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Mali: le second tour des législatives maintenu le 19 avril envers et contre tout

Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé vendredi soir que le second tour des législatives est maintenu au 19 avril 2020. (Ici, le 8 février 2019, à Berlin).
Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé vendredi soir que le second tour des législatives est maintenu au 19 avril 2020. (Ici, le 8 février 2019, à Berlin). REUTERS/Michele Tantussi

Au Mali, dans une semaine, est prévu le second tour des élections législatives. Dimanche 19 avril, les Maliens seront de nouveau appelés aux urnes. Un second tour organisé dans les mêmes conditions que le premier alors que le pays est touché par le Covid-19 et que la situation sécuritaire ne s’est pas améliorée.

C’est dans son adresse à la nation, vendredi soir, que le président malien annonçait le maintien du second tour des législatives. « La décision n’est pas le fait du gouvernement mais du dialogue national inclusif », justifiait Ibrahim Boubacar Keïta.

« Au moment où le dialogue se tenait en décembre, personne n’avait prévu le Covid-19. Aujourd’hui, c’est une situation de force majeure », répond l’ancien ministre Choguel Maïga et membre de l’opposition.

Selon le ministère de la Santé, le Mali comptait 116 cas positifs et 9 personnes sont décédées.

Pour le premier tour, organisé le 29 mars, le gouvernement avait laissé des consignes sanitaires pas toujours respectées, selon les observateurs. Un premier tour qui a faiblement mobilisé : 37 % des électeurs sont allés voter. Un taux de participation bas dans la capitale, autour de 10%, qui contraste avec les taux très élevé dépassant les 80% dans certaines régions du nord du Mali.

Dans le Nord où Soumaïla Cissé a été enlevé par un groupe jihadiste pendant la campagne électorale. Son parti l’URD, qui avait tout de même maintenu sa participation au premier tour, pourrait cette fois-ci décider, selon un cadre du parti de se retirer de la course électorale.

À lire aussi : Mali: plusieurs personnes arrêtées pour «tentative de déstabilisation» de l'État

 
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Akinwumi Adesina : nominations, contrats, gouvernance…
Tout comprendre sur la nouvelle polémique à la BAD

| Par
Akinwumi Ayodeji Adesina

Mis en cause par un groupe anonyme de « salariés inquiets », le président de la Banque africaine de développement (BAD), candidat à un second mandat, défend énergiquement son intégrité. Ressources humaines, marchés, management… Enquête sur la gestion Adesina.

La question amuse un ministre ouest-africain, familier des équipes et du fonctionnement de la Banque africaine de développement. Une nouvelle controverse autour du patron de la BAD, est-ce vraiment une surprise ? Dans sa course effrénée pour la présidence de l’institution panafricaine, en mai 2015, puis dans sa conduite à marche forcée de la banque depuis quatre ans et demi, Akinwumi Adesina a froissé bien des susceptibilités et s’est fait un grand nombre d’adversaires.

Les premières années du mandat de l’ex-ministre nigérian de l’Agriculture ont été marquées par une vague inédite de départs, dont ceux de trois vice-présidents : le Ghanéen Solomon Asamoah (Infrastructures), embauché à la fin de 2014 par son prédécesseur, Donald Kaberuka, ainsi que l’Ivoirien Albéric Kacou (Ressources humaines) et la Tanzanienne Frannie Léautier (vice-présidente principale), recrutés après sa prise de fonctions.


>>> À lire sur Jeune Afrique Business+ : Nouveaux licenciements (et nouveaux litiges juridiques) au sommet de la BAD


Avant même la prise de fonctions d’Akinwumi Adesina, le lobbying intense de la délégation conduite par l’ancien président Olusegun Obasanjo et par Ngozi Okonjo-Iweala, alors ministre des Finances, avait provoqué des frictions. Et bousculé les actionnaires africains, longtemps divisés entre le Tchadien Bedoumra Kordjé et le Zimbabwéen Thomas Zondo Sakala, autant que les non-africains, qui privilégiaient la candidature de la Cap-Verdienne Cristina Duarte.

Signe peut-être de la persistance des rancœurs, un rapport de la direction du Trésor à Paris regrettait, étrangement, en juillet 2016, que « le nouveau président de la Banque s’exprime très peu en français, et rarement voire jamais sur les questions stratégiques ou financières ». Adesina parle pourtant couramment le français, langue dans laquelle il mène d’ailleurs nombre de conférences de presse…

Longue liste de griefs

Mais la controverse dans laquelle s’est trouvé plongé, au début d’avril, le dirigeant nigérian est sans précédent. Dans des documents parvenus ces dernières semaines à plusieurs médias, dont Jeune Afrique, The Africa Report et à nos confrères du quotidien français Le Monde et d’Africa Confidential, un groupe anonyme de « salariés inquiets » dresse une longue liste de griefs (seize dans la version en anglais, plusieurs dizaines dans celle en français) contre le président de la BAD.

Moins lyrique que la version française, le texte en anglais est un document formel de « divulgation d’actes liés à une violation présumée du code de déontologie » adressé au Bureau de l’intégrité et de la lutte contre la corruption (PIAC) et au président du Comité d’éthique et à celui du Comité d’audit et des finances. Il énumère un certain nombre de nominations et de séparations jugées douteuses, mais, surtout, il évoque plusieurs contrats validés par les équipes d’Akinwumi Adesina supposément en violation des règles statutaires et éthiques de la BAD.

Conditions d’attribution de contrats jugées contestables

Le texte en français comprend, lui, en plus, un long exposé dénonçant pêle-mêle, en des termes particulièrement véhéments, « le style managérial particulier », « le règne de l’impunité, du népotisme », la « gestion chaotique des ressources humaines » et « la gabegie financière et l’indiscipline budgétaire ». Sa rédaction paraît intervenir à la suite de la saisine du PIAC.

« Afin que vous ne doutiez pas de notre propre dévouement à la procédure, nous avons attendu une réponse pendant six semaines. Ce retard semble délibéré et, selon nos sources, l’enquête est entravée et n’a même pas encore commencé », a-t-il été répondu au message envoyé par Jeune Afrique à l’adresse électronique anonyme indiquée par le collectif de salariés.

Dans leur missive au Bureau de l’intégrité et au Comité d’audit, les « salariés inquiets » évoquent plusieurs contrats dont les conditions d’attribution et de règlements sont jugées contestables.

Il s’agit notamment de deux marchés d’une valeur combinée « supérieure à 18 millions de dollars » accordés par le département des statistiques à deux spécialistes du traitement de l’information, l’un, new-yorkais, reconnu internationalement, l’autre d’origine russe, peu connu au-delà des milieux concernés. Des marchés « attribués de façon frauduleuse », selon « des enquêtes pour fraudes et des audits internes », établissant « la responsabilité » de l’un des hauts cadres de la banque en 2016, stipule le document anonyme. Ce cadre aurait, au demeurant, été promu quelques années plus tard, soit « encore un autre exemple d’impunité », dénonce la lettre consultée par Jeune Afrique.

Un géant mondial suisse des engrais mis en cause

Il en va de même pour un contrat de gré à gré d’une valeur de 5,46 millions de dollars octroyé par une structure nigériane consacrée à l’agriculture, financée par un don de la BAD, dont les stipulations prohibaient la passation de marchés dans de telles conditions. Le collectif met en cause l’un des managers nigérians de l’institution, dont les auteurs du courrier soulignent un lien de parenté direct supputé avec le président de la BAD.

Si la missive au PIAC omet l’identité du bénéficiaire du contrat, la lettre « d’alerte », elle, met en cause un géant mondial suisse des engrais. Malgré les réserves émises par les services de contrôle internes de la banque, poursuivent les auteurs du courrier, la facture aurait pourtant été réglée sur intervention directe du président de l’institution panafricaine.

Deux autres contrats de gré à gré évoqués avec une firme kényane concernent le service des ressources humaines, pour un montant de 2,1 millions de dollars, soit vingt fois plus, selon le document, que la limite d’autorisation de signature du manager impliqué. Ce dernier n’aurait subi aucune sanction. De plus, s’indignent les auteurs de la lettre, il serait parti de la banque « avec en bonus des indemnités versées par la BAD ».

Un comité d’éthique aux abonnés absents…

« Malgré la demande répétée des membres du Conseils [sic], la Banque ne dispose toujours pas d’un mécanisme empêchant un staff [sic] dont la responsabilité est engagée dans les malversations de quitter la Banque sans payer pour ses forfaits », s’indignent les auteurs de la lettre ouverte, selon lesquels « le Département d’éthique ne sert à rien ».

« Au niveau du Conseil, il n’y a plus de comité d’éthique », insistent-ils. Un bureau d’éthique existe pourtant à la BAD, dirigé par Paula Santos da Costa, affiliée à l’Ordre des avocats du Portugal, diplômée en droit des universités de Saint-Étienne, Lisbonne et Lyon-3, passée par la BCEAO dont elle a présidé le Conseil de discipline, avant de rejoindre le département juridique de la banque panafricaine, à la fin de 2010.

Si elles mettent en cause plus ou moins directement Akinwumi Adesina, ces dénonciations interpellent quant à la chaîne de responsabilités. Au sujet du contrat avec le semencier suisse, les auteurs du courrier l’assurent : « Cette affaire sérieuse n’a pas été portée à l’attention du conseil [exécutif]. Ce qui fait douter de l’indépendance du PIAC, l’unité d’investigation, sous les ordres de M. Adesina. »

… pourtant piloté de longue date par des professionnels émérites

Cette dernière accusation – contenue dans la lettre transmise aux médias, mais pas dans le document officiel envoyé au Comité d’audit et au PIAC… – est d’autant plus grave que cette unité est pilotée depuis des années par des professionnels émérites. Depuis le début de 2019, son responsable est le Britannique Alan Bacarese, un vétéran du parquet, ex-Senior Crown Prosecutor et ancien « conseiller technique de la délégation du Royaume-Uni auprès du groupe de travail de l’OCDE sur la corruption », selon sa notice professionnelle.

Auparavant, ce poste était occupé par Bubacarr Sankareh, ancien auditeur général de la Gambie. Sous son égide, le PIAC a imposé « des périodes d’exclusion de 76 mois et de 12 mois à d’anciennes entreprises Alstom acquises par GE Power en 2015 », en raison de faits « de corruption et de fraude en 2006 et 2011 dans le cadre de deux projets de production d’électricité financés par la banque en Égypte ».

Avant l’intérim de Bubacarr Sankareh, le PIAC a été piloté pendant plusieurs années par l’avocate Anna Bossman, précédemment présidente de la Commission ghanéenne des droits de l’homme, et, depuis 2017, ambassadrice à Paris.

La chaîne de responsabilités pourrait même atteindre les États membres

Le Département de l’audit général est lui piloté par Chukwuma Okonkwo, nommé à ce poste en 2015 durant les derniers mois de la présidence du Rwandais Donald Kaberuka (2005-2015). Si les faits dénoncés par le groupe de salariés sont avérés, la faute s’étend à une large succession de cadres seniors.

La chaîne de responsabilités pourrait même atteindre les États membres de la BAD. L’une des approximations contenues dans le courrier parvenu à Jeune Afrique est assez éclairante à ce sujet. En effet, le document mentionne un audit du service des ressources humaines demandé par « Moussa Dosso, ancien administrateur pour la Côte d’Ivoire ». Or, selon nos informations, si le dirigeant ivoirien a été interloqué par le fonctionnement de ce département, la demande d’audit aurait été, elle, formulée par les administrateurs français et américain, et ce sans suite, à en croire le collectif de salariés.

Des défenseurs convaincus

« Le Comité d’éthique du Conseil d’administration mène actuellement son action dans le cadre de ses systèmes d’examen interne. Laissons le Comité achever son examen et ses travaux sans interférence de quiconque ni de quelque média que ce soit », a répondu Akinwumi Adesina dans un communiqué publié le 6 avril, après la parution d’un article du Monde.

« Je suis totalement convaincu que, sur la base de faits et de preuves, les procédures régulières d’examen et la transparence révéleront que tout cela ne constitue que des allégations fallacieuses et sans fondement », a tempêté le patron de la banque.

Si ce dernier n’a pas souhaité réagir davantage aux accusations portées contre sa gestion, il ne manque pas de défenseurs au sein de l’institution. Ces derniers sont prompts en particulier à relever le caractère excessif de certains reproches formulés contre leur leader, ce qui, par là-même, rendrait dérisoire l’ensemble des accusations.

La surreprésentation des Nigérians pointée

Le collectif de salariés va bien au-delà des contrats suspicieux et pointe, plus généralement, une banque à la gouvernance fortement déficiente, sinon inexistante, et entièrement inféodée aux desiderata de son président.

L’une des pommes de discorde concerne une surreprésentation de cadres nigérians. « Certes, le Nigeria est l’actionnaire le plus important de la BAD, avec un peu plus de 9 % du capital, mais cela pourrait-il expliquer le fait que M. Adesina recrute à tour de bras des Nigérians aux postes de responsabilités à la BAD ? » s’interroge le collectif. Si de récents exils et départs à la retraite – notamment celui annoncé, le 31 mars, de Victor Oladokun, directeur de la communication et véritable bras droit d’Akinwumi Adesina pendant son premier mandat – ont réduit le contingent de managers venus de la République fédérale, il est clair que ceux-ci ont rarement été aussi visibles.

À la mi-mars, un des sept vice-présidents de la BAD était nigérian (Wale Shonibare, intérimaire à l’Énergie). Et quatre ressortissants du pays ou de binationaux occupaient des postes au sommet de la hiérarchie. Outre Victor Oladokun, on recensait ainsi : Vincent Nmehielle (secrétaire général, qui détient également la nationalité sud-africaine), Chinelo Anohu (directrice de l’Africa Forum Investment) et Chukwuma Okonkwo, l’auditeur général.

Dénombrements par nationalité et comptes d’apothicaire

Ces dénombrements exaspèrent les défenseurs d’Akinwumi Adesina, qui rappellent qu’en 2015 (derniers chiffres disponibles sur les origines des salariés) la France comptait 63 ressortissants dans les effectifs de la BAD (5,2 % du total), soit proportionnellement plus que la participation de Paris au capital (3,7 %). Au demeurant, l’Algérie (4,2 % du capital) ne comptait que 9 salariés à la banque (0,7 % du staff), sans susciter de controverses.

Ces comptes d’apothicaire irritent d’autant plus les proches du leader venu d’Abuja que, sous la présidence de Donald Kaberuka, le nombre de Rwandais employés par la BAD avait fortement augmenté, doublant entre 2009 et 2015 à 28 salariés, soit un ratio de 2,4 salariés à la BAD par million de Rwandais, contre 0,276 pour le pays le plus peuplé du continent.

Les plus anciens de l’institution se souviennent également de la forte représentation de cadres est-africains, parfois issus la diaspora rwandaise, promus durant cette période. À la fin de 2014 figuraient ainsi au sommet de l’organigramme les Ougandais Mohammad Ali Mubarak Kisubi (auditeur général), Joel Serunkuma Kibazo (directeur de la communication) et Anne Namara Kabagambe (directrice du cabinet du président).

Même en excluant le « rattrapage » sous la présidence d’Adesina de la possible sous-représentation de ses compatriotes, le collectif de salariés liste une multitude de décisions (nominations, départs négociés, promotions, indemnisations…) qui paraissent autant de faits du prince, décisions prises, sinon en violation des règles de l’institution, du moins en les poussant jusqu’à leurs dernières limites.

Il y a peu de doutes que la politique de ressources humaines appliquée sous Akinwumi Adesina ait bousculé une structure attachée à ses traditions et à un certain confort. Outre le processus de régionalisation, conduit dans un climat houleux, avec désormais 39 % des effectifs dans les bureaux régionaux plutôt qu’au siège (29 % en 2016), la direction a multiplié les recours aux consultants (ils étaient 683 à la fin de 2018) et aux recrutements extérieurs (329). « La BAD doit rester une institution qui recrute et promeut ses cadres sur la base de leurs compétences et leur mérite », notent les auteurs du courrier dans un passage assez révélateur.

Une cabale franco-américaine ?

D’aucuns, dans l’équipe d’Adesina, se réfèrent au dernier rapport annuel de la banque, qui relève que durant la seule année 2018 le PIAC a achevé et clôturé 44 cas, « alors que l’objectif était de 30 cas », et organisé des « activités de formation et de sensibilisation dans 13 pays, impliquant 684 membres du personnel », tandis que des « conseils en matière d’éthique ont été fournis pour 151 cas de dilemme éthique traités » durant cette période.

Les plus zélés avocats du patron de la BAD pointent des manigances d’acteurs non africains. Ce message est véhiculé depuis plusieurs semaines aux autorités d’Abidjan. Ils rappellent les admonestations fort peu diplomatiques adressées à la mi-février par l’Américain David Malpass, patron de la Banque mondiale, et la Bulgare Kristalina Georgieva, patronne du FMI, au sujet de la politique de prêts de la BAD.

Avec Donald Trump, lors de la réunion du G7 à Taormina, le 27 mai 2017.

Pour eux, Akinwumi Adesina fait face à une cabale d’acteurs extérieurs au continent, décidés à empêcher sa réélection. Quand les « salariés inquiets » notent, dans leur courrier, qu’aux « Conseils, seules les chaires américaine et française osent aujourd’hui encore lui tenir tête », pour les défenseurs du patron de la BAD le crime est quasiment signé.

Candidat unique, le docteur en agroéconomie doit obtenir une double majorité des actionnaires africains et non africains en cinq tours au maximum. Dans le cas contraire, sa candidature est caduque et il lui est impossible de se représenter. En 2015, il avait été élu au bout de six tours. En 2005, il avait fallu dix tours pour l’élection de Donald Kaberuka, et quatorze pour celle du Marocain Omar Kabbaj en 1995. Ils avaient été réélus, eux, sans difficultés majeures.

Adesina sait qu’il peut, en tout cas, compter sur le soutien d’Abuja, qui avait difficilement digéré l’échec en 2005 de son candidat Olabisi Ogunjobi. Longtemps soutenu par une majorité d’actionnaires africains, ce dernier n’avait jamais obtenu l’aval des « non-régionaux », favorables à Donald Kaberuka. L’élection de cette année est prévue en principe en mai, mais le scrutin a déjà démarré.

 
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[Tribune] Coronavirus : pour en sortir plus forts ensemble

| Par Jeune Afrique
Un homme porte un masque à Johannesburg, en Afrique du Sud, le 2 avril 2020.

Vingt-cinq intellectuels africains dont Kako Nubukpo, Alioune Sall, Felwine Sarr, Achille Mbembe, Reckya Madougou, Souleymane Bachir Diagne, Franck Hermann Ekra et Hakim Ben Hammouda cosignent cet appel à la mobilisation des intelligences, des ressources et de la créativité des Africains pour vaincre la pandémie de Covid-19.

Covid-19 est le nom scientifique du virus responsable d’une maladie respiratoire très contagieuse pouvant devenir mortelle. Épidémie puis reclassée pandémie par l’OMS le 11 mars 2020, ses effets sont dévastateurs : il sème la mort, plonge les économies les plus puissantes dans la récession, et constitue une menace sans précédent pour l’existence des sociétés humaines. Selon certains experts, ce virus serait annonciateur des plus funestes jours à venir pour le continent africain et ses habitants.

L’Afrique n’est pas le foyer d’origine de cette pandémie, pourtant elle fait face à ses durs effets, par les contagions humaines en nombre croissant et la contraction brutale d’une partie significative des activités sociales et économiques essentielles. Le continent est donc sommé d’apporter une réponse indispensable, puissante et durable à une menace réelle qu’il ne faudrait ni exagérer ni minorer, mais bien rationaliser.

Il s’agit de battre en brèche les pronostics malthusiens qui prennent prétexte de cette pandémie, pour donner libre cours à des spéculations à peine voilées, sur une prétendue démographie africaine démesurée, désormais cible des nouveaux civilisateurs. C’est une opportunité historique pour les Africains, de mobiliser leurs intelligences réparties sur tous les continents, de rassembler leurs ressources endogènes, traditionnelles, diasporiques, scientifiques, nouvelles, digitales, leur créativité pour sortir plus forts d’un désastre que certains ont déjà prédit pour eux.

Le continent le moins impacté

Nous allons dans les prochains jours dépasser la barre de deux millions de contaminés par le Covid-19 dans le monde entier. Le virus se propage à une vitesse incommensurable et la résistance des systèmes de santé des pays africains face à ce dernier est au cœur des interrogations. L’offre de services sanitaires, équipements, personnels qualifiés, etc. est désormais la source de toutes les inquiétudes. L’OMS a même appelé récemment les pays africains à « se réveiller » et à « s’attendre au pire ».

Il convient de rappeler que l’Afrique est pour le moment le continent le moins impacté, avec son premier cas confirmé en février 2020 en Égypte, sans que l’on puisse apporter à ce constat, à ce jour, une justification concrète et documentée. Que les écosystèmes locaux, les facteurs démographiques, la nature mutante du virus, l’intensité des flux internationaux et d’autres éléments limitent la propagation de la pandémie reste hypothétique, mais il faut relever aussi la part prise par un certain nombre de mesures drastiques décidées par les gouvernements : fermetures des frontières, des écoles, des commerces et lieux de cultes…

Bien que la nature anxiogène de la pandémie, les contextes politiques locaux plus généralement, incitent à une demande sociale impatiente d’efficacité, l’observation des réponses publiques inégales apportées dans le monde, l’imprévisibilité relative de la pandémie, peuvent expliquer un processus d’essais et d’erreurs.

Systèmes de santé repensés

Si l’appréciation de la réactivité des pays africains est variable, à juste titre, il faut reconnaître pour s’en souvenir, l’effet catastrophique des décennies d’ajustements structurels sur la santé publique et l’offre sanitaire dans les pays africains. Malgré tout, nombre de systèmes de santé ont substantiellement évolué, tirés par la volonté d’atteinte des Objectifs du développement durable (ODD) en 2030 nonobstant les gaps à combler et des défaillances évidentes.

L’état de l’équipement sanitaire africain, selon les pays, est certes globalement peu satisfaisant et mal doté, mais il serait méprisant de postuler une offre sanitaire inexistante préparant à un mouroir inévitable. De plus, la prise en charge de la santé est souvent sociale et de proximité, bénéficiant aussi des filets culturels qui prescrivent solidarité et gestion familiale des maladies.

Pulvérisation de désinfectant devant une école de Dakar, le 1er avril 2020.

Pour ces raisons, les prophéties auto-réalisatrices ne sauraient se justifier. Les scénarios-catastrophes, envisagés çà et là pour le continent, pourraient de facto avoir un impact négatif sur les économies et l’évaluation des risques généralement défavorables à l’Afrique d’avant Covid-19, les investisseurs étant dans un contexte d’incertitude totale.

Les systèmes de santé en Afrique doivent être repensés totalement au regard de nombreuses considérations et limites actuelles, et nous ne devrions pas attendre les possibles effondrements engendrés par une pandémie de cette ampleur pour agir diligemment et efficacement.

Quelques pistes sont envisageables à cet effet :

• À court terme, une véritable union des pays africains sur les plans économique et sanitaire pourrait permettre une mutualisation des réponses aux risques engendrés par le Covid-19 et au-delà. Les initiatives multiples prises pour mobiliser des ressources financières suffisantes afin d’éviter que s’ajoute une crise économique majeure à la crise sanitaire annoncée sont à saluer. Nous appelons vivement, à la fois à une gestion rigoureuse desdites ressources, et à une coordination sous-régionale et régionale efficientes des actions, afin que lesdites initiatives gagnent en synergie et en complémentarité.

• De même, le partage de connaissance, de savoir-faire et de matériels médicaux sera un élément décisif.. L’énorme patrimoine culturel et traditionnel d’où est issue la pharmacopée africaine devrait être davantage mobilisé, mutualisé, panafricanisé, en association avec la médecine et les recherches dites modernes, comme l’ont fait avec succès certains pays comme la Chine. La créativité et l’ingéniosité locales devraient être stimulées, et l’offre artisanale valorisée à l’instar des équipements hydratants hygiéniques nouveaux proposées dans de nombreux pays (Ghana, Cameroun, …).

• L’Afrique doit apprendre de ses expériences et des autres régions du monde frappées par la pandémie, elle devrait davantage favoriser la solidarité dont elle possède les gènes, la sensibilisation massive, notamment en zone rurale, et le dépistage massif des populations. Les exemples provisoires de réussites montrent que ce ne sont pas nécessairement les moyens a priori abondants des pays à PIB très élevés qui produisent les meilleurs résultats sanitaires, à l’instar du Vietnam donnant 550 000 masques à 5 pays de l’Union européenne ou même de Cuba exportant son expertise dans la médecine d’urgence vers les pays dits développés

Le coronavirus est révélateur d’une certaine « fin de l’histoire » et de l’existence de modèles alternatifs. Il revient à l’Afrique d’inventer les siens. Notre continent dispose de ressources étendues, d’une population active mobilisable et créative, de professionnels formés pour résister et vaincre la pandémie. Il faudrait pour cela qu’il prenne les bonnes décisions et les ajuste au besoin. L’existence d’une nouvelle conscience reliant le continent à ses diasporas, ses nouveaux réseaux d’intellectuels, de professionnels, de chercheurs, de militants, d’associations, de politiques, d’indépendants, devrait pouvoir apporter des voix neuves et disruptives dans ces débats.

 

Johannesburg

A Johannesburg (Afrique du Sud), le 27 mars 2020. © Jerome Delay/AP/SIPA

• À moyen terme, le principal enseignement de la crise du Covid-19 devrait être le constat pour l’Afrique qu’elle continuera d’être d’autant plus vulnérable aux chocs exogènes qu’elle ne trouvera pas de réponse structurelle aux défis de son développement. Assertion valable aussi bien pour la santé que tous les autres domaines. En effet la dépendance sanitaire reste un problème épineux et le coût des évacuations sanitaires des élites pose un cas d’injustice sociale et d’irrationalité économique, dans la mesure où nombre de ces services sont réalisables en Afrique à moindre frais. La perpétuation d’un modèle d’économie de rente, fondé sur l’exportation de matières premières non transformées en attendant des recettes extérieures volatiles est suicidaire. L’urgence africaine, c’est en l’occurrence la production locale de services sanitaires qualitatifs étendus, la transformation sur place des matières premières, vectrice de création de valeur et d’emplois, et la diversification de la base productive.

Défis de taille

C’est alors même que le Covid-19 met les économies à l’arrêt, sème la mort et la désolation dans les pays, perturbe le fonctionnement des sociétés, criminalise les formes de sociabilité les plus ancrées, perturbe les calendriers politiques, que paradoxalement, sonne pour l’Afrique l’heure de relever ses défis et de réinventer les modalités de sa présence dans le monde.

Certes le défi auquel nous sommes confrontés est de taille car en plus de nos économies à l’arrêt, la pandémie du coronavirus a offert à certaines chancelleries occidentales matière à réactiver un afro-pessimisme que l’on croyait d’un autre âge. Dans les scenarii qui y sont élaborés, le visage de l’Afrique est celui d’un continent vulnérable, où les morts pourraient se compter non pas en milliers mais en millions d’individus. Il nous faut affirmer que ce scénario n’a rien d’une fatalité historique à laquelle le continent ne saurait échapper. Il en dit plus sur ses auteurs que sur la réalité d’un continent Africain, dont nul ne saurait préempter l’avenir et l’assombrir par principe. Il est temps de se rappeler que les périodes de basculement du monde ont toujours engendré un renouvellement paradigmatique, culturel et parfois civilisationnel pour ceux qui embrassent les exigences du changement. Il nous faut donc faire face aux défis qui se profilent et engager résolument les combats nécessaires.

Nous en appelons à tous les intellectuels africains, aux chercheurs de toutes les disciplines, aux forces vives de nos pays, à rejoindre le combat contre la pandémie du Covid-19, nous éclairer de leurs réflexions, de leurs talents, nous enrichir des fruits de leurs recherches et tous de leurs propositions constructives. Il nous faut nous fixer un cap optimiste tout en ayant courageusement conscience des lacunes à combler. Une autre Afrique est possible tout comme l’est une autre humanité dans laquelle la compassion, l’empathie, l’équité et la solidarité définiraient les sociétés. Ce qui pouvait ressembler jusqu’ ici à une utopie est entré dans l’espace des possibles. L’Histoire nous observe qui nous condamnera si nous nous laissons aller à conjuguer notre avenir au passé.

Osons ne pas perdre confiance en l’avenir ou en nous-mêmes. Osons lutter ensemble contre la propagation du Covid-19 et osons vaincre ensemble le précariat mondial auquel donne naissance la pandémie éponyme. Oui, l’Afrique vaincra le coronavirus et ne s’effondrera pas.

Cette tribune a été cosignée par : Kako Nubukpo, Alioune Sall, Reckya Madougou,  Martial Ze Belinga, Felwine Sarr, Carlos Lopes, Cristina Duarte, Achille Mbembe, Francis Akindès, Aminata Dramane Traore, Souleymane Bachir Diagne, Lionel Zinsou, Nadia Yala Kisukidi, Demba Moussa Dembélé, Franck Hermann Ekra, Alinah Segobye, Mamadou Koulibaly, Karim El Aynaoui, Mamadou Diouf, Hakim Ben Hammouda, Paulo Gomes, Carlos Cardoso, Gilles Yabi, Adebayo Olukoshi, Augustin Holl, Abdoulaye Bathily, Lalla Aicha Ben Barka, El Hadj Hamidou Kassé.

 
 
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[Tribune] Aider les PME pour garantir la sécurité alimentaire de l’Afrique

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Responsable en chef au sein du groupe de la BAD des opérations secteur privé et financement mixte, avec une spécialisation sur les secteurs coton/textile, agro-alimentaire et forêts

Une exploitation d'oignons au Sénégal.

Le modèle des années 1980 de l’importation en masse des produits de consommation courante ne peut plus tenir, estime ce responsable de la BAD qui plaide pour le renforcement de l’environnement de production locale.

La pandémie de coronavirus risque de faire tripler les importations nettes dans le secteur agroalimentaire. Celles-ci s’établiraient à près de 110 milliards de dollars (101 milliards d’euros) à l’horizon 2025 et, selon l’ONU, en 2050, le continent africain ne pourrait subvenir qu’à hauteur de 13 % de ses besoins alimentaires.

Nous nous souvenons des « émeutes de la faim » de 2008, provoquées par un choc climatique en Asie. La crise sanitaire que le monde traverse aujourd’hui, et dont l’Afrique n’est qu’aux prémices, peut avoir des conséquences plus graves encore.

« Il nous faut produire davantage sur notre sol… pour réduire notre dépendance ». Cette affirmation du président Emmanuel Macron est d’actualité en France, mais pourquoi ne vaudrait-elle pas également pour l’Afrique ? Le modèle des années 1980 de l’exportation des Cash Crops (cultures de rente) et de l’importation en masse des produits de consommation courante ne peut simplement plus tenir.

La production locale peu protégée

Les accords de libre-échange actuellement en cours ne permettent plus de protéger l’environnement de production locale. Malgré les innombrables programmes de soutien en ce sens, largement orientés vers l’attraction des IDE et les grands comptes, la majeure partie est restée inefficace.

80 % de la consommation de nourriture en Afrique relève du secteur privé, et 40 % seulement de ce dernier concerne la production primaire. Mais celle-ci a peu de moyens : les chiffres édifiants de 1,3 tracteur par km2 au Rwanda ou de 2,7 au Nigeria, en comparaison avec les 128 prévalant en Inde ou aux 116 au Brésil, témoignent du faible niveau de mécanisation ; qui s’ajoute aux risques pesant sur la production et, conséquemment, sur les prix, dans un contexte où, au minimum, 50 % des revenus des ménages sont consacrés à la nourriture.

Les chaînes de valeurs actives sur le continent sont aussi de toute première importance : transformation, distribution, transports, vente de détail, services associés. Il ne faut pas, par exemple, oublier les infrastructures associées, parmi lesquelles les chaînes de stockage, et notamment les structures à température contrôlée, car alors que les capacités de stockage en milieu réfrigéré sont de l’ordre de 262 litres par ménage en Allemagne, de 88 litres en Arabie saoudite ou de 66 litres en Algérie, ces chiffres tombent à 2 litres par foyer en Éthiopie ou en Tanzanie.

Il incombe aux États et aux agences de développement d’identifier les contraintes de ces PME afin de les lever

Or, ces chaînes de valeurs sont gérées, pour une large majorité, par les petites et moyennes entreprises qui soutiennent les petits fermiers locaux dans la création de marchés et débouchés. Les PME locales, contrairement aux idées reçues, ne manquent pas à l’appel. Elles sont très actives non seulement sur la transformation mais également dans les infrastructures associées, et il ne s’agit pas pour les gouvernements ni les agences de développement de réinventer la roue, mais de soutenir un écosystème existant.

Soutenir ces PME, c’est en effet soutenir non seulement la chaîne de production mais également la distribution et, in fine, les fermiers et la sécurité alimentaire de l’Afrique.

Il incombe donc aux États et aux agences de développement non pas de se substituer à cette dynamique mais d’en identifier les contraintes afin de les lever. Les coûts des intermédiaires, l’équipement, l’énergie, le transport et la main d’œuvre constituent les principaux facteurs de coûts. En réduire certains et permettre d’en optimiser d’autres sont autant de leviers sur lesquels les États peuvent agir. Il en va de notre survie !

 
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Le Tchad est «seul» face à Boko Haram, se plaint le président Idriss Déby

Des soldats tchadiens, à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun, le 21 janvier 2015, pour combattre Boko Haram.
Des soldats tchadiens, à la frontière entre le Nigeria et le Cameroun, le 21 janvier 2015, pour combattre Boko Haram. AFP PHOTO / ALI KAYA

Au Tchad, le président Idriss Déby annonce que Boko Haram a été chassé du territoire. Le chef de l’Etat tchadien qui s’est rendu sur le théâtre des opérations, a indiqué que toute la partie tchadienne du Lac Tchad où se trouvaient des éléments de Boko Haram a été nettoyée dans le cadre de l’opération « Colère de Bohoma » lancée, après la mort de plus de 90 soldats tchadiens suite à une attaque de Boko Haram.

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« Le Tchad est seul » et Idriss Déby s'en plaint. Face à Boko Haram, le président tchadien affirme que ses voisins manquent d'engagement alors que son armée a obtenu des résultats.

« Il n’y a pas un seul Boko Haram aujourd’hui au Tchad. Deux postes de commandement essentiels dans le lac Tchad ont donc été repris par nos forces et elles ont détruit sérieusement Boko Haram. Le peu qui reste sont soit rentrés au Niger, soit au Nigeria, soit au Cameroun. C’est fini pour ce qui concerne notre pays et il n’y a donc plus de terroristes maintenant », assure-t-il avant d’ajouter que les forces tchadiennes « sont maintenant à l’intérieur des pays voisins et nous leur apportons notre appui. Malheureusement, depuis notre engagement jusqu’à aujourd’hui, le constat qu’on peut faire est que le Tchad est seul à supporter tout le poids de la guerre de Boko Haram ».

Une information crédible

Joint par RFI, Seidik Abba, spécialiste de la région du Lac Tchad, considère qu’au vu des importants moyens déployés, l'armée tchadienne a, selon lui, avancé sans grande résistance, quand une partie des combattants de Boko Haram auraient pris la fuite.

« Boko Haram s’était réfugié dans une partie lagunaire du lac qui était difficile d’accès et qui était un peu sous-administrée. Mais depuis le lancement de l’opération "colère de Bohoma", le Tchad a visiblement pris le dessus et réussi à récupérer les deux principales bases de Boko Haram, là où il y a le commandement général et là où se trouve apparemment le quartier militaire d’où Boko Haram partait faire des attaques, rappelle Seidik Abba. D’après les informations qui remontent, un des commandants opérationnels a été capturé par les forces tchadiennes ».

« Même si Boko Haram a été chassé de la partie tchadienne du lac Tchad, le mouvement reste encore actif dans la forêt de Sambisa, précise l'expert de la région. On sait aussi que certains éléments ont réussi à s’enfuir principalement vers le Niger, le Nigeria et le Cameroun, sans doute ».

Seidik Abba estime aussi que les pays frontaliers doivent s'engager à leur tour dans le cadre de la force mixte multinationale (FMM) qui comprend le Tchad, le Nigeria, le Niger et le Cameroun.

► À lire aussi: Le Tchad endeuillé par la mort de 98 soldats dans une attaque de Boko Haram

 
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