Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Niger: la Cour des comptes relève de nombreuses irrégularités

 

Au Niger, la Cour des comptes a rendu public son rapport annuel pour 2021. La Cour est notamment chargée de contrôler les opérations de l'État, collectivités territoriales et les établissements publics. Le document de 300 pages a été remis au président Mohamed Bazoum la semaine dernière.

 

Le rapport pointe d'abord des dysfonctionnements et irrégularités dans la conduite des opérations de l'État. Par exemple, l'existence de soldes anormaux dans certains comptes, ou des dépenses sans base légale. Dysfonctionnements aussi dans la gestion des collectivités territoriales et des sociétés publiques contrôlées cette année.

La Cour se penche par ailleurs sur les comptes annuels des partis politiques et sur leurs comptes des élections. Selon son premier président, Narey Oumarou, « rares sont les partis qui ont produit les comptes des élections ». Et même quand ils l'ont fait, la Cour n'a pas été en mesure de se prononcer sur leur régularité et leur sincérité.

Par ailleurs, certaines personnalités, notamment les membres du gouvernement, sont tenues de déclarer leurs biens. Certains ne l'ont pas fait dans les délais, d'autres n'ont tout simplement pas « daigné le faire », indique la Cour des comptes. 

Le Covid a bon dos

Enfin, l'instance estime dans ce rapport que la pandémie de Covid-19 a servi de prétexte à toutes sortes d'abus : surfacturation, fausse mise en concurrence, contrats passés par entente directe sans mise en concurrence, sans que les conditions soient réunies... Ce sont quelques-uns des points soulevés par la Cour des comptes après son audit des marchés publics du Programme de réponse au Covid-19.

Ce texte relève que des modifications inopportunes ont été apportées pour la passation des marchés publics dans le cadre de la riposte à la pandémie.

La Cour estime que des constructions ont été réalisées et des équipements acquis à des coûts non raisonnables par les ministères contrôlés (sont cités ceux de la Santé, de l'Agriculture et de l'Hydraulique). Elle cite plusieurs exemples, dont des bols à café achetés à 10 000 francs CFA, soit environ 15 euros l'unité, ou des matelas acquis à un prix élevé. Le rapport chiffre le montant total du manque à gagner à plus de 5 milliards de FCFA.

Les ministères concernés ont répondu aux sollicitations de la Cour des comptes. Celui de la Santé, par exemple, affirme que « la demande était nettement supérieure à l'offre dans un climat de panique générale où les pays n'étaient pas en position d'imposer aux fournisseurs un quelconque conformisme de prix ».

La Cour formule chaque année des recommandations pour remédier aux dysfonctionnements constatés. Pour les opérations de l'État, par exemple, moins de la moitié ont été mises en œuvre. Dans la société civile, certaines voix pointent du doigt ce faible taux et évoquent la persistance de certaines pratiques au fil des ans.  

Togo : l’État licencie plus de 100 enseignants grévistes

 

Nouvelle sanction contre les enseignants grévistes du SET, le Syndicat des Enseignants du Togo. Lundi 25 avril, le ministre en charge de la Fonction publique a pris quatre arrêtés : 112 enseignants perdent pour de bon leur emploi.

 

Tous faisaient partie de la cohorte d'enseignants d'abord retirés des classes fin mars et début avril pour être reversés dans d'autres services de l'administration. Cette fois, donc, ces 112 enseignants sont « révoqués » ou « licenciés pour « manquements graves » aux textes régissant leur profession. Il leur est reproché « des actes d'incitation à la violence, à la désobéissance et la révolte ». En cause : des « perturbations en milieu scolaire dans certaines localités » lorsque des élèves étaient sortis de leurs établissements au début du mois pour demander le retour de leurs professeurs.

Le SET, syndicat « illégal »

Le SET, c'est ce syndicat qui tente de mobiliser depuis plusieurs semaines pour demander de meilleures conditions de travail et une meilleure rémunération des enseignants. Mais pour le gouvernement, ce n'est pas un interlocuteur légitime. Les autorités considèrent le syndicat comme « illégal ».

Le secrétaire général du SET, Kokou Mawouegna, affirme ne pas se décourager. « Dans toute lutte, on laisse des plumes. » Le syndicat examine ses voies de recours.

À noter que trois membres du SET sont toujours à la prison civile de Lomé. Et que dans les quatre arrêtés signés lundi par le ministre Gilbert Bawara, est indiqué que 26 autres enseignants sont rétablis dans leurs fonctions et six autres exclus temporairement.

Bénin: Patrice Talon entame la discussion sur la hausse des salaires avec syndicats et patronat

 

En présentant ses vœux du nouvel an à ses compatriotes, le 31 décembre dernier, le chef de l’État béninois a promis une « revalorisation » des salaires aux travailleurs. Mardi 26 avril, Patrice Talon démarre les négociations recevant les syndicats et les employeurs. La rencontre est une première, les « sujets revendications » sont traités par une commission de concertation « gouvernement-syndicats », conduite par des ministres. La rencontre, qui se tient dans un contexte de forte hausse du coût de la vie, suscite intérêt et espoirs.

 

Avec notre correspondant à Cotonou, Jean Luc Aplogan

Patrice Talon a invité, pour cette rencontre, les trois confédérations syndicales reconnues et les deux associations d’employeurs. À ses côtés, plusieurs ministres, notamment celle du Travail et son ministre d’État en charge des Finances du pays, Romuald Wadagni.

La dernière hausse des salaires remonte à 2011 et le Smig béninois, qui est de 40 000 francs CFA, n’a pas bougé depuis 2014.

Les leaders syndicaux espèrent bien que Patrice Talon fasse des annonces concrètes. Un leader syndical joint au téléphone souhaite que ce soit le point indiciaire qui soit relevé pour ne pas exclure les retraités, un autre plaide pour un accord-cadre sur trois ou quatre ans avec une augmentation annuelle des recettes.

Selon nos informations, le chef de l’État et ses équipes ont travaillé jusqu’à lundi 25 avril sur plusieurs options.

Il y a l’urgence d’augmenter les salaires et le Smig pour soulager les béninois face à la vie chère. S’il s’agit d’une revendication récurrente des syndicats, c’est également une promesse présidentielle à honorer. Et puis il y a des besoins urgents et impératifs de recrutement dans plusieurs secteurs.

 À lire aussi : Le Bénin amputé d'aides américaines à cause du «non-respect de principes démocratiques»

Trafic de bois en Côte d’Ivoire : l’affaire qui a précipité la chute d’Alain-Richard Donwahi

« Trafic de bois : les coulisses du pillage » (1/5). Arrêté en novembre 2021, Ibrahim Lakiss, exploitant forestier ivoiro-libanais, est soupçonné d’avoir mis en place un système de racket avec la complicité de nombreux responsables régionaux et d’opérateurs privés. Enquête sur un scandale d’État qui a coûté son poste au ministre des Eaux et Forêts, Alain-Richard Donwahi.

 
Par  - à Abidjan
Mis à jour le 25 avril 2022 à 14:55
 
 bois
 

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Montage JA : Alfredo D’Amato/Panos-REA

Planté en plein cœur de la très cossue commune de Cocody, l’Ivoire Trade Center (ITC) est l’un des nouveaux coins chics d’Abidjan. L’antenne ivoirienne du cabinet d’audit et de conseil PricewaterhouseCoopers (PWC) y a établi ses bureaux. La bourgeoisie aime se délasser dans ce petit centre commercial au sol marbré, mitoyen de l’hôtel Sofitel Ivoire, avec son magasin de l’enseigne française Monoprix, son caviste hors de prix et ses restaurants bien sous tous rapports. On y donne ses rendez-vous professionnels, on vient y bruncher le dimanche. Et, en de très rares occasions, on s’y fait arrêter.

Il est tout juste 21 heures, ce samedi 20 novembre 2021. Les enquêteurs de l’Unité de lutte contre la grande criminalité (ULGC) sont sur le point de mettre la main sur un exploitant forestier qu’ils pistent depuis près d’une semaine. Son téléphone borne à plus d’une centaine de kilomètres de là, non loin de Niablé, dans l’est de la Côte d’Ivoire, mais la source est formelle. L’homme qu’ils recherchent est bien là, attablé en terrasse avec sa femme, un cigare aux lèvres, une montre en or au poignet. Ibrahim Lakiss dirige la plus grosse scierie d’Abengourou. L’étendue précise de sa fortune est incertaine. Mais, dans le milieu, on le dit milliardaire.

Ibrahim Lakiss sur l’une de ses parcelles, près d’Abengourou, dans l’est de la Côte d’Ivoire, en avril 2021. © DR

 

Ibrahim Lakiss sur l’une de ses parcelles, près d’Abengourou, dans l’est de la Côte d’Ivoire, en avril 2021. © DR

 

Conduit au camp de Sebroko, dans le quartier d’Attécoubé, à Abidjan, où est établie l’ULGC, il sera déféré deux semaines plus tard à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), où il se trouve encore. Ibrahim Lakiss est poursuivi pour association de malfaiteurs, corruption, extorsion de fonds, déboisement sans autorisation du domaine forestier, blanchiment, enrichissement illicite et harcèlement moral. Son arrestation est le fruit d’une enquête de plusieurs semaines qui a mis au jour un système quasi mafieux, ébranlé tout entier le ministère des Eaux et Forêts, jusqu’à son ministre, Alain-Richard Donwahi. En poste depuis le 19 juillet 2017, il a été remplacé le 20 avril par Laurent Tchagba et ne fait désormais plus partie du gouvernement.

Courriers et plaintes

Issu de l’une des grandes familles qui dirigent le pays depuis plus de soixante ans, Alain-Richard Donwahi avait déjà été épinglé pour sa gestion du ministère de la Défense, dont il a occupé les rênes de janvier 2016 à 2017. À l’époque, cet ancien cadre du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) était sous pression pour rejoindre le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Hédoniste, amateur de moto, il se rend régulièrement en hélicoptère dans son fief de la Nawa, dont il est le président du Conseil régional. Il est aussi l’un des dignitaires importants de la Grande Loge de Côte d’Ivoire (GLCI). L’avocat Sylvère Kuyo, qui a succédé à Hamed Bakayoko comme Grand Maître, en a fait son adjoint. Contacté, Alain-Richard Donwahi n’a pas répondu aux sollicitations de Jeune Afrique.

Tout commence à la fin de l’année 2020. Constatant que sa concession au nord de Bouaké est régulièrement pillée, un exploitant forestier, industriel et exportateur de bois de lingué, décide de saisir les autorités. Il envoie une série de courriers à la primature, à différents ministères, à l’inspection générale d’État, ainsi qu’au président de la Haute Autorité pour la bonne gouvernance. Une plainte à la gendarmerie aboutit finalement à quelques arrestations. Mais le pillage se poursuit, jusqu’au jour où le dossier est transmis à l’ULGC. Dirigée par le colonel Inza Fofana, alias « Gruman », cette dernière dépend officiellement de la direction générale de la police, mais elle est en réalité coiffée par le ministre de la Défense et frère du président, Téné Birahima Ouattara. Nous sommes en octobre 2021 et l’enquête va brusquement s’accélérer.

Est rapidement mis au jour un vaste trafic de bois de lingué, dont la coupe est réglementée et même interdite depuis 2013 sur une bonne partie du territoire ivoirien (au-dessus du 8e parallèle), dont bénéficiaient quatre sociétés, SNG, Hung Ivory Coast, Sexin Ressources, Kysy Entreprise. Deux sont détenues par des Chinois, une par des Vietnamiens et une par des Libanais. Bien que ne faisant pas partie de la liste des unités de transformation agréées par le ministère, elles opéraient grâce à des autorisations de mainlevée. Délivré par le ministère, ce document permet normalement à des opérateurs privés d’acheter des stocks de bois coupés illégalement après leurs saisies par les autorités. Les sociétés chinoises étaient parvenues à en obtenir en graissant quelques pattes. Elles les utilisaient pour justifier d’autres cargaisons illégales de bois.

LES ENQUÊTEURS ONT DÉCOUVERT QUE LA PIERRE ANGULAIRE DU SYSTÈME N’ÉTAIT AUTRE QUE LE CHEF DE CABINET D’ALAIN-RICHARD DONWAHI

Plusieurs trafiquants de nationalité chinoise sont interpellés à la fin d’octobre 2021, et leurs scieries, fermées. Sur l’un d’eux, les limiers de l’ULGC saisissent un document qui va changer le cours de l’enquête : un carnet de répartition des sommes remises à différents fonctionnaires du ministère des Eaux et Forêts, et à des agents des ports d’Abidjan et de San Pedro grâce à qui le bois coupé illégalement était expédié en Chine.

Fac-similés d’une autorisation de mainlevée signée par Alain-Richard Donwahi et d’un rapport d’enquête sur le trafic de bois de lingué. © DR

 

Fac-similés d’une autorisation de mainlevée signée par Alain-Richard Donwahi et d’un rapport d’enquête sur le trafic de bois de lingué. © DR

 

« On a découvert qu’une véritable mafia chinoise avait prospéré et qu’une partie du ministère était corrompue. La pierre angulaire du système n’était autre que le chef de cabinet d’Alain-Richard Donwahi », explique l’un des responsables de l’enquête dans la pénombre d’un bar abidjanais. Également préfet, Youssouf Traoré est un proche collaborateur du ministre, aux côtés duquel il se trouvait déjà lorsque celui-ci officiait à la Défense. Étrangement, tous les trafiquants chinois sont relâchés peu de temps après leur arrestation sans être poursuivis.

Si Ibrahim Lakiss n’est pas impliqué dans ce trafic, son nom revient régulièrement lors des différentes auditions. Et c’est vers lui que les enquêteurs décident d’orienter leurs investigations. Libanais d’origine, âgé d’un peu moins de 50 ans, il est issu d’une famille bien connue en Côte d’Ivoire – elle s’y est établie au début du XXe siècle –, notamment dans la filière café-cacao. Son cousin Ali Lakiss fut notamment le patron de la Société Amer et Frères (Saf Cacao) dont la faillite, en 2018, avait défrayé la chronique.

Hautes sphères

Né à Akoupé, une petite ville de l’est de la Côte d’Ivoire à 140 kilomètres d’Abidjan, Ibrahim s’est très vite tourné vers la filière bois à la fin des années 1990. Fêtard et flambeur, l’Ivoiro-Libanais a le contact facile. Il se fait un nom auprès des barons du Front populaire ivoirien (FPI). L’un de ses parrains est notamment Lazare Koffi Koffi, ministre de la Jeunesse, de la Formation professionnelle et de l’Emploi de 2000 à 2003, puis des Eaux et Forêts dans le dernier gouvernement de Laurent Gbagbo.

LAKISS S’ÉTAIT CONSTITUÉ UN SOLIDE CARNET D’ADRESSES DANS LA POLICE ET AU SEIN DU SYSTÈME JUDICIAIRE

Au fil des ans, Ibrahim Lakiss devient à son niveau un petit baron. Il possède plusieurs permis de port d’arme et collectionne les grosses cylindrées. Il est notamment le fier propriétaire de la première Cadillac Escalade importée en Côte d’Ivoire. Début 2010, il crée la Nouvelle Société forestière de l’Idenie (NSEFI) et ouvre sa propre scierie à Abengourou. « Il s’était constitué un solide carnet d’adresses dans la police et au sein du système judiciaire », explique l’un de ses anciens amis, qui assure que Lakiss jouait parfois le rôle d’indic.

Les affaires de Lakiss ne pâtissent pas du changement de régime. Il fréquente toujours les hautes sphères du pouvoir, ministres, juges, hommes d’affaires, sportifs et pions de l’appareil sécuritaire. Lorsqu’il était en détention à Sebroko à la fin de 2021, Lakiss a notamment reçu la visite du directeur général adjoint de la police, ainsi que celle du préfet de police d’Abidjan. L’information est remontée aux oreilles du ministre de la Défense, qui a convoqué les intéressés pour les mettre en garde.

Train de vie fastueux

Ces dernières années, l’influence et la richesse de Lakiss s’étaient encore accrues. Il a dix téléphones portables – dont un pour les footballeurs, un autre pour les ministres. Outre un vaste appartement à Marcory, en Zone 4, lieu de résidence d’environ 70 % des expatriés – à commencer par les Français – et des riches Libanais établis depuis plus longtemps à Abidjan, il s’est offert une villa dans le luxueux quartier Beverly-Hills, à Cocody, où se presse l’élite fortunée du pays. La ministre des Affaires étrangères, Kandia Camara, est sa voisine.

Dans son fief d’Abengourou, l’Ivoiro-Libanais, qui apprécie les grosses cylindrées, a construit une demeure clinquante où il aime recevoir et étaler sa richesse, se prélasser dans sa piscine, son bar privé, s’amuser avec son singe de compagnie. Le soir, on déguste du saumon fumé, accompagné de grands crus.

EN UN PEU PLUS D’UN AN, LE PRÉJUDICE POUR L’ÉTAT S’ÉLÈVE À QUELQUE 6 MILLIONS D’EUROS

Ce train de vie fastueux détonne dans le milieu des exploitants de bois. Comment a-t-il pu amasser une telle fortune ? se demandent ses concurrents. Devant les enquêteurs, les agents des Eaux et Forêts avancent une explication. Ils décrivent Ibrahim Lakiss comme une sorte de ministre bis, la pierre angulaire d’un cabinet noir présent au sein même du ministère. « Il donnait des instructions au chef de la Brigade spéciale de surveillance et d’intervention (BSSI), demandant et dictant les ordres de mission, distribuant des documents administratifs, déterminant le nombre de véhicules à affecter à telle ou telle mission. Il était également en mesure de faire muter des fonctionnaires à sa guise, y compris des directeurs », peut-on lire dans un rapport d’enquête consulté par Jeune Afrique.

La police, instrument d’un vaste racket

Créée par décret en janvier 2018, la BSSI est opérationnelle depuis août 2020. Ses 650 hommes dépendent directement du ministère des Eaux et Forêts. Elle a été présentée comme le dernier outil de la lutte contre la déforestation, dont Donwahi s’est fait le chantre.

Mais, selon plusieurs sources judiciaires, c’est surtout auprès de la police forestière que son influence était importante, à tel point qu’il avait réussi à la détourner de sa mission principale pour en faire l’instrument d’un vaste système de racket des industriels du bois, principalement libanais. « Le principe était d’envoyer la police contrôler des cibles précises, souvent des concurrents de Lakiss, de leur infliger de lourdes amendes qui étaient, par la suite, négociées par lui-même [Lakiss] à la baisse », explique le rapport d’enquête mentionné plus haut. Le préjudice pour l’État est estimé à 40 milliards de F CFA, environ 6 millions d’euros, en un peu plus d’un an.

LE CHEF DE LA POLICE FORESTIÈRE RENDAIT RÉGULIÈREMENT COMPTE À LAKISS DE CERTAINES DE SES MISSIONS

Les enquêteurs ont notamment récupéré une conversation WhatsApp sur le téléphone du directeur de la police forestière. « Bonjour fils, Yu Yan vient de se mettre en règle sur les 10 kg », écrit-il. Le destinataire n’est autre qu’Ibrahim Lakiss. « Fais-lui comprendre que ça, ce n’est pas pour toi, que c’est pour le patron, qu’il faut qu’il te gère lui-même, que tu viens de le sauver, sinon après la mission, il allait avoir une dose », répond-il. On comprend à la lecture de plusieurs autres échanges entre les deux hommes que le chef de la police forestière rendait régulièrement compte à Lakiss de certaines de ses missions.

Comment un tel système a-t-il pu s’instaurer et qu’en savait le ministre Alain-Richard Donwahi ? Est-il le « patron » auquel fait référence Lakiss dans son message ? Lors de son interrogatoire, l’un des opérateurs chinois arrêtés avait affirmé que certaines sommes remises pour permettre à ses activités illicites de perdurer étaient destinées au ministre. Des faits que le chef de cabinet de ce dernier n’a pas confirmés devant les enquêteurs. Reçu fin janvier par le ministre de la Défense, qui suit le dossier de près et en tient informé le président, Alain-Richard Donwahi a fait part de son plus grand étonnement devant les suspicions qui le visent.

L’ancien ministre des Eaux et Forêts Alain-Richard Donwahi lors de l’opération « 1 jour, 50 millions d’arbres », dans la forêt classée d’Anguedédou, le 29 octobre 2021. © Luc Gnago/REUTERS

 

L’ancien ministre des Eaux et Forêts Alain-Richard Donwahi lors de l’opération « 1 jour, 50 millions d’arbres », dans la forêt classée d’Anguedédou, le 29 octobre 2021. © Luc Gnago/REUTERS

Éléments troublants

Un certain nombre d’éléments que Jeune Afrique s’est procurés mettent pourtant en doute cette version. Ils attestent, au minimum, d’une certaine proximité entre Ibrahim Lakiss et le ministre. Il y a d’abord ces photos, non datées, sur lesquelles les deux hommes posent ensemble. Sur certaines, Alain-Richard Donwahi est accompagné de la femme et des enfants de l’homme d’affaires ivoiro-libanais.

Il y a aussi ces deux messages vocaux transmis à Jeune Afrique où la voix a été authentifiée par trois sources comme étant celle d’Ibrahim Lakiss. Il y évoque le paiement d’une amende par la société italienne Tranchivoire. « Le responsable de Tranchivoire m’a fait savoir qu’il a rencontré le chef de cabinet hier. Il avait proposé un montant insignifiant de 4 millions de F CFA. Le chef-cab lui a proposé 10 millions. Monsieur le ministre, on ne peut pas cautionner cela alors que cette société certifiée a reconnu les faits pour 60 millions. Il faut qu’on maintienne les 60 millions. Ils sont dans le besoin. Ils sont coincés, ils vont payer », peut-on notamment entendre. La discussion n’est pas datée, mais selon un agent des eaux et forêts, elle remonte à août 2021. « Tranchivoire travaillait dans une forêt classée sans respecter la législation. On a fait un procès-verbal et la société a reconnu les faits en commission, acceptant de payer une amende de 60 millions », raconte-t-il.

Dernier élément troublant : selon plusieurs documents consultés par JA, Alain-Richard Donwahi a autorisé à plusieurs reprises la BSSI à mettre certains de ses éléments à disposition d’Ibrahim Lakiss pour une « mission de contrôle ». Pour quelles raisons ? Contactés par JA, l’homme d’affaires ainsi que son avocat se sont refusés à tout commentaire avant la fin de l’instruction. Donwahi n’a pas non plus répondu à nos sollicitations.

LAKISS EST UN FUSIBLE QU’ON A FAIT SAUTER ALORS QUE LES VRAIS ORGANISATEURS DU TRAFIC N’ONT PAS ÉTÉ INQUIÉTÉS

Un agent des eaux et forêts a sa petite idée. Il se souvient notamment de cet épisode d’octobre 2021. « À la demande de Lakiss, nous sommes allés effectuer des missions de contrôle dans plusieurs forêts classées. Le ministre fut informé et donna sa validation », raconte-t-il. La particularité de ces forêts est qu’il était question à ce moment-là qu’elles soient cédées à des opérateurs privés qui, en échange de ces concessions, s’engageraient à réaliser des travaux d’aménagement. « Lakiss avait des vues sur ces forêts. Il racontait à tout le monde que le ministre les lui avait promises. L’objectif des missions de contrôle était d’empêcher les sociétés qui exploitaient alors ces zones de couper du bois en attendant qu’il puisse le faire », ajoute notre source.

Le président demande un audit

« Tout ceci est faux et a été monté de toutes pièces par ses concurrents, répond un proche d’Ibrahim Lakiss, qui dénonce un acharnement. Lakiss est un fusible qu’on a fait sauter alors que les vrais organisateurs du trafic n’ont pas été inquiétés. Pourquoi est-ce que les Chinois interpellés ont-ils tous été libérés quelques jours plus tard ? Pourquoi aucun responsable des Eaux et Forêts n’est visé ? C’est pourtant eux qui signent les ordres de mission. » Quid de la proximité supposée de Lakiss avec Alain-Richard Donwahi ? « Il était son ministre de tutelle, il est normal qu’il ait eu des contacts avec lui », dit ce proche. « Lakiss n’est ni le premier ni le seul à agir de la sorte. Le problème, c’est qu’il a trop parlé, au point d’exaspérer les agents des eaux et forêts et les exploitants de la filière. Résultat, il prend pour tout le monde », estime de son côté un membre de la BSSI.

L’enquête se poursuit pour démêler le vrai du faux. D’abord ouverte devant le Pôle pénal économique et financier du tribunal de première instance d’Abidjan, la procédure judiciaire a été confiée début janvier à la Cour de cassation, la plus haute juridiction de l’administration ivoirienne. À la demande du chef de l’État ivoirien, l’Inspection générale d’État a en parallèle entamé, à la fin de février, un audit complet du ministère des Eaux et Forêts.

LA CÔTE D’IVOIRE NE COMPTE PLUS QUE 3 MILLIONS D’HA DE FORÊTS, CONTRE 16 MILLIONS DANS LES ANNÉES 1960

Outre Lakiss, trois personnes pourraient être inquiétées : Youssouf Traoré, le chef de cabinet du ministre, le lieutenant-colonel Kader Coulibaly, chef de la BSSI, et le colonel Raphaël Yao Oka, directeur de la police forestière. Ces deux derniers ont été discrètement remerciés à la fin de 2021. Tous ont été convoqués le 13 avril dans les bureaux de la Cour de cassation pour une confrontation au cours de laquelle Lakiss a nié les faits qui lui sont reprochés.

Affaire gênante, situation inquiétante

« Cette affaire est très gênante, notamment pour Donwahi », reconnaît un proche d’Alassane Ouattara. « C’est avant tout une histoire politique. Il n’est pas pire que les autres. À chaque fois qu’un remaniement est attendu, il y a une affaire qui sort dans la presse contre lui. Et Lakiss en a fait les frais », répond un proche de Donwahi.

Pour plusieurs experts forestiers, ce scandale est surtout révélateur de la manière dont est gérée la forêt en Côte d’Ivoire. « C’est une ressource qui appartient à l’État et qui est partagée avec des exploitants privés. La loi forestière est tellement contraignante que 75 % de l’exploitation peut être considérée comme illégale. Cela favorise les arrangements et l’enrichissement personnel. Pendant longtemps, la Société de développement des forêts (Sodefor) avait la haute main sur ce système. Mais depuis son arrivée, Donwahi avait repris le contrôle, sans forcément changer le système », explique un expert forestier.

La situation est pourtant inquiétante. La Côte d’Ivoire ne compte plus que 3 millions d’hectares de forêts, contre 16 millions dans les années 1960, en raison de la déforestation massive engendrée par la culture du cacao et de la coupe illégale du bois. Selon les experts, si rien n’est fait, il n’y aura plus de forêt d’ici 2030. Une petite dizaine d’années, donc, pour inverser la tendance. Ou profiter encore un maximum de ce juteux business.

Gambie: les déplacés sénégalais ayant fui les violences au nord de Casamance ne sont toujours pas rentrés

Au Sénégal, le 12 mars dernier, l’armée sénégalaise lançait une opération spéciale contre le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) de Salif Sadio, au nord de cette région du Sénégal. Plus de 6 000 personnes avaient fui les localités autour de la frontière vers l’intérieur de la Gambie. Un mois et demi plus tard, le calme est de retour du côté gambien de la frontière, mais seuls quelques habitants sont rentrés dans leur village.

Avec notre correspondant à Banjul, Milan Berckmans

À bord d’un convoi bien rempli, le capitaine Malick Sanyang, de l’armée gambienne, reçoit un message radio… « Ces arbres brûlés que vous voyez, on vient de me dire que c’est là que la plupart des obus ont atterris. »

Une fois sorti du bus, le lieutenant Omar Bojang montre les traces des affrontements entre l’armée sénégalaise et le MFDC: « C’est l’un des cratères créés par les tirs d’artilleries et cela fait partie de la Gambie. »

Mais si certaines zones sont toujours classées en code rouge par l’armée, quelques habitants ont déjà décidé de revenir.

C'est le cas de Mariatou Badjie. Cette mère de famille de 42 ans, est assise devant sa maison à Karinorr. Elle explique les raisons de son retour: « Tu peux vivre chez quelqu’un d’autre mais ce ne sera jamais ta maison. Et puis nous avons voulu rentrer aussi parce que l’armée nous a assuré que c’était sûr. Ils se sont même occupés de notre bétail en notre absence. »

À quelques kilomètres de là, Modou Gibba, 18 ans, n’a jamais quitté son village de Djifanga. Même si tout est plus tranquille aujourd’hui, il admet ne pas être tout à fait serein: « Tout semble normal, ici, mais on ne sait pas vraiment parce qu’on ne va pas dans cette zone. En fait, on est là mais on n’est pas complètement à l’aise. »

À lire aussi: La Gambie face à un afflux de déplacés de Casamance en raison de l’opération militaire sénégalaise

Malgré un retour au calme depuis une bonne semaine, les tout derniers chiffres de l’agence nationale de gestion des crises montrent que le retour n’est pas si simple. En effet, seuls 144 des 5 626 déplacés sont rentrés dans leur village à l’heure actuelle.