Odile Renaud-Basso (BERD) : « En Afrique, le potentiel du financement vert
est extrêmement important »

20 mai 2021 à 10h30 | Par 

Mis à jour le 21 mai 2021 à 10h39
Odile Renaud-Basso est la présidente de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD).

Odile Renaud-Basso est la présidente de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). © World Bank/Flickr/Licence CC

Sommet de Paris, ouverture au sud du Sahara, ambitions climatiques… Odile Renaud-Basso, patronne de la puissante banque multilatérale, dévoile ses priorités sur le continent.

Une enveloppe de 300 millions d’euros pour soutenir les infrastructures au Maroc durant la crise sanitaire (électricité, eau, aéroports, autoroutes), un montant équivalent en faveur de la STEG en Tunisie pour garantir la stabilité énergétique… Derrière ces budgets, un bailleur commun : la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD).

Depuis sa création en 1991,  après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union soviétique, la banque multilatérale de développement a élargi son périmètre d’action depuis l’Europe de l’Est jusqu’à une grande partie du bassin méditerranéen.

La banque compte 71 pays actionnaires, bientôt 72 avec l’Algérie dont elle a validé l’adhésion il y a un an. Elle est présente dans trois pays africains depuis 2012 : l’Égypte, le Maroc et la Tunisie. Ensemble, avec le Liban, la Jordanie, la Cisjordanie et Gaza, ils forment la région Semed (Méditerranée méridionale et orientale), au sein de laquelle 14 milliards d’euros ont été déployés depuis le début de la dernière décennie.

En 2019, la BERD a approuvé plus de 450 projets à travers l’ensemble de ses pays d’opérations d’une valeur totale de 35 milliards d’euros, pour un investissement propre de la banque d’environ 10 milliards d’euros.

Pour Odile Renaud-Basso, ancienne directrice générale du Trésor français aux commandes de la banque multilatérale depuis novembre 2020, la montée en puissance de la BERD en Afrique est exponentielle. Interrogée par Jeune Afrique, à quelques jours du sommet sur les économies africaines organisé à Paris à l’initiative d’Emmanuel Macron, le 18 mai, elle détaille la stratégie de la BERD sur le continent.

Jeune Afrique : Quels sont les attendus du sommet sur les économies africaines organisé à Paris le 18 mai, et quel est le rôle de la BERD à proprement parler ?

Odile Renaud-Basso : Ce sommet, lié à la crise du Covid-19, vise à porter l’attention des chefs d’État et des responsables des institutions internationales (FMI, Banque mondiale, G20…) sur l’impact de cette crise en Afrique et la réponse à apporter.

À court terme, sera abordée la question de l’accès aux vaccins et de comment accroître les capacités de production et de déploiement des vaccins. Une condition importante aujourd’hui, je pense, pour soutenir la croissance et développer la capacité de rebond des économies, y compris dans les pays d’Afrique du Nord où l’on investit.

Et puis sur le long terme, nous allons nous interroger sur la manière d’aider les économies africaines à renouer avec le développement et la croissance gagnés avant la crise. Notamment avec la question spécifique pour certains pays de la dette et la mise en œuvre de l’initiative sur les droits de tirage spéciaux (FMI).

Enfin, un troisième volet sur le secteur privé – dans lequel la BERD sera impliquée comme ses partenaires IFC ou encore la BAD -, concernera la mobilisation du privé pour le financement des économies africaines, les enjeux de développement et le climat.

Sur le continent africain, la BERD apporte aujourd’hui son soutien à l’Afrique du Nord, parmi un ensemble de pays du bassin méditerranéen (Semed). Quelles sont ses actions concrètes dans la zone ?

Dans cette région qui représente six pays et 300 projets, la montée en puissance a été assez rapide, puisque globalement nous y avons réalisé 14 milliards d’euros d’investissements depuis 2012.

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75 % DE NOS FINANCEMENTS DOIVENT ÊTRE RÉALISÉS DANS LE SECTEUR PRIVÉ

La BERD est très présente sur le terrain : un tiers de nos équipes sont dans les pays d’opération, avec une part importante de recrutements locaux. Et nous sommes à la fois présents dans les capitales, les principaux centres économiques et les villes secondaires. Par exemple au Maroc, la BERD dispose de bureaux à Casablanca, à Agadir et à Tanger, ce qui permet de développer de petits projets à côté de projets plus importants.

Nos terrains d’opération sont essentiellement le développement du secteur privé, le soutien financier aux PME et la mise en place de facilités en matière d’infrastructures, ainsi que l’accompagnement des réformes. L’objectif fixé par nos actionnaires est que 75 % de nos financements soient réalisés dans le secteur privé.

Où en êtes-vous des discussions pour étendre votre action à l’Afrique subsaharienne ?

Le débat remonte à 2018. Mais effectivement, l’année dernière, lors de l’assemblée annuelle en octobre, les actionnaires ont intégré cette question au plan stratégique de la BERD.

Aucune décision n’a été prise mais nous avons un calendrier très progressif qui souligne l’avancée de nos préparations en 2021, pour parvenir – potentiellement – à une décision du conseil d’administration en 2022.  Il y a une demande particulière des membres de notre institution pour évaluer les secteurs où l’on pourrait apporter notre expertise et notre valeur ajoutée au Sud du Sahara.

Vue aérienne de la station thermo-solaire Noor à Ouarzazate, dans le sud du Maroc © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Hormis la question de l’Afrique subsaharienne, quelles sont les grandes lignes de votre stratégie qui seront abordés lors de l’assemblée annuelle de la BERD fin juin-début juillet ?

O. R.-B.: Le principal sujet va définitivement être celui du climat, et de comment la banque renforce son action en faveur du climat. Nous avons en effet défini l’année dernière, un objectif de 50 % de financements verts, pour l’ensemble de nos projets, d’ici à 2025.

Cette année, nous allons réfléchir à la manière d’atteindre ce résultat dans un contexte post-Covid. Et plus généralement, nous allons proposer à nos actionnaires l’alignement complet de nos objectifs avec l’Accord de Paris, dans la perspective de la COP26.

La thématique est cruciale, notamment en Afrique où le potentiel est extrêmement important : la désalinisation de l’eau en Égypte, le solaire au Maroc… Nous avons déjà réalisé plusieurs investissements en ce sens et nous allons continuer.

Entre la BERD et la BEI, les financements en provenance de l’Europe peuvent sembler peu lisibles. Où en sont les travaux pour la mise en place d’un programme commun entre les deux institutions ?

O. R.-B. : Les États membres vont devoir se prononcer très prochainement. Et la tendance est plutôt de conserver les deux banques de développement.

La Banque européenne d’investissement et la BERD sont fondamentalement deux instances de financement différentes. La BEI est une institution purement communautaire, donc seuls les 27 États membres de l’Union européenne sont actionnaires.

La BERD, quant à elle, est une institution majoritairement européenne mais multilatérale. Son capital est beaucoup plus élargi, au G7 par exemple et à d’autres pays membres.

C’est une caractéristique essentielle parce que cela veut dire que les membres sont directement associés aux décisions stratégiques concernant la banque. Ce qui permet d’aligner nos priorités avec celles des pays directement concernés par la mise en œuvre de tel ou tel financement.