Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Nigeria : un présidentiable marié à une fillette de 13 ans

Sani Yerima, ancien gouverneur de Zamfara qui vient de se lancer dans la course à la magistrature suprême, a justifié son union avec une enfant sur Channels TV cette semaine.

Mis à jour le 16 mai 2022 à 17:08

Damien Glez
 

Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

 

Des féministes considèrent que les unions avec des enfants sont implicitement légitimées au Nigeria. © Damien Glez

Dans la perspective du scrutin pour la magistrature suprême de 2023, c’est la foire d’empoigne avant la foire d’empoigne, le dévoilement des ambitions – ou des renoncements, comme celui de Goodluck Jonathan – avant la campagne électorale. Avant que les partis politiques puis les autorités ne se prononcent sur la validité de chaque candidature, les parcours professionnels et les vies privées des « candidables » sont passés à la moulinette des médias et de l’opinion. Début mai, Sani Yerima informait de son ambition présidentielle le chef de l’État sortant, Muhammadu Buhari, auquel il avait concédé, en 2007, le flambeau de leur formation, le All Nigeria Peoples Party (ANPP).

Promoteur de la charia

Aujourd’hui âgé de 61 ans, l’ancien gouverneur de l’État nordiste de Zamfara remet le couvert après douze ans passés au Sénat. Resté célèbre pour avoir été le premier à promouvoir le système de la charia dans la zone qu’il gouverna entre 1999 à 2007, il est interrogé en particulier sur son expérience dans l’application du droit musulman. Lors d’une émission diffusée la semaine dernière sur Channels TV, le candidat à la candidature a eu à s’expliquer sur son choix d’épouser, en 2009, une Égyptienne de 13 ans.

Pas déstabilisé pour deux sous, le politicien est resté droit dans les bottes qu’il avait enfilées il y a bien des années. Lui qui considérait, en 2013 sur la même chaîne de télévision, que « la maturité pour le mariage était déterminée par les parents de la fille », s’est cette fois arc-bouté sur des considérations légales. « Il n’y a pas de loi au Nigeria qui détermine quand et comment vous vous mariez. Les musulmans ont la charia. Les chrétiens, je ne sais pas. » Et d’ajouter, stoïque : « Si j’avais fait quelque chose de mal, j’aurais été traduit en justice. »

Mariage avec des enfants légitimés

Certes, les militants des droits de l’enfant s’étaient insurgés lors de son mariage. Certes, le comité sénatorial chargé de la révision de la Constitution avait suggéré, en 2013, que soit supprimé un article indiquant que « toute femme mariée est réputée être majeure », entorse au fait que « le terme majeur désigne l’âge de 18 ans et plus ». Mais la recommandation n’avait pas obtenu le nombre de voix requis par la Constitution pour être validée…

Si l’article incriminé concerne la renonciation à la citoyenneté et non la définition formelle de l’âge minimum du mariage, les féministes considèrent que les unions avec des enfants sont implicitement légitimées au Nigeria. Le hashtag #ChildNotBride (« enfant pas mariée ») a été lancé, ainsi qu’une pétition en ligne, à l’ONU, qui a recueilli plus de 20 000 signatures. Sans succès majeur : seuls 23 des 36 États du Nigeria ont adopté la loi de 2003 sur les droits de l’enfant qui fixe l’âge du mariage à 18 ans.

Sani Yerima a pu profiter de cette faille légale pour épouser une fille de 13 ans. Reste à savoir si sa réputation l’empêchera d’obtenir l’investiture de son parti pour la présidentielle…

Macky Sall, président en exercice de l'UA veut une agence de notation financière panafricaine

 


sall

Avec notre correspondant à Dakar, Birahim Touré

C’est presque avec agacement que le président en exercice de l’Union africaine constate le handicap de l’Afrique face aux agences de notations financières. Macky Sall.

« Ce n’est que justice, la nécessité pour nous face aux injustices sur les notations, parfois très arbitraires, d’avoir une agence de notation panafricaine », a déclaré le président Macky Sall.   

Macky Sall, président en exercice de l'UA, veut une agence de notation financière panafricaine

« En 2020, alors que toutes les économies subissaient les effets de la Covid-19, 18 des 32 pays africains – notez 18 sur 32 – .par au moins une des grandes agences d’évaluation, ont vu leur notation dégradée. Alors ceci représente 56 % de notations dégradées pour les pays africains contre une moyenne mondiale de 31 %. En outre, des études ont montré qu’au moins 20 % – 20 % – des critères de notation des pays africains re

 

La nécessité d'une agence « crédible »

Pour le docteur Serigne Ousmane Beye, enseignant à la faculté d’économie et de gestion de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, l'idée est certes séduisante, c'est faisable, mais cela va prendre du temps.

« Sans doute, pour que ce soit opérationnel dans l'immédiat. Parce que, voyez-vous, asseoir la crédibilité de cette agence, les pays peuvent le faire, parce que cette crédibilité-là, vous l'avez auprès des institutions financières qui vont nous faire confiance et vont vous confier un travail de notation, mais on peut toujours peut-être essayer d'y aller. Évidemment, tout en essayant de gérer efficacement, de mettre du sérieux dans ce que l'on fait. Parce qu'une agence, une fois encore, c'est le vécu, c'est la crédibilité », estime le docteur Serigne Ousmane Beye.  

Une agence de notation panafricaine existe déjà, il s'agit du groupe GCR présent dans une trentaine de pays africains, mais elle assigne des notes en devises locales et non pas internationales.

Les propos du président de la République du Sénégal se justifient à l'aune du fait que les agences de notation internationales ont tendance à maintenir des notations très faibles des États africains. Aujourd'hui, le marché de la notation en devises internationales est contrôlé par S&P, Moody's et Fitch. Et toutes ces agences convergent pour porter un jugement dur, extrêmement conservateur sur l'état de nos économies africaines. Mais est-ce la faute des agences internationales ou est-ce la faute des États ?

Anouar Hassoune, directeur général de la filiale ouest-africaine du groupe GCR (agence de notation panafricaine)

► À lire aussi : Les agences africaines de notation financière commencent à être prises au sérieux

Lutte contre l'esclavage en Mauritanie: des progrès mais peut mieux faire selon le rapporteur l’ONU

 

La lutte contre l’esclavage progresse en Mauritanie où cette pratique est assimilée à un crime contre l’humanité dans la Constitution. C’est le constat fait par le rapporteur spécial des Nations unies chargé des formes modernes d’esclavage, Tomoya Obokata, qui vient de terminer, vendredi 13 mai, une mission de dix jours en Mauritanie. Mais le tableau doit être nuancé.

Durant son séjour, Tomoya Obokata a rencontré les autorités et les associations de lutte contre l’esclavage. Au terme de sa mission, il a affirmé que même si le pays fait des progrès en la manière, l’esclavage persiste toujours en Mauritanie. Il fait le bilan de sa mission au micro de notre correspondant à Nouakchott, Salem Mejbour Salem.

« Ma mission en Mauritanie avait pour but d’évaluer l’exécution du plan national en matière de lutte contre l’esclavage et des pratiques assimilées mises en œuvre, depuis des années, en Mauritanie. Mon premier constat, au terme de mission, est que l’esclavage, la servitude et le travail des enfants persistent encore dans le pays. La situation requiert un engagement solide et sincère de tous: du gouvernement, de la société civile et des partenaires de la Mauritanie pour éradiquer le phénomène de l’esclavage. Ces pratiques sont désormais reconnues par les autorités. Le président de la Mauritanie que j’ai rencontré, reconnait l’existence de l’esclavage. C’est un point positif.

En 2015, une loi criminalisant les pratiques esclavagistes a été votée par le Parlement et des tribunaux spécialisés ont été créés. Mais ces tribunaux n’ont pas été dotés de moyens financiers suffisants pour un bon fonctionnement. »

À lire aussi: Loi contre l'esclavage en Mauritanie: un double discours?

Dans l’attente d’avancées concrètes

L'ONG SOS esclavage se dit plutôt satisfaite. Joint par Lisa Morisseau de la rédaction Afrique, El Kory Sneiba, porte-parole de l'association, considère la visite du rapporteur spécial des Nations unies comme un fait très important même s’il émet quelques réserves.

« En Mauritanie, il y a encore les formes traditionnelles d’esclavage et nous appelons la Mauritanie à reconnaître, officiellement, l’existence d’esclavage parce qu’ici, les pratiques les plus abjectes existent encore, l’esclavage et notamment l’esclavage par ascendant où des hommes et des femmes naissent esclaves, de père en fils. Nous avons pu échanger avec le responsable onusien qui a été attentif à nos revendications, à notre analyse de la situation de l’esclavage en Mauritanie et nous avons pu discuter de l’ensemble de la problématique. Maintenant, nous attendons de voir. »

À lire aussi: Mauritanie: des cas d’esclavage dans la communauté noire soninké

ISRAËL : LES PALESTINIENS SONT VICTIMES D’UN APARTHEID 

Ségrégation territoriale et restrictions de déplacement, saisies massives de biens fonciers et immobiliers, expulsions forcées, détentions arbitraires, tortures, homicides illégaux… Après un long travail de recherche, notre nouveau rapport démontre que les lois, politiques et pratiques mises en place par les autorités israéliennes ont progressivement créé un système d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien dans son ensemble.

Le 11 mai 2022, Shireen Abu Akleh, journaliste palestienne à Al-Jazeera, a été tuée pendant qu'elle couvrait des affrontements en Cisjordanie. Selon plusieurs sources, elle aurait été visée et tuée d’une balle en pleine tête par un soldat israélien. Nous demandons qu'une enquête indépendante et impartiale soit ouverte.

Ces dernières années, des militaires israéliens ont tué des civils palestiniens. La mort de Shireen vient ainsi s'ajouter à celle des 79 Palestiennes et Palestiniens, dont 14 enfants, tués par les forces armées israéliennes dans les territoires palestiniens occupés depuis le 21 juin 2021*. Ces homicides font partie du système d’apartheid imposé par l'Etat d’Israël au peuple palestinien.

*Source : le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) et les informations que nous avons recueillies.

Après un travail de recherche de près de quatre ans, nous publions notre rapport intitulé « L’Apartheid commis par Israël à l’encontre des Palestiniens. Un système cruel de domination et un crime contre l’humanité ». Sur la base d’une analyse juridique et d’une enquête de terrain minutieuses, il documente la mise en place par Israël, à travers des lois et des politiques discriminatoires, d’un système d’oppression et de domination institutionnalisé à l’encontre du peuple palestinien. Si ces violations sont plus fréquentes et plus graves dans les territoires palestiniens occupés (TPO), elles sont également commises en Israël et à l'encontre des réfugiés palestiniens présents dans des pays tiers.  

Lire aussi : Qu’est-ce que l’apartheid ?

Lire aussi : Qu'est-ce que le racisme ou la discrimination raciale ?

Réalisées en concertation avec des experts internationaux et des associations palestiniennes, israéliennes et internationales, nos recherches démontrent que ce système correspond à la définition juridique de l’apartheid. Il s’agit d’un crime contre l’humanité défini par la Convention sur l’apartheid de 1973 et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998.  

 

En droit international, le seuil pour définir un crime d’apartheid est atteint lorsque trois critères principaux sont réunis :  

un système institutionnalisé d’oppression et de domination d’un groupe racial par un autre ;

un ou des actes inhumains, tels que transferts forcés de populations, tortures et meurtres, commis dans le cadre de ce système institutionnalisé ;

une intention de maintenir la domination d’un groupe racial sur un autre.  

Lorsque l’on utilise le mot « race » ou « racial », cela inclut, en droit international, « la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique » (article 1 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale). Cela peut donc s’appliquer dans le contexte israélo-palestinien. 

 

UN SYSTÈME D’OPPRESSION ET DE DOMINATION  

Notre rapport détaille comment – au moyen de lois, de politiques et de pratiques – l’État d’Israël a instauré progressivement un système dans lequel les Palestiniens et Palestiniennes sont traités comme un groupe inférieur, discriminé sur tous les plans :  économique, politique, social, culturel...

En imposant de nombreuses restrictions qui privent le peuple palestinien de ses libertés et de ses droits fondamentaux, les autorités israéliennes se rendent coupables du crime d’apartheid et violent les conventions internationales qui définissent ce crime.  

Ces restrictions ont un impact sur tous les aspects de la vie quotidienne des populations palestiniennes : leurs déplacements sont restreints de façon draconienne dans les territoires occupés, et les conséquences peuvent s’avérer désastreuses sur l’accès à des soins ou à un emploi, ou pour une vie de famille normale.

Ces restrictions ont également un impact économique très fort et contribuent à appauvrir les communautés palestiniennes d’Israël. Par ailleurs, le droit au retour des réfugiés palestiniens est toujours bafoué. Notre enquête fait aussi état de transferts forcés, de détentions administratives, d’actes de torture et d’homicides illégaux, de dépossessions de terres et de biens fonciers, ainsi que de ségrégation, à la fois en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés, et envers les réfugiés palestiniens.  

 

Palestinian protesters run for cover after Israeli forces launched tear gas canisters during a demonstration along the border between the Gaza strip and Israel, east of Gaza city on June 22, 2018.
MAHMUD HAMS / AFP

 

Des manifestants palestiniens courent se mettre à l'abri après que les forces israéliennes aient envoyé des gaz lacrymogènes lors d'une manifestation entre la bande de Gaza et Israël. 22 juin 2018. © Mahmud Hams / AFP

 

De nombreux manifestants palestiniens ont été gravement blessés ou tués ces dernières années. C’est sans doute l’exemple le plus flagrant du recours des autorités israéliennes à un usage de la force disproportionné et à des actes illicites pour maintenir le statu quo. En 2018, des Palestiniens et Palestiniennes de la bande de Gaza ont commencé à organiser des manifestations hebdomadaires le long de la frontière avec Israël, pour exiger la fin du blocus et revendiquer le droit au retour des réfugiés. Avant même le début des manifestations, des hauts responsables israéliens avaient averti que tout Palestinien s’approchant du mur serait visé par des tirs. À la fin de l’année 2019, les forces israéliennes avaient tué 214 civils, dont 46 enfants.  

LA POPULATION PALESTINIENNE EST CONSIDÉRÉE COMME UNE MENACE DÉMOGRAPHIQUE  

En 2018, l’adoption d’une loi constitutionnelle qui, pour la première fois, définissait Israël comme étant exclusivement « l’État-nation du peuple juif », a entériné les privilèges des citoyens juifs en termes d’obtention de nationalité et une discrimination à l’encontre de la population palestinienne. Cette loi établit notamment le développement des colonies juives comme une « valeur nationale » et l’hébreu comme seule langue officielle, retirant ainsi à l’arabe son statut de langue officielle.  

L’expansion permanente des colonies israéliennes illégales dans les TPO est ainsi encouragée par les autorités israéliennes. Les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est sont fréquemment la cible d’organisations de colons qui, avec le soutien total du gouvernement israélien, s’emploient à forcer des familles palestiniennes à partir et à attribuer leurs logements à des colons. L’un de ces quartiers, Cheikh Jarrah, est le siège de manifestations fréquentes depuis mai 2021, car des familles luttent contre la menace d’une procédure d’expulsion initiée par des colons.  

Lire aussi : Israël expulse de force des Palestiniens et réprime violemment ceux qui le dénoncent

La construction de ces colonies dans les TPO est une politique publique depuis 1967. Actuellement, des colonies sont implantées sur 10 % de la Cisjordanie, et environ 38 % des terres palestiniennes de Jérusalem-Est ont fait l’objet d’une expropriation entre 1967 et 2017.  

LA POPULATION PALESTINIENNE CONFINÉE DANS DES ENCLAVES  

L’État israélien confine le peuple palestinien dans de petites enclaves et l'exclut de certaines zones.  

Dans le Néguev/Naqab, à Jérusalem-Est et dans la Zone C de la Cisjordanie occupée (c’est à-dire la zone sous contrôle israélien en Cisjordanie), les autorités israéliennes refusent d’accorder des permis de construire aux Palestiniens, ce qui les force à bâtir des structures illégales qui sont démolies régulièrement. On compte plusieurs centaines de milliers de logements et de bâtiments palestiniens détruits à ce jour.

Lire aussi : Quelles sont les conséquences de l’occupation israélienne en Cisjordanie ?

Dans le Néguev/Naqab au sud d’Israël, de grandes réserves naturelles et des zones militaires de tir ont été créées avec l’objectif de permettre à des habitants juifs israéliens de s’y installer et d’y développer une activité. Ces politiques ont eu des conséquences dramatiques pour les dizaines de milliers de Bédouins palestiniens qui vivent dans la région.   

 Bedouin women sit next to the ruins of their demolished houses in the unrecognized Bedouin village of Umm Al-Hiran, in the Negev desert, Israel, January 18, 2017. A resident and an Israeli policeman were killed during the operation. Israeli authorities said the policeman was killed in a car-ramming attack, while residences and activists claimed the driver was first shot dead by the police, with no apparent reason, before losing control of his car and driving towards the policemen. The Israeli state plans to completely demolish the village in order to build a Jewish-only town on that land.  	Faiz Abu Rmeleh


Des femmes bédouines assises à côté des ruines de leurs maisons, à Umm Al-Hiran, désert du Néguev, Israël © Faiz Abu Rmeleh

Trente-cinq villages bédouins, où vivent environ 68 000 personnes, sont actuellement « non-reconnus » par Israël, c’est-à-dire qu’ils sont coupés des réseaux d’eau et d’électricité nationaux, et leurs habitations sont régulièrement démolies. Les Bédouins de ces villages subissent aussi des restrictions en matière de participation à la vie politique et n’ont pas accès aux soins et à la scolarisation. Ces conditions de vie ont contraint nombre de ces personnes à quitter leur logement et leur village, ce qui constitue un transfert forcé illégal au regard du droit international.  

Cette dépossession et le déplacement forcé des Palestiniens constituent un pilier central du système d’apartheid israélien.   

 

OPPRESSION SANS FRONTIÈRE 

Les guerres de 1947-1949 et de 1967, le régime militaire actuel d’Israël dans les TPO et la création de régimes juridiques et administratifs distincts au sein du territoire ont isolé les communautés palestiniennes et les ont séparées de la population juive israélienne. 

Aujourd’hui, le peuple palestinien a été fragmenté géographiquement et politiquement, et il vit divers degrés de discrimination selon son statut et son lieu de résidence. Les citoyens palestiniens d’Israël ont actuellement plus de droits et de libertés que leurs homologues des TPO. Le quotidien des Palestiniens et des Palestiniennes est par ailleurs très différent selon qu’ils vivent dans la bande de Gaza ou en Cisjordanie.   

Nos recherches montrent néanmoins que l’ensemble du peuple palestinien est soumis à un seul et même système.

Partout, l’objectif d’Israël est le même : privilégier les citoyennes et les citoyens juifs israéliens dans la répartition des terres et des ressources, et minimiser la présence du peuple palestinien et son accès aux terres.

Par exemple, les citoyennes et les citoyens palestiniens d’Israël sont privés de nationalité, ce qui crée une différenciation juridique entre eux et la population juive israélienne. En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, où Israël contrôle les services de l’état civil depuis 1967, les Palestiniens n’ont aucune citoyenneté et la majorité d’entre eux est considérée comme apatride. Elle doit par conséquent solliciter des papiers d’identité auprès de l’armée israélienne pour vivre et travailler dans les territoires. Les réfugiés palestiniens et leurs descendants, qui ont été déplacés lors des conflits de 1947-1949 et de 1967, restent privés du droit de revenir dans leur ancien lieu de résidence. Cette exclusion des réfugiés imposée par Israël est une violation flagrante du droit international et elle abandonne des millions de personnes à une incertitude permanente liée à leur déplacement forcé.  

RESTRICTION DRACONIENNE DES DÉPLACEMENTS  

Depuis le milieu des années 1990, les autorités israéliennes ont imposé des limites de plus en plus strictes aux déplacements de la population palestinienne dans les TPO. Un réseau de “checkpoints” militaires, de barrages routiers, de clôtures et d’autres structures contrôle la circulation des Palestiniens et limite leurs allées et venues en Israël ou à l’étranger.  

Le mur construit par Israël en Cisjordanie fait quatre fois la longueur du mur de Berlin  

Un mur de 700 km, qu’Israël continue de prolonger, isole les communautés palestiniennes à l’intérieur de « zones militaires ». Actuellement, les Palestiniens doivent obtenir plusieurs autorisations spéciales à chaque fois qu’ils veulent quitter leur lieu de résidence ou y revenir. Dans la bande de Gaza, plus de deux millions de Palestiniens et de Palestiniennes subissent un blocus, imposé par Israël, qui a provoqué une grave crise humanitaire et entrave le développement socio-économique. Il est quasiment impossible pour les habitants de la bande de Gaza de se rendre à l’étranger ou ailleurs sur le territoire. Ils sont, de fait, isolés du reste du monde et même des autres Palestiniens.  

Chaque déplacement de Palestiniens est soumis à la validation de l’armée israélienne, et les tâches quotidiennes les plus anodines nécessitent de braver un éventail de violentes mesures de contrôle. Les citoyens et les colons israéliens sont, eux, libres de circuler à leur guise 

Agnès Callamard, Secrétaire générale d’Amnesty International  

Pour justifier ces mesures de ségrégation, Israël avance des motifs de sécurité. Vouloir protéger ses populations est légitime, c’est même le devoir d’un État. Mais ceci ne peut justifier des mesures disproportionnées et discriminatoires, et donc contraires au droit international.  

L’URGENCE : DÉMANTELER CE RÉGIME D’APARTHEID  

Rien ne peut justifier un système reposant sur l’oppression institutionnalisée et prolongée de millions de personnes. L’apartheid n’a pas sa place dans notre monde. La communauté internationale doit reconnaître le crime d’apartheid dont sont responsables les autorités israéliennes et étudier les nombreuses pistes judiciaires qui restent honteusement inexplorées pour que les victimes de ce système puissent obtenir justice et réparation.  

« Israël doit démanteler le système d’apartheid et traiter les Palestiniens comme des êtres humains, en leur accordant l’égalité des droits et la dignité. Tant que ce ne sera pas le cas, la paix et la sécurité resteront hors de portée des populations israéliennes et palestiniennes » conclut Agnès Callamard, notre Secrétaire générale.

NOS RECOMMANDATIONS   

Nous avons de nombreuses recommandations précises pour mettre un terme à la ségrégation et l’oppression à l’encontre du peuple palestinien et pour qu’Israël démantèle le système d’apartheid, la ségrégation et l’oppression qui l’entretiennent. Voici nos principales demandes.

Nous demandons au gouvernement israélien :

la fin des démolitions de logements et des expulsions forcées ;  

l’égalité des droits pour l’ensemble des Palestiniens en Israël et dans les Territoires palestiniens occupés ;   

la reconnaissance du droit des réfugiés palestiniens et de leurs descendants à rentrer sur les lieux où leurs familles ou eux-mêmes vivaient autrefois. ;   

le versement de réparations complètes aux victimes d’atteintes aux droits humains et de crimes contre l’humanité.   

Nous demandons aux États tiers et à la communauté internationale de réagir avec force :   

en exerçant la compétence universelle afin de traduire en justice les personnes responsables du crime d’apartheid. Les États qui ont ratifié la Convention sur l’apartheid en ont l’obligation.  

Nous demandons au Conseil de sécurité de l’ONU d’imposer :  

un embargo strict sur les transferts d’armement – armes et munitions, ainsi que les équipements de maintien de l’ordre – vers Israël, car des milliers de civils palestiniens sont tués illégalement par les forces israéliennes.   

des sanctions, comme le gel d’actifs, ciblées à l'encontre des responsables israéliens les plus impliqués dans le crime d’apartheid.  

Nous demandons à la Cour pénale internationale : 

d'inclure la question de l’apartheid, crime contre l’humanité, dans son enquête, ouverte en mars 2021, sur la situation dans les territoires palestiniens.  

 

STOP À L'APARTHEID CONTRE LES PALESTINIENS !

Demandez au Premier ministre Naftali Bennett de mettre fin immédiatement aux démolitions et aux expulsions forcées en signant notre pétition. 

Dettes africaines : nouvelles charges contre les agences de notation

« L’Afrique est-elle vraiment malade de sa dette ? » (2/5). Les leaders mondiaux de la notation financière sont à nouveau confrontés à une salve de critiques portées par une soixantaine d’acteurs du développement. Explications et éléments de réponse des institutions mises en cause.

Mis à jour le 12 mai 2022 à 18:40
 

 

Montage JA

 

« Une analyse détaillée a montré que 61 des 154 États souverains notés ont été déclassés par au moins une des trois grandes agences de notation pendant la pandémie de Covid-19. Les pays en développement ont été [affectés] par la quasi-totalité des dégradations de notes souveraines, l’attribution de perspectives négatives et les révisions de notes », relève le Rapport 2022 sur le financement du développement durable, publié le 12 avril.

Réalisé par une soixantaine d’institutions multilatérales, parmi lesquelles le FMI et la Banque mondiale mais également le Comité de Bâle sur la supervision bancaire, l’Association internationale des régulateurs de l’assurance et le Conseil de stabilité financière, ce rapport consacre un long développement – largement passé inaperçu – à l’impact jugé préjudiciable des décisions des agences de notation.

Sévérité partielle

L’étude fait notamment le parallèle entre la sévérité de Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings, leaders mondiaux de la notation financière, vis-à-vis des pays du Sud et leur relative mansuétude à l’égard des nations riches.

« Les pays développés, qui ont connu une augmentation de leur dette et un ralentissement économique beaucoup plus importants, ont largement échappé aux dégradations, ce qui renforce leur accès à un financement de marché abondant et abordable », poursuivent les auteurs du rapport, qui insistent sur « l’importance de méthodologies transparentes afin de ne pas miner la confiance dans les notations ».

 

Évolution des notations souveraines dans le temps, par groupe de pays 2019-2021 © ONU, calculs réalisés à partir des données de l’agence Moody’s.

 

Évolution des notations souveraines dans le temps, par groupe de pays 2019-2021 © ONU, calculs réalisés à partir des données de l’agence Moody’s.

 

« Toutes les décisions de Fitch en matière de notation souveraine sont prises uniquement sur la base de critères de notation cohérents au niveau mondial et accessibles au public », répond un porte-parole de l’agence basée à New York, interrogé par Jeune Afrique.

Ce dernier insiste par ailleurs sur la transparence des prises de décisions. « Les facteurs de notation et les sensibilités sont clairement identifiés dans nos commentaires publics. Les décisions de notation sont fondées sur une analyse indépendante, solide, transparente et rapide », insiste le représentant de Fitch Ratings.

LES PAYS DÉVELOPPÉS ONT UNE PLUS GRANDE TOLÉRANCE À L’ÉGARD DE LA DETTE

Sur l’écart de notation entre les pays développés et ceux du monde en développement ou émergent, notre interlocuteur rappelle que les premiers disposent entre autres « de revenus élevés, de normes de gouvernance solides, d’économies diversifiées, de marchés de capitaux locaux profonds », ainsi que « de réserves de change et d’une dette largement libellée dans leur propre monnaie ». D’où leur « grande tolérance à l’égard de la dette et des coûts d’emprunt plus faibles que les économies qui ne présentent pas ces fondamentaux de crédit ».

Contactée par Jeune Afrique, Standard & Poor’s a indiqué ne pas pouvoir immédiatement répondre à nos sollicitations. Moody’s, qui a récemment pris le contrôle de l’agence de notation panafricaine Global Credit Ratings (GCR), n’y a pas répondu.

Suspension du service de la dette

La nouvelle édition du rapport sur  le financement du développement durable, réalisé sous la supervision de l’ONU, revient à la charge quant à l’attitude des agences de notation au sujet de l’Initiative de suspension du service de la dette (« Debt Service Suspension Initiative » – DSSI). Dès la mi-2020, l’ONU avait véhémentement contesté la « mise sous surveillance » des notations de plusieurs pays africains, dont le Sénégal et le Cameroun, en amont de leur participation à ce programme avec les prêteurs publics. Moody’s avait estimé que participer à la DSSI « augmente le risque que les créanciers du secteur privé subissent des pertes ».

DAVANTAGE DE DIALOGUE ENTRE PAYS ET AGENCES AURAIT PU CONTRIBUER À ÉVITER CERTAINS MALENTENDUS

« Fitch n’a déclassé aucun pays pour sa participation à la DSSI, et nous avons régulièrement expliqué notre approche dans nos publications et lors de discussions dans un certain nombre de forums », répond le porte-parole de l’agence. De son côté, l’étude relève cependant que « certains pays en développement, notamment ceux présentant des risques élevés de surendettement, ont été dissuadés d’adhérer au programme par crainte que leur participation ne déclenche des abaissements de leur notation ».

« Davantage de dialogue aurait pu contribuer à éviter de tels malentendus, tant de la part des pays que des agences de notation. Une structure ou un cadre permanent et formel pour faciliter la poursuite du dialogue pourrait être envisagé », complètent les auteurs du rapport. Pour ces derniers, « l’allègement de la dette du secteur public peut contribuer à renforcer le bilan des pays et leur capacité à rembourser l’ensemble de leur dette à moyen terme ».

Quelle prise en compte du facteur climatique ?

Une nouvelle série d’arguments est portée contre les agences internationales dans le rapport d’avril au sujet de leur prise en compte inadaptée du changement climatique. S’ils reconnaissent que ces institutions d’analyse financière « intègrent déjà le risque climatique dans leurs notations », les auteurs de l’étude prêchent pour que « les efforts d’un pays pour investir dans les Objectifs de développement, notamment dans la résilience et l’adaptation au climat » soient pris en compte « favorablement dans les notations », de la même façon que « les dépenses d’investissement ».

NOUS NOUS ATTENDONS À CE QUE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE DÉCLENCHE DAVANTAGE DE CHANGEMENTS DE NOTATION

« Idéalement, les méthodes de notation devraient intégrer des facteurs à plus long terme, tels que les risques et les améliorations environnementales et sociales », recommandent-ils, ce qui permettrait de « saisir les effets positifs des investissements dans la résilience climatique et environnementale ».

Fitch Ratings insiste sur sa prise en compte du changement climatique dans ses notations souveraines, « comme l’agence le fait pour tous les facteurs qu’elle juge pertinents et importants pour la solvabilité ». Elle reconnaît toutefois que les notations « accordent généralement plus de poids aux développements actuels qu’aux projections incertaines à long terme ». Selon son représentant, Fitch s’attend cependant à « ce que le changement climatique déclenche davantage de changements de notation à mesure que les effets deviennent plus clairs, plus proches et plus importants ».