Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Sénégal: des féministes demandent l’application de la loi qui criminalise le viol

 
Le collectif des féministes du Senegal s'est réuni le samedi 3 juillet pour appeler à l'application de la loi qui criminalise le viol et la pédophilie.

Le collectif des féministes du Senegal s'est réuni le samedi 3 juillet pour appeler à l'application de la loi
qui criminalise le viol et la pédophilie.
 © Théa Ollivier/RFI


Au Sénégal, le débat sur l’application de la loi qui criminalise le viol et la pédophilie depuis janvier 2020 est revenu sur la table. Tout a commencé suite à la plainte pour viol d’une jeune fille de 15 ans contre le fils d’un journaliste connu, le jeune homme étant actuellement sous mandat de dépôt. Le collectif des féministes sénégalaises s'est mobilisé ce samedi 3 juillet à Dakar pour soutenir toutes les femmes victimes de violences et de féminicides, et pour appeler la justice à appliquer la nouvelle loi. 

Avec notre correspondante à Dakar, Théa Ollivier

Quelques dizaines de femmes se sont rassemblées sur la place de la Nation à Dakar, vêtues de blanc et de violet, pancartes à la main. « Ras le viol ! » « Non à l’omerta ! ». Les slogans scandés appellent à soutenir toutes les victimes de violences, indique une féministe présente, Coumba Ndiaye. « La première cause, c’est combattre l’injustice faite aux femmes surtout le viol. On l’a criminalisé mais son application n’est pas effective. Une loi est faite pour être appliquée et non pour rester dans les tiroirs. »

Mais les obstacles pour porter plainte sont nombreux explique Fernanda Ramos De Almeida, ancienne membre de l’organisation féministe historique « Yeewu yewi ». « Les gens appellent cela ‘’soutoureu’’, c'est-à-dire ‘’se préserver du regard des autres.’’ Les gens se taisent. A chaque fois qu’on demande à la demoiselle, la victime, ‘’quelle était votre attitude et comment vous étiez habillée ?’’ »

Aïssatou Sène, porte-parole du collectif des féministes du Sénégal est lucide face à la faible mobilisation. « C’est normal qu’il n’y ait pas beaucoup de monde parce que la voix des femmes n’est pas écoutée. Quand on est féministe, on nous taxe de pleins d’autres noms. Beaucoup de jeunes femmes malheureusement ne veulent pas être associées à nous, mais le travail que nous faisons, elles vont toutes en bénéficier. »

Selon le ministère de la Justice, 512 affaires de viol et de pédophilie ont été enregistrées depuis l’adoption de la loi de criminalisation en janvier 2020.

Réchauffement climatique, la cote d’alerte est atteinte

Les scientifiques du climat redoutent des conséquences « irréversibles » si le réchauffement dépasse +1,5 °C, dans le futur rapport mondial, dévoilé par l’AFP. Les premiers pics de canicules humides, aux limites de la viabilité humaine, se produisent 30 ans plus tôt qu’attendu.

  • Marie Verdier, 

Lecture en 3 min.

Réchauffement climatique, la cote d’alerte est atteinte
Les 35 °C de température humide ont déjà été atteints au Pakistan. Ici à Karachi, durant la canicule de 2018

Nous y voilà. Au pied du mur. Bien plus vite que prévu. L’Organisation météorologique mondiale a alerté fin mai sur le risque que la température mondiale moyenne annuelle dépasse temporairement de +1,5 °C le niveau préindustriel dans les cinq ans à venir. Cette probabilité a été multipliée par deux en seulement un an. Or, en 2015, le monde s’engageait, lors de l’accord de Paris, à limiter le réchauffement à +2 °C, si possible à +1,5 °C, sans réussir à infléchir la courbe jusqu’ici. L’année 2020 a, elle, déjà dépassé ce niveau préindustriel de +1,2 °C.

C’est au tour des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec, IPCC en anglais) de noircir leurs prévisions. Dépasser seulement +1,5 °C pourrait déjà entraîner « progressivement, des conséquences graves, pendant des siècles, et parfois irréversibles », alertent-ils dans leur futur rapport encore en discussion, dont l’AFP a eu la teneur avant sa parution prévue en février 2022. « Si la vie sur Terre peut se remettre d’un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes (…), l’humanité ne le peut pas », résument-ils demandant un changement de paradigme dans la lutte contre le réchauffement.

→ ANALYSE. Réchauffement climatique : a-t-on vraiment atteint le point de non-retour ?

Des premières données laissent poindre des zones de la planète non viable pour l’humanité. Les 35 °C de « température du thermomètre mouillé » ou « température humide » – écrit 35°TW pour wet temperature – ont été par deux fois atteints dans le Golfe Persique comme l’a révélé l’étude « L’émergence d’une chaleur et d’une humidité trop fortes pour la tolérance humaine » de Colin Raymond, climatologue au Jet Propulsion Laboratory de la Nasa, parue dans Science Advances en mai 2020, et portée au rapport du Giec.

Quand il est difficile de suer

« L’expression est due à la vieille méthode de mesure qui consistait à entourer d’une mousseline mouillée le thermomètre pour mesurer l’évaporation de l’eau et la température correspondante », explique Samuel Morin, directeur du centre national de recherches météorologiques (CNRS-Méteo-France. « Quand l’air est saturé en eau, il ne peut pas en absorber plus, cela joue sur la sudation. Les humains ont alors moins la capacité de suer et ne peuvent donc pas évacuer la chaleur accumulée dans le corps », poursuit Samuel Morin.

De nombreux dépassements de 31°TW et 33°TW, ont été enregistrés ces dernières années. C’est dans les zones subtropicales, le long des côtes – notamment la côte orientale de l’Inde, le Pakistan et le nord-ouest de l’Inde, les rives de la mer Rouge, le golfe de Californie et le sud du golfe du Mexique –, que l’on trouve le cocktail propice à ces chaleurs humides extrêmes, à savoir la conjugaison d’une chaleur continentale intense et des températures de surface de la mer extraordinairement élevées.

Des chaleurs humides mortelles

Certes, ces conditions extrêmes n’ont été que temporaires. Elles n’ont duré qu’une heure ou deux la plupart du temps. Mais si elles se prolongent, les corps étant alors dans l’incapacité de se refroidir, elles deviennent mortelles. Elles « approchent ou dépassent la tolérance physiologique humaine », précise Colin Raymond.

→ EXPLICATION. « Écocide » : vers la reconnaissance d’un crime international

De tels extrêmes n’avaient pas été envisagés avant le milieu du siècle. D’ores et déjà, la fréquence des pics de chaleur humide a plus que doublé en quarante ans. En 2015, deux canicules à 30°TW avaient fait plus de 4 000 morts en Inde et au Pakistan. Ce seuil n’avait pas été atteint lors de la canicule de 2003 qui fit 50 000 morts en Europe. Samuel Morin le confirme « C’est une préoccupation de plus en plus forte ».

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L’urgence d’agir

Ce qui nous attend si des mesures drastiques ne sont pas prises :

Pénuries d’eau : 350 millions d’habitants supplémentaires seront exposés aux pénuries d’eau à +1,5 °C.

Canicules extrêmes : 420 millions de personnes de plus seront menacées à + 2°C

Faim : jusqu’à 80 millions de personnes auront faim, d’ici à 2050, en plus des 166 millions qui ont déjà besoin d’assistance alimentaire du fait des désastres climatiques.

Submersion : Dans les villes côtières, « en première ligne » du réchauffement, des centaines de millions d’habitants seront menacées en 2050, du fait de la hausse du niveau des mers (+ 60 cm d’ici à la fin du siècle à + 2°C).

Catastrophes : Presque toutes les zones côtières et plusieurs régions du monde risquent des catastrophes météo simultanées (canicule, sécheresse, cyclone, incendies, inondation…).

Migrations : jusqu’à 143 millions de déplacés en 2050 en Afrique subsaharienne, Asie du Sud et Amérique latine en raison de pénuries d’eau, de la hausse du niveau des mers, de la pression sur l’agriculture, etc.

Nature en perdition : au-delà de + 2°C, jusqu’à 54 % des espèces terrestres et marines pourraient être menacées de disparition d’ici à la fin du siècle.

 

La Guinée et la présidence du groupe G77

Depuis le mois de janvier 2021, la république de Guinée préside au sein des Nations Unies, l’organisation du groupe des 77 qui rassemble 134 pays dont la république populaire de Chine pour défendre les intérêts des pays du sud, face à de nouveaux défis économiques et sociaux en cette période de mondialisation.

 

Au début du mois de novembre 2021, le président Alpha Condé dirigera la Conférence du groupe des 77 sur les changements climatiques (COP-26) en Ecosse (Royaume-Uni)

Créé le 15 juin 1964, par 77 pays en développement signataires de la « Déclaration commune des 77 pays en développement », auxquels s’ajoute aujourd’hui la Chine, Le G-77 est la plus grande coalition de pays en développement, conçue pour promouvoir les intérêts économiques et politiques collectifs de ses membres. En vue de leur conférer une capacité de négociation accrue au sein du système des Nations unies. L’organisation vient en troisième position dans l’ordre d’importance des organes des Nations unies, après le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale. La Guinée est un membre fondateur de cette institution qui est passée à 134 pays, le nom d’origine, groupe des 77, a été conservé en raison de son importance historique. C’est la Guinée qui assure aujourd’hui, La présidence du groupe qui est l’organe politique le plus élevé au sein de la structure organisationnelle du G-77.

Cette gouvernance est exercée sur une base annuelle entre les trois régions composantes : l’Afrique, l’Asie-Pacifique, l’Amérique latine et les Caraïbes. La présidence du groupe des 77 dispose d’instances d’appui pour mener sa mission à savoir : la réunion des hauts fonctionnaires, la réunion annuelle des Ministres des Affaires étrangères et le Sommet du Sud. Le G-77 dispose d’un Secrétariat exécutif permanent basé au siège des Nations unies à New-York, qui sert d’interface entre la présidence du Groupe et toutes les parties prenantes. Il s’assure en même temps du bon déroulement des activités de la présidence et gère les questions administratives.

La Guinée, membre fondateur d’une organisation passée de 77 à 134 membres

C’est lors de la 36ème session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union africaine, à Addis Abeba le 7 février 2020, que la candidature de la présidence guinéenne a été rendue officielle. Avant sa désignation officielle par la 44ème réunion annuelle des Ministres des Affaires étrangères du G-77 à New York le 12 novembre 2020. Après cette validation, la cérémonie officielle de passage de témoin entre la République Coopérative de Guyana et la République de Guinée a eu lieu à New-York le 18 janvier 2021. Depuis lors, la République de Guinée a entamé l’exercice de son mandat à la tête du G-77.

Une présidence guinéenne qui s’articule autour d’une dizaine de  priorités : la lutte contre la pauvreté, la faim et les inégalités, l’autonomisation des femmes et des filles, la promotion de l’emploi des jeunes, le renforcement de la solidarité du Groupe, la nécessité d’une réponse mondiale à la COVID- 19 et l’accès équitable aux vaccins pour les pays en développement, la consolidation et la promotion du multilatéralisme, le renforcement du partenariat mondial, l’accélération du rythme de la mise en œuvre de l’Agenda 2030, la diversification des sources de financement du développement, la lutte contre les flux financiers illicites et les évasions fiscales, la lutte contre les changements climatiques.

Durant les trois premiers mois, la présidence guinéenne a ainsi dirigé et coordonné les travaux du G-77 au sein des 2ème, 3ème, 4ème, 5ème et 6ème Commissions de l’Assemblée générale des Nations unies.


photo © Le Président Poutine avec le Président Alpha Condé

 

Deux évènements majeurs ont été envisagés durant la présidence guinéenne :

Le Sommet du Sud prévu à Kampala (Ouganda), a été reporté en 2022 à cause de l’épidémie de covid 19. Les travaux préparatoires de ce Sommet se sont tenus à New York, sous la houlette du Secrétariat exécutif du Groupe des 77, avec la participation des autorités du pays hôte et de toutes les autres parties prenantes. A titre de rappel, le Gouvernement guinéen a déjà procédé au paiement d’une contribution volontaire pour l’organisation du Sommet du Sud à Kampala (Ouganda). Autre évènement attendu, la Conférence des Parties sur les changements climatiques (COP-26), prévue en Ecosse (Royaume-Uni) au début du mois de novembre 2021, à laquelle prendra part le chef de l’Etat guinéen. Les travaux préparatoires de cette Conférence se font à New York, avec le concours de la présidence sortante (Espagne), de la présidence entrante (Ecosse) et de toutes les parties prenantes. Depuis le début de son mandat, la République de Guinée bénéficie de la bonne collaboration du Secrétariat exécutif du G-77 et de toutes les parties prenantes (Secrétaire général des Nations unies, Président de l’Assemblée générale, Président de l’ECOSOC, Groupes régionaux, Missions permanentes. . .). Après la présidence de l’Union africaine par le président Alpha Condé en 2017, jugée remarquable par de nombreux observateurs, la Guinée est entrain de s’illustrer une fois encore sur la scène internationale en marquant d’une empreinte particulière, la défense des intérêts des pays membres du G-77.


Une diplomatie au nom de l’Afrique

Le ministère guinéen des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger assure la présidence de la 45ème Réunion annuelle des Ministres des Affaires étrangères du G77 et de toute autre éventuelle rencontre de niveau ministériel. Il coordonne l’ensemble des activités de la présidence guinéenne, en relation avec le Représentant permanent de la République de Guinée auprès des Nations Unies à New York.  Le département donne des directives pour le bon déroulement du mandat de la Guinée. Avec la Mission permanente et l’équipe d’appui Sous la direction d l’Ambassadeur, Représentant permanent, le personnel diplomatique et l’équipe d’appui travaillent de concert avec le Secrétariat exécutif et les pays membres du G77 dans la mise en œuvre du programme de travail adopté par consensus pour l’année 2021.

A ce titre, la présidence guinéenne dirige les travaux au sein des Commissions de l’Assemblée générale où sont débattues les thématiques contenues dans le programme de travail. Elle fait des déclarations au nom du Groupe lors des différentes réunions. Une Commission de suivi est également mise à contribution. Dans le cadre de la présidence guinéenne, une Commission de suivi a été mise en place au Ministère des Affaires étrangères et des Guinéens de l’étranger, par Décision D/2020/122/MAEGE/CAB/SGG du 25 novembre 2020. Cette Commission comprend des cadres du Département et des points focaux des Ministères en charge de l’Environnement, du Commerce, de l’Action sociale, des Droits et de l’Autonomisation des Femmes. Elle a pour mandat, entre autres :

  1. D’assurer le suivi de la présidence guinéenne du G-77 ;
  2. De recueillir et coordonner l’avis des départements sectoriels compétents sur les thématiques débattues au sein du G-77 ;
  3. D’apporter l’appui nécessaire à la Mission permanente dans l’examen des questions débattues au sein du G-77 ;
  4. De faire des propositions concrètes pour la réussite de la présidence guinéenne du G-77.

Le président Alpha Condé en Chine

Les Objectifs du groupe des 77 :

  1. Aider les pays en développement à tirer le meilleur parti des possibilités de commerce, d’investissement et de développement qui s’offrent à eux, et à s’intégrer de façon équitable dans l’économie mondiale ;
  2. Promouvoir la démocratisation des relations internationales en unissant tous les pays en développement dans leur diversité afin qu’ils puissent peser sur les décisions mondiales ;
  3. Constituer une plateforme commune pour parler d’une seule voix pendant les négociations multilatérales et favoriser l’instauration d’un nouvel ordre économique international ;
  4. Élaborer et harmoniser les positions sur les questions économiques mondiales ;
  5. Proposer de nouvelles idées et stratégies de négociation avec les pays développés ;
  6. Promouvoir la coopération Sud-Sud, Nord-Sud et triangulaire en vue de favoriser le développement des pays membres ;
  7. Représenter les intérêts du Sud dans la diplomatie économique multilatérale pour assurer la paix et la sécurité mondiales durables dans le cadre des Nations Unies ;
  8. Contribuer au renforcement des capacités de l’ONU dans le traitement des questions de portée mondiale par l’intégration des dimensions du développement dans les mécanismes décisionnels et normatifs internationaux.

L’Afrique de papa a vécu, par Marwane Ben Yahmed

RÉSERVÉ AUX ABONNÉS | |
Mis à jour le 28 juin 2021 à 12h44
 
 

Par  Marwane Ben Yahmed

Directeur de publication de Jeune Afrique.

(@marwaneBY)

Le 14 janvier 2011, à Tunis, environ dix-mille Tunisiens manifestaient devant le ministère de l’Intérieur, après le discours télévisé du président Ben Ali. La police avait dispersé la foule à l’aide de gaz lacrymogènes.


Le 14 janvier 2011, à Tunis, environ dix-mille Tunisiens manifestaient devant le ministère de l'Intérieur, après le discours télévisé du président Ben Ali.
La police avait dispersé la foule à l'aide de gaz lacrymogènes. © HALEY/SIPA

La multiplication des contestations populaires n’y change rien : nos dirigeants peinent à se montrer à la hauteur des nouveaux challenges que le continent doit relever. Plus préoccupant, ils ne prennent toujours pas la mesure des aspirations d’une jeunesse désoeuvrée mais connectée, qui ne souffre plus aujourd’hui ce que ses parents enduraient hier. Comment sortir de l’impasse ?

C’est une vague poussée par des vents nouveaux. Faite d’écume, de désespoir, parfois de rage. Un phénomène que nous pensions révolu depuis la fin des années 1990, après les déferlantes des Conférences nationales et l’avènement du multipartisme. Les contestations populaires, c’est de cela qu’il s’agit, font florès un peu partout sur le continent (mais aussi ailleurs dans le monde). Avec plus ou moins d’ampleur et des effets concrets différents.

En Afrique, c’est d’abord dans le nord qu’elles sont apparues, en 2011. En particulier en Tunisie, en Égypte et en Libye. L’onde de choc se propagea, malgré les différences inhérentes à chaque contexte local, gagnant le Burkina (2014), la Gambie (2016), le Rif marocain et le Zimbabwe (2017), l’Afrique du Sud (2018), l’Algérie et le Soudan (2019), le Mali (juin 2020) et même le Sénégal (2021), dans la foulée de l’affaire Sonko, marqueur d’une fracture sociale jusqu’ici mésestimée.

Syndrome d’hubris

En cause la plupart du temps, en tout cas de prime abord, des dirigeants frappés du syndrome d’hubris, qui s’accrochent au pouvoir tels des arapèdes. Voilà pour le déclencheur fatidique, l’étincelle qui ravive les braises qu’on pensait éteintes. Au fond, et c’est sans doute plus significatif car plus structurel, les raisons de la colère tiennent à une gouvernance en total décalage avec les aspirations d’une grande partie de la population. Désillusion tenace et défiance sans précédent vis-à-vis d’une classe politique, pouvoir et opposition confondus, qui peine à se renouveler. Défiance qui n’épargne guère les élites, accusées de se préoccuper davantage d’amasser des sommes indécentes de manière suspecte et d’en jouir ostensiblement que de jouer leur rôle de catalyseur et de créateur de richesse et d’emploi pour tous.

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LA PRESSION SOCIALE, ÉCONOMIQUE, DÉMOGRAPHIQUE MONTE INEXORABLEMENT, PARTOUT EN AFRIQUE

La pression – sociale, économique, démographique – monte inexorablement. Partout en Afrique. Nos dirigeants, guère préparés à affronter cette mer agitée, sont déboussolés. Ils ont désormais face à eux non plus des opposants affaiblis, sans moyens, corruptibles ou trop « marqués » par un long compagnonnage avec ceux qu’ils vouent aux gémonies pour incarner une quelconque rupture, mais des opinions publiques qui ont considérablement changé dans un laps de temps très court.

En première ligne, une jeunesse désœuvrée, mais connectée, qui ne souffre plus aujourd’hui ce que ses parents enduraient hier. Confrontés à cette nouvelle menace, nos chefs appliquent, réflexe pavlovien, les « bonnes vieilles méthodes » : l’usage de la force, l’utilisation dévoyée de l’appareil judiciaire ou des médias, l’argent, la fraude électorale. Parfois cela marche, ou permet de gagner du temps, mais de moins en moins. S’ils ne prennent pas la mesure de cette lame de fond qui se propage inexorablement – et qui ne refluera pas avant d’avoir produit les effets attendus –, il y a fort à craindre pour la stabilité de leur pouvoir et, partant, de nos pays. Car il vaut toujours mieux prévenir que guérir. Changer ce qui existe, car tout n’est pas à jeter, plutôt que reconstruire à l’emporte-pièce sur un champ de ruines.

Soyons objectifs : les défis auxquels nos dirigeants, bons ou mauvais, sont désormais confrontés sont bien plus complexes et difficiles. D’eux, on attend plus et mieux, mais leur tâche est des plus ardue. Si, jadis, il était question, en Afrique, de se battre successivement pour l’indépendance, la construction d’un État-nation, la démocratie, puis la souveraineté économique dans un environnement mondial assez lisible, aujourd’hui, la liste des challenges à relever et des écueils à surmonter donnerait des sueurs froides aux plus valeureux ou aux plus téméraires d’entre eux, fussent-ils de la trempe d’un Thomas Sankara, d’un Nelson Mandela ou d’un Lee Kuan Yew.

Processus électoraux contestés ou contestables

Effets de la globalisation, révolution numérique, dérèglement climatique, aspiration croissante d’une jeunesse de plus en plus nombreuse, nécessité pour le continent de trouver sa place dans le monde, terrorisme, soif de changement des populations… Dans un contexte toujours plus mouvant : tout va plus vite, tout est plus « transparent ». L’émergence et la toute-puissance des réseaux sociaux, caisse de résonance, tribunal populaire et miroir déformant, sont un fer aux pieds supplémentaire pour ceux qui président à nos destinées.

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NOS PAYS ONT-ILS VOCATION À SE CONTENTER DE SI PEU, ALORS QUE LEUR POTENTIEL EST IMMENSE ?

Il n’empêche, plus de soixante ans après les indépendances, il est hélas toujours question de construire des États et des nations qui répondent aux besoins de leurs citoyens. Tout comme d’élaborer un nouveau mode de gouvernance (et de dévolution du pouvoir) qui fasse consensus, sans lequel la démocratisation lancée depuis les années 1990 aura bien du mal à prendre racine. Il suffit d’égrener le nombre de processus électoraux contestés ou contestables pour mesurer l’urgence.

Le continent est-il condamné à subir, ad vitam æternam, des politiciens dépourvus de vision, de légitimité et des qualifications requises ? Des dirigeants qui, par ailleurs, s’escriment à ne pas laisser de nouveaux talents émerger de crainte qu’ils ne leur fassent de l’ombre, alors que l’essence même du leadership consiste à préparer l’avenir et à faire en sorte que ce qui a été mis en place survive aux hommes qui en sont à l’origine. Nos pays ont-ils vocation à se contenter de si peu, alors que leur potentiel est immense ?

Retards effrayants

Évidemment non, n’en déplaise aux chantres d’une Afrique folklorique mais ontologiquement immobile ou qui rechignerait à « entrer dans l’Histoire », comme diraient certains… Ceux qui nous gouvernent devraient avoir une seule priorité : bâtir enfin des économies modernes et susceptibles de créer suffisamment d’emplois pour le nombre croissant de jeunes en quête d’un avenir qui arrivent chaque année sur le marché du travail (ils seront près de 800 millions à l’horizon 2050), en veillant à une meilleure répartition des richesses, dans le cadre d’un État nation (et de droit) fort, seul à même de garantir la préservation de l’intérêt général sur le long terme, qui se préoccupe pleinement de l’éducation, de la formation, de la santé et de la sécurité de la population. Une gageure, certes, tant les retards accumulés dans tous ces domaines semblent effrayants. Mais c’est la seule voie raisonnable possible. L’Afrique de papa a vécu.

Vera Songwe (CEA) : « Le vrai New Deal pour l’Afrique, c’est la Zlecaf »

| Par 
Mis à jour le 28 juin 2021 à 10h21
Depuis 2017, Vera Songwe dirige la Commission économique pour l’Afrique. Ici, lors d’une interview en décembre 2015 à Dakar. Elle était alors directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest du Centre de la société Financière Internationale (IFC)
Depuis 2017, Vera Songwe dirige la Commission économique pour l'Afrique.
Ici, lors d'une interview en décembre 2015 à Dakar. Elle était alors directrice régionale pour l'Afrique de l'Ouest du Centre
de la société Financière Internationale (IFC) © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

L’économiste camerounaise, secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), appelle la communauté internationale à accélérer sur le financement de la relance africaine et le continent à booster sa zone de libre-échange.

Dette, relance économique, vaccins contre le Covid-19, commerce intra-africain… La patronne de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), institution panafricaine rattachée à l’Organisation des Nations Unies (ONU), est de toutes les discussions continentales.

Après vingt ans au sein de la Banque mondiale (BM), l’économiste camerounaise formée aux États-Unis et en Belgique, a succédé en 2017 au Bissau-guinéen Carlos Lopes à la tête de la CEA. Moins clivante que son prédécesseur, connu pour ses prises de positions multiples et hétérodoxes sur les relations économiques entre l’Afrique et ses partenaires, Vera Songwe n’en a pas moins imprimé sa marque. Née à Nairobi au Kenya mais ayant grandi dans la région anglophone du Nord-Ouest du Cameroun, la quinquagénaire a placé la lutte contre la pauvreté autant que la fiscalité au cœur du développement du continent.

Super-négociatrice sur la dette de l’Union africaine – aux côtés du Franco-Ivoirien Tidjane Thiam, de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, du Rwandais Donald Kaberuka, du Sud-Africain Trevor Manuel et de l’Algérien Abderrahmane Benkhalfa, elle est aussi consultée par le Conseil sur l’économie de la santé pour tous de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Pour Jeune Afrique, elle détaille depuis Addis-Abeba les enjeux de la reprise économique du continent, pariant plus que jamais sur le rôle moteur de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

Jeune Afrique : Mi-mai, le sommet sur le financement des économies africaines a acté l’utilisation d’un double mécanisme pour apporter de l’argent frais au continent. À savoir : une nouvelle émission de droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI) et une réallocation d’une partie de ces droits des pays développés vers le continent. Depuis, on a l’impression que le processus cale. Où en est-on ?

Vera Songwe : Concernant la nouvelle émission de DTS du FMI, j’aimerais moi aussi voir les choses avancer plus vite. Je rappelle que c’est une idée que la CEA et nombre de personnalités africaines défendent depuis mars 2020. Alors que la précédente administration américaine n’y était pas favorable, l’actuelle y souscrit et le G7 aussi. On parle d’un montant de 650 milliards de dollars et les quote-part de chacun sont connues – 71 milliards pour les États-Unis, 32 pour la Chine, 31 pour la France et autant pour l’Allemagne, 33 pour l’Afrique. Il n’y a pas de raison de tarder davantage…

Pour revenir sur le deuxième volet, la réallocation des DTS en faveur du continent, seuls la France et le Portugal ont pour l’heure annoncé leur participation. Vous y croyez ?

Il le faut et nous y travaillons. Ce mécanisme a déjà été utilisé par le passé, notamment pour abonder un dispositif du FMI à destination des pays à faible revenu, le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance. C’est un excellent moyen pour l’Afrique, qui a besoin de financer sa reprise post-Covid, de bénéficier de prêts en utilisant des fonds en provenance de pays développés qui ont, eux, déjà amorcé leur relance via des émissions de leur banque centrale et n’ont donc pas besoin des DTS. Ce sera l’une des grandes discussions de 2022.

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IL N’Y A PAS QUE LES DETTES CHINOISES QUI SOIENT DISCUTABLES

Autre sujet de négociations au long cours, la dette africaine. Alors qu’un cadre commun a été adopté pour la restructuration des créances publiques, on attend toujours des avancées sur le traitement de l’endettement contracté auprès du secteur privé. Quel est l’enjeu pour le continent ?

Ces créances privées, qui comptent pour 40% de la dette africaine, se présentent principalement sous la forme d’eurobonds et de crédits à l’export octroyés par des banques commerciales. Ces dettes sont calibrées de façon différente d’un créancier à l’autre, d’un débiteur à l’autre. Il faut davantage de transparence si on veut pouvoir les traiter de façon globale. Cet exercice doit conduire chaque pays à passer en revue ses créances et à revoir les conditions de certains contrats, trop onéreux, qui ne sont pas acceptables.

Vous faites référence à la dette chinoise souvent critiquée pour son opacité ?

Pas seulement. Il y a aussi des dettes françaises, anglaises, et d’autres nationalités encore, qui sont discutables – même si, en volume, elles demeurent plus modestes que les créances chinoises. Il est encore très difficile d’établir une totale traçabilité de la dette des acteurs issus de l’OCDE, par exemple.

L’enjeu n’est pas de désigner des bouc-émissaires mais bien d’assurer la plus grande transparence possible. Sur ce point, la Banque mondiale (BM) et le FMI montrent l’exemple, la première en ayant créé une plateforme dédiée, le second en publiant régulièrement des données sur le sujet.

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CES GRANDS PAYS DU CONTINENT POURRAIENT ÊTRE TENTÉS PAR LE DUMPING

La CEA est aussi très engagée en faveur du commerce africain et intra-africain. Quel a été l’impact de la pandémie sur les échanges ?

Sans surprise, la pandémie a eu un impact négatif sur les exportations du continent. Après avoir fortement reculé, elles n’ont toujours pas repris leur rythme d’avant la crise, à l’opposé de ce que l’on observe en Chine et aux États-Unis. En revanche, l’effet sur le commerce intra-africain semble avoir été positif, avec une hausse des échanges liée au resserrement géographique des chaînes de valeur.

La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est entrée en vigueur en début d’année dans un contexte des plus difficiles, en pleine période de pandémie et de fermeture de frontières. Quel bilan tirez-vous de ses premiers mois d’existence ?

On ne peut que féliciter les chefs d’État et de gouvernement pour leur ténacité surtout dans un environnement aussi compliqué. Malgré les difficultés créées par le Covid-19, les négociations se sont poursuivies et nous sommes parvenus à un accord sur les règles d’origine dans des secteurs où il y avait des réticences, dont la pêche, l’automobile et le textile.

En parallèle, 86% des lignes tarifaires ont été approuvées (pour un objectif de 90%), correspondant au groupe principal de barrières douanières à abolir. Il y a aussi eu des progrès dans l’harmonisation des services de douane transfrontaliers quand les initiatives pour produire localement des vaccins favorisent les échanges locaux.

L’un des points qui restent à régler concerne les grands acteurs économiques du continent – l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc – qui, produisant nombre de biens à moindre coût que leurs voisins, pourraient être tentés par le dumping.

Quel rôle est censé jouer la Zlecaf dans la relance économique ?

On entend parler de plan Marshall, de New Deal pour le continent, etc. En réalité, notre recette pour la sortie de crise et même notre plan de développement à quinze ans, c’est la Zlecaf ! C’est la clé de l’essor du commerce intra-régional et d’une croissance verte, mais aussi des infrastructures, des nouvelles technologies, de la logistique et des échanges. C’est elle qui va permettre de créer des « Amazon » partout sur le continent.