Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Guinée-Bissau : dix choses à savoir sur António Indjai, le général qui vaut 5 millions de dollars

Mis à jour le 6 octobre 2021 à 10:35


António Indjai en 2014, à Bissau © AFP

À la mi-août, la justice américaine a promis 5 millions de dollars à quiconque permettra l’arrestation de cet ancien chef d’état-major bissau-guinéen. Mais qui est vraiment ce putschiste récidiviste considéré par Washington comme un baron de la drogue ?

1. « Wanted »

Il a longtemps été l’un des hommes les plus craints du pays. Et sept ans après sa mise à la retraite, son influence semble à peine s’être érodée : s’enquérir du général António Indjai suscite encore l’appréhension et de nombreux silences gênés. Lorsqu’il s’agit d’éclairer les zones d’ombre de son parcours, difficile de trouver le moindre officiel prêt à s’exprimer à visage découvert.

L’avis de recherche américain émis à son encontre par Washington, qui le considère comme un baron de la drogue, n’a bien sûr rien arrangé. Les proches d’António Indjai gardent en mémoire le piège tendu en haute mer en 2013 par l’Agence américaine antidrogue (DEA) à Bubo Na Tchuto, ancien tout-puissant chef de la Marine, lui aussi accusé par la justice d’avoir régné en maître sur le trafic de cocaïne gangrénant le pays. Visé la même année par un leurre similaire, Indjai ne se laissera pas prendre, mais l’affaire aiguisera sa prudence.

2. Ancien combattant

Militaire de carrière, António Indjai a enfilé le treillis pour la première fois lors de la longue guerre d’indépendance (1963-1974) contre les colons portugais. Mais certains de ses détracteurs mettent en doute sa participation au conflit : né en janvier 1955, n’était-il pas trop jeune pour y avoir pleinement pris part ? Pour ses pairs et dans les registres de l’État, il est en tout cas considéré comme un ancien combattant. « Le PAIGC [Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, fondé par les indépendantistes autour d’Amílcar Cabral] ne reculait pas devant l’utilisation de jeunes soldats, souligne Vincent Foucher, chercheur au CNRS. Selon son CV officiel, Indjai a eu un rôle dans l’artillerie aérienne en 1970 et a ensuite été commissaire politique. »

COMMANDANT DU BATAILLON DE MANSOA, IL EST EN PREMIÈRE LIGNE FACE À LA RÉBELLION CASAMANÇAISE

L’indépendance acquise, il part se former en Russie et à Cuba, et reprend les armes lors de la guerre civile, entre 1998 et 1999. Proche du défunt chef d’état-major Tagmé Na Waié, il monte en grade fin 2004, lorsqu’il devient commandant du bataillon de Mansoa, dans la zone militaire Nord. Le poste est stratégique : proche de la capitale Bissau, c’est l’une des plus importantes unités militaires du pays. Elle est aussi en première ligne face à la rébellion casamançaise. Lorsqu’en 2006, des combattants menés par Salif Sadio pénètrent sur le territoire via la localité de São Domingos, c’est António Indjai qui a la charge des opérations militaires. L’épisode lui vaudra d’être promu colonel.

3. Balante

Né à Encheia, dans la région de l’Oio, António Indjai est un Balante du Nord, l’une des principales ethnies du pays. Elle représente aussi le gros des troupes au sein de l’armée bissau-guinéenne. « Les Balantes sont ceux qui se sont le plus engagés dans la lutte pour l’indépendance. La plupart des grandes figures de la guerre en étaient issues, explique un bon connaisseur des dossiers de défense. Cette tradition a perduré et structure toujours l’armée : aujourd’hui, on estime que plus de la moitié des militaires sont balantes. »

4. Putschiste…

La prise de l’état-major sera son premier coup de force revendiqué. Le 1er avril 2010, le général met aux arrêts le Premier ministre Carlos Gomes Junior, dit « Cadogo », et son fidèle chef d’état-major, José Zamora Induta, dont Indjai était l’adjoint. Si le premier sera rapidement libéré, le second sera plus longuement détenu à Mansoa.

Quelques semaines plus tard, Indjai est nommé chef d’état-major par le président Malam Bacaï Sanha. Mais l’épisode lui vaudra d’entrer dans le collimateur de Washington. L’ambassadeur des États-Unis à Dakar refuse d’assister à sa cérémonie d’investiture. Le communiqué se veut cinglant et humiliant : Indjai est jugé « indigne » d’exercer cette fonction.

INDJAI EST L’UN DES PREMIERS BÉNÉFICIAIRES DU PUTSCH DE 2012

5. … récidiviste

Deux ans plus tard, le Premier ministre Carlos Gomes Junior se place largement en tête du premier tour de la présidentielle de 2012 face à son rival Kumba Yala, accusé de tenir des discours ethnicistes. Ses partisans n’ont-ils pas battu campagne en répétant que la réforme de l’armée souhaitée par le chef du gouvernement était en réalité destinée à évincer les balantes de l’armée ? Les casernes grondent. Le 12 avril, des militaires s’emparent de la résidence du Premier ministre, interrompent le processus et le contraignent à l’exil. « Indjai est l’un des premiers bénéficiaires de ce putsch, rappelle Vincent Foucher. Après cet épisode, les militaires regagnent une influence que Carlos Gomes Junior tentait de contenir. »

Le processus électoral ne reprendra que deux ans plus tard. Cette fois, les militaires restent dans leur caserne. José Mário Vaz accède au pouvoir en 2014 sous les couleurs du PAIGC et met fin aux fonctions d’Indjai. « Il semble y avoir eu une sorte d’accord de la part d’Indjai, qui accepte son départ tout en sachant que ses intérêts vont être ménagés « , poursuit le chercheur français.

6. Trafic de cocaïne

António Indjai était-il devenu trop encombrant ? Depuis 2013, le général est sous le coup d’une inculpation de la justice new-yorkaise basée sur des échanges avec des membres de la DEA s’étant présentés comme des représentants des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC).

« Entre juin et novembre 2012, Indjai a accepté de recevoir et de stocker plusieurs tonnes de cocaïne dont il savait qu’elles seraient vendues au profit des FARC, accuse le Département d’État américain. Indjai et d’autres co-conspirateurs ont accepté d’acheter des armes, notamment des missiles anti-aériens, pour les FARC en utilisant les recettes de la drogue et ont créé une société écran en Guinée-Bissau pour réaliser les transactions illicites d’armes. » Des accusations dont le principal intéressé s’est toujours défendu.

Loin de refermer le dossier, la justice américaine a, au contraire, promis le 19 août « une récompense allant jusqu’à 5 millions de dollars pour toute information menant à son arrestation ou à sa condamnation ».

7. Respecté dans l’armée

António Indjai reste un homme très respecté par l’institution militaire. « L’armée est soumise à de fortes logiques clientélistes. Indjai y a ses “petits” : il a recruté et fait monter en grade toute une série de militaires qui lui restent redevables », analyse Vincent Foucher.

UMARO SISSOCO EMBALÓ S’OPPOSE À L’EXTRADITION DE L’ANCIEN CHEF DE L’ARMÉE

8. Interdit de voyager

Les États-Unis ne sont pas les seuls à l’avoir dans le collimateur. Ses coups de force de 2010 et 2012 ont poussé les Nations unies a l’inscrire, avec d’autres militaires bissau-guinéens, sur une liste de personnes interdites de voyager. « António Indjai a participé à la planification opérationnelle du coup d’État du 12 avril 2012, note une résolution de l’ONU adoptée la même année par le Conseil de sécurité. Au lendemain de ce coup d’État, le premier communiqué du “commandement militaire” a été diffusé par l’état-major des forces armées, dirigé par le général. » Presque dix ans plus tard, ces sanctions n’ont pas été levées.

9. Défendu par Embaló

Face au mandat américain ou aux sanctions de l’ONU, António Indjai peut se prévaloir du soutien d’Umaro Sissoco Embaló. Le président bissau-guinéen a réaffirmé fin août qu’il s’opposait à l’extradition de l’ancien chef de l’armée. « J’ai du respect pour le général Indjai. Les Américains peuvent bien émettre les mandats qu’ils veulent. Nous aussi, nous pouvons lancer des mandats d’arrêts contre eux ! », affirmait-il lors d’une interview accordée à Jeune Afrique en septembre 2020.

Lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York en septembre, le chef de l’État a par ailleurs directement plaidé auprès d’António Guterres, secrétaire général de l’ONU, pour que les sanctions prises en 2012 soient levées. António Indjai est aussi réputé très proche du Premier ministre, Nuno Nabiam.

10. Gentleman farmer ?

En parallèle de sa carrière militaire, António Indjai a développé des activités agricoles. Il possède une ferme dans la localité de Mansoa, où le général à la retraite cultive avec l’aide de ses fils la noix de cajou, pilier de l’économie bissau-guinéenne, et élève des volailles. C’est non loin de ses champs qu’il est soupçonné d’avoir voulu faire atterrir des avions chargés de drogue en provenance d’Amérique latine.

Burkina Faso: l'ex-président Compaoré ne se rendra pas au procès de l'assassinat de Sankara

L'ancien président burkinabè Blaise Compaoré vit en exil en Côte d'Ivoire, ici à Abidjan le 10 octobre 2016.

L'ancien président burkinabè Blaise Compaoré vit en exil en Côte d'Ivoire, ici à Abidjan le 10 octobre 2016.
 AFP - ISSOUF SANOGO

Blaise Compaoré ne sera pas présent au procès de l'assassinat de Thomas Sankara, qui s'ouvre lundi 11 octobre devant le tribunal militaire de Ouagadougou. L'ancien président, exilé à  Abidjan, est le principal accusé qui sera jugé pour l'assassinat en 1987 du capitaine révolutionnaire. 

« On ne nous a jamais rien notifié, déplore Me Pierre-Olivier Sur, l'un des avocats français de Blaise Compaoré. Il n’a jamais été convoqué à un interrogatoire. Au total, nous n’avons pas eu accès au dossier. Comment préparer sérieusement un procès qui s’annoncerait médiatisé et même historique, sans avoir eu accès au dossier ? C’est impossible en termes de droit de la défense. C’est pour cela qu’il n’est pas question pour nous d’y aller de façon fantoche. »

Blaise Compaoré, 70 ans, vit en exil en Côte d'Ivoire où il a obtenu la nationalité ivoirienne. L'ex-président burkinabè fait partie des principaux accusés qui seront jugés pour l'assassinat en 1987 de Thomas Sankara. Il avait pris le pouvoir lors du putsch de 1987 et s'y est maintenu pendant 27 ans avant d'être renversé à la suite d'une insurrection populaire en 2014.

Autre accusé, le général Gilbert Diendéré, 61 ans, un des principaux chefs de l'armée lors du putsch de 1987. Devenu ensuite chef d'état-major particulier du président Compaoré, le général Diendéré purge déjà au Burkina une peine de 20 ans de prison pour une tentative de coup d'État en 2015. Tous deux sont accusés de « complicité d'assassinats », « recel de cadavres » et « d'attentat à la sûreté de l'État ».

► À lire aussi : Burkina Faso: le procès de l’affaire Thomas Sankara fixé au 11 octobre 2021

« Envisager la paix des braves pour préparer un retour du président Blaise Compaoré »

« En revanche, poursuit Me Pierre-Olivier Sur, nous sommes prêts, moi le premier, à me rendre à Ouagadougou pour rencontrer le président de la République afin d’envisager la paix des braves pour préparer un retour du président Blaise Compaoré sur place et de sa famille afin de montrer une image forte d’unité nationale pour lutter contre le terrorisme et le risque de désintégration auquel nous assistions en ce moment. »

Arrivé au pouvoir par un coup d'État en 1983, Thomas Sankara a été tué le 15 octobre 1987 avec douze de ses compagnons par un commando lors d'une réunion au siège du Conseil national de la révolution (CNR) à Ouagadougou. Il avait 37 ans.

► À écouter aussi : Blaise Compaoré de retour au Burkina Faso? «Réconciliation, oui. Impunité, non» (Ousseini Tamboura)

Mali-Russie : la livraison d’hélicoptères qui ravive la polémique Wagner

Mis à jour le 5 octobre 2021 à 16:41

Damien Glez
 

Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.


Damien Glez © Damien Glez

Officiellement, elle n’a pas de lien avec les négociations présumées du Mali avec le groupe Wagner en vue du déploiement de mercenaires dans le pays. Mais la livraison par Moscou de quatre hélicoptères à Bamako ne va pas apaiser les tensions avec Paris.

Tout pourrait paraître très limpide dans le plus simple des mondes diplomatiques. La France, officiellement présente militairement au Mali sur demande de l’État sahélien, est légitime à envisager l’interruption partielle ou complète de son intervention sans être accusée d’« abandon en plein vol ». De même, l’État malien, qui se présente aujourd’hui comme dégagé des sempiternels arrangements politiciens, est aussi légitime à indiquer poliment la sortie aux treillis français qu’à négocier une collaboration militaire accrue.

De même, la France, dont les chemins de traverse extra-hexagonaux sont soumis à la validation d’une représentation nationale issue des urnes, est légitime à exprimer une gêne à composer avec une junte, voire une incompatibilité d’exercice avec quelque mercenariat que ce soit. De même, le Mali souverain et assailli, quel que soit le caractère accidenté de son parcours démocratique actuel, est légitime à faire appel à des agents de sécurité privés…

Jeux de dupes

Dans ce jeu d’échecs aux règles officiellement définies, le positionnement des pièces de chacun devrait éclaircir l’issue courtoise de la partie. À condition d’être sûr de l’identité exacte des joueurs qui se font face. Or, la simplicité enfantine de ce schéma théorique est traversée par des intérêts de multiples natures, des messages diplomatiques en creux, des faux-semblants entre acteurs privés et publics, des jeux de dupes et un populisme qu’un XXIe siècle présumé rationnel ne cesse de porter aux nues.

Alors que se prépare un sommet Afrique-France sans chef d’État africain et que, sur le continent, le Premier ministre centrafricain affirme qu’il n’existe « nulle part » un contrat entre son pays « et une société de sécurité privée russe », le ministre malien de la Défense a réceptionné, le 30 septembre dernier, quatre hélicoptères Mi-171 fournis par la Fédération de Russie, ainsi que des armes et des munitions. Antichambre d’un déploiement du groupe paramilitaire Wagner qui serait synonyme de mépris à l’égard des Européens occidentaux ? Rapprochement inopiné avec les autorités de Moscou ?

NUL DOUTE QUE LE SOMMET RUSSIE-AFRIQUE FERA, LUI, LA PART BELLE AUX CHEFS D’ÉTATS AFRICAINS, ÉLUS OU PAS…

Guerre froide en Afrique ?

Ni recours au privé, ni précipitation, répond le colonel Sadio Camara, qui précise que la livraison du nouveau matériel russe s’inscrit dans le cadre d’un accord de coopération militaire public-public signé en 2019. Les quatre hélicoptères neufs auraient été payés par « le budget national » malien et les armes et munitions seraient offertes par une Russie « fiable », « sérieuse » et « rapide ». Des livraisons qui, selon les observateurs spécialisés dans les questions sécuritaires, devraient permettre à des sociétés russes de bénéficier de contrats de mise en condition opérationnelle et de maintenance.

La fourniture de matériels comme prologue de services après-vente privés est une pratique partagée par de nombreux pays, parmi lesquels les détracteurs de Moscou. Mais plus que des deals « gagnants-gagnants » d’États VRP, les grognons pointent un risque de résurrection de la guerre froide sur le terrain africain. Un terrain où l’URSS de l’époque, qui n’y eut aucune colonie, appuya certains mouvements de libération.

Wagner, pas Wagner ? Barkhane, plus Barkhane ? Plus ou moins enlisées dans le sable sahélien, les pièces de l’échiquier malien devraient s’estomper ou émerger – c’est selon – à l’horizon 2022, sans doute plus vite que le calendrier électoral. Et nul doute que le prochain sommet Russie-Afrique fera, lui, la part belle aux chefs d’États du continent, élus ou pas…

Burkina Faso: après la mort d'une étudiante, une marche blanche contre l'insécurité

Une marche blanche a été organisée à Ouagadougou le 3 octobre 2021 pour rendre homme à Ina Mounia Drabo, étudiante de 19 ans assassinée dans son quartier.

Une marche blanche a été organisée à Ouagadougou le 3 octobre 2021 pour rendre homme à Ina Mounia Drabo, étudiante de 19 ans assassinée dans son quartier.
 © RFI / Yaya Boudani

Au Burkina Faso, des centaines de personnes ont marché ce dimanche 3 octobre pour exiger plus de sécurité dans les quartiers périphériques de la capitale. Ouagadougou fait face à une montée de l’insécurité urbaine qui inquiète les populations 

Avec notre correspondant à OuagadougouYaya Boudani

Il ne se passe presque pas une semaine sans que les populations de certains quartiers de Ouagadougou, au Burkina Faso, ne subissent des vols à main armée entraînant parfois des morts. Le dimanche 26 septembre dernier, de retour de son sport, Ina Mounia Drabo, une jeune étudiante de 19 ans a été assassinée à quelques pas de son domicile dans le quartier Rimkieta de Ouagadougou.

Ce dimanche, les populations sont descendues dans la rue pour réclamer justice pour Ina et interpeller les autorités communales sur la situation d’insécurité dans leur quartier et les autres quartiers périphériques de la capitale. 

Voisins ou camarades de classe… Vêtus de blanc, les manifestants ont déposé une gerbe de fleur sur le lieu où la jeune étudiante de 19 ans a été tuée d’une balle dans la tête par des personnes ayant emporté sa moto.

« Nous sommes tous choqués ici, nous prions pour que son âme repose en paix et que les auteurs de ce crime soient arrêtés et que justice soient faite pour elle et pour toutes les autres victimes », témoigne un participant de la marche blanche. « J’ai battu le pavé avec mes camarades pour que nous puissions dénoncer cette insécurité qui a coûté la vie à Ina et bien d’autres », raconte un autre.

« En plein jour, on peut vous agresser ici »

Impuissant face à cette montée de la criminalité urbaine, Kassoum Simporé le maire du 8e arrondissement en appelle au ministère de la Sécurité : « Notre arrondissement n’a pas, jusqu’à présent, bénéficié d’un commissariat, ni d’une gendarmerie. En plein jour, on peut vous agresser ici. » Rimkieta, comme de nombreux quartiers périphériques de la capitale est confronté à une insécurité galopante malgré le démantèlement de plusieurs réseaux par les forces de sécurité intérieure. 

Abdoulaye Sourgou, ex-député sous la transition, estime que la lutte contre le terrorisme, ne doit pas faire oublier la criminalité urbaine. « Nous savons que c’est vrai, les forces de sécurité sont très prises par la lutte contre le terrorisme, mais il faut quand même que les zones civiles soient sécurisées. Ce n’est pas la première fois. Il y a un voisin de quartier aussi qui a été assassiné il n’y a même pas deux mois », explique-t-il.

En visite dans la famille de l’étudiante assassinée, le maire de Ouagadougou a insisté sur la nécessité de mettre en place une police de proximité et des comités de veille dans chaque quartier pour lutter contre l’insécurité urbaine dans la capitale.

Gbagbo, Alpha Condé, IBK, Kaboré, Issoufou… La gouvernance en cinq leçons, par Marwane Ben Yahmed

Mis à jour le 4 octobre 2021 à 09:30

Marwane Ben Yahmed

Par Marwane Ben Yahmed

Directeur de publication de Jeune Afrique.


Cérémonie de prestation de serment d’Idriss Déby Itno en août 2016, à N’Djamena © BRAHIM ADJI/AFP

Sortis du même moule anticolonialiste et tiers-mondiste, ces cinq chefs d’État ont suivi une trajectoire en tout point comparable. Sauf après leur accession au pouvoir…

Une jeunesse étudiante française marquée du sceau de l’éveil politique, à gauche et même à l’extrême gauche, un attachement viscéral aux idéaux anticolonialistes et tiers-mondistes portés par l’emblématique Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf), des parcours de militants pugnaces de la démocratie et d’opposants courageux, souvent contraints à l’exil, une proximité assumée avec l’Internationale socialiste (IS), et puis le grand soir, l’élection tant recherchée et enfin acquise à la tête de l’État…

L’Ivoirien Laurent Gbagbo (élu en 2000), le Guinéen Alpha Condé (2010), le Nigérien Mahamadou Issoufou (2011), le Malien Ibrahim Boubacar Keïta (2013) et le Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré (2015), notre « club des cinq » d’Afrique de l’Ouest, cultivent de très nombreux points communs.

Des rives de la Seine, où s’est façonnée leur culture politique, notamment au sein de la fameuse Feanf, aux palais présidentiels qu’ils ont conquis, de leurs comparses d’antan, Solange Faladé, Félix Mounié, Emmanuel Bob Akitani, Francis Wodié, Djéni Kobina, Seyni Niang ou Albert Tévoédjrè, qui firent résonner les murs de la rue Béranger où se déroulaient les AG de la fédération estudiantine, à leurs homologues chefs d’État avec lesquels ils ont partagé pouvoir, ors, privilèges et responsabilités. Ils se connaissent depuis longtemps, échangent régulièrement, et les leurs se fréquentent. La solidarité entre camarades de l’IS a souvent joué (sauf pour Gbagbo), surtout lorsque François Hollande dirigeait la France et qu’ils avaient ses faveurs…

Immenses attentes

Plus que tout autre président, du moins ceux issus du moule classique, ils ont suscité d’immenses attentes. Leurs idéaux originels – le patriotisme, la véritable indépendance, la démocratie, les libertés, le sens de la justice sociale –, leurs parcours d’opposants qui n’ont jamais hésité à affronter le maître du moment, leurs convictions profondes proclamées au fil de leurs carrières…

Autant d’ingrédients qui ont rallumé la flamme de l’espoir chez leurs concitoyens. Celui d’une autre gouvernance, plus ouverte, plus moderne, plus courageuse, plus juste, plus soucieuse des démunis, plus attachée à la souveraineté de nations jusqu’ici habituées à se laisser piétiner par les grandes puissances.

Ici s’arrête le fabuleux destin commun de nos cinq camarades. La matrice originelle est une chose, ce que l’on en fait en est une autre. Laurent Gbagbo est tombé en avril 2011, victime de son entêtement ou de son aveuglement. Ibrahim Boubacar Keïta aussi, en août 2020, pour les mêmes raisons. Et tout dernièrement, c’est Alpha Condé qui a été emporté par un coup d’État.

Il n’est nullement question ici de justifier les putschs ou l’usage de la force militaire pour mettre fin au règne d’un président. En revanche, il convient de souligner l’échec de ces trois chefs d’État dans tous les domaines où ils étaient censés briller, évoqués plus haut. Les opposants au long cours qui arrivent tardivement (et à un âge avancé) au pouvoir font rarement de bons chefs… Gbagbo, IBK et Alpha n’ont jamais mis en pratique, ou si peu, ce qu’ils ont si longtemps appelé de leurs vœux avant d’être en position de le faire.

GBAGBO ÉTAIT UN VÉRITABLE ANIMAL POLITIQUE, MAIS CERTAINEMENT PAS UN LEADER DESTINÉ À PRÉSIDER AUX DESTINÉES DE TOUTE UNE NATION

Il y a parfois certaines circonstances atténuantes, notamment la tentative de coup d’État dont a été victime le « camarade Laurent » en septembre 2002 et ses conséquences, mais il y a tout de même loin de la coupe aux lèvres. Gbagbo s’est comporté en chef de clan, certes au sein d’une citadelle assiégée. C’était un politicien madré, un véritable animal politique doté d’une intelligence au-dessus de la moyenne, mais certainement pas un leader destiné à présider aux destinées de toute une nation. Il avait trop de comptes à régler et d’œillères culturelles pour le devenir.

Roi fainéant

Ibrahim Boubacar Keïta ? Il s’est révélé plus roi fainéant que capitaine d’un navire pris dans la tempête. On appelle cela le principe de Peter : un cadre qui s’est élevé à son niveau d’incompétence… Quant à Alpha Condé, si nul ne met en doute sa détermination ni son patriotisme, il n’en demeure pas moins que lui aussi a failli dans sa mission, a fortiori quand on compare le pourfendeur de Lansana Conté et l’homme d’État dans l’exercice de ses fonctions.

FRAPPÉ DU SYNDROME D’HUBRIS, ALPHA CONDÉ SAVAIT TOUT MIEUX QUE TOUT LE MONDE, ET SEUL SON POINT DE VUE COMPTAIT

« Alpha » était visiblement frappé du syndrome d’hubris, cette perte du sens des réalités que les Grecs avait identifiée et combattue dès l’Antiquité. C’est-à-dire la démesure, le crime d’orgueil puni par les dieux, qui a inspiré à David Owen, un ancien ministre britannique des Affaires étrangères, également médecin, l’ouvrage In Sickness and in Power (Dans la maladie et le pouvoir), dans lequel il cite quatorze symptômes résultant de la transformation de la personnalité de dirigeants politiques au contact du pouvoir. Absence de sens critique, arrogance, rejet des opinions alternatives, sentiment d’impunité… Bref, Alpha savait tout mieux que tout le monde, et seul son point de vue comptait.

Concernant Gbagbo, IBK et Condé, l’analyse est hélas limpide : ces chefs, chargés de prendre les décisions et de conduire leurs pays sur la voie qu’ils avaient pourtant tracée de longues années durant, ont développé, une fois au pouvoir, une totale inaptitude à le faire lucidement. Pis, leur comportement était en totale contradiction avec les idéaux qui les ont forgés.

L’exemple d’Issoufou et de Kaboré

Certes, quand on devient chef de l’État, il est nécessaire de faire des compromis avec sa conscience ou ses principes. Il serait naïf, voire hypocrite de penser le contraire. Les chimères du militantisme ou de l’idéalisme cèdent la place au pragmatisme. Le pouvoir, sa conquête comme son exercice, implique quelques entorses aux règles que l’on se fixait auparavant. Il faut apprendre à fermer les yeux, à s’allier avec des gens que l’on n’apprécie guère, à chercher là où il se trouve l’argent nécessaire à ses ambitions ou à celles de son pays, à faire preuve de souplesse… Mais ces « arrangements » avec la morale ou la loi ne se justifient que si leur objectif final se confond avec l’intérêt général. Ce qui n’a pas été, tant s’en faut, le cas.

Roch Kaboré, réélu en novembre 2020, et Mahamadou Issoufou, qui a transmis après deux mandats le flambeau nigérien à Mohamed Bazoum en avril dernier, font, eux, figure d’exemples au sein de cette « fratrie ». Ils n’ont bien sûr pas tout réussi, et beaucoup reste à faire dans leurs pays. Mais ils sont restés fidèles à eux-mêmes, plaçant leur mission au-dessus de la famille, du clan, de l’ethnie pour devenir les présidents de tout un pays.

Leur gouvernance, plus transparente et consensuelle, s’attache à servir l’intérêt général. La vie démocratique est plus saine que sous leurs prédécesseurs, les libertés ont progressé, l’économie également, malgré un contexte, sécuritaire notamment, délicat. Issoufou a su se retirer à temps et nul doute que Kaboré en fera de même. Il l’a d’ailleurs promis.

« Je suis très heureux de la victoire de mon ami Roch. On est très liés, et nos destins, bizarrement, se sont recoupés. On a été Premiers ministres, puis présidents de l’Assemblée nationale en même temps. Et voici qu’il rejoint la fratrie… », confiait IBK au lendemain de l’élection de Kaboré, en novembre 2015. Une fratrie au sein de laquelle tout le monde n’a pas retenu – et a fortiori appliqué – les mêmes leçons…