Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Sommet de l'UA: 140 millions de dollars récoltés pour faire face aux crises humanitaires

 

La journée dédiée aux crises humanitaires s’est achevée vendredi soir à la tombée de la nuit à Malabo, en Guinée équatoriale.

Avec notre envoyé spécial à Malabo, Peter Sassou Dogbé

Toute la journée, les discours des chefs d’État ont porté sur les causes des multiples défis auxquels fait face le continent. Parmi ces défis, les crises humanitaires, dont les causes profondes sont les conflits armés. S’y ajoute aujourd’hui, le terrorisme, l’extrémisme violent, le changement climatique et leurs corolaires les inondations prolongées et la sécheresse. Un ensemble de facteurs qui provoquent souvent des déplacements de populations.

Pour juguler ces défis, gouvernements et donateurs ont renouvelé leur engagement pour la cause en mettant la main à poche. Plaidoyer et sensibilisation des partenaires ont permis de faire une bonne moisson financière de 140 millions de dollars sur un besoin de 14 milliards de dollars pour prendre soin des déplacés et réfugiés. 

À la tribune, la Commissaire de l’Union africaine à la Santé, aux Affaires humanitaires et au développement social, Minata Samaté Sessouma, ne retient pas son émotion et sa satisfaction : « J'ai pu voir la volonté et l'engagement des chefs d'État et de gouvernement africains à trouver des solutions africaines aux problèmes africains. On a eu des donations, des contributions pour nous permettre de mener à bien l'action humanitaire. »

Satisfaction aussi pour l’hôte du sommet, Theodoro Obiang Nguema Mbassogo. Il a insisté pour mettre rapidement en œuvre les décisions du sommet. Parmi celles-ci, l’opérationnalisation d’une agence humanitaire panafricaine.

Crise sécuritaire, terrorisme : comment casser le cercle vicieux ?

Ce samedi s'ouvre un deuxième sommet des chefs d’État et de gouvernement de l'Union africaine à Malabo sur les terrorismes, l'extrémisme violent et les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Pourquoi ce sommet et que faut-il attendre ?

Il est très clair que, ces deux ou trois dernières années, notre continent a dû faire face à l'impact du terrorisme, de l'extrémisme violent, des changements anticonstitutionnels de gouvernements, de transitions politiques complexes, et bien sûr de l'impact d'une pandémie sur nos pays et nos peuples. Donc, c'est une opportunité pour renforcer et remodeler notre approche stratégique dans le but d'améliorer les choses. Pour ce qui est du Sahel... Malheureusement, le Sahel est le foyer d'où le terrorisme se répand. Donc il est important pour nous de veiller à ce que ce sommet pose les bases de la survie de l'Afrique. Car notre continent ne peut pas survivre dans l'état actuel, avec l'état actuel du terrorisme, de l'extrémisme violent ou des changements anticonstitutionnels de gouvernement. Cela doit être stoppé. Et un pays tout seul ne peut pas le faire. Ca doit être un effort collectif. Pour qu'enfin nous ayons une réponse collective robuste et que nous prenions l'engagement collectif d'approfondir la démocratie.

Bakonlé Adéoyé, commissaire de l'UA aux Affaires politiques, paix et sécurité

De son côté, Human Rights Watch appelle les dirigeants à faire le lien entre instabilité juridique et crise sécuritaire, et surtout à lutter contre l'impunité des forces de sécurité qui accompagne souvent la réponse militaire aux groupes terroristes, et leur sert, ce faisant, de moyen de recrutement. La Burundaise Carine Kaneza Nantulya est la directrice du plaidoyer pour l'Afrique à Human Rights Watch. Elle explique le point de vue de l'ONG.

Nous remarquons que les atrocités commises semblent avoir été commises en guise de représailles et qu'il n'y a pas de justice rendue aux victimes [...] L'absence de justice, les cycles d'impunité, la détérioration de la règle de droit [...], ces griefs conduisent pas mal de civils à rejoindre les rangs des jihadistes et des groupes armés. Et les jihadistes l'ont compris, ils vont alimenter ces griefs pour qu'ils servent de narratifs.

Carine Kaneza Nantulya

La France, dernier épouvantail à la mode

Les manifestations anti-françaises, devenues habituelles à Bamako, font des émules à Ouagadougou et N’Djamena. Pour les colonels au pouvoir, l’ancienne puissance coloniale représente un bouc-émissaire idéal.

Mis à jour le 26 mai 2022 à 10:07
 
Damien Glez
 

Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

 

© Glez.

 

Comment la France de « papa Hollande », fendant la liesse tombouctienne en 2013, est-elle devenue la piñata sur laquelle les manifestants bamakois tapent aujourd’hui avec le plus d’entrain ? Certes, les clameurs des foules ne se confondent pas avec les opinions des peuples.

Certes encore, chaque contrée souveraine possède le droit de désirer de nouveaux partenariats, sans d’autres formes d’arguments, et il est vrai que le bilan des opérations militaires Serval et Barkhane ressemble à un verre à moitié vide ou à moitié plein – c’est selon. Certes enfin, la France n’était pas guidée dans son épopée malienne que par les seuls intérêts altruistes, Paris anticipant les risques terroristes en Europe, cédant pour le reste aux réflexes françafricains ou promouvant le réseau économique postcolonial ou néocolonial – c’est toujours selon. Pour autant, les calicots qui qualifient la France de « génocidaire » ont-ils été écrits par des gens convaincus que Paris a programmé l’extermination physique et systématique de tout le peuple malien ?

Contagion

L’irrationalité et le populisme étant chacun le catalyseur de l’autre, Barkhane et l’ambassadeur gaulois ont été appelés à faire leurs bagages, tandis que France 24 et RFI ont été bâillonnées, parfois présentées comme victimes équivalentes des russes RT France et Sputnik. À Gossi, les captations de caucasiens manipulant des corps, puis des faux comptes sur le Net, n’ont été publiquement évoquées par les autorités maliennes qu’en se focalisant sur le doigt qui montrait la lune. Le portrait-robot esquissé avant même que ne soit menée l’instruction, il devient superflu de citer « l’État occidental » qui aurait soutenu une « tentative de coup d’État ».

Et voici venue l’heure d’une contagion de manifestations qualifiées d’« anti-françaises », de Ouagadougou, le 27 mars, à N’Djamena, le 14 mai. « Anti-française » ? Les rhéteurs de cette révolution aux références d’extrême-gauche et aux méthodes d’extrême-droite insistent pour dire qu’ils ne sont pas anti-français, mais plutôt critiques d’une certaine politique d’un certain régime d’une certaine France. Nuance utile pour certains pour conserver un passeport français, pour d’autres pour ne pas être privé de « Vache qui rit », ou encore pour rallier à sa croisade nationaliste internationalisée un prolétariat présumé vêtu de gilets jaunes.

Le ministre sénégalais de la Santé limogé après la mort de 11 bébés à l'hôpital de Tivaouane

 

Un deuil national de trois jours a par ailleurs été décrété à compter de ce jeudi après le drame survenu à l’hôpital de Tivaouane, à une centaine de kilomètres au nord-est de Dakar, où 11 nouveaux-nés sont morts dans un incendie.

Avec notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac

En boubou blanc, Abdoulaye Diouf Sarr s’était rendu hier après-midi à l’hôpital de Tivaouane, accompagné d’une importante délégation. Rentré précipitamment de Genève, où se tenait l’Assemblée annuelle de l’Organisation mondiale de la Santé, le désormais ex-ministre était venu apporter son « soutien moral » aux familles touchées par la mort de onze bébés à l'hôpital public de Tivaouane mardi soir : « J'aimerais effectivement partager la douleur avec les familles, avec tout Tivaouane et avec le peuple sénégalais », avait-il déclaré sur place.

Trois heures plus tard, un décret présidentiel annonçait son limogeage. Abdoulaye Diouf Sarr était ministre de la Santé depuis septembre 2017. Des citoyens, syndicalistes ou opposants réclamaient sa démission après les drames survenus à Louga le mois dernier – le décès d’Astou Sokhna, femme enceinte de neuf mois – puis à Kaolack – un bébé déclaré mort, puis retrouvé vivant dans un carton, avant de succomber. Candidat de la majorité pour la mairie de Dakar lors des élections municipales de janvier, Abdoulaye Diouf Sarr avait également essuyé une défaite. À la suite de son limogeage, il a indiqué « renouveler sa loyauté au chef de l’État ».

Le chef de l'État « a nommé Docteur Marie Khemesse Ngom Ndiaye ministre de la Santé et de l'Action sociale en remplacement de Monsieur Abdoudaye Diouf Sarr », a annoncé la présidence. Précédemment directrice générale de la Santé Publique, elle était apparue au-devant de la scène lors de la pandémie de Covid-19, notamment pour communiquer les bilans des cas quotidiens.

Cela suffira-t-il à calmer la colère ambiante ? Devant l’hôpital de Tivouane, des habitants rassemblés expriment leur désolation ce jeudi. Alors que les parents des victimes sont réunis avec la cellule de crise dépêchée par le ministère de la Santé à l’intérieur de l’hôpital, Mustapha Cissé, lui, attend des explications. Son frère avait déjà perdu sa femme lors l’accouchement, il vient de perdre son bébé de 22 jours. « Il était prématuré, c'est pour ça qu'il devait rester là. On a de l'amertume, un chagrin profond », confie-t-il.

Émotion et consternation à Tivaouane

Après la mort de quatre nourrissons à l’hôpital de Linguere en avril 2021, le drame d’Astou Sokhna, il faut que cela s'arrête, soupire Awa Ba : « Ça se répète, et c’est la goutte d’eau. Il faut que les autorités mettent fin à ces drames dans les hôpitaux, qu’ils mettent des moyens, et du matériel pour que cela fonctionne, ça suffit. »

Cette retraitée qui a travaillé 25 ans à la maternité de Tivaouane est fataliste : « je connais bien l’hôpital, le personnel travaille bien, il y a un bon accueil, ce qui s'est passé, c'est la volonté de Dieu. » Mais cette fois, Ahmed Alamine Niane attend des actions fermes du gouvernement : « C'est une situation de désolation, franchement, c'est déplorable. On demande à l'État du Sénégal de situer les responsabilités. »

Dans l’après-midi, le maire de Tivaouane Demba Diop Sy a confirmé le bilan de onze bébés décédés. Aucun n’a survécu. Il parle d’un court-circuit, écarte la « négligence », et appelle à laisser la justice faire son travail.

D'après les premières informations, il paraît qu'il y avait eu un court-circuit dans la salle où les enfants étaient logés. Dans cette salle, il y a des circuits d'oxygène. Il paraît qu'il y a eu un court-circuit, une fuite de gaz et que ça a explosé [...] La salle a été inaugurée en décembre 2021, ce sont de nouveaux équipements [...] Il n'y a pas eu de problèmes de négligence, les entretiens ont été faits à l'heure, à temps [...]

Demba Diop Sy

Le ministère de l’Intérieur indique qu’une enquête a été ouverte. Dans un message sur Twitter, le président Macky Sall a fait part de « sa douleur » et de sa « consternation ».

Guinée : le dilemme de Mamadi Doumbouya

Serrer la vis, interdire les manifestations et prévoir une transition longue, mais sans s’aliéner l’ensemble de la classe politique guinéenne ni la communauté internationale… Pour le chef de la junte, la voie est étroite. Le moindre faux pas pourrait lui coûter cher.

Mis à jour le 25 mai 2022 à 11:11
 

 

Mamadi Doumbouya, le 14 septembre 2021, à Conakry. © JOHN WESSELS/AFP

 

C’est suffisamment inhabituel pour être remarqué. Ce 24 mai, le Conseil des ministres ne s’est pas tenu à Conakry ni même, comme cela pouvait être le cas sous la présidence d’Alpha Condé, dans une ville proche de la capitale. C’est à Nzérékoré, principale ville de Guinée forestière (Sud-Est), à près de 900 km de Conakry, que le gouvernement de Mamadi Doumbouya s’est réuni. En tout, les ministres passeront un mois entier hors de la capitale. Une « immersion sociale et administrative », selon les mots de Rose Pola Pricemou, chargée de l’Information, visant à « faire comprendre la vision du CNRD [Comité national de rassemblement pour le développement] aux populations ».

DOUMBOUYA N’ÉTAIT PAS CONTENT. IL A RÉAGI EN MILITAIRE

Une « punition », corrige un observateur à Conakry. « Doumbouya n’était pas content. Il trouve que l’action du gouvernement n’avance pas assez vite, reprend-il. Il a réagi en militaire : ça ne va pas, on fait nos paquetages et on va faire un tour. » La course contre la montre engagée par le colonel vient en effet de prendre un nouveau tournant : le 11 mai dernier, le Conseil national de transition (CNT) entérinait la durée de la transition, alors que son président, Dansa Kourouma, promettait « un retour à l’ordre constitutionnel irréversible et perpétuel ». Trente-six mois, soit trois de moins que les 39 initialement envisagés par Doumbouya, mais bien plus que ce que la Cedeao est décidée à accepter.

Avant même le prochain sommet de l’organisation régionale, le président de la Commission de la Cedeao, Jean-Claude Kassi Brou, a publiquement critiqué une transition « qui s’apparente à un mandat électif ». Une sortie qui en a provoqué une autre, les autorités guinéennes dénonçant dans la foulée un « manque d’élégance et de respect » de la part de l’Ivoirien.

« Cedeao des peuples contre Cedeao des chefs d’État »

Fidèle à la ligne qu’il s’est fixé, Mamadi Doumbouya tente de conserver de bonnes relations avec la Cedeao, sans pour autant se laisser dicter sa conduite. À leurs interlocuteurs, les diplomates guinéens aiment à répéter cette phrase : « Aujourd’hui, c’est la Cedeao des peuples contre la Cedeao des chefs d’État ».

L’avis est sans nul doute partagé par son homologue à Bamako. Les sanctions imposées au Mali début janvier ont renforcé l’axe historique entre les deux pays et, depuis plusieurs semaines, les camions maliens défilent au port de Conakry pour contourner l’embargo sous-régional. Plus prudent qu’Assimi Goïta, Mamadi Doumbouya se garde toutefois de froisser les Français, avec lesquels il entretient de bonnes relations, et de s’afficher trop souvent avec les Russes. Il soigne aussi son image, celle d’un homme intègre, soucieux de sortir la Guinée de l’instabilité et de la pauvreté. Mais en lançant la machine judiciaire contre la classe politique, l’ancien légionnaire a fait naître une alliance contre-nature qui pourrait bien se retourner contre lui.

Le 10 mai, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel) d’Alpha Condé et l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo se sont en effet retrouvés, à l’initiative du RPG. Ils se vouaient une haine tenace, mais ont décidé de faire bloc contre le président de la transition. Sans doute n’était-ce pas ce que Doumbouya espérait, il y a huit mois, lorsqu’il promettait d’« unir la Guinée » et de dépasser les clivages…

Pour l’instant, ce sont principalement les barons de l’ancien régime qui ont maille à partir avec la justice, à commencer par l’ex-Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, l’ex-ministre de la Défense, Mohamed Diané, et Oyé Guilavogui, autrefois à l’Environnement – tous trois ont été placés en détention provisoire le 26 avril dernier. Les 25 magistrats de la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief) n’ont pas chômé. Depuis leur installation en décembre dernier, 138 personnes ont été inculpées. Également visé par la justice, l’ancien chef de l’État a toutefois été autorisé à retourner se faire soigner à l’étranger et s’est envolé, ce 21 mai, pour la Turquie.

ILS AVAIENT OUBLIÉ QUE DANS UNE CHASSE AUX SORCIÈRES, C’EST AU CHASSEUR QU’IL REVIENT DE DÉTERMINER QUI EST UNE SORCIÈRE ET QUI NE L’EST PAS

Les opposants à Alpha Condé savent qu’ils ne sont pas loin sur la liste. « Depuis le début, le CNRD a été très cohérent. Le but des militaires est l’élimination de la classe politique dans son ensemble, affirme un cadre du RPG. Ils ont éliminé les généraux, vidé l’administration des gens qui avaient une certaine expérience… Tant que c’était limité au RPG, les gens étaient contents ! Mais c’était un calcul politique de court terme. Ils avaient oublié que, dans une chasse aux sorcières, c’est au chasseur qu’il revient de déterminer qui est une sorcière et qui ne l’est pas. » Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, dont les maisons ont été saisies – et même détruite dans le cas du leader de l’UFDG – ont tous deux quitté la Guinée.

« Sale boulot »

Cette alliance entre les ennemis d’hier ne fait sans doute que renforcer Doumbouya dans sa volonté de renouveler une classe politique perçue comme largement corrompue et dont les membres s’allient pour éviter d’être jugés. Pour leur couper l’herbe sous le pied, le président de la transition s’est donc risqué à prendre une mesure étonnante : interdire la tenue de manifestations politiques. Le RPG, qui a plusieurs fois été accusé de faire peu de cas de la défense des droits de l’homme (au moins 50 personnes ont été tuées lors de manifestations en 2020 selon Amnesty International), a immédiatement dénoncé une violation de la charte de la transition et une atteinte à la liberté de manifester.

Face au CNRD et à « l’autoritarisme » de son président, les partis politiques hésitent sur la marche à suivre. Politiquement, eux aussi auraient tout à perdre en cas de bain de sang. Pour le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), il ne fait aucun doute que « cette interdiction [de manifester] est l’expression de la volonté du CNRD de s’éterniser au pouvoir en muselant toutes les forces sociales et politiques du pays ». Autrefois farouchement opposé au troisième mandat d’Alpha Condé, le FNDC exclut néanmoins une alliance avec le RPG, tandis qu’en coulisses, certains des proches de Doumbouya tentent de faire retomber la pression.

Les opérations de démolition des bâtiments construits sur le domaine public ont été suspendues. Mais Mamadi Doumbouya avait prévenu : il est prêt à « faire le sale boulot ». Et ne semble pas prêt à reculer. « Les gens y ont vu une forme d’arrogance, une façon de dire ‘Nous irons jusqu’au bout, nous ne reculerons devant rien’, explique un observateur proche de l’ancien régime. Bien sûr, il voulait juste dire qu’il ferait ce qu’il faudrait, mais ses opposants ont su utiliser cette phrase et la retourner contre lui. »

Algérie-Maroc : entre Nadir Larbaoui et Omar Hilale, une joute aux accents régionalistes

La nouvelle sortie du représentant permanent du Maroc à l’ONU face à l’ambassadeur algérien aux Nations unies montre que Rabat est désormais déterminé à utiliser la carte kabyle comme outil de contre-attaque dans le dossier du Sahara occidental.

Mis à jour le 23 mai 2022 à 17:41
 

 

Nadir Larbaoui, représentant permanent du Maroc à l’ONU, et Omar Hilale, ambassadeur de l’Algérie à l’ONU. © MONTAGE JA : DR ; Albin Lohr-Jones/SIPA

 

Nouvel épisode dans le match diplomatique qui se joue entre Rabat et Alger. Terrain de jeu : Sainte-Lucie, aux Antilles, du 11 au 13 mai, lors du séminaire du Comité spécial de l’ONU sur la décolonisation (dit Comité spécial des Vingt-Quatre, C24). Un échange d’attaques a eu lieu entre le représentant permanent du Maroc aux Nations unies, Omar Hilale, et l’ambassadeur de l’Algérie à l’ONU, Nadir Larbaoui, sur l’épineuse question du Sahara occidental. Si ce type de sorties est monnaie courante entre les diplomates des deux pays, cette dernière est particulièrement révélatrice de la nouvelle partition que joue le Maroc dans ce dossier qui empoisonne ses relations avec son voisin : celle de la Kabylie.

Retour en juillet 2021 : durant la réunion générale ministérielle des pays non alignés à l’ONU, Hilale fait distribuer une note en réponse aux propos du ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, dans laquelle il est écrit que le « peuple kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’auto-détermination », soulignant également que celle-ci « n’est pas un principe à la carte ». Une réponse du berger à la bergère, l’Algérie défendant de son côté l’auto-détermination du Sahara occidental.

Ce parallèle dressé entre les situations des deux régions, inédit de la part d’un diplomate marocain, n’a pas du tout été au goût d’Alger, qui avait alors immédiatement rappelé son ambassadeur à Rabat.

Si cette position sur la Kabylie n’a jamais été officiellement appuyée par le gouvernement ou le ministère des Affaires étrangères, elle témoigne toutefois d’une évolution de la rhétorique diplomatique marocaine. L’objectif : pointer ce qui s’apparente pour le Maroc à une schizophrénie algérienne sur la question des régions, et utiliser la carte kabyle pour contrer les appels des Algériens à l’auto-détermination des Sahraouis.

« Bulldozer » du royaume

« Vous demandez l’autodétermination pour les 20 000 personnes que vous séquestrez dans les camps de Tindouf, mais vous la déniez à un peuple de 12 millions d’habitants », a lancé Omar Hilale, surnommé le « bulldozer » du royaume à l’ONU. Appuyant ce propos, Ghalla Bahiya, vice-présidente de la région Dakhla-Oued Eddahab, a évoqué la situation des droits humains dans les camps susnommés. « Ma délégation décide de ne pas répondre à ces allégations dès lors que cette personne ne représente qu’elle-même, en rappelant qu’il était clairement établi, conformément aux résolutions des Nations unies, que le Front Polisario est l’unique représentant légitime et exclusif du peuple sahraoui », a balayé de son côté Nadi Larbaoui.

« [Mme Ghalla] représente les centaines de milliers de citoyens du Sahara attachés à leur marocanité. Elle représente, également, 20 000 Sahraouis […] séquestrés chez vous dans les camps de Tindouf », a rétorqué Omar Hilale, en indiquant que « si l’Algérie ne veut pas qu’elles soient évoquées, elle n’a qu’à libérer ces populations et les laisser rentrer chez elles au Maroc ». Répétant la position officielle d’Alger sur le conflit, l’ambassadeur algérien a ajouté que l’Algérie « n’est pas partie au conflit et, au même titre que la Mauritanie, a le statut de voisin observateur, à moins, que cela participe d’une volonté concertée mais éculée et vaine de bilatéralisation du conflit, qui demeure fondamentalement, n’en déplaise au Maroc et à ses clients, une question de décolonisation ».

« Prison fermée »

Pour se défendre, Nadir Larbaoui a également qualifié la région du Sahara de « prison fermée », avant d’évoquer des « atteintes aux libertés et aux droits de l’Homme », la « torture », des « abus à l’égard des femmes » et des « enlèvements forcés ».

« Si c’était le cas, s’est insurgé Omar Hilale, pourquoi des pays y ont-ils ouvert 27 consulats ? Pourquoi le Sahara draine-t-il des investissements étrangers colossaux […] ? Pourquoi les diplomates, les délégations étrangères et les milliers de touristes afflueraient-ils dans une prison fermée ? » Et de conclure : « La prison fermée, c’est l’Algérie, où il y a les violations les plus graves des droits de l’Homme en Afrique », soulignant que « le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a multiplié ses préoccupations par rapport aux persécutions des activistes du Hirak et aux violations massives de leurs droits, notamment les détentions arbitraires, les restrictions aux libertés fondamentales et les procès iniques ».

Le royaume niant tout soutien aux mouvements indépendantistes kabyle, la sortie, l’an dernier, du représentant marocain avait alors été jugée comme une simple « sortie de route isolée ». Mais l’insistance d’Omar Hilale sur le sujet indique que Rabat assume désormais cette ligne de défense face aux accusations algériennes. Une manière d’obliger Alger à clarifier son discours anti-colonial, plutôt que d’avoir à répondre aux attaques du voisin.