Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Réchauffement climatique : les événements extrêmes s’accélèrent 

Analyse 

Les vagues de chaleur, inondations ou tempêtes de ces derniers mois ont tendance à se répéter plus fréquemment depuis quelques années. Elles rappellent la nécessité de planifier l’adaptation au changement climatique, mais d’autres mesures sont nécessaires pour enrayer cette tendance.

  • Camille Richir, 
Réchauffement climatique : les événements extrêmes s’accélèrent
 
Un pont effondré après les violentes inondations qui ont frappé Durban, en Afrique du Sud, le 13 avril 2022.SHIRAAZ MOHAMED/AP

La vague de chaleur en Asie du Sud se poursuit. S’il est « prématuré » de l’attribuer uniquement au réchauffement global de la planète, « elle est conforme à ce que nous attendons du changement climatique », a commenté l’Organisation météorologique mondiale (OMM), dans un communiqué publié le 29 avril… comme un écho à un autre communiqué, publié quelques jours plus tôt après les inondations meurtrières qui ont frappé la région de Durban, en Afrique du Sud.

→ REPORTAGE. « Delhi est un enfer » : l’Inde et le Pakistan écrasés par des chaleurs records

Les 11 et 12 avril, il y est tombé entre 200 et 400 mm de pluie en l’espace de vingt-quatre heures, soit les précipitations les plus importantes depuis soixante ans. Là encore, il est trop tôt pour lier l’événement au réchauffement, mais celui-ci aussi est « conforme » à ce que pourrait produire l’élévation de la température mondiale, a relevé l’OMM.

Vagues de chaleur, inondations, tempêtes…

Le sixième volet du rapport du Giec, publié en août dernier, a mis en avant l’accroissement du risque posé par ces phénomènes dits « extrêmes », directement causés par le réchauffement climatique. Il est ainsi « quasiment certain » pour les scientifiques que les vagues de chaleur seront plus intenses et dureront plus longtemps que par le passé. « Partout dans le monde, les moyennes de températures augmentent, et les extrêmes aussi, explique Robert Vautard, climatologue et directeur de l’Institut Pierre-Simon-Laplace. Mais les vagues de chaleur ne sont pas la seule conséquence. »

→ ANALYSELe Giec s’alarme des impacts déjà « irréversibles » du changement climatique

Puisqu’une atmosphère chaude peut contenir davantage de vapeur d’eau, le réchauffement augmente aussi l’intensité des pluies, et donc le risque d’inondations. C’est ainsi que les deux tempêtes sévères qui ont frappé Madagascar, le Mozambique et le Malawi, en début d’année, ont vu leur intensité accrue par le réchauffement climatique, selon une étude publiée début avril par le World Weather Attribution.

Une fréquence accrue

En parallèle, la fréquence de ces événements augmente. « À 1,5 °C de réchauffement, une canicule comme celle de 2019 en France se produit tous les dix ans, explique Magali Reghezza, géographe et membre du Haut Conseil pour le climat. À 2 °C, il est probable qu’elle se répète tous les quatre ans. »

→ DÉBAT. Pourquoi reste-t-on sourd aux alertes climatiques ?

Cette multiplication pose des problèmes bien concrets. « Par hypothèse, les inondations à Durban survenaient autrefois tous les cent ans, explique Justin Pringle, ingénieur en mécanique des fluides à l’université de Kwazulu-Natal, située dans cette ville sud-africaine. Si elles deviennent récurrentes, il faudra planifier les nouvelles constructions en conséquence ou encore mettre en place de véritables systèmes d’alerte. »

Cela implique de former des professionnels. « Le problème est celui des échelles de temps : un étudiant entrant à l’université aujourd’hui mettra dix ans à devenir un ingénieur expérimenté ; or le changement climatique s’accélère déjà », poursuit Justin Pringle.

Le poids des facteurs socio-économiques et politiques

Les pays du Sud sont en première ligne face à ces nouveaux extrêmes climatiques. « Beaucoup de zones ont des conditions géographiques défavorables, mais cela se cumule à des facteurs socio-économiques et politiques qui aggravent la vulnérabilité », explique Jasper Knight, professeur de géographie physique à l’université du Witwatersrand (Afrique du Sud). L’habitat informel, la nécessité de travailler malgré les fortes chaleurs, la dépendance économique à l’agriculture rendent les personnes plus sensibles en cas d’aléa.

→ RELIRE. Climat : 2020, année la plus chaude de l’ère industrielle

Les facteurs politiques peuvent également contribuer à aggraver – ou à limiter – les dégâts causés. En Afrique du Sud, plusieurs chercheurs et organisations environnementales ont pointé du doigt la responsabilité du manque d’infrastructures à Durban – sur le plan du drainage notamment – malgré des inondations à répétition.

La question de l’adaptation se pose également en Inde, après plusieurs vagues de chaleur. « Les communautés locales savent très bien réagir en cas de cyclone, car nous en subissons depuis longtemps, explique Madhav Pai, directeur de programme au World Resources Institute, en Inde. La question est la création de véritables plans canicule, qui aillent au-delà de la simple information. »

→ ANALYSECanicule en Inde et au Pakistan, « tout le monde n’est pas égal devant la chaleur »

Aux yeux de Magali Reghezza, du Haut Conseil pour le climat, la problématique de l’adaptation se pose aussi sur le continent européen : « En France, les premières victimes des vagues de chaleur sont les personnes sans abri, explique-t-elle. Il y a par exemple urgence à mettre en place un équivalent du plan grand froid lors des canicules. »

Des « limites dures »

Au-delà de l’adaptation, la multiplication de ces événements rend nécessaire la réduction des émissions de gaz à effet de serre. « Il y a des limites dures à l’adaptation, poursuit la géographe. Au-delà de deux degrés, les événements extrêmes deviennent tellement fréquents et intenses dans certaines zones que l’humain ne peut simplement plus y répondre. »

En Inde et au Pakistan, l’inquiétude monte autour du risque posé par l’augmentation des « températures humides », un mélange de chaleur et d’humidité, qui limite la capacité du corps à évacuer la transpiration, et peut s’avérer létal au bout de plusieurs heures. La limite est de 35 °C TW (pour « températures humides » ). Ces dernières semaines, certaines zones de l’Inde et du Pakistan ont atteint les 29 °C TW.

Ces événements remettent également sur la table la promesse faite par les pays développés d’octroyer 100 milliards de dollars par an pour l’adaptation et l’atténuation du changement climatique dans les pays du Sud, non tenue depuis plusieurs années. Dimanche 1er mai, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a enjoint aux pays riches de « passer aux actes ».

Guinée: pas de retraite pour les bus scolaires américains

bus

Après avoir raccompagné chez eux, pendant des années, les élèves des États-Unis et du Canada, les cars jaunes traversent l’Atlantique pour commencer une nouvelle vie en Guinée. Réputés pour la puissance et la robustesse de leur moteur, ils sont prisés des transporteurs pour les longues distances. 

De notre correspondant à Conakry,

Vision irréelle. Garé le long de l’autoroute Fidel Castro, en plein cœur du chaos conakryka, un bus jaune. De ceux qui, normalement, transportent les écoliers des banlieues vertes nord-américaines.

Mamoudou Condé cherche un acquéreur. « Je suis le vendeur de ce véhicule », dit-il. Il fait ça depuis les années 1990. Il prend une commission de 10, 20 euros par transaction. Les rentrées d’argent sont très irrégulières, confie-t-il. « On a des amis qui sont là-bas, des frères qui achètent les bus et les envoient ici.

De Baltimore à Conakry en passant par Dakar

Ce marché de bus d’occasion existe grâce à la diaspora guinéenne en Amérique du Nord. La traversée par bateau coûte cher, plus cher que le véhicule parfois. Ce bus est arrivé il y a trois mois peut-être, Mamoudou n’est plus très sûr. Une étiquette collée sur la vitre côté conducteur indique le port de départ : Baltimore, aux États-Unis. Il a transité par Dakar avant d’arriver au port de Conakry.

« Un bus comme ça, quand un client vient, je lui propose à 250 000 millions de francs guinéens. » 27 000 euros pour débuter la négociation. « Ce genre de modèle est très apprécié. Son moteur est reconnu pour sa qualité », assure Mamoudou Condé.

À la recherche d’un véhicule résistant

La résistance, c’est ce que recherche les transporteurs qui vont détourner le school bus de son usage initial. L’améliorer, le modifier. Renforcer sa structure par des armatures en acier, ajouter des vis pour fixer les sièges plus solidement. « Ceux qui cherchent ça particulièrement, ce sont les transporteurs qui vont en forêt (Guinée forestière, NDLR), ceux qui roulent sur toutes les routes du pays », explique Mamoudou Condé.

Nous demandons à Mamoudou Condé de démarrer son bus. À l’intérieur, il fait plus de 40 degrés. L’air est lourd, chargé d’une odeur de plastique qui fait tourner la tête. Ça fait un mois qu’il n’a pas vu un client. La batterie risque d’être à plat, prévient Mamoudou Condé. Il insère la clé et tourne. Roulements de tambour… Un frisson parcourt le tableau de bord. Les aiguilles s’agitent, les voyants s’allument un peu partout. Le mastodonte ne s’est pas réveillé, ce sera pour la prochaine fois.

Les politiques maliens divisés autour de la dénonciation des accords de défense avec la France

Après que Bamako a dénoncé lundi 2 mai les accords défense qui liaient la France et le Mali, le départ des soldats français prévus à la fin de l’été pourrait se compliquer. L’opinion publique et les différentes formations politiques maliennes se retrouvent divisés entre soutenir l’initiative des autorités de transition malienne et dénoncer une position prise par un gouvernement qui n’a « aucune légitimité ».

Les soldats français avaient, dans tous les cas, prévu de quitter définitivement le pays d’ici la fin de l’été. Mais cette décision pourrait compliquer la fin de ce désengagement, elle marquant surtout un point de rupture supplémentaire dans les relations entre la junte militaire au pouvoir à Bamako et les autorités françaises.

Pour Sory Ibrahima Traoré, président du Front pour l'émergence et le renouveau au Mali (FER-Mali), cette « décision est justifiée » et « compréhensible », dit-il, à la tête d’une organisation politique qui soutient les autorités de transition.

Cette décision n’est pas une surprise, puisque depuis un moment, les rapports politiques et militaires entre le Mali et la France étaient très problématiques. La suspicion était vraiment à son comble. Donc nous et le peuple malien en général étaient préparés à cette rupture. Cette rupture est justifiée et c’est une rupture compréhensible, souhaitée et soutenue par une majorité du peuple malien.

Pour Sory Ibrahima Traoré, président du FER-Mali, cette «décision est justifiée»

Abdoulaye Coulibaly ne partage pas cette opinion. Le président de l’Initiative pour la concrétisation des attentes du peuple (Icap), parti membre du Cadre qui rassemble les mouvements opposés aux actuelles autorités de transition maliennes, déplore une prise de position qui aurait dû être laissée « au gouvernement prochain, démocratiquement élu ».

Cette transition n’a aucune légitimité de rompre les accords signés par un gouvernement démocratiquement élu. Ce gouvernement ne représente pas les Maliens, donc je pense que s’il voudrait vraiment rompre les accords avec la France, il devrait laisser cette question au gouvernement prochain, un gouvernement démocratiquement élu. C’est très dangereux parce qu’aujourd’hui on a besoin de tous nos partenaires, dont la France et tous les autres, vu l’insécurité grandissante, et c’est encore dangereux parce que ce n’est pas le rôle de la transition de rompre ces accords-là. On doit se rappeler que c’est la France qui a libéré le Mali et je profite pour rendre hommage aux soldats français, maliens et d’autres nations qui se sont sacrifiés pour libérer le Mali. Le slogan que vous voyez aujourd’hui au Mali, "à bas la France", cela ne représente pas sincèrement les Maliens.

Pour le président de l'Icap Abdoulaye Coulibaly, cette prise de position aurait dû être laissée «au gouvernement prochain, démocratiquement élu»

Bamako et Paris auraient intérêt à un départ sans heurts

Pour l’Ivoirien Arthur Banga, enseignant-chercheur à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, la situation peut générer des complications. Mais ce spécialiste des questions de défense juge cependant que les deux parties ont intérêt à ce que le départ de l’armée française se passe sans heurts.

Selon le chercheur Arthur Banga, Paris et Bamako ont intérêt à un départ de troupes sans heurts

Mali : Moussa Diawara, le « mauvais génie » de Bamako

Sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta, le patron de la redoutée Sécurité d’État était l’un des hommes les plus puissants du pays. Désormais sous les verrous, il est toujours aussi craint.

 
Mis à jour le 2 mai 2022 à 10:20
 
 diawara
 
 

Moussa Diawara, le général aux multiples facettes, est aujourd’hui en détention à Bamako. © Montage JA

 

En cette matinée du 18 août 2020, l’heure est grave au domicile familial des Keïta, à Sébénikoro. Et pour cause : depuis la nuit, les nouvelles en provenance du camp militaire de Kati sont préoccupantes. Des soldats s’y sont mutinés et en ont pris le contrôle. Le coup d’État que tout le monde redoutait ces dernières semaines à Bamako semble, cette fois, bien enclenché. Les tenants du régime tentent de trouver une parade. Autour d’Ibrahim Boubacar Keïta pour cette réunion de crise : son fils Karim, son Premier ministre, Boubou Cissé, et le patron de la Direction générale de la sécurité d’État, Moussa Diawara.

À la mi-journée, ce général influent, dont tous connaissent l’entregent au sein de l’armée, glisse au président qu’il va sortir pour essayer de désamorcer la crise. Soucieux de rester le plus discret possible, il embarque sur un deux-roues et disparaît dans l’agitation bamakoise. 

Vers 16h30, les forces spéciales du colonel Assimi Goïta déboulent chez le chef de l’État, l’arrêtent et l’embarquent à Kati. Dans la rue, la foule en liesse applaudit. C’en est terminé d’un pouvoir à bout de souffle, dont beaucoup de Maliens n’attendaient que la chute. Entre-temps, Moussa Diawara n’est jamais revenu. 

Très vite, l’attitude du militaire durant cette journée cruciale suscite des questions. Comment le chef de la puissante Sécurité d’État (SE), dont beaucoup connaissent la silhouette à Bamako, a-t-il pu prendre la fuite sans être inquiété alors que la résidence présidentielle était déjà encerclée ? Était-il dans le coup ? A-t-il trahi son patron de toujours ? Un an et demi après le putsch, le flou reste tel qu’au sein de certaines chancelleries internationales on continue à s’interroger sur le rôle exact de Diawara durant ces quelques heures où tout a basculé.

Une étrange disparition

Cette image de Brutus, plusieurs sources dans l’entourage d’IBK se refusent à y croire. « Moussa a toujours été d’une loyauté sans faille envers lui, affirme un de ses intimes. Le coup d’État était irréversible. Il savait que la partie était perdue. Il a donc essayé de gérer la situation comme il le pouvait et de trouver un terrain d’entente avec les putschistes pour que la dignité du président soit préservée. » « Il n’a pas trahi IBK, renchérit un membre des renseignements. C’est surtout par son incompétence que ce coup est arrivé. Il n’a pas su l’anticiper, ni l’empêcher. Et une fois que c’était fait, il a d’abord agi pour sauver ses propres intérêts. »

« MOUSSA », COMME L’APPELAIT IBK, AVAIT UNE PLACE TOUTE PARTICULIÈRE DANS SON CŒUR

IBK, lui-même, n’a jamais voulu croire que son sécurocrate pouvait ne pas être loyal. Pourtant, avant même le putsch, alors que l’autorité du président commençait à tanguer, certains l’alertaient sur le potentiel double jeu de son maître espion. « Il ne me fera pas ça, il est comme un fils pour moi », a répondu un jour le chef de l’État à un de ses amis qui s’en inquiétait. IBK adoptait volontiers ce ton paternaliste avec les plus jeunes pour lesquels il avait de l’estime, mais « Moussa », comme il l’appelait, avait une place toute particulière dans son cœur.

C’est au début des années 2000 que s’est nouée la relation entre le politicien au langage châtié et l’officier de la Garde nationale. Après avoir commandé la compagnie de Mopti (Centre) et supervisé la sécurité de la Coupe d’Afrique des nations organisée au Mali en 2002, Moussa Diawara devient l’aide de camp d’IBK quand ce dernier accède à la tête de l’Assemblée nationale. Lors de ce mandat au perchoir (2002-2007), les deux hommes tissent de solides liens de confiance. Diawara devient un des plus proches collaborateurs d’IBK, qui nourrit, déjà, des ambitions présidentielles. En 2012, il prend la tête de son corps d’armée, devenant chef d’état-major de la Garde nationale. Affable, accessible et à l’écoute des autres, ce gradé est apprécié de ses troupes.

L’ascension du maître-espion

Quand, en 2013, IBK accède enfin au palais de Koulouba, c’est tout naturellement vers Diawara qu’il se tourne pour reconstruire un semblant d’appareil sécuritaire dans un État en ruine. Il lui confie une place de choix et hautement stratégique : celle de directeur de la Sécurité d’État, les services du renseignement intérieur. Son cousin, le général Oumar Dao, est, lui, nommé chef d’état-major particulier du président.

MALGRÉ SON ALLURE DÉBONNAIRE, TOUS CRAIGNENT CE PERSONNAGE INFLUENT, SUSCEPTIBLE D’AVOIR DES DOSSIERS SUR CHACUN

Rapidement, Diawara devient un des hommes clés du nouveau régime. Un des rares à avoir accès en permanence à IBK, à l’instar de son épouse Aminata ou de son fils Karim. « Il était le seul parmi nous qui pouvait toquer à sa porte à 4 heures du matin », confie un ex-collaborateur à la présidence. Au fil des mois, l’influence de « Moussa » ne cesse de croître. Et ne se cantonne pas uniquement aux questions militaires et sécuritaires. L’homme a l’oreille du chef et son mot à dire sur tout ou presque, y compris sur la nomination des ministres. « IBK avait une faiblesse, selon un de ses confidents, il écoutait trop et pouvait être influencé par ses derniers interlocuteurs avant de trancher. Or Moussa était souvent l’un de ceux-là. »

Moussa Diawara n’hésite pas non plus à faire pression sur les membres du gouvernement ou sur les cadres de l’administration pour obtenir ce qu’il veut et servir ses intérêts. Malgré son allure débonnaire, tous craignent ce personnage puissant susceptible d’avoir des dossiers sur chacun. « Personne ne voulait se le mettre à dos parce que ses rapports étaient confidentiels et allaient directement sur le bureau d’IBK », glisse une ancienne source gouvernementale. Sa part d’ombre, liée à ses fonctions à la SE, alimente les fantasmes et les rumeurs. « C’est une sorte de grand méchant loup, auquel on colle tout un tas d’histoires alors qu’elles ne sont pas forcément vraies », analyse un observateur étranger.

Promu général de brigade en 2014 – le premier dans l’histoire de la Garde nationale, de quoi accentuer encore son prestige -, Diawara convainc le chef de l’État de faire de son corps d’origine un pilier de son système sécuritaire. « La Garde a été équipée, renforcée et assurait la sécurité présidentielle. Elle était un peu devenue la garde prétorienne d’IBK », estime un officier. Selon de récentes estimations, elle compterait aujourd’hui 10 000 membres, sur les quelque 22 000 hommes de l’armée.

À la tête de la Sécurité d’État, l’action de Moussa Diawara est plus décriée. Pour plusieurs militaires, l’ex-aide de camp doit ce poste prestigieux à son statut d’ »homme du président » plus qu’à ses talents de sécurocrate. « Il ne connaissait rien aux services de renseignements. Il était là juste parce qu’il avait la confiance du chef », considère l’un d’eux. En 2015, une série d’attentats – contre le restaurant La Terrasse, l’hôtel Radisson… – sème la peur à Bamako. Dans les mois qui suivent, Moussa Diawara, habile communicant, n’hésite pas à promouvoir l’action d’une structure opaque jusqu’à présent habituée à œuvrer dans le secret. « Chaque mois, on lisait dans les journaux et on entendait à la radio que la SE avait arrêté untel ou untel, se rappelle un officier. Cela en surprenait plus d’un dans l’armée, mais il faut reconnaître qu’elle en a tiré une certaine aura, même si cela n’était pas forcément justifié. »

Sulfureux businessman

Réputé jovial et fêtard, Moussa Diawara ne fait pas que parler de lui avec la SE. Le 9 mars 2019, le chef des renseignements fête ses 50 ans en grande pompe avec des dizaines d’invités dans sa luxueuse villa de Bamako. Seaux à champagne, roses blanches, concert privé de la star congolaise Fally Ipupa, 4×4 en cadeau… Les images de cette soirée à plusieurs dizaines de milliers d’euros, qui dès le lendemain fuitent sur les réseaux sociaux, font scandale.

LA SOBRIÉTÉ, MOUSSA DIAWARA N’EN EST PAS VRAIMENT ADEPTE

Nombre de Maliens ne comprennent pas une telle scène alors que des militaires meurent chaque semaine au front. Gêné par cette affaire, le cinquantenaire ira de lui-même s’expliquer auprès d’IBK, qui lui maintiendra sa confiance. À la fin de 2019, le président envisage même de le nommer ministre de la Défense, mais l’intéressé refuse. « Cette fête d’anniversaire était inopportune, admet une figure de l’ancien régime. L’exercice de telles fonctions impose une certaine sobriété, qu’il n’a pas forcément respectée. »

La sobriété, l’intéressé n’en est pas vraiment adepte. Militaire de carrière, certes, mais doté d’un sens certain des affaires, « il est probablement l’un des plus riches du pays », lâche un bon connaisseur du ghota bamakois. Avec son fils « Abba », il gère des dizaines de camions-citernes qui importent du carburant depuis des années. « Il avait notamment le marché de ravitaillement et d’approvisionnement d’Énergie du Mali (EDM) », indique une source dans l’administration. D’autres l’accusent également de trafic d’influence. « Il pesait pour obtenir la nomination de gens ou faciliter les activités d’opérateurs économiques et, en retour, ils les faisaient passer à la caisse », poursuit une bonne source.

Parmi ses partenaires de business, l’âme damnée du régime déchu de son père : Karim Keïta. Le nom des deux hommes revient avec insistance quand sont évoquées les affaires de corruption sous la présidence IBK. Affaire de l’avion présidentiel, affaire de la surfacturation d’équipement militaire… Selon une source militaire, Moussa Diawara et Karim Keïta, à l’époque député et président de la Commission sécurité et défense à l’Assemblée nationale, auraient remporté plusieurs marchés du ministère de la Défense à travers des sociétés fictives. « À eux deux, ils formaient une vraie mafia », accuse un haut gradé.

En arrivant à la SE, Diawara aurait également perpétué les vieux liens entre les services de renseignements maliens et les narcotrafiquants du Nord. Dans les dernières années du régime d’IBK, plusieurs dirigeants occidentaux, en particulier onusiens et français, s’étaient directement inquiétés auprès du président malien de l’implication personnelle de son ancien aide de camp dans des affaires de trafic de drogue.

Le nom de Moussa Diawara est même cité noir sur blanc dans un rapport du groupe d’experts de l’ONU sur le Mali publié le 7 août 2020, quelques jours avant le coup d’État fatal à IBK. « Le groupe d’experts a reçu des informations confidentielles selon lesquelles [des] interventions visant à faire libérer des trafiquants de drogue, condamnés par la justice au Niger le 29 avril 2020, s’inscrivaient dans le cadre d’un vaste plan de protection des membres de la tribu arabe des Lemhar – y compris les détenus pour suspicion de terrorisme –, fourni en échange de versements mensuels effectués par Mohamed Ould Mataly, au moins jusqu’en juillet 2018, au général Moussa Diawara, chef de la sécurité d’État », indique ce texte.  

Main dans la main avec Bah N’Daw

Des secrets, « le mauvais génie de Bamako », comme le surnomme un diplomate étranger, en a des dizaines. Le 18 août 2020, quand il décide de s’évaporer dans la nature à bord d’une moto, seul lui et une poignée de fidèles sont capables de retracer avec exactitude son itinéraire. Ce jour-là, la foule amassée devant la résidence d’IBK espère le voir dans le convoi des forces spéciales qui exfiltre l’ancien président vers Kati. Mais, tout comme Karim Keïta, Moussa Diawara manque à l’appel.

Où pouvait-il bien se trouver ? Selon des sources concordantes, le général aurait d’abord trouvé refuge à une dizaine de kilomètres de Bamako, dans la ville de Kalabancoro. Il y est hébergé par Yamadou Keïta, un camarade de longue date qui fait des affaires dans le domaine de la sécurité. Moussa Diawara s’y cache quelques semaines, avant de fuir par la route en Gambie, où il est accueilli par Ousman Sowe, le patron des renseignements, avec qui il s’est lié d’amitié.

La suite s’écrit au conditionnel. Certains affirment qu’il se serait réfugié à Dubaï. D’autres pensent qu’il est resté caché dans la sous-région. Invisible durant plusieurs mois, il réapparaît en tout cas en mai 2021, à l’occasion du mariage de son fils Abba. Sa photo fait alors la une de tous les journaux maliens qui annoncent son retour à Bamako. On raconte même qu’il doit s’entretenir avec les autorités de la transition.

Plusieurs sources attestent qu’à ce moment-là Diawara rentre au pays à bord d’un vol commercial Istanbul-Bamako de la compagnie Turkish Airlines. Pourquoi le général a-t-il décidé de rentrer neuf mois après la chute d’IBK ? Craint, mais aussi détesté, a-t-il obtenu des garanties sur sa sécurité ? 

Ce retour, Diawara le négocie avec Bah N’Daw, l’éphémère président de la transition. Les deux hommes se connaissent bien. Certains assurent qu’en 2014, le chef de la SE a favorisé la nomination de son aîné comme ministre de la Défense sous IBK. 

DE RETOUR À BAMAKO, DIAWARA BÉNÉFICIE DE LA PROTECTION DE BAH N’DAW, EN ÉCHANGE IL DOIT AIDER À ÉVINCER LES JEUNES COLONELS

Sitôt à Bamako, Diawara devient un discret conseiller du président de la transition, qui lui offre sa protection et lui promet de le nommer conseiller spécial chargé des questions de sécurité. En échange, l’ancien patron de la sécurité d’État doit aider à évincer les jeunes colonels que Bah N’Daw ne supporte plus. Il a pour cela un atout de taille : il les connaît très bien, pour avoir commandé certains d’entre eux à la Garde nationale.

Geôle cinq étoiles

Mais rien ne se passe comme prévu. Le 24 mai, le remaniement, qui évince Camara et Koné, est mort-né. Bah N’Daw est arrêté par les colonels, et cette fois-ci Moussa Diawara ne parvient pas à s’enfuir. Lui aussi est interpellé. « Sa proximité claire avec Bah N’Daw lui a valu cette arrestation », commente une source bien informée au Mali. Dans la nuit du 24 au 25 mai, il est placé en résidence surveillée à l’École de gendarmerie du camp 1 à Bamako. Il y passera quelques jours avant d’être relâché. 

Moussa Diawara fait alors tout pour convaincre les putschistes qu’il n’est pas contre eux. Sans succès. Il est à nouveau arrêté et inculpé, le 9 juillet, pour « complicité de séquestration et d’enlèvement », « torture » et « associations de malfaiteurs » dans l’affaire de la disparition de Birama Touré, en janvier 2016. La justice lui reproche de ne pas avoir signalé la détention « clandestine » de ce journaliste, qui, selon plusieurs sources, est mort, après avoir été torturé dans les locaux de la SE. 

CELUI QUI FUT SEPT ANS LE PREMIER ESPION DU MALI, A DÉJÀ PROUVÉ QU’IL SAVAIT RESSUSCITER

Depuis, Moussa Diawara est toujours détenu dans les locaux de l’École de la gendarmerie de Bamako, dans une geôle cinq étoiles. Là, pas question de vivre dans les dortoirs exigus et surpeuplés de la maison d’arrêt centrale. Au camp 1, Diawara a droit à un deux-pièces, dont il peut sortir allègrement pour discuter avec les officiers du camp.  » Il est toujours très respecté. Il a encadré ces jeunes et a facilité la promotion de nombre d’entre eux », reconnaît l’un de ses avocats. Son influence est telle qu’il choisit lui-même ses visiteurs. Au début de son incarcération, une équipe de la division des droits de l’homme de la Minusma a ainsi été priée de rebrousser chemin.

« Son dossier judiciaire est vide. Les juges ne parviennent pas à mettre sur la table des preuves tangibles qui pourraient permettre de l’inculper », affirme une source proche du dossier. L’instruction peine à avancer, mais les nouveaux maîtres du Mali semblent ne surtout pas vouloir que Diawara recouvre sa liberté. Sans doute ont-ils raison de se méfier. Celui qui fut pendant sept ans le premier espion du Mali a déjà prouvé qu’il savait ressusciter. 

Le cycle de l’eau douce atteint un seuil critique, la sixième frontière planétaire vient d’être franchie 

Analyse 

Après la pollution chimique en février dernier, une sixième frontière planétaire vient d’être franchie. Dans une étude publiée par la revue Nature jeudi 28 avril, plusieurs scientifiques alertent sur le niveau critique du cycle de l’eau douce.

  • Julie Richard, 
Le cycle de l’eau douce atteint un seuil critique, la sixième frontière planétaire vient d’être franchie
 
Photo d’illustration des bassins du Doubs, à Villers-le-Lac, le 25 avril 2022.LUDOVIC LAUDE/L'EST REPUBLICAIN/MAXPP

Pour la deuxième fois cette année, une nouvelle frontière planétaire vient d’être franchie. Dans une étude publiée par la revue Nature jeudi 28 avril, plusieurs scientifiques alertent sur le niveau critique du cycle de l’eau douce.

→ ANALYSE. Sécheresse : pourquoi neuf départements sont déjà en alerte

Inventé en 2009, le concept de « frontières planétaires » comprend l’ensemble des seuils à ne pas dépasser pour maintenir les conditions environnementales dans lesquelles l’humanité a pu se développer. La communauté scientifique s’est accordée pour en définir neuf parmi lesquelles le changement climatique, l’érosion de la biodiversité ou encore l’acidification des océans. À chaque fois que l’un de ces seuils est franchi, le risque d’une transformation du système planétaire s’accroît et, avec lui, celui d’une réaction en chaîne.

Le cycle de l’eau atteint un stade critique

Selon les rédacteurs de l’étude, une sixième limite planétaire vient d’être franchie ce jeudi et elle concerne le cycle de l’eau douce. Plus précisément les chercheurs alarment sur le niveau critique « d’eau verte », qui comprend l’ensemble de l’eau douce absorbée par les végétaux et qui retourne directement à l’atmosphère par évaporation.

Jusqu’à présent l’eau verte n’était pas prise en compte dans les ressources en eau douce, les études se concentrant sur « l’eau bleue » issue des précipitations atmosphériques qui s’écoule dans les cours d’eau jusqu’à la mer, ou qui se déverse dans les lacs, les aquifères ou les réservoirs.

Or, selon les scientifiques, l’étude insuffisante de l’eau verte viendrait fausser les résultats sur les indicateurs concernant les ressources en eau douce. « Une articulation explicite de l’eau verte est nécessaire pour mieux représenter l’étendue et la diversité des pressions humaines sur le cycle de l’eau », expliquent les rédacteurs de l’étude.

Les indicateurs bien au-delà de la zone de sécurité

La nouvelle évaluation scientifique présentée dans l’étude tend au contraire à montrer qu’en prenant en compte l’eau verte, les indicateurs se situeraient bien au-delà de la zone de sécurité qui est évaluée à l’échelle mondiale à 4 000 km3/an alors qu’elle ne dépasse pas les 2 600 km3 selon les calculs actuels.

Les activités humaines comme la déforestation, l’urbanisation croissante, les émissions de gaz à effet de serre et d’aérosols modifient la capacité de rétention d’eau de l’atmosphère et auraient donc un impact direct sur les ressources en « eau verte ». Le franchissement d’un tel seuil impliquerait plus généralement « une détérioration du fonctionnement du système terrestre » notamment en favorisant le risque de transgression des frontières centrales que sont le changement climatique et l’intégrité de la biosphère.

Une limite de plus franchie en moins d’un an

En février dernier, une étude publiée dans la revue Environmental Science & Technology tirait déjà la sonnette d’alarme. Elle expliquait que la pollution chimique (cinquième limite) venait d’atteindre un seuil « non compatible avec le maintien de l’humanité dans un espace de fonctionnement sûr ».

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Ces frontières, bien que constituant un indicateur pertinent et aujourd’hui reconnu à l’échelle européenne pour comprendre l’impact de l’activité humaine sur l’environnement, doivent être interprétées avec précaution. « Lorsqu’on atteint une frontière, les scientifiques estiment qu’on a franchi une zone d’incertitude. Une fois le seuil franchi, on sait qu’il peut y avoir des effets mais on n’en est pas sûr. Et on ne sait pas non plus si ces effets sont irréversibles », précise Aurélien Boutaud, consultant indépendant en environnement (1).

Il est également, selon l’expert « très difficile de fixer des seuils ou de prévoir les réactions en chaînes », qui peuvent en découler. Une chose reste certaine cependant : quand six seuils sur neuf sont atteints, l’urgence climatique ne se pose plus.

(1). Coauteur avec Natasha Gondran de l’ouvrage « Les limites planétaires », Éd. La Découverte, 2020