Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

En Afrique, le défi de la formation professionnelle

Dans un institut de formation à Cap Town, en Afrique du Sud. (Image d'illustration)
Dans un institut de formation à Cap Town, en Afrique du Sud. (Image d'illustration) Getty Images - Klaus Vedfelt

Les diplômés chômeurs sont une triste réalité en Afrique, où bien souvent les formations universitaires ne correspondent pas aux besoins des économies. Mais les choses sont en train de changer avec le développement de la formation professionnelle, devenue une priorité de l'Union africaine. Un secteur où s'illustrent davantage le secteur privé que le secteur public.

Patricia Veringa Gieskes est kinoise. Elle a créé, en 2006, une société d'intérim, The Job factory, mais elle a rapidement dû réorienter son activité principale. « On a presque été dans l'obligation de migrer vers la formation professionnelle pour des raisons de compétence, explique-t-elle. Et nous avons directement vu les résultats. C’est-à-dire que quand on forme les jeunes en adéquation avec ce qu'ils vont devoir mettre en pratique au niveau des entreprises, ils trouvent du travail. »

Au Niger, Abdoulaye Sanda Maïga a identifié le problème il y a vingt ans déjà. Les jeunes diplômés ne sont pas correctement formés aux besoins des entreprises et de l'économie en général. Des bataillons de diplômés ne trouvent pas d'emplois. Il a donc créé l'Institut pratique de santé publique. Et aujourd'hui, il forme chaque année 2 500 jeunes dans des métiers aussi divers qu'agent de santé, infirmier obstétrical, épidémiologiste ou nutritionniste.

« Il est indéniable qu'aujourd'hui, au Niger, le secteur privé pallie le manque de formation qu'ont les jeunes diplômés du Niger, affirme Abdoulaye Sanda Maïga. L'État fait ce qu'il peut, mais il ne peut pas tout faire, c'est impossible. Et nous venons en appui à l'État pour cette formation professionnelle, car aujourd'hui, dans le monde entier, s'il n'y a pas de formation professionnelle, on ne peut pas parler de développement. »

Si l'État ne peut pas tout faire, reconnait Abdoulaye Sanda Maïga, il pourrait au moins aider les entreprises privées de formation professionnelle. « Avant, il y avait une subvention de l'État, ajoute-t-il. Mais ils l'ont arrêté. Il n'y a plus d'aide en tant que tel. Ce qu'ils font parfois, c'est de nous donner des terrains où nous pouvons installer les bâtiments de nos écoles. Mais nous pensons que l'état doit faire mieux que cela et nous appuyer. »

Patricia Veringa Gieskes est confrontée au même manque de soutien de la part des pouvoirs publics. Or, sans aide, son entreprise ne pourra pas perdurer, s'inquiète-t-elle. « Nous avons créé une fondation pour essayer de capter des fonds afin de former les jeunes. Nous sommes une entreprise privée et qui est censée gagner de l'argent, et là, on ne le pouvait plus, car c'est quasiment nous qui financions le tout ».

Abdoulaye Maïga et Patricia Veringa Gieskes savent que la formation professionnelle est la clé pour fournir du travail aux millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l'emploi en Afrique. Mais ils se demandent si cette prise de conscience est bien partagée par les dirigeants politiques.

Leïla Ben Ali, Komi Koutché, Chakib Khelil… Ces Africains recherchés pour corruption ou détournement (1/3)

Mis à jour le 31 août 2021 à 12h54
De gauche à droite : Diezani Alison-Madueke, Chabib Khelil, Komi Koutché et Leïla Ben Ali.

Photos : DIETER NAGL/AFP; Mario FOURMY/REA; DR; FETHI BELAID/AFP0

« Wanted » (1/3) – Leïla Ben Ali, la régente tunisienne déchue, Komi Koutché, ex-ministre béninois en exil forcé, Diezani Alison-Madueke, ancienne ministre nigériane du Pétrole… Tous sont accusés d’avoir détourné des milliards.

Afrique du Sud – Les Gupta, une fratrie sur la sellette

Le richissime homme d’affaires Atul Gupta dans les rues de Johannesburg, en septembre 2010.

L’ancien ministre des Finances Essimi Menye, le 10 février 2010. © The EITI/CC/Flickr

 

La cavale d’Ajay, Atul et Rajesh Gupta prendra-t-elle bientôt fin ? Ces trois frères d’origine indienne, âgés respectivement de 55, 53 et 42 ans, étaient à la tête d’un empire industriel tentaculaire pesant 780 millions de dollars (695 millions d’euros) et 8 000 employés, dont le champ d’activité s’étend de l’informatique aux mines, en passant par la logistique et les médias. Originaires de Saharanpur, dans l’Uttar Pradesh, un État du nord de l’Inde, ils s’étaient installés en Afrique du Sud en 1993, un an avant l’abolition de l’apartheid.

Proches de l’ancien président Jacob Zuma, poussé à la démission en 2018, ils sont accusés d’avoir, avec sa complicité, pillé les ressources publiques. La police estime à 2,5 milliards d’euros les fonds détournés par la fratrie ; un siphonage des comptes publics à grande échelle dont le pays peine encore à se remettre. Recherchés par la justice, la fratrie Gupta s’est exilée aux Émirats arabes unis où elle bénéficie de la protection des autorités. Dubaï leur a toujours servi de base arrière, même lorsqu’ils opéraient en Afrique du Sud. Ils y résident aujourd’hui dans une demeure estimée à 25 millions d’euros près de la marina.

En juin, l’Afrique du Sud a finalement annoncé un accord d’extradition avec les Émirats. Et, début juillet, Interpol a émis une notice rouge contre deux des frères Gutpa, Atul et Rajesh. Cet avis de recherche est lié à une affaire concernant un contrat de 25 millions de rands (1,48 million d’euros) payé à une société liée aux Gupta, Nulane Investments, pour réaliser une étude de faisabilité agricole. Le troisième frère, Ajay, n’est pas concerné par cette affaire.

En 2019, le Trésor américain avait gelé leurs actifs sous juridiction américaine et interdit notamment aux banques internationales ayant des activités aux États-Unis de faire des transactions avec eux.

Vincent Duhem

 

Tunisie – Leïla Ben Ali, la régente déchue



Leïla Ben Ali en octobre 2009. © FETHI BELAID / AFP

Ironie du sort, la dernière adresse connue de Leïla Ben Ali (née Trabelsi) sur les documents de la justice tunisienne reste le palais de Carthage. Pourtant, l’épouse de feu Zine el-Abidine Ben Ali a quitté ses dorures en 2011 dans la précipitation et sans passeport. À 64 ans, elle continue de vivre en exil en Arabie saoudite, aux frais du royaume, qui a refusé son extradition, avec son fils Mohamed, toujours mineur. Sa défense dément les rumeurs de remariage avec un prince saoudien.

Celle qui avait relaté son rôle d’ex-première dame d’un régime autoritaire déchu dans Ma Vérité (Ed. du Moment) en 2012 a tout fait pour se défaire de l’image d’instigatrice d’une gouvernance mafieuse. En vain. En avril dernier, elle a écopé d’une nouvelle condamnation à la prison par contumace, venue s’ajouter à une cinquantaine d’autres années d’emprisonnement et de multiples amendes pour corruption et détournements de fonds. Ses biens comme ceux du « clan Ben Ali-Trabelsi » ont été gelés à l’étranger ou saisis par l’État.

Formulant une demande de pardon en demi-teinte dans son livre, elle n’a jamais consenti à une véritable autocritique. Considérant que ses inculpations sont politiques, dixit son avocate Maha Charfeddine, elle confie par son intermédiaire : « Je souffre en silence, j’ai tendu la main à tous les présidents du pays en demandant une conciliation et je continue à le faire pour le bien de mes enfants. » Elle plaide en particulier la cause de sa fille Halima, mineure à l’époque des faits, qui vient de terminer ses études de droit à Dubaï mais qui fait toujours l’objet de poursuites.

Leïla Ben Ali a par ailleurs porté plainte en janvier contre un ex-avocat de son époux défunt, Mounir Ben Salah, pour diffamation, affirmant qu’il ne la représente pas. Ce dernier assure de son côté préparer un livre tiré d’enregistrements de l’ex-président, qui l’y aurait autorisé, et attend le feu vert de ses proches.

Camille Lafrance

 

Algérie – Chakib Khelil, de l’art de passer entre les gouttes



Chabib Khelil, à Jakarta, en 2008. © BAY ISMOYO / AFP

Sans ce coup de téléphone salvateur, Chakib Khelil, ancien ministre algérien de l’Énergie entre 1999 et 2010, serait aujourd’hui derrière les barreaux, à l’instar des deux anciens Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, ou de plusieurs ex-collègues qui purgent de lourdes peines de prison.

Nous sommes en avril 2019. Abdelaziz Bouteflika vient de renoncer au pouvoir qu’il monopolisait depuis vingt ans. Dans la foulée de la chute du vieux président, Ahmed Gaïd Salah, alors patron de l’armée, déclenche une vaste opération anti-corruption visant des membres du clan présidentiel, dont Chakib Khelil. Calfeutré dans son duplex de luxe à Alger, ce dernier est informé par l’un de ses amis de l’imminence de son arrestation. Khelil saute aussitôt dans un avion pour les États-Unis, où sa femme et leurs deux enfants se cachent aussi pour fuir la justice algérienne.

Depuis, l’ancien ami et protégé de Bouteflika fait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour notamment corruption, abus de fonction, blanchiment et association de malfaiteurs. Chakib Khelil est un double symbole. Celui de la corruption, qui a gangrené Sonatrach, la compagnie pétrolière qui « nourrit » le pays, et celui de l’impunité.

En 2013, alors réfugié aux États-Unis, il était déjà inculpé par un juge algérien avec lancement d’un mandat d’arrêt contre lui. Trois ans plus tard, il effectue un retour tonitruant en Algérie, où il est blanchi de toutes les accusations sur un simple coup de fil du ministre de la Justice, Tayeb Louh, qui croupit aujourd’hui en prison. N’étant pas citoyen américain, Chakik Khelil n’est guère à l’abri d’une éventuelle extradition. L’ancien patron de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, croyait lui aussi être à l’abri des juges. Il a été extradé des Émirats début août pour être placé sous mandat de dépôt à la prison d’El Harrach. Ould Kaddour et Khelil ont ceci de commun qu’ils sont poursuivis dans le cadre de la même affaire liée à la gestion du groupe pétrolier.

Farid Alilat

 

Bénin – Komi Koutché, touché mais pas coulé



L‘ancien ministre des Finances du Bénin, omi Koutché. © ERICK AHOUNOU

Chemise bariolée et lunettes de soleil sur le nez, Komi Koutché, 44 ans, apparaît à l’écran. Sur cette vidéo tournée à Washington, où il vit depuis avril 2019, l’opposant prend des accents vibrants pour exhorter les Béninois à « former l’union sacrée » face à Patrice Talon. Nous sommes le 5 avril 2020 et le « président-patron » s’apprête à briguer un second mandat. Mais l’appel de Komi Koutché restera lettre morte, Talon ayant été réélu sans surprise. Depuis, Koutché et les « radicaux » de l’opposition en exil ont cessé de concentrer l’attention, qui s’est reportée sur Reckya Madougou et Joël Aïvo, candidats à la dernière présidentielle aujourd’hui derrière les barreaux.

Tous deux sont poursuivis par la Cour de répression de l’enrichissement illicite et du terrorisme (Criet) pour « terrorisme » ou « tentative de déstabilisation », tandis que Komi Koutché est quant à lui « tombé » pour des crimes économiques : le 4 avril 2019, il est condamné par contumace à vingt ans de prison pour « détournement de fonds publics » et « abus de fonction » dans l’affaire du Fonds national des micro-crédits, qu’il a dirigé de 2008 à 2013. L’intéressé continue de clamer son innocence et a fait appel de sa condamnation depuis son lieu d’exil américain.

Arrêté en décembre 2018 en Espagne à la suite d’un mandat d’arrêt émis par le Bénin, il avait fini par obtenir en avril 2019 d’un juge madrilène le rejet de la mesure d’extradition. Dans la foulée, Interpol avait décidé de supprimer le mandat d’arrêt. Koutché n’en était pas pour autant tiré d’affaire. « Une fois la condamnation prononcée en avril 2019, un nouveau mandat a été émis et celui-ci est toujours en cours actuellement », précise le procureur de la Criet.

Koutché, discret ces derniers mois, n’en déclare pas moins vouloir continuer à peser sur la scène politique béninoise. « Des choses se préparent », promet-il. Titulaire d’un DESS en finances, il explique que son cabinet de conseil fonctionne à plein, notamment grâce à un « partenariat avec un grand groupe » dont il refuse de livrer le nom. Tout juste consent-il à assurer qu’il parcourt le monde, d’Haïti au Qatar en passant par l’Europe : « Nulle part je n’ai eu le moindre souci avec un mandat d’arrêt. » Une destination lui reste cependant interdite, Cotonou. Pas sûr que cela change avant longtemps.

Matthieu Millecamps

 

Nigeria – Diezani Alison-Madueke, dame de pique



Diezani Alison-Madueke à Houston, aux Etats-Unis, en 2014. © F. Carter Smith/Bloomberg via Getty Images

 

La « saga » internationale Diezani Alison-Madueke entre dans sa sixième année. L’ex-ministre des Ressources pétrolières (2010-2015), 60 ans, est poursuivie au Nigeria, aux États-Unis et au Royaume-Uni pour avoir « dérobé pas moins de 2,5 milliards de dollars » de fonds publics, selon Ibrahim Magu, ex-patron de la Commission des crimes financiers et économiques (EFCC). Un montant qui pourrait atteindre 6 milliards de dollars, selon des sources américaines, détournés via de nombreux contrats pétroliers douteux, dont celui attribué à une obscure société nigériane, Atlantic Energy, évalué à 1,5 milliard de dollars, concédé en contrepartie de divers biens immobiliers et autres pots-de-vin.

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Muhammadu Buhari, Alison-Madueke réside à Londres. Arrêtée brièvement par la police britannique en octobre 2015, elle a été libérée sous caution, mais un mandat d’arrêt a été émis fin 2018 par le Nigeria. « Elle dispose d’un passeport diplomatique dominicain. Par conséquent, de longues négociations seraient nécessaires pour qu’elle se présente à son procès. Faut-il poursuivre une procédure judiciaire internationale – aux coûts importants – ou évaluer les montants recouvrables et négocier un plaidoyer ? » se demande pour JA Dr. Uche Igwe, chercheur à la prestigieuse LSE de Londres. Au demeurant, « la jurisprudence nigériane ne permet pas de poursuite par contumace », complète Me Emmanuel Ogbuefi, avocat au cabinet Ogbuefi & Associates.

En attendant, les tentatives de recouvrement et d’extradition se multiplient au Nigeria comme au Royaume-Uni et aux États-Unis. Elles ont déjà permis de mettre la main sur 144 millions de dollars en biens immobiliers à New York en 2017 et – au Nigeria – sur 40 millions de dollars en bijoux, 153 millions de dollars saisis sur des comptes bancaires et pas moins de 80 résidences à travers le pays. L’EFCC est à la recherche d’au moins 480 millions de dollars d’actifs supplémentaires.

Loza Seleshie

 

Cameroun – Essimi Menye, l’infortuné grand argentier

L’ancien ministre des finances Essimi Menye, le 10 février 2010.

L’ancien ministre des Finances Essimi Menye, le 10 février 2010. © The EITI/CC/Flickr

 

Il n’a plus remis les pieds au Cameroun depuis 2015. Et pour cause : Essimi Menye est sous le coup de quatre condamnations à perpétuité pour détournement de fonds, prononcées en 2020. Visé par une procédure judiciaire du Tribunal criminel spécial (TCS) depuis 2013, limogé du gouvernement en octobre 2015, il avait choisi de prendre la fuite dans la foulée, dans une « exfiltration » très commentée à l’époque : il avait profité des suites d’un AVC – pour lequel il sera d’abord hospitalisé à Yaoundé – pour obtenir en décembre 2015 une autorisation pour sortir du territoire, recevoir des soins à l’étranger, en l’occurrence aux États-Unis… et ne jamais revenir à portée de mandats du TCS.

Poursuivi dans plusieurs affaires liées à des indélicatesses avec la fortune publique, il a finalement été condamné par contumace en mars 2020 pour avoir versé 2,5 milliards de F CFA à un expert-comptable pour masquer un scandale de 46 milliards de F CFA observé lors de l’audit des activités de la Société générale de surveillance (SGS). Le TCS l’a également reconnu coupable de la distraction d’une somme de 9,1 milliards de F CFA, ainsi que de prise illicite d’intérêts dans la vente d’un terrain d’une superficie de 200 hectares à 27,5 millions de F CFA, au lieu des 200 millions de F CFA estimée comme valeur réelle lors de la liquidation de la Société camerounaise de tabac (SCT).

Aux États-Unis, où il est installé depuis son départ en exil, l’ancien ministre délégué au Budget (2006), des Finances (2007-2011) et de l’Agriculture (2011-2015) a élu domicile dans l’État de Virginie, où il réside avec sa famille. À 71 ans, l’ex-consultant de la Banque mondiale assure qu’il ne retournera plus jamais dans son pays natal, où la justice a émis en vain plusieurs mandats d’arrêt contre lui depuis 2017, Washington refusant de l’extrader. Malgré plusieurs tentatives, il n’a pas réussi à réintégrer le FMI, où il avait assuré les fonctions de conseiller de l’administrateur Cameroun jusqu’à sa nomination comme ministre en 2006.

Franck Foute

Dette africaine : à quoi servent les Droits de tirages spéciaux, concrètement ?

| Par 
Mis à jour le 20 août 2021 à 16h36
Un billet de Dalasi, la monnaie gambienne.

Un billet de Dalasi, la monnaie gambienne. © Glowimages/Getty

Rôle, allocation, valeur… Comment les désormais célèbres DTS fonctionnent ? Comment sont-ils censés aider les pays africains ? Le décryptage de « Jeune Afrique ».

« Il s’agit d’une décision historique : la plus importante allocation de DTS de l’histoire du FMI et une bouffée d’oxygène pour l’économie mondiale en cette période de crise sans précédent », s’est félicité Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Le 2 août, le conseil des gouverneurs de l’institution de Bretton Woods a approuvé l’allocation de 650 milliards de dollars soit 456 milliards de DTS.

Alors que l’Afrique subsaharienne a enregistré en 2020 sa première récession en 25 ans, cet outil économique, au cœur des débats lors du sommet sur les économies africaines organisé le 17 mai par Emmanuel Macron, pourrait venir en aide aux économies exsangues.

Voici cinq choses à savoir sur les droits de tirages spéciaux.

  •         Rôle du DTS

Créé en 1969 par le FMI, un droit de tirage spécial est un actif de réserve international. Autrement dit, le FMI crée une nouvelle forme de monnaie, utilisable par les Banques centrales.

Aujourd’hui, les allocations sont utilisées lors des crises économiques, afin de fournir des liquidités et de compléter les réserves officielles des pays membres. « Le DTS n’est pas une monnaie, et il ne constitue pas non plus une créance sur le FMI. Il représente en revanche une créance virtuelle sur les monnaies librement utilisables des pays membres du FMI », précise l’institution.

Concrètement, la première utilité du DTS est monétaire. Il permet de consolider la monnaie et d’assurer les réserves des Banques centrales. Si un État décide de conserver ses DTS, il percevra des intérêts (le taux d’intérêt actuel étant de 0,05 %).

Ces DTS peuvent également être échangés avec une autre Banque centrale contre des devises. Ce mécanisme permet à un État d’obtenir de l’argent immédiatement afin de financer des projets d’investissement. Mais, si un pays dispose de moins de DTS qu’il lui en finalement a été alloué, il devra payer des intérêts.

Ce mécanisme peut également être considéré comme un dispositif de mise en commun des réserves. Par exemple, un pays ayant besoin de devises fortes peut les obtenir d’un autre pays qui en dispose en abondance ou qui peut facilement s’en procurer en empruntant.

La plupart des échanges de DTS sont volontaires. Cependant, il existe également un « mécanisme de désignation » par lequel le FMI peut obliger certains membres, dont les réserves sont solides à accepter des DTS d’un autre membre en échange de devises.

Mais, ces DTS ne peuvent en aucun cas être échangés directement avec des entreprises privées ou des individus. Leur détention par des acteurs privés est interdite.

  •       Allocation

Les DTS sont approuvés par le conseil des gouverneurs à une majorité de 85 % du total des voix. « Le FMI attribue des DTS à ses membres au prorata de leur quotes-parts laquelle traduit leurs positions économiques relatives dans l’économie mondiale », a expliqué l’institution. Les quotes-parts des États sont calculés selon plusieurs facteurs : PIB (50 %), degré d’ouverture de l’économie (30 %),  variations économiques (15 %) et réserves officielles de change (5 %).

Ainsi les pays riches reçoivent plus de DTS que les pays pauvres. De fait, les États-Unis détiennent 16,5% des quotes-parts, la Chine en a 6% et l’Afrique du Sud – le plus gros contributeur du continent – 0,63%.

Depuis sa création, cinq allocations ont été approuvées pour un total de 661 milliards de DTS (soit 943 milliards de dollars). La première, d’une valeur de 9,3 milliards de dollars, a été émise en 1970 suivie par une autre émission de 12 milliards de dollars entre 1979-1981.

En 2009, une allocation ponctuelle spéciale a permis aux pays devenus membres du FMI après 1981 – date de la précédente allocation – de participer au système du DTS sur un « pied d’égalité », souligne l’institution. La même année, pour aider les pays à faire face à la crise financière mondiale de 2008, une allocation de 182 milliards de dollars (161 milliards de DTS) a eu lieu.

Enfin, la dernière allocation – et de loin la plus importante – a été approuvée le 2 août dernier afin d’aider les pays à faire face à la pandémie. Ainsi, 650 milliards de dollars seront alloués aux États membres du FMI.

Le choix de ce montant ne s’est pas fait au hasard. Si en théorie, il n’y a pas de limite à la création de DTS, dans la pratique, il existe une contrainte politique. Avec 17 % des voix au FMI, les États-Unis ont le pouvoir de bloquer les décisions. Au-delà de 680 milliards de dollars, une allocation générale doit être approuvée par le Congrès américain. De fait, le montant de 650 milliards de dollars a été décidé pour ne pas avoir à faire valider le nouveau montant d’approbation par le Congrès américain, où l’opposition peut retarder pendant des mois tout décision, d’autant que des pays comme l’Iran perçoivent aussi des DTS.



La directrice générale du FMI Kristalina Georgieva aux cotés de David Malpass, président du groupe de la Banque mondiale" 
  •         Valeur du DTS

A l’origine, la valeur du DTS était fixée à 0,89 gramme d’or fin. Mais, depuis l’effondrement du système de Bretton Woods, la valeur du DTS est déterminée par rapport à un panier de devises, dont la composition est revue tous les cinq ans.

Depuis 2015 – la prochaine revue a été reportée en 2022 -, ce panier est composé à 41,7 % de dollars américains, 31 % d’euros, 11 % de yuan chinois, 8,3 % de yen japonais et 8 % de livre sterling.

  •          Réallocation vers l’Afrique

Selon le système de quotes-parts, les pays africains devraient recevoir au total 33 milliards de dollars de DTS (sur les 650 milliards).Une « goutte d’eau » avait estimé le président Sénégalais Macky Sall. À titre de comparaison, les États-Unis recevront 118 milliards de dollars (83 milliards de DTS). La Chine, quant à elle, se verra allouer 43 milliards de dollars.

Lors du sommet sur le financement des économies africaines, le président français et les dirigeants africains ont demandé la réallocation de 100 milliards de DTS des pays les plus riches vers les pays africains. « La France y est prête, le Portugal aussi, a indiqué Emmanuel Macron. Il faut maintenant convaincre les autres de faire le même effort, notamment lesÉtats-Unis ».

Or, la réallocation de DTS n’est pas si simple. Cette dernière doit se faire sous la forme de prêts et dépend des Banques centrales, qui sont soumises à des règles strictes. Des projets, tels que le Fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et la croissance du FMI, sont à l’étude afin de faciliter les réallocations.

  •         Qui détient les DTS ?

Les DTS peuvent être détenus par trois entités : Le FMI, les pays membres et 15 détenteurs agréés tels que des Banques centrales ou des Banques de développement.

Parmi les institutions africaines agrées, on retrouve la Banque africaine de développement (BAD), le Fonds africain de développement, la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC), la Banque des règlements internationaux (BRI), la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’ouest (BCEAO) et la Banque est-africaine de développement (IADB).

Dans le monde, d’autres institutions sont également agrées telles que le Fonds latino-américain de réserve (FLAR), le Fonds monétaire arabe (FMA), la Banque asiatique de développement (ADB), la Banque centrale des caraïbes orientales (BCCO), la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), l’Association internationale de développement (IDA), le Fonds international pour le développement agricole (FIDA), la Banque islamique de développement (BID) ou encore la Banque nordique d’investissement (NIB).

Niger: après l'attaque de Baroua, l'espoir de tenir face à Boko Haram

Des milliers de déplacés nigériens ont pu rentrer dans le village de Bouara abandonnés depuis six ans suite aux attaques terroristes. Ici des réfugiés nigériens dans un camp près de Diffa en 2017.
Des milliers de déplacés nigériens ont pu rentrer dans le village de Bouara abandonnés depuis six ans suite aux attaques terroristes. Ici des réfugiés nigériens dans un camp près de Diffa en 2017. © BOUREIMA HAMA/AFP

Si seize militaires sont morts dans l’attaque de Baroua, près du Nigeria, dans la nuit du 25 août, aucun civil n’a été blessé ou tué. Les forces de défense du Niger ont donc résisté aux jihadistes de Boko Haram. Selon le ministère, une cinquantaine de terroristes ont été neutralisés. Baroua n’était pas visée par hasard : cette commune est la première où l’État a organisé le retour de déplacés dans le cadre de son opération « retour au village ». La volonté de continuer semble intacte. 

Résilience, résistance. Ambitieuse, l’opération « retour au village » a été lancée par le président Mohamed Bazoum, venu en personne à Baroua le 2 juillet. Six mille personnes sont revenues s'installer sur place.

Présence militaire renforcée avec l'appui des forces spéciales, ravitaillement en vivres et en eau, reconstruction des bâtiments officiels : les autorités nigériennes ne s’en cachent pas, elles s’attendaient à des représailles du groupe Boko Haram.

« On savait que Baroua serait attaquée parce que Boko Haram essayera par tous les moyens de saboter le retour des populations », explique Issa Lémine, gouverneur de la région, joint par Guillaume Thibault à Diffa.

D’où la présence importante des forces de sécurité pour protéger tout le secteur : dans la nuit de mardi à mercredi, en traversant le lac Tchad à pied, à cheval et en pirogue, c'est à un dispositif militaire puissant que les jihadistes ont dû faire face. Aucun civil de Baroua n’a d’ailleurs été blessé ou tué lors de cette offensive.

Le gouverneur de la région de Baroua veut désormais stimuler les populations :

Le message, c’est de tenir bon, de ne plus quitter les villages, exhorte-t-il. Le rapport de force va changer, nous n'allons plus accepter que les gens soient chassés à nouveau par Boko Haram. Et nous allons faire en sorte que les populations puissent revenir et rester définitivement dans leurs villages.

Pour les autorités, l’opération doit se poursuivre. Quelque 120 000 personnes sont toujours déplacées au Niger, et Baroua doit être l’exemple à suivre.

L'un de ces déplacés originaires de  Baroua, Adam Boulama, est actuellement à Niamey, d'où il suit la situation heure par heure. « Les dernières attaques de Bosso n'ont pas réussi, l'attaque de Baroua leur a fait un grand coup, note-t-il. La situation a basculé en faveur, donc, du gouvernement et des populations. »

Pour lui, deux choses permettent aux habitants d’être en confiance : la volonté politique, mais aussi la présence de jeunes de la région au sein de contingents qui protègent la zone.

Si les enlèvements de civils par les éléments de Boko Haram sont en recrudescence, la volonté de résister se retrouve chez les jeunes. « Il faut absolument braver la peur, résister. La communauté a demandé elle-même à retourner sur place. Moi, je reste optimiste, nous allons y arriver », confie Mara Mamadou, de la société civile de Diffa.

Pour Mara Mamadou, coordinateur des organisations de la société civile dans la région de Diffa, il n'y a pas de risque zéro

Les autorités du Niger s’attendent à de nouvelles attaques de Boko Haram dans la zone du lac Tchad. Mais si l’on est loin d’un retour à la normale, la peur semble néanmoins, jour après jour, se réduire.

Depuis le lancement par les autorités, en juin, de l'opération, près de 26 000 personnes ont été reconduites dans 19 localités. Ce n'est qu’un début, mais les résultats semblent encourageants.

►À relire : Raid meurtrier de Boko Haram sur un village réinvesti par d'anciens déplacés

Restitution des objets d’art africains : une quête d’identité

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Mis à jour le 25 août 2021 à 11h26
 
 

Par  Christian Kader Keita

Contrôleur financier d'origine mauritanienne et congolaise, auteur de « Sur le chemin de la restitution des œuvres aux Africains », paru aux éditions Sydney Laurent en 2021.

Des bronzes du Bénin au British Museum, le 22 novembre 2018, à Londres, en Angleterre.

Des bronzes du Bénin au British Museum, le 22 novembre 2018, à Londres, en Angleterre. © Jan Kitwood/Getty Images via AFP

 

Malgré les promesses de nombreux pays occidentaux, le processus de restitution des œuvres et objets africains exposés hors du continent traîne en longueur. Voici une proposition en trois points pour lui donner efficacité, légitimité et… rapidité.

Le point focal de la culture africaine n’a jamais été la Chose ou l’Objet mais l’Homme, l’Être Humain. Non le Matériel. Par conséquent, la restitution des objets d’art aux Africains ne doit pas être vue sous le prisme d’un troc ou réduite à un simple retour de tels ou tels objets prodigieux aux peuples qui les avaient produits. La problématique ici est en réalité bien plus profonde. Il s’agit de leur restituer leur identité.

Égalité, liberté, fraternité

Pour la France – et cela vaut pour les autres pays occidentaux détenteurs d’objets d’art africains –, il s’agit d’être en phase avec des valeurs séculaires qui lui sont chères : l’égalité, la fraternité et la liberté.

L’égalité dans ses relations avec l’Afrique d’abord. Il s’agit pour la France de traiter les pays du continent comme elle aimerait être traitée si elle se trouvait dans la même situation.

La fraternité ensuite, qui trouve sa concrétisation dans le partage et les échanges culturels qui, certes, existent déjà sous certaines formes, mais qui vont s’intensifier et s’étendre aux objets qui, jusqu’alors, étaient soustraits à la jouissance de nombreux Africains.

La liberté, enfin, que l’on doit reconnaître aux habitants du continent de décider du sort, de la circulation et du partage de ces objets, une fois reconnus leurs droits de propriété.

De la responsabilité africaine

À ce stade, il convient de souligner que la libération de ces objets des musées occidentaux comporte une vraie responsabilité pour les Africains. Celle de veiller sur ces pièces en s’assurant de la mise en place de conditions structurelles garantissant leur sauvegarde. De construire ou de rénover des structures muséales, nationales ou régionales et même panafricaines. D’assurer la formation des conservateurs africains et surtout celle de la nouvelle génération afin de l’intéresser à la culture de ses ancêtres. De se doter de capacités juridiques (assurances, droits…) et logistiques pour faire circuler ces œuvres, afin d’en faire profiter les Africains et même le monde entier, et ce, en fonction des accords éventuels entre les musées d’Occident et ceux du continent. La liste est longue…

Ajoutons qu’ici comme ailleurs, l’argent est le nerf de la guerre. Nous ne pourrons atteindre la pérennité du système sans une structure de financement. Plus largement, le processus de restitution des œuvres d’art aux Africains repose sur trois piliers.

Premièrement : la création d’un statut « spécifique » pour ces objets restituables. On placerait sous ce statut tous les objets mal acquis pendant les périodes d’esclavage, de guerres coloniales et de colonisation. Ici, le point déterminant est la condition d’acquisition des objets, qui doit être illégitime ou marquée d’un sceau de domination qui suppose une absence de consentement éclairé. Ce qui exclut de facto les objets achetés sur le marché de l’art par des acheteurs de bonne foi.

Les objets ainsi identifiés seront inaliénables et insaisissables. À la suite d’un inventaire, il feront partie d’une « liste arc-en-ciel » déposée auprès du Conseil international des musées (Icom). Tout le monde de l’art pourra à tout moment la consulter. C’est une espèce de coffre-fort qui évitera que l’on retrouve un jour ces œuvres en vente libre sur les marchés de l’art.

Naturellement, ce statut d’« objet spécifique » ne pourra pas être décrété par les Occidentaux seuls. Cela reviendrait à concéder un pouvoir de décision exorbitant sur le sort d’un bien, à celui qui serait reconnu comme son détenteur illégitime. Il ne peut être que le résultat d’un accord entre les pays sources, propriétaires historiques et légitimes, et les pays actuellement détenteurs desdits objets.

C’est dans cette visée que l’auteur incite la France et les pays d’Afrique subsaharienne à lancer ensemble la création d’un Comité interculturel (CIC) qui constitue le deuxième pilier du processus et illustrera la volonté de travailler ensemble proclamée par Emmanuel Macron à Ouagadougou.

Enfin,  il faudra bien sûr de l’argent, et c’est ici qu’intervient le troisième pilier : la création d’un Fonds dédié à la sauvegarde du patrimoine africain (FDSPA). Pour le financer, nous proposons d’aller chercher l’argent là où il dort.

La France vient d’adopter, en juillet dernier, une loi qui prévoit de rendre aux populations spoliées, l’argent détourné par des chefs d’État et autres dirigeants, au terme des procédures judiciaires engagées dans l’Hexagone. Ces sommes, qui atteignent souvent plusieurs millions d’euros, financeront des actions de coopération et de développement.

Jusqu’alors, la restitution des avoirs se heurtait à une difficulté : à qui devaient-ils être rendus ? La nouvelle loi dispose que c’est l’Agence française de développement (AFD) qui procèdera à la l’allocation des biens. Nous ne partageons pas cette vision, qui revient une fois encore à placer les Africains dans une posture de quémandeurs vis-à-vis d’une institution occidentale.

D’où la contre-proposition consistant à confier les sommes récupérées au FDSPA évoqué plus haut. Selon les préconisations du CIC, elles seraient destinées en outre aux travaux d’entretien et de rénovation des musées africains existants, aux dépenses liées à la circulation des œuvres entre les établissements du continent d’une part et entre ces derniers et ceux d’Europe d’autre part.

Une fois ce processus mis en place, le message serait sans équivoque : l’heure du retour a sonné !