. Ce qui s'est matérialisé par l'envoi de trois lots d'archives à Ouagadougou, en décembre 2018, janvier 2019, et fin-avril 2020.

Le rapport Duclert sur le génocide des Tutsis au Rwanda a été remis à Emmanuel Macron le 26 mars 2021.
Le rapport Duclert sur le génocide des Tutsis au Rwanda a été remis à Emmanuel Macron le 26 mars 2021. © LUDOVIC MARIN/AFP

On voit donc des ouvertures décidées par le politique. Certains s'interrogent donc sur l'agenda et de la bonne foi des décideurs. La commission Duclert n'est-elle pas aussi un outil pour se rapprocher du Rwanda ? La France a-t-elle vraiment tout communiqué à la justice burkinabé sur la mort de Thomas Sankara ?

« Le fait du prince »

Bruno Jaffré, du réseau « Justice pour Sankara, justice pour l’Afrique », en doute. Il est membre du collectif Secret défense, qui regroupe une quinzaine d'organisations travaillant sur des affaires criminelles non résolues.

« C'est ça qu'on appelle le fait du prince, c'est exactement ça. Je pense que les blocages sont toujours les mêmes, mais vous avez par contre le président, quand il veut, souvent selon la pression, la popularité des gens, leur capacité de mobilisation, le président Macron se lève et dit : “on va ouvrir les documents”, au gré de son agenda politique. Cette attitude des autorités françaises ne fait qu'augmenter le soupçon qu'on a d'une participation de la France plus importante. »

La commission Duclert, dont le travail a été salué, va-t-elle permettre des avancées pour tous les chercheurs ? Son président Vincent Duclert l’espère. Selon lui, les conclusions doivent permettre de prouver à l'État qu'il n'a pas à avoir peur de la transparence et des historiens. Il repousse tout procès en instrumentalisation.

« L'autorité politique n'a fait que donner à des chercheurs les moyens de travailler. On a utilisé nos privilèges pour l'intérêt public. L'expérience, moi j'estime qu'elle a réussi, et que ça peut ouvrir des possibilités pour l'avenir. Il faut dire aux autorités administratives et politiques que l'examen des archives n'aboutit pas nécessairement à des mises en accusation collectives de l'appareil d'État. Je pense qu'il ne faut pas avoir peur de la vérité surtout. À l'avenir, sur certaines questions extrêmement conflictuelles, peut-être que progresser de cette manière-là a du sens. »

« Un moyen de porter un regard serein sur son histoire »

Le rapport Duclert propose ainsi la création d'un poste d'« archiviste de la République » sur le modèle du Défenseur des droits, qui pourrait permettre de savoir exactement quels accès ont été refusés, sur quelles bases, et être saisi par des chercheurs. D'autant que de nombreux experts, même militaires, considèrent que la grande majorité des secrets s’épuise au bout de dix ou quinze ans.

Thomas Vaisset pense que le travail de la commission Duclert « va permettre de démythifier les archives ». « Très souvent, les gens pensent qu'il y aurait la vérité” dans les archives, que des choses y seraient cachées. Mais on a pu voir avec l'accès que la commission a eu à ces documents, qu'on est très loin de ce fantasme. Le fait d'accéder rapidement à ces documents, c'est aussi un moyen de porter un regard serein sur son histoire ».

Une loi pour faciliter l'accès aux archives de plus de 50 ans

Un motif d'optimisme pour les historiens français : si le cadre de déclassification des documents de moins de cinquante ans ne va pas changer, celui des documents plus anciens va lui évoluer dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, actuellement en discussion à l'Assemblée, et qui devrait aboutir prochainement. Ce texte reconnait « le caractère automatique de la déclassification des documents lorsqu’ils deviennent communicables ». Donc plus besoin de tamponnage.

La France a donc une doctrine assez extensive du secret-défense, mais ce n'est pas une exception. Chaque État protège ses dossiers. Aux États-Unis, il y a une commission de déclassification qui généralement communique plus rapidement les documents, mais ceux-ci sont aussi plus souvent « caviardés » c'est-à-dire avec de larges passages illisibles.

Le bâtiment des Archives nationales américaines à Washington DC en 2012.
Le bâtiment des Archives nationales américaines à Washington DC en 2012. © Wikimedia Commons CC BY SA 3.0 Jarek Tuszyński

Le débat sur l’accès aux archives rencontre aussi un écho à l’étranger. Fin mars, des historiens algériens ont ainsi réclamé au président Tebboune l'accès à celles de la guerre d'indépendance du pays, qui depuis une dizaine d'années sont quasi-inconsultables.

Afflux de migrants à Ceuta : quels enseignements ?


Le dilemme de Madrid

Le gouvernement espagnol est confronté à un dilemme délicat, écrit La Vanguardia :

«Si après sa convalescence, l’Espagne laissait le leader du Front Polisario quitter le pays – librement ou clandestinement – alors les tensions s’aggraveront. Si, au contraire, il devait être placé en détention faute de s’être présenté au tribunal, où il doit comparaître suite à une plainte déposée par une association pro-marocaine pour violences, terrorisme, tortures et atteintes aux droits de l’homme, alors les tensions se produiront avec l’Algérie, alliée du Front Polisario, qui a organisé le transfert de Ghali, et dont l’Espagne est tributaire en raison des livraisons de gaz naturel.»

Toujours les mêmes disputes

Le mouvement migratoire à Ceuta présente certaines similitudes avec celui survenu en Europe du Sud-Est en 2015, fait valoir The Irish Times :

«On constate un parallèle inquiétant dans la réaction de certains Etats européens à de tels évènements, la réminiscence immédiate de vieilles disputes sur la solidarité montrant combien la situation est restée figée depuis que l’UE a sombré dans ses querelles acrimonieuses il y a six ans. Aujourd’hui, l’UE ne s’est pas rapprochée d’un iota d’un système holistique et humain susceptible de gérer de grandes quantités de migrants arrivant clandestinement sur ses rivages. Un pacte migratoire proposé par la Commission en septembre dernier comportait un mécanisme de répartition des nouveaux arrivants au sein de l’Union, mais des pays comme la Hongrie et la Pologne s’y opposent.»

Les séquelles de la politique désastreuse de Trump

El País aborde le lien entre la crise actuelle et la politique étrangère américaine :

«A l’origine du conflit, il y a Donald Trump et son legs au monde arabe : un terrain miné allant du Maroc à Jérusalem. C’est le résultat de toutes ces décisions stratégiques nées de l’aversion de Trump pour le droit international, son culte de l’argent et de la violence et son alliance avec Benyamin Nétanyahou. … Même après son désaveu dans les urnes, il n’a pas renoncé à reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental pour remercier Rabat d’avoir rétabli des relations diplomatiques avec Israël. Voilà à quoi s’est résumé son plan de paix pour le Proche-Orient, dans lequel ni les Palestiniens, ni les institutions internationales n’ont eu leur mot à dire, sans parler des Sahraouis et de leur République dans les dunes.»

L’Europe tourne en rond

Le Maroc n’est pas le seul pays à connaître une pression migratoire forte, souligne Le Quotidien : A

« Lampedusa, le nombre de migrants qui échouent sur les côtes siciliennes augmente. Et leur nombre ne va pas se tarir, car la saison estivale permet des traversées plus ‘sûres’. Ces personnes en détresse ont bravé le danger pour trouver le salut sur notre continent. Mais leur arrivée en Europe n’est qu’une étape dans leur odyssée. Les pays européens se déchirent toujours autant concernant leur accueil, les uns appellent à la solidarité, certains ouvrent la porte et d’autres la referment brutalement, laissant leurs ‘partenaires’ se débrouiller et oubliant vite les principes de solidarité. Le ‘monde d’après’ ressemble décidément beaucoup au ‘monde d’avant’.»

Les calculs marocains

L’Espagne devrait prendre au sérieux la crise avec son voisin, fait valoir infoLibre :

«Le Maroc se sert du chantage migratoire pour empêcher l’Espagne de se positionner de façon univoque et positive en faveur de la République sahraouie [Sahara occidentale]. Il compte renforcer son rôle de leader au sein du Maghreb tout en mettant en difficulté un voisin européen. A terme, le Maroc veut étendre ses visées expansionnistes à Ceuta, Melilla et aux Canaries. Au plan économique, le Maroc fait pression dans le but d’obtenir plus d’argent en échange de ses services de surveillance des frontières, exercés quasiment en qualité de sous-traitant ; et s’assurer, de façon indirecte, des avantages commerciaux. Une stratégie qui a porté ses fruits ces dernières décennies.»

Madrid a heurté Rabat sans réfléchir

En méprisant des règles diplomatiques élémentaires, le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez a favorisé le phénomène, critique ABC :

«Le gouvernement a permis que Brahim Ghali, chef du [mouvement de libération du Sahara occidental] Polisario et poursuivi par la justice, puisse être soigné en cachette dans un hôpital espagnol sans même informer le gouvernement marocain qu’il a été hospitalisé pour des raisons humanitaires. … Sur le terrain diplomatique, les gestes formels sont tout aussi cruciaux que les intérêts de fond. Sánchez a cependant sous-estimé les conséquences de ces actes problématiques pour le Maroc, un pays qui devra rester un allié stratégique, en raison des nombreuses tensions susceptibles de se produire.»

L’externalisation a ses limites

L’UE n’aurait pas dû se défausser de sa responsabilité pour protéger ses frontières, pointe eldiario.es :

«Sur le papier, c’est un plan génial : ce ne sont pas les propres forces de police et de l’armée des Etats qui se chargent d’appliquer la politique migratoire restrictive, mais ce sale boulot est laissé aux pays africains, et ce à l’abri des regards dans des pays de transit ou d’origine. … Mais l’externalisation a ses limites : les solutions à bas coût peuvent coûter cher. Il y a toujours un sous-traitant récalcitrant qui veut renégocier les conditions, augmenter le prix ou se disputer avec le donneur d’ordre. Puis il suspend ses prestations pendant quelques jours, tout comme le Maroc semble l’avoir fait à Ceuta. Résultat : rupture du contrat, mauvais service, réclamations des clients et préjudice en termes de réputation.»

La peur de l’invasion

Les réfugiés sont utilisés comme ‘armes de migration massive’, explique La Stampa, reprenant un concept de la politologue Kelly Greenhill :

«Cette bombe humaine, un moyen coercitif tout sauf occulte, est utilisée dans la guerre la plus perfide de toutes les guerres asymétriques. L’indignation suscitée par ce nouveau-né sauvé aux larges de Ceuta dure aussi longtemps que la pensée qu’il pouvait s’agir de notre fils. … Puis l’image s’efface, tout comme s’est effacée à l’époque celle d’Alan Kurdi, et seuls restent les chiffres, en réalité insignifiants, mais si importants dans la perception collective qu’ils puissent servir d’armes. Car la peur d’une invasion, peur qui s’est amplifiée avec l’incertitude économique, a rendu l’Occident encore plus vulnérable.»

Créer des voies migratoires légales vers l’Europe

La cruauté n’est pas le seul moyen pour contenir l’immigration, souligne Der Spiegel :

«L’Allemagne, la France, la Suède et d’autres pays [devraient] former une ‘coalition des volontaires’ permettant de renforcer le droit d’asile. Cette coalition devrait mettre en place des voies pour les migrants vers l’Europe, comprenant notamment des visas humanitaires, des regroupements familiaux et des initiatives d’emploi. Et elle devrait enfin augmenter ses investissements dans le programme de réinstallation des Nations unies, qui permet de transférer des demandeurs d’asile de façon organisée depuis des pays tiers tels que la Jordanie vers des pays d’accueil. C’est le seul moyen de résoudre un paradoxe : le fait que des personnes en quête de protection soient forcées de franchir des frontières de façon illégale, en empruntant le plus souvent des routes meurtrières, avant de pouvoir déposer légalement une demande d’asile dans l’UE.»

Une approbation silencieuse, fruit de l’accoutumance

Parallèlement aux événements à Ceuta, le navire de sauvetage privé Sea-Eye 4 a sauvé depuis samedi plus de 400 personnes en détresse. Les souffrances endurées en Méditerranée sont devenues quotidiennes, déplore Tygodnik Powszechny :

«Des migrants et réfugiés trompés et mis sous pression par des passeurs meurent sans cesse dans des circonstances cruelles. Nous le savons, mais leur mort est devenue pour nous un phénomène permanent. Pour le grand public, celle-ci fait partie de la Méditerranée, tout comme la guerre fait partie du Proche-Orient (ce qui est tout aussi faux). Il ne s’agit pas d’une indifférence de notre part. C’est plutôt une mauvaise habitude qui favorise l’approbation silencieuse d’un statu quo cauchemardesque, une ‘zone grise’ permettant des pratiques officieuses.»

Source: Eurotopics, 26.05.21