Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Sénégal : le dernier combat des Wade

Mis à jour le 22 octobre 2021 à 10:35


Abdoulaye Wade, à Dakar, le 10 juillet 2017. © SEYLLOU/AFP

Le fils est exilé au Qatar, le père retiré dans sa résidence versaillaise. Officiellement, pourtant, Karim et Abdoulaye dirigent ensemble le Parti démocratique sénégalais (PDS). Mais avec quelle stratégie, et dans quel but ?

Après une telle carrière politique, que peut-on encore désirer ? Ténor du barreau reconverti en opposant acharné, il est le premier à avoir réussi l’exploit de mener son pays à l’alternance démocratique, en 2000. Chef de l’État pendant une décennie, il a même su faire oublier sa tentative avortée de conserver le pouvoir au-delà du temps imparti. Patriarche respecté, monstre politique, Abdoulaye Wade a-t-il déposé les gants ? Ou joue-t-il, depuis sa résidence versaillaise, la dernière manche d’une interminable partie ?

En juillet 2020, Gorgui (« le Vieux ») taillait à Karim Wade un parti à son image. Propulsant son fils secrétaire-général adjoint du Parti démocratique sénégalais (PDS), il en faisait le numéro trois. Aujourd’hui, travaille-t-il encore à le faire revenir au Sénégal, après cinq ans d’exil au Qatar, au risque de nuire aux intérêts de la formation qu’il a fondée il y a presque un demi-siècle ?

Le 2 septembre dernier, le PDS s’est retiré avec fracas de la coalition censée faire front commun face à Macky Sall lors du scrutin municipal du 23 janvier prochain. Une décision officiellement prise à la suite de désaccords avec le Pastef, le parti d’Ousmane Sonko. Mais la stratégie d’Abdoulaye Wade interroge. « Cela semble insensé que l’opposition éclate à ce stade, soupire un membre de la coalition. Wade est le plus expérimenté d’entre nous. Ce n’est pas à lui que l’on va apprendre à faire de la politique. Il sait bien ce que son départ aura comme conséquence. »

Tous rechignent à critiquer ouvertement le patriarche mais, en coulisses, ils s’étonnent que le PDS, pour la deuxième fois consécutive après les législatives de 2017, fasse voler en éclat la perspective d’une alliance. Ils espéraient profiter de ce scrutin local pour déstabiliser Macky Sall puis renverser la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale lors des législatives prévues en juillet 2022. « On pourrait penser que pour réhabiliter son fils, il aurait intérêt à fragiliser Macky Sall, ajoute ce responsable politique. Mais, comme en 2019, il a choisi la voie inverse. »

Un parti isolé

La stratégie jusqu’au-boutiste d’Abdoulaye Wade qui, faute d’avoir pu imposer la candidature de son fils, avait appelé au boycott de la dernière présidentielle, continue de susciter le trouble. « C’est un homme qui ne veut rien faire comme les autres, explique l’un de ses alliés historiques. Il adore se singulariser. » Au risque de s’exclure ? Pour cet opposant, le constat est sans appel : « Le PDS n’existe plus sur l’échiquier politique depuis 2019. »

AU PDS, « C’EST UN PEU KARIM PROPOSE, WADE DISPOSE »

Ces trois dernières années, le parti s’est en effet isolé. D’autant que ni son président-fondateur ni l’héritier de ce dernier ne résident dans le même pays. Abdoulaye Wade, de retour à Dakar en février 2019, a finalement rejoint son épouse en banlieue parisienne en 2021. Depuis sa retraite versaillaise, il continue de suivre avec attention la stratégie de son parti. C’est du moins le message que veulent faire passer ses proches. Ils assurent d’ailleurs qu’il rentrera bientôt au Sénégal – au début de l’année prochaine, pour le début de la campagne électorale.

En attendant, le parti bleu et jaune s’affaire autour d’une stratégie en trois axes : réorganisation, mobilisation, retour du candidat. Une source au sein du groupe précise que les instances ont été refondées, que la vente de cartes a été lancée (avec l’espoir d’une adhésion « massive de karimistes ») et que priorité est donnée à la préparation des locales. Comme au bon vieux temps, le PDS a finalement reconstitué autour de lui une coalition, Wallu Sénégal, avec laquelle il s’apprête à aller aux élections. S’y retrouvent l’ancien libéral Pape Diop pour la Convergence libérale et démocratique Bokk Gis Gis (BGG), le député Mamadou Diop Decroix pour And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ-PADS), le Congrès de la renaissance démocratique (CRD) d’Abdoul Mbaye et Mamadou Lamine Diallo, et la coalition Jotna, ancienne alliée d’Ousmane Sonko.

Quant à Karim Wade, il reste « au cœur de toutes les discussions », assure Cheikh Dieng, l’un des onze secrétaires-généraux adjoints du parti. Le fils du patron, promu au rang de « chargé de l’organisation, de la modernisation et de l’élaboration des stratégies politiques », discute quotidiennement avec les responsables de la formation. Au PDS, « c’est un peu Karim propose, Wade dispose », à en croire certains cadres du parti, où l’on assure que les décisions finales reviennent toujours au patriarche.

Fonctionnement rigide

Mais hors du parti, beaucoup estiment que c’est Karim Wade qui tire les ficelles depuis Doha. « Les choses sont d’ailleurs difficiles, glisse un membre de Wallu Sénégal. Le fonctionnement est très rigide. Mayoro Faye [mandaté pour représenter le PDS au sein de la coalition] vient aux réunions en apportant un point de vue dont il ne peut pas se défaire. Au moindre changement, il doit en référer à la hiérarchie. Cela complique les discussions. »

De quoi provoquer quelques tensions. « Ils [le PDS] pensent que c’est à eux de porter la liste, mais ça n’arrivera pas », ajoute cet opposant. En juillet 2017 déjà, les ambitions du parti libéral, qui voulait placer l’un de ses cadres en tête, avait porté les premiers coups au front uni. Il s’est heurté à la volonté de Khalifa Sall, emprisonné mais encore éligible, de mener l’opposition aux législatives. Incapable de s’entendre, les deux partis étaient finalement partis séparément aux élections. Le PDS n’avait récolté que 16,7 % des voix, devenant certes le premier groupe d’opposition à l’Assemblée, mais loin derrière les 49 % de voix remportées par la majorité de Macky Sall.

Aujourd’hui encore, il semble vouloir s’imposer au sein de sa coalition. Mais serait-ce si illégitime ? « Le PDS est un formidable appareil politique, présent dans toutes les communes du Sénégal, énumère l’un de ses alliés. Et les militants de Wade sont comme ses talibés, ses disciples. Pour eux, c’est Wade, un point c’est tout. » Le fils pourrait-il prendre la place du père ? « Nous avions accepté Karim parce que c’est l’aîné de Wade, notre père à tous. Mais les deux hommes sont très différents », lâche un ancien cadre du PDS.

A-t-il fait faux bond ?

De ministre « du Ciel et de la Terre », honni sous la présidence de son père à « prisonnier politique » à la popularité boostée, Karim Wade est devenu le candidat mystère. Celui dont tout le monde parle mais que personne ne voit. L’obstination d’Abdoulaye Wade à en faire son unique héritier et son seul candidat pour 2019 a déjà provoqué l’implosion du parti et le départ de plusieurs de ses cadres.

Les adversaires de Karim Wade ont fait de lui la cause du « dépérissement progressif » du PDS. Ils ne lui ont pas pardonné de ne pas être venu au Sénégal pour déposer sa candidature en 2019, l’accusant d’avoir fait « faux bond » aux militants et tourné le dos à ses responsabilités. Un rendez-vous manqué qui aurait pris même Abdoulaye Wade de court, glissent certains d’entre eux. Fatigué de se quereller avec son aîné, le patriarche aurait néanmoins jeté l’éponge, lui abandonnant la gestion du parti.

L’AMNISTIE DE KARIM EST LE DERNIER COMBAT D’ABDOULAYE

« Il n’y a pas d’alternative [à Karim], assure Cheikh Dieng. Nous allons nous organiser pour qu’il revienne. » Ses proches, qui le disent « combatif » et « extrêmement confiant », continuent de réclamer la révision du procès au terme duquel il a été condamné à six ans de prison pour enrichissement illicite. Et rappellent que les décisions de justice du Sénégal le concernant ont été à de nombreuses reprises désavouées par d’autres juridictions. Dernier exemple en date, la justice monégasque déboutait le 14 octobre dernier l’État sénégalais d’une demande visant à saisir certains de ses comptes à Monaco.

« Si Macky Sall acceptait, Karim Wade serait de retour demain au Sénégal », promet le secrétaire-général adjoint. Pas question en revanche d’envisager un retour si cette condition n’est pas remplie, car l’exilé est toujours sous le coup d’une contrainte par corps, qui pourrait le renvoyer directement à la prison de Rebeuss. « Il nous est plus utile libre que dans les geôles de Macky Sall », ajoute Cheikh Dieng.

« L’amnistie de Karim est le dernier combat d’Abdoulaye », veut croire un membre de la coalition adverse. L’ancien président aura officiellement 98 ans en 2024, date de la prochaine élection présidentielle. Celui que Léopold Sédar Senghor lui-même avait surnommé Ndiombor (le lièvre, le futé) a plus d’un tour dans son sac. Dans les rangs de son parti, on laisse entendre que tout n’est pas perdu pour faire revenir Karim. Mais qui croit encore à sa venue, tant de fois annoncée ?

« Nous sommes longtemps restés pour Abdoulaye Wade », ajoute un ancien proche du président, évoquant une décision plus « sentimentale » que politique. « Wade a la peau dure, poursuit notre interlocuteur. Mais aujourd’hui, il est presque centenaire et il ne fait pas de doute que sans lui, il n’y a plus de PDS. »

Mali: le gouvernement veut négocier, les jihadistes accepteront-ils?

Un oued dans le massif du Tigharghar.

Un oued dans le massif du Tigharghar.
 Photo RFI / Guillaume Thibault

Au Mali, l’information fait grand bruit depuis le début de la semaine, le gouvernement de transition a donné mandat au Haut conseil islamique pour amorcer un dialogue avec les groupes jihadistes maliens qui sévissent dans le pays. Le Jnim (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans) d’Iyad Ag Ghaly, et la Katiba Macina d’Amadou Koufa, qui en est une composante. Il ne s’agit pour l’instant que d’une « mission de bons offices » qui doit établir le contact. L’objectif final, c’est de trouver des positions communes pour mettre un terme aux attaques et aux combats qui ensanglantent le pays depuis près de dix ans. Si cette option du dialogue pose de nombreuses questions, notamment sur les contours envisageables d’un tel accord, la première des questions qui se pose est la suivante : les groupes jihadistes sont-ils prêts à entamer de telles discussions ?

Ni la Katiba Macina, ni le Jnim, ni Aqmi, leur maison-mère, n’ont encore réagi officiellement.

Plusieurs éléments incitent à croire qu’ils peuvent accueillir favorablement l’offre de dialogue du gouvernement malien. D’abord parce que des contacts sont régulièrement, et de longue date, établis, notamment lorsqu’il s’agit de faire libérer des otages. 

C’était le cas il y a un an, lors de la libération de Soumaïla Cissé, de Sophie Pétronin et de deux Italiens. Les services maliens de renseignement étaient alors en contact direct avec des cadres du Jnim, en particulier Seidane Ag Hitta, l’un des lieutenants d’Iyad Ag Ghaly. 

Au début du mois, c’est la religieuse colombienne Sœur Gloria qui a été libérée et, cette semaine encore, le Premier ministre Choguel Maïga a affirmé que des discussions étaient menées actuellement pour les otages toujours détenus.  

Mais il ne s’agit là que de négociations ponctuelles, sur un point précis, avec un objet de discussion unique et bien délimité, pas de pourparlers devant définir les différents moyens d’établir la paix à long terme.

Le précédent Niono

De telles négociations existent pourtant déjà, à l’échelle locale : dans le cercle de Niono, le Haut conseil islamique a obtenu en mars dernier un accord de cessez-le-feu inédit avec les combattants de la Katiba Macina. 

Accord fragile, il a été rompu et de nouvelles discussions peinent à le remettre sur pied, mais qui n’aurait pas été possible sans l’aval de la hiérarchie de ces combattants : Amadou Koufa, pour la Katiba Macina, et au-dessus de lui Iyad Ag Ghaly, pour le Jnim. 

Préalable de taille

Ces chefs jihadistes accepteront-ils d’amorcer au niveau national ce qu’ils ont tenté localement ? Dans un communiqué de mars 2020, le Jnim envisage sérieusement cette possibilité, mais pose un préalable de taille : que les soldats français et les Casques bleus de la Minusma quittent le Mali. Une manière d’ouvrir et de fermer la porte dans le même temps.

Aujourd’hui encore, en dépit des fortes tensions diplomatiques accumulées depuis le coup d’État militaire d’août 2020 et qui n’ont cessé de se renforcer ces dernières semaines, entre Bamako et la communauté internationale, les autorités de transition ont jusqu’ici rappelé leur volonté de poursuivre leur coopération avec la France et avec tous leurs partenaires.  

Rapport de force

Enfin, les groupes jihadistes ne sont actuellement pas en position de faiblesse sur le terrain. S’ils subissent régulièrement des pertes, leur présence -dans le centre du Mali- notamment ne cesse de se renforcer, certaines parties du territoire passant même sous leur contrôle.

Le ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop a d’ailleurs invoqué la semaine dernière la situation sécuritaire pour justifier un éventuel report des élections censées marquer la fin de la Transition.

Pas sûr donc que ces groupes trouvent leur intérêt à ouvrir aujourd’hui des négociations de paix. À moins qu’ils ne profitent de l’actuel rapport de force pour tenter d’imposer au maximum leurs conditions.

Les veuves de militaires veulent négocier avec les jihadistes 

Tout juste cent militaires maliens ont été tués dans des attaques terroristes pour le seul premier trimestre de cette année, selon les chiffres de la Mission des Nations unies dans le pays, Minusma. Leur nombre total n’a pas pu être indiqué par l’armée, mais les convois militaires, les casernes et les postes de gendarmerie sont des cibles privilégiées des groupes terroristes.

Dans la ville-garnison de Kati, Djeneba Keita préside la Fedavem, qui rassemble les associations des veuves de militaires : « Le fait de négocier avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa est une très bonne chose. On a perdu nos maris, on a perdu beaucoup d’enfants, dans cette guerre asymétrique (terroriste, ndlr). Trop de tueries, il faut que ça cesse maintenant. » 

De telles négociations portent par nature le risque de l’impunité, des combattants jihadistes responsables d’attaques meurtrières pouvant être amenés à bénéficier d’amnistie. Mais pour Djeneba Keita, ce n’est pas un obstacle : « Non, je n’ai pas peur ce ça. Les jihadistes sont nos parents aussi (ils sont Maliens, ndlr). Eux ils meurent, nous aussi nous mourons… Ce qui est fait est fait. Nous pardonnons. Dieu est grand, et Dieu est là pour nous tous. » 

La représentante des veuves de militaires maliens indique même sa disponibilité pour participer aux négociations.

Mali : pour un nouvel âge d’or de la démocratie

Mis à jour le 17 octobre 2021 à 17:54

Modibo Seydou Sidibé

Par Modibo Seydou Sidibé

Professeur d'économie à la Duke University (États-Unis)



Décompte des voix à Kidal, en juillet 2013 © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Les élections présidentielle et législatives qui doivent marquer la fin de la transition sont toujours prévues en février 2022. Mais, pour avoir un réel espoir de sortir le Mali de la crise, le processus électoral doit être modernisé.

Que ce soit en Turquie, en Russie, en Guinée ou, dans une moindre mesure, aux États-Unis, les idéaux démocratiques sont en net recul. Confrontée à la dure réalité de crises multiples, la démocratie est devenue la victime expiatoire du mécontentement des populations. Au Mali, une décennie marquée par trois coups d’État s’achève. Des coups de force suivis de transitions censées remettre sur les rails une démocratie jadis citée en exemple.

Une démocratie devenue spécialiste dans l’art des diagnostics à répétition, qui s’apprête à organiser les Assises nationales de la refondation, après les Concertations nationales en 2020 et le Dialogue national inclusif en 2019. Inapte à répondre à des problèmes récurrents, qui cristallise les peurs et a érigé une « république des privilèges » en réponse aux demandes de justice sociale. Incapable d’apporter des solutions politiques à une guerre dont les pertes civiles et militaires ne se comptent plus, et qui menace d’embraser toute la région sahélienne.

Espoir de renouveau

L’espoir de renouveau réside dans les prochaines élections, fixées en février 2022, qui devront permettre d’élire une nouvelle figure pour présider aux destinées d’une nation minée par les divisions. Malgré la nature titanesque du chantier, les candidatures ne manquent pas, mais est-ce vraiment la question?

LE MALI EST EN TRAIN DE MANQUER UNE OPPORTUNITÉ DE RENFORCER LA DÉMOCRATIE EN LA RENDANT PLUS INCLUSIVE

Il s’agit désormais d’éviter le scénario de 2013, où une transition a mené à l’élection d’un président qui, de l’avis général, aura conduit le pays au désastre. À Bamako, le débat s’est mué en une bataille entre partisans et détracteurs de l’Organe unique de gestion des élections, dont la genèse remonte pourtant à un rapport de 2008. Au pied du mur, l’ensemble des acteurs semblent s’accorder sur la nécessité d’une structure unique qui regrouperait les compétences aujourd’hui éparpillées entre la Délégation générale aux élections, la Commission électorale nationale indépendante et le ministère de l’Administration territoriale.

Les craintes portent sur les lourdeurs administratives. Face à cette situation, le gouvernement semble contraint de proroger la transition afin d’organiser des élections plus crédibles. Si on ne peut que louer cette volonté du gouvernement, elle aboutit à de nouvelles incertitudes sur l’issue d’une transition qui a déjà connu un «coup dans le coup » et tarde à concrétiser les espoirs qu’elle avait suscités. Pis encore, le Mali est en train de manquer une opportunité de renforcer la démocratie en la rendant plus inclusive et, en définitive, d’éviter que les dirigeants changent et que les problèmes de fond demeurent.

Confiance ébranlée

En premier lieu, les élections au Mali ne mobilisent que très peu. Le taux de participation, indicateur clé de la vitalité d’une démocratie, est en baisse – de plus de 65 % en 2002 à moins 35 % en 2018. Ainsi, sur les 8 millions d’électeurs inscrits sur les listes, seuls 2,6 millions se sont déplacés aux urnes lors du premier tour des dernières présidentielles. Pire encore, dans un pays de plus de vingt millions d’habitants, le dernier chef de l’État a été élu avec moins de 1,8 millions de suffrages. En cause : des problèmes logistiques dans la distribution des cartes d’électeur, des difficultés d’identification des bureaux de vote et un niveau élevé de migration interne.

LA RÉCURRENCE DES COUPS D’ÉTAT S’EXPLIQUE PAR LE MANQUE DE REPRÉSENTATIVITÉ ET DE LÉGITIMÉ DES DIRIGEANTS

L’incapacité des partis à mobiliser traduit aussi un profond mal-être. Au Mali, plus de 200 formations politiques nourrissent principalement l’ambition d’un homme – dont le culte remplace tout projet politique. Difficile dans ces conditions de mobiliser, à moins de s’allier avec des chefs religieux ou de promettre un billet. La faillite démocratique a conduit au rejet d’un système qui accouche d’élus sans assise électorale et pose les jalons d’une gouvernance instable où la moindre crise sérieuse peut avoir raison des gouvernants. Il ne faut pas chercher plus loin les raisons de la récurrence des coups d’État, que dans le manque de représentativité et de légitimé des dirigeants.

Les récentes scènes de liesse à Conakry nous rappellent que cette tare de la démocratie est commune à une grande partie de l’Afrique. Ensuite, en dépit d’un code électoral basé sur un consensus de l’ensemble de la classe politique, les acteurs ont une très faible confiance dans le système électoral. En abandonnant le terrain des idées, la classe politique investit plus dans la recherche et l’exploitation de toutes les défaillances du processus électoral. Ainsi, dans un pays où la tradition de l’alternance démocratique n’est pas bien établie, les concessions sont rares et les élections ne sont perdues que parce que « les autres » ont triché. Lorsque l’adversaire politique n’est qu’autre qu’un dirigeant sortant, la suspicion atteint son paroxysme.

De plus, la confiance est ébranlée par les défaillances du fichier électoral. Devant l’impossibilité d’organiser un recensement général de la population depuis 2009, les différentes élections ont utilisé les fichiers de l’état civil. Malgré des progrès significatifs réalisés au cours des dernières années, trop peu de décès sont encore formellement notifiés. Il en résulte des listes électorales truffées de « morts-votants ».

Des vote par « robocalls »

La possibilité de voir des agents électoraux employés par l’État ayant accès aux cartes d’électeurs potentiellement décédés au cour d’une procédure très manuelle de vote, dépouillement, et décompte des suffrages pose les germes des conflits post-électoraux. Enfin, on l’oublierait presque, mais le Mali est un pays en guerre, où l’État est absent de la quasi-totalité des localités du Centre et du Nord – souvent depuis plus de neuf ans. Dans des zones où les lieux de vote traditionnels (écoles, tribunaux) ont fermé, l’administration (préfets et sous-préfets) n’exerce plus.

Un scrutin comme en 2018, qui exclurait les citoyens les plus avides de changement, ceux-là mêmes qui souffrent le plus de l’incapacité de l’État à assurer ses fonctions régaliennes, servirait de leitmotiv à toutes les factions qui militent pour une partition du pays. Alors que faire ?

Pour relever ces défis, le Mali peut décider d’entrer dans la modernité par la grande porte et organiser les premiers scrutins utilisant la téléphonie mobile comme vecteur de vote. Fort d’un taux de pénétration de plus de 97 %, la téléphonie mobile est devenue une part intégrante de la vie des Maliens. Si le taux d’alphabétisation ne permet pas de considérer des solutions basées sur des applications ou la messagerie, il est possible de mettre en place des« robocalls », appels automatisés vers tous les votants afin de récolter leurs suffrages. Pour être clair, il s’agit d’appeler des électeurs et non des numéros de téléphone, ce qui implique de relier chaque électeur à ses numéros de téléphone. Ce mode de scrutin aurait l’avantage d’atteindre une plus grande partie de la population, serait accessible sur l’ensemble du territoire, et rendrait le vote plus pratique en éliminant les contrariétés liées à la recherche d’un bureau de vote et aux files d’attente.

IL FAUDRA AU MOINS UNE GÉNÉRATION POUR MENER À BIEN TOUTES LES RÉFORMES NÉCESSAIRES POUR REFONDER LA NATION

En fixant des horaires d’appels flexibles, il serait possible de limiter, voire d’éliminer, les achats et ventes de suffrages en rendant impossible de contrôler le vote effectif des citoyens par des agents politiques. L’automatisation des appels et du décompte permettrait de réduire les délais entre la fin du scrutin et la proclamation des résultats, une période cruciale où les spéculations sur de possibles manipulations ouvrent la voie aux conflits. Par ailleurs, les contestations pourraient être facilement résolues en rendant disponibles les enregistrements audio de tous les votes contestés.

Enfin, les avantages financiers ne sont pas à négliger pour des élections dont le coût est estimé à près de 68 milliards F CFA. Sans les impressions de carte d’électeur et de bulletins, et sans les salaires du personnel de surveillance et des assesseurs, il s’agira uniquement de constituer un fichier unique électeur/numéro de téléphone et les frais d’appels ne coûteraient que quelques centaines de millions de FCFA.

Revenir à des ambitions plus modestes

« Si longue et si noire que soit la nuit, il vient toujours une heure où enfin le jour se lève », disait Oumar Sangaré – une évidence, pourrait-on penser. Dans un Mali assailli de toutes parts, exprimer l’espoir d’un jour nouveau est devenu la panacée d’une poignée de rêveurs. La posture actuelle de la transition, qui insiste sur des réformes profondes avant d’organiser des élections, n’est pas très réaliste. Le mal est si profond qu’il faudra au moins une génération pour mener à bien toutes les réformes nécessaires pour refonder la nation.

De plus, à regarder de près, les autorités de transition ne proposent aucune solution nouvelle – la plupart des pistes de réformes datent de plus de dix ans, les pouvoirs passés n’ont pas pu les mettre en œuvre faute d’une légitimé suffisante. Ainsi, il serait plus sage de revenir à des ambitions plus modestes – une modification de la loi électorale, l’organisation d’élections libres, inclusives et transparentes ferait de la transition une grande réussite et serait une première étape vers le rétablissement d’une relation de confiance entre gouvernants et gouvernés. Les élections utilisant la téléphonie mobile offrent cette opportunité et l’assurance de pouvoir organiser de nouveaux scrutins dans des délais courts si le nouveau pouvoir ne se montre pas à la hauteur.

Esclavage au Mali : « Dans certains villages, on est au bord de la guerre civile »

Mis à jour le 14 octobre 2021 à 17:43


Ismaël Wagué, le ministre malien de la réconciliation à son arrivée à Bafoulabé dans la région de Kayes, le 14 octobre 2021. © Michel Yao.

Dans la région de Kayes, la persistance de l’esclavage par ascendance a provoqué de violents affrontements. Alors qu’Ismaël Wagué, le ministre malien de la Réconciliation, se rend aujourd’hui sur place, la chercheuse Marie Rodet analyse pour JA ce phénomène.

Ce 28 septembre, une vidéo montrant des jeunes ligotés et torturés à coups de gourdins et d’armes blanches a fait le tour des réseaux sociaux et soulevé colère et indignation. La scène, pour le moins macabre, se déroule à Tamora, dans la région de Kayes, lors de violents affrontements entre des militants anti-esclavagistes et des soi-disant « nobles ». Le bilan, qui n’a pas été officiellement confirmé, fait état d’un mort et d’une dizaine de blessés. Une trentaine de personnes ont été interpellées et depuis, plusieurs dizaines d’habitants de la région ont fui pour se réfugier à Bamako.

Depuis 2018, la zone fait face à une montée de la violence liée à la problématique de l’esclavage par ascendance (« jonya », en bamanankan). Cette pratique, qui persiste à Kayes et dans d’autres région du pays, mène à de fortes discriminations. Des « esclaves » ont par exemple été empêchés d’accéder à leurs champs par des « nobles », ont rapporté des experts des Nations unies. Deux mois après l’adoption d’un « pacte social » pour la cohésion entre les communautés, Ismaël Wagué, le ministre de la réconciliation se rend ce jeudi 14 octobre dans la région.

Spécialiste de l’Histoire de l’Afrique à la School of Oriental and African Studies (SOAS, Londres), Marie Rodet décrypte pour Jeune Afrique les ressorts historiques et politiques de ces pratiques esclavagistes.

Jeune Afrique : Au Mali, l’esclavage a été officiellement aboli en 1905 par l’administration coloniale. Comment expliquez-vous la persistance de cette pratique, notamment dans la région de Kayes ?

Marie Rodet : En 1905, il s’agissait d’une abolition de la traite pour toute l’Afrique occidentale française. Mais, évidemment, les colons ont tardé à la mettre en place parce qu’ils ne voulaient pas perturber l’économie locale et l’ordre social sur lequel reposait toute leur hégémonie. Ils n’étaient pas assez nombreux pour contrôler toute la population. Ils avaient besoin des chefs locaux, qui étaient esclavagistes.

Certains esclaves ont alors pris en main leur libération et ont fondé de nouveaux villages, comme Liberté Dembaya, dans le sud de la région de Kayes. D’autres ont réussi à s’échapper, comme les tirailleurs après les guerres mondiales. Ils étaient, pour une partie, considérés comme des descendants d’esclaves mais ils y sont parvenus parce qu’ils avaient une solde et un statut. Ceux qui ont pu aller à l’école et avoir une carrière de fonctionnaires ont également réussi à s’en sortir.

Mais comme il n’y a pas eu de révolution générale, il n’y a pas non plus eu de changement  de l’idéologie dominante. Dans l’ensemble des milieux sociopolitiques maliens, le sens de l’honneur reste attaché au fait d’être noble. On connait bien le mot en bamanankan : « horonya ».

LES « ESCLAVES » SONT DE PLUS EN PLUS ENTENDUS ET SOUTENUS, ET SEMBLENT EN PASSE DE GAGNER LA BATAILLE

Comment est apparu l’esclavage par ascendance au Sahel ?

L’esclavage est une institution tristement partagée dans le monde et sans doute aussi ancienne que l’histoire de l’humanité. L’esclavage au Sahel a été renforcé par la traite transatlantique, car elle a encouragé les guerres internes et la militarisation des royaumes locaux. D’après les récits locaux, il y a eu une dernière grande vague d’esclavagisation lors des guerres perpétrées par les armées de Samory Touré à la fin du XIXème siècle. Lors des attaques, les populations étaient décimées et les quelques survivants étaient capturés et mis en esclavage. Ce sont aujourd’hui leurs descendants qui sont victimes d’esclavage par ascendance.

Pourquoi assiste-t-on aujourd’hui à cette résurgence de la violence ?

Une révolution idéologique est peut-être en cours. Les réseaux sociaux donnant de l’ampleur à toutes les informations, les « esclaves » sont de plus en plus entendus et soutenus, et semblent en passe de gagner la bataille. Mais face à eux, les « nobles » s’accrochent à leur petit morceau de pouvoir parce que c’est tout ce qui leur reste. Ils ne sont plus les plus riches, il ne leur reste donc que leur statut. Pour le conserver, il sont prêt à tout, y compris à la violence parce que l’esclavage même est une institution extrêmement violente : symboliquement, physiquement, socialement.

Que dit la loi concernant la pratique de l’esclavage par ascendance ?

Il n’y a pas de loi spécifique criminalisant l’esclavage par ascendance au Mali. On peut utiliser le code pénal quand il y a des violences, notamment en cas de violences physiques ou de meurtres. On peut invoquer l’article 2 de la Constitution, qui interdit toute discrimination basée sur l’origine sociale et les traités internationaux. Mais comme l’ont rappelé des magistrats de Kayes en juillet dernier, ils ne disposent pas d’instruments juridiques pour condamner les esclavagistes. Une loi qui criminalise l’esclavage par ascendance comme il y en a au Niger, au Sénégal ou en Mauritanie serait un pas essentiel. Mais, évidemment, cela ne suffit pas et il faut que les mentalités changent.

C’EST UN PEU FACILE DE DIRE QUE CE SONT LES « ESCLAVES » QUI SE TOURNENT VERS LES GROUPES TERRORISTES

Il y a pourtant eu un projet de loi en 2016…

Le projet de loi de 2016 a été laissé dans un tiroir, parce que, depuis dix ans, tout est vu sous l’angle sécuritaire au Mali. Et effectivement, dans certains villages, on est au bord de la guerre civile à cause de cette question d’esclavage par ascendance. Sans compter que certains membres de groupes terroristes se sont réfugiés dans la forêt de Wagadu, près de Kayes.

Certains craignent que les frustrations ne soient exploitées par ces groupes terroristes. Qu’en pensez-vous ?

Dans ces villages maliens, et notamment au nord de la région de Kayes, cela fait très longtemps qu’il y a des cellules dormantes de populations radicalisées. Les frustrations sociales et économiques touchent tout le monde, pas seulement les « esclaves ». C’est un peu facile de dire que ce sont ces derniers qui vont se tourner vers les groupes terroristes.

Abou Tourab, destructeur des mausolées de Tombouctou, demande pardon pour sortir de prison

Ahmad Al Faqi Al Mahdi, également connu sous le nom d’Abou Tourab, a été condamné en 2016 à neuf années de détention par la Cour pénale internationale.

Ahmad Al Faqi Al Mahdi, également connu sous le nom d’Abou Tourab, a été condamné en 2016 à neuf années de détention par la Cour pénale internationale.
 REUTERS/Patrick Post/Pool

Ahmad Al Faqi Al Mahdi, également connu sous le nom d’Abou Tourab, a été condamné en 2016 à neuf années de détention par la Cour pénale internationale. Il avait, entre autres, dirigé la destruction de neuf mausolées classés patrimoine mondial de l’humanité à Tombouctou. C’était en 2012 ; les groupes jihadistes Ansar Dine et Aqmi, notamment, occupaient alors le nord du Mali. Mardi, Ahmad Al Faqi Al Mahdi a présenté ses excuses afin d’obtenir une libération anticipée. 

Pendant ses six années de détention - il doit en purger neuf-, l’ancien chef de la brigade des mœurs d’Ansar Dine à Tombouctou, est devenu un autre homme. C’est en tout cas ce qu’a plaidé Ahmad Al Faqi Al Mahdi devant la CPI, ajoutant des excuses à son argumentaire.

« Je suis ici pour exprimer mes remords, ma tristesse et mes regrets pour tous les crimes que j’ai commis par le passé. Ce remord a éveillé mon cœur et ma conscience. Je suis un homme changé. Je suis devant vous pour exprimer mes plus sincères excuses. »

Et d‘expliquer qu’il se trouve détenu en exil, loin des siens, dans des conditions qu’il juge difficiles.

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Ahmad Al Faqi Al Mahdi avait accepté de plaider coupable et de collaborer pleinement avec la CPI, sur son cas mais aussi sur celui d’Al Hassan, autre chef d’Ansar Dine à Tombouctou, dont le procès pour « crimes de guerre et crimes contre l’humanité » est actuellement en cours. Raisons pour lesquelles le bureau du procureur soutient sa demande de libération anticipée.

Est-ce également le cas à Tombouctou ? Alpha San Chirfi, est un érudit de la Ville aux 333 Saints et  le représentant du mausolée Alpha Moya, détruit sous ses yeux en 2012 par celui que l’on surnommait alors Abou Tourab. « J’ai déjà pardonné. Du moment où les mausolées ont été reconstruits, il n’y a pas d’autres griefs à formuler. Quand quelqu’un demande pardon, dans notre milieu de musulmans et de croyants, on en peut que lui pardonner. »

En mars dernier, le Fonds d’indemnisation de la CPI avait débloqué 2,7 millions euros pour les victimes directes de la destruction des mausolées et pour la ville de Tombouctou. Aucune échéance n’a été donnée pour la réponse de la CPI à la demande de libération anticipée formulée par Ahmad Al Faqi Al Mahdi.