Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Sénégal, Nigeria, Rwanda : la fondation Rockefeller veut mobiliser 150 millions de dollars

| Par 
Mis à jour le 26 juillet 2021 à 16h26
Parc éolien de Taiba Ndiaye, au Sénégal.
Parc éolien de Taiba Ndiaye, au Sénégal. © ADRIEN BARBIER / AFP

La célèbre institution philanthropique américaine, associée à IFC (groupe Banque mondiale), espère mobiliser deux milliards de dollars d’investissement dans les énergies renouvelables.

Faire progresser les solutions d’énergie renouvelable dans les marchés émergents et notamment sur le continent africain. Telle est l’ambition du partenariat signé le 16 juin 2021 entre la fondation Rockefeller et IFC, la branche du groupe de la Banque mondiale (BM) dévolue au secteur privé.

La contribution de l’institution philanthropique américaine s’élève à 150 millions de dollars (127,4 millions d’euros) afin de « dé-risquer » jusqu’à 2 milliards de dollars d’investissement mobilisés du secteur privé via l’IFC, avec une phase initiale de déploiement rapide de 30 millions de dollars.

Le partenariat, conçu pour durer dix ans, concerne sept pays subsahariens : le Sénégal, le Rwanda, le Nigeria, la Sierra Leone, l’Éthiopie, le Malawi ou encore l’Ouganda. Des États sélectionnés notamment en raison d’un environnement jugé propice au développement de l’accès à l’énergie, que ce soit par des politiques de déploiement de miniréseaux électriques ou de consolidation des réseaux existants.

Action conjointe avec l’agence américaine DFC

« Les pays qui se sont montrés intéressés ont mis en place des politiques qui ne sont peut-être pas parfaites, mais qui vont dans le bon sens », a expliqué à Jeune Afrique Joseph Nganga, le directeur exécutif énergie et climat pour l’Afrique à la fondation Rockefeller.

Autre critère pris en compte : les besoins particulièrement importants, par exemple, au Malawi, où le taux d’électrification est de 11 % », a relevé Joseph Nganga.

Enfin, le troisième critère concerne l’intérêt des partenaires de la fondation, notamment l’US International Development Finance Corporation (DFC), pour ces pays. « Cibler les mêmes États que DFC, dont les capitaux mobilisés sont nettement plus conséquents, permet de relever des défis bien plus importants », a-t-il ajouté.

Développement et mise à l’échelle

Concrètement, le projet consiste à épauler IFC dans la conception et le développement de mini-réseaux d’énergie renouvelable, d’unité de stockage d’énergie par batterie et d’autres technologies innovantes d’énergie propre.

« Notre collaboration porte à la fois sur le développement de projets en amont, au moment du prototype, et sur leur déploiement à grande échelle », a précisé Stefanie Fairholme, directrice des investissements énergie et climat à la fondation Rockefeller.

Pour rappel, selon les données de la BM, seulement 47 % de la population subsaharienne avait accès à l’électricité en 2019, contre 90 % de la population mondiale.

Un milliard de dollars contre le réchauffement climatique

Ce partenariat avec IFC s’inscrit dans un projet plus large de la célèbre institution qui a annoncé, en juin dernier, la mise en place d’une plateforme de 1 milliard de dollars avec la fondation Ikea afin de lutter contre le réchauffement climatique et contre la pauvreté énergétique.

Cette initiative, qui sera lancée à l’occasion de la COP26 (en novembre à Glasgow), vise à empêcher un milliard de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre et à doter un milliard de personnes de solutions d’énergies renouvelables.

La fondation Rockefeller a été créée en 1913 par l’industriel américain John D. Rockefeller Sr, fondateur du défunt groupe pétrolier américain Standard Oil, dont sont issus des géants de l’industrie tels qu’ExxonMobil et Chevron. Elle est dotée de plus de 3 milliards de dollars et est impliquée dans une multitude de projets en Afrique, notamment dans l’agriculture aux côtés de la fondation Bill et Melinda Gates.

Fin des paradis fiscaux : quels gains pour l’Afrique ?

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Par  Léonce Ndikumana

Léonce Ndikumana est professeur d’économie et directeur du Programme de politique de développement de l’Afrique à l’Institut de recherche économique de l’Université du Massachusetts. Il est membre de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict) et est coauteur de La Dette odieuse de l'Afrique. Comment l'endettement et la fuite des capitaux ont saigné un continent.

Des pays comme le Kenya et le Nigeria seront contraints de renoncer à des revenus réels en échange d’une redistribution illusoire de ressources fiscales à l’échelle mondiale (illustration).
Des pays comme le Kenya et le Nigeria seront contraints de renoncer à des revenus réels
en échange d’une redistribution illusoire de ressources fiscales à l’échelle mondiale (illustration).
© Tom Saater/Bloomberg via Getty Images

Incapable de mettre en place le projet de réforme fiscal annoncé le 1er juillet par les pays riches, l’Afrique doit se mobiliser pour un accord international plus équitable.

Un « accord historique » : c’est en ces termes que les grandes puissances ont présenté le projet de réforme du système fiscal international endossé par 131 pays le 1er juillet dernier afin que les grandes multinationales commencent enfin à payer leur juste part d’impôt. Mais est-il vraiment historique ? Et, surtout, quels bénéfices peut en tirer l’Afrique ?

Récapitulons. En avril dernier, le président américain Joe Biden lance un pavé dans la mare en annonçant que les États-Unis taxeront les filiales de leurs multinationales à hauteur de 21 %. Concrètement, cela signifie que si, par exemple, une entreprise américaine déclare ses bénéfices de façon artificielle en Irlande pour payer seulement 12,5 % d’impôt, elle devra verser la différence au fisc américain. Dans la foulée, Washington appelle le reste du monde à en faire de même, afin de financer la reprise économique post-Covid et d’en finir avec l’évasion fiscale à travers les paradis fiscaux.

C’est donc cet impôt qui vient d’être adopté à l’échelle mondiale, mais à un niveau si peu ambitieux, « au moins 15 % », selon le texte, qu’il ne découragera pas les multinationales de continuer à camoufler leurs bénéfices dans des paradis fiscaux. Ce n’est pas un hasard si le Kenya et le Nigeria ont refusé de le signer alors que le forum sur l’Administration fiscale en Afrique (Ataf) plaidait pour un taux d’au moins 20 %.

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SE LIMITER À 15 %, C’EST LIMITER LES RECETTES FISCALES SUPPLÉMENTAIRES À 127 MILLIARDS D’EUROS CONTRE 204 MILLIARDS D’EUROS PERDUS CHAQUE ANNÉE

Se limiter à 15 %, c’est, aux dires même du club de pays riches que forme l’OCDE, limiter les recettes fiscales supplémentaires à 127 milliards d’euros contre 204 milliards d’euros perdus chaque année. Une récente étude montre que ce taux minimal apporterait, par exemple, à l’Afrique du Sud 600 millions d’euros supplémentaires. Avec le taux de 21 % prôné par Washington, on serait à 2 milliards d’euros de plus, et on passerait à 3 milliards d’euros si le minimum était fixé à 25 % comme le propose la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (Icrict), dont je fais partie, aux côtés d’économistes tels Joseph Stiglitz, Gabriel Zucman et Thomas Piketty.

Les pays africains lésés

Ce n’est pas le seul problème pour l’Afrique. L’accord ne s’appliquerait qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel mondial dépasse 20 milliards d’euros, avec un seuil de rentabilité d’au moins 10 %, et la règle de distribution des revenus est défavorable aux pays en développement. Il faut aussi considérer que la majorité des administrations fiscales africaines n’ont pas les moyens financiers, techniques et humains de mettre en place cette réforme complexe.

Enfin, l’accord exige des pays signataires qu’ils renoncent à des mesures unilatérales, telles que des taxes sur les services numériques. Des pays comme le Kenya et le Nigeria, qui tentent de taxer une partie de cette activité numérique, seront contraints de renoncer à des revenus réels en échange d’une redistribution illusoire de ressources fiscales à l’échelle mondiale.

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MAIS TOUT N’EST PAS PERDU. L’ACCORD N’EST PAS DÉFINITIF, ET LES NÉGOCIATIONS SE POURSUIVRONT JUSQU’EN OCTOBRE PROCHAIN

Mais tout n’est pas perdu. L’accord n’est pas définitif, et les négociations se poursuivront jusqu’en octobre prochain. En Afrique, nombreux sont ceux qui ont compris à quel point faire payer aux multinationales leur juste part d’impôt est crucial pour remplir les caisses des États exsangues. Ils peuvent aujourd’hui s’allier à un groupe de pays du Nord – les États-Unis et l’Allemagne – comme du Sud – l’Argentine, le Mexique et l’Indonésie – pour exiger une réforme plus équitable. Soit un taux minimum plus ambitieux et une répartition des revenus fiscaux plus simple, en fonction de l’endroit où se trouvent les clients des multinationales, mais aussi leurs employés et les ressources qu’elles utilisent.

 

Burkina Faso: en France, le Conseil d’État rejette le recours des avocats de François Compaoré

François Compaoré, frère de l'ancien président burkinabè Blaise Compaoré. (Image d'illustration)
François Compaoré, frère de l'ancien président burkinabè Blaise Compaoré. (Image d'illustration) Ahmed OUOBA / AFP

La plus haute juridiction administrative française ne s’oppose donc pas à son extradition vers le Burkina Faso. Le frère cadet de l’ancien président Blaise Compaoré est soupçonné par la justice burkinabè d’avoir joué un rôle dans le meurtre du journaliste Norbert Zongo en 1998. Selon l’avis du Conseil d’État, la vie de François Compaoré n’est pas menacée au Burkina Faso.

D’après l’arrêt que RFI a pu consulter, le Conseil d’État estime que le ministère de la Justice burkinabè a fourni des engagements sur les lieu et conditions de détention, suffisants pour assurer la sécurité de François Compaoré. La plus haute juridiction administrative vient donc de rejeter les arguments de la défense de François Compaoré.

Ses avocats estimaient également que cette affaire est en réalité politique et que François Compaoré n’aurait pas droit à un procès juste et équitable. Là encore, le Conseil d’État estime que la procédure burkinabè n’a pas un objectif de répression.

Enfin, la défense du frère de l’ancien président avait aussi mis en cause la légalité de la procédure judiciaire burkinabè, François Compaoré n’ayant jamais été, selon eux, inculpé officiellement. Le Conseil d’État estime qu’il n’est pas de son ressort de statuer sur ce point, mais que cela ne remet pas en cause la légalité de l’extradition de François Compaoré.

La suite devant une cour européenne

Cette décision du Conseil d’État marque la fin définitive de la procédure de François Compaoré en France. En effet, le Conseil d’État est la plus haute autorité administrative du pays. Son arrêt valide donc définitivement la légalité du décret d’extradition qui avait été émis par le gouvernement français en mars 2020. L’exécutif peut renvoyer François Compaoré au Burkina.

Maintenant, les avocats de François Compaoré entendent porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ils peuvent, dans un premier temps, faire une demande d’urgence pour qu’il soit fait injonction à la France de ne pas expulser le frère de l’ancien président. La CEDH peut alors aller très vite et rendre sa décision en quelques jours, ce qui permettra ensuite aux avocats de tenter un dernier recours au niveau européen sur le fond et dans ces procédures-là, la Cour européenne des droits de l’homme peut mettre plusieurs années à rendre sa décision.

Sénégal, Burkina Faso, Mali : pourquoi les multinationales misent sur les fonds d’impact

| Par 
Mis à jour le 28 juillet 2021 à 10h57
Cueillette des huîtres dans la mangrove à Toubakouta.
Cueillette des huîtres dans la mangrove à Toubakouta. © Hellio & Van Ingen/Livelihoods Funds

Les groupes internationaux, dont Endeavour, Louis Dreyfus, Michelin et Mars, multiplient les fonds d’investissement « à impact ». Objectifs : améliorer les conditions de vie des populations qu’ils côtoient mais aussi redorer leur blason.

À partir du début des années 2000, un gisement de minerai non loin de la ville de Lambaréné, dans l’ouest du Gabon, attise les convoitises d’Eramet. La multinationale minière, dont le siège est à Paris, envisage d’en extraire le niobium, ressource prisée des fabricants d’alliages.

Comme souvent, des sommes importantes sont investies dans le projet sans retombées économiques pour les populations alentour. « La cantine fonctionnait avec des boîtes de conserve, alors même qu’il y a de la production agricole à proximité », se souvient Jérémie Malbrancke, cofondateur de la société de conseil en développement et entrepreneuriat local classM. « Les villages disaient : “Ils ne font rien avec nous, on voit juste des camions passer. L’argent passe.” »

En 2014, Eramet décide de subventionner la création d’une centrale d’achat, La Clé des champs, pour organiser l’approvisionnement en produits frais de sa cantine et de celles des sites pétroliers exploités par Shell et Total, non loin de là. Eramet investit 300 000 euros ; classM se charge de la mise en œuvre.

Sept ans plus tard, La Clé des champs compte parmi ses clients Sodexo, Casino et le groupe hôtelier Radisson Blu, et est implantée non seulement à Lambaréné mais aussi à Libreville et à Port-Gentil, ainsi qu’à Bafoussam, au Cameroun. Son chiffre d’affaires annuel avoisine désormais les 5 millions d’euros.

Nouveau paradigme

De plus en plus de multinationales investissent dans des entreprises locales jugées prometteuses, souvent dans des secteurs d’activités durables à mille lieues du leur.

Certains grands groupes y voient un moyen particulièrement efficace de concourir au développement économique au profit des communautés jouxtant leurs sites, souvent en zone rurale.

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ILS COMMENCENT À SE RENDRE COMPTE QU’IL EST BON DE RÉFLÉCHIR AUTREMENT À LEUR STRATÉGIE DE RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE

« Ces groupes ont souvent financé l’école ou le centre de santé du coin, sans pour autant recruter ni infirmiers ni professeurs », relate Jérémie Malbrancke, très critique à l’égard des opérations caritatives ponctuelles sans réflexion sur le long terme. « Ils commencent à se rendre compte qu’il est bon de réfléchir autrement à leur stratégie de responsabilité sociétale, poursuit-il. C’est un paradigme nouveau : investir sur la durée pour assurer la pérennité des projets. »

La Clé des champs a bénéficié d’un apport direct d’Eramet. Mais, le plus souvent, ce type de financement passe par des fonds d’investissement « à impact », créés par des grands groupes et gérés par des cabinets spécialisés, qui répartissent l’argent entre différents projets d’entreprise. C’est ce qu’a fait le canadien Endeavour Mining, dont le siège est à Londres. Son fonds à impact, Ecodev, créé en 2018 et géré par classM, a notamment investi 1,2 million de dollars dans le Ranch du Tuy, au Burkina Faso, pour renforcer la filière bovine locale, et 1 million dans Mali Shi, une usine de transformation de beurre de karité au Mali.

D’autres grands groupes préfèrent unir leurs forces. Ainsi, Livelihoods Funds, lancé en 2011, mutualise les dotations de plusieurs entreprises, françaises pour la plupart, mais aussi allemandes et américaines.

Michelin, Hermès, Veolia, Crédit agricole, Schneider Electric, le groupe agro-industriel Mars et d’autres sont représentés au comité d’investissement, qui sélectionne les projets. « À l’époque, c’était très innovant », se souvient Bernard Giraud, président et cofondateur de Livelihoods. « En dix ans, les choses ont beaucoup changé. Le nombre d’entreprises intéressées par cette approche a explosé. »

De fait, le premier fonds créé par Livelihoods réunissait 10 entreprises et quelque 40 millions d’euros ; le dernier, lancé cette année, compte 15 investisseurs pour 150 millions d’euros.

Livelihoods Funds investit en Europe, en Amérique latine et en Asie, mais c’est en Afrique qu’il a financé le plus d’initiatives : sept projets jusqu’à présent, en Afrique, des zones anglophones et francophones, comme celui de Toubakouta, au Sénégal. Trois des fonds créés par Livelihoods visent à restaurer les écosystèmes naturels tout en soutenant l’économie locale.

En contrepartie de leur investissement, les entreprises participantes reçoivent des crédits carbone afin de contrebalancer leurs émissions de gaz à effet de serre. Un quatrième fonds finance des petits agriculteurs afin qu’ils intègrent les chaînes d’approvisionnement des investisseurs, parmi lesquels Danone. Il s’est notamment engagé à soutenir 3 000 producteurs malgaches de vanille. Un financement de 2 millions d’euros sur dix ans qui s’inscrit dans la lutte contre la pauvreté dans le milieu agricole.

« L’investissement à impact n’est pas une panacée », relativise toutefois Bernard Giraud. « C’est simplement une intervention complémentaire à d’autres, une manière d’engager le secteur privé. »

Selon lui, cette démarche a du mérite : « Le fait que les fonds d’investissement aient une obligation de résultat nous oblige à structurer des projets avec beaucoup de rigueur. Cette obligation est contraignante mais vertueuse. » Toutes les filières s’intéressent à ce modèle, mais les industries extractives en sont particulièrement friandes.

Au moins 15 sociétés minières présentes en Afrique, dont les géants Anglo American et Newmont, ont lancé des fonds, d’un montant total d’au minimum 50 millions de dollars, qui réservent une partie de leur dotation à des projets de développement économique. Et pour cause : cette filière est particulièrement décriée du fait de sa répercussion sociale et environnementale souvent délétère.

Pour les sociétés minières, pouvoir justifier d’une action positive sur l’économie locale devient vital.

« Démarche de fond »

Ces fonds ne seraient-ils donc qu’un outil de communication ? Jérémie Malbrancke s’en défend : « S’il s’agissait juste de préserver leur réputation, ils feraient de belles promesses pour ensuite transmettre le problème au suivant.

En l’occurrence, c’est davantage une démarche de fond, une volonté de construire quelque chose. » Il reconnaît néanmoins que les miniers peuvent se servir des fonds à impact pour essayer de convaincre les gouvernements africains de ne pas retirer leurs licences d’exploitation à la suite d’une controverse.

Tous ont encore en mémoire les déboires du groupe anglo-indien Vedanta, en Zambie : en 2019, l’État a soudainement repris en main les mines de sa filiale locale, accusée devant les tribunaux britanniques d’avoir pollué des cours d’eau. Interrogé sur le cas d’Eramet, qui communique peu au Gabon sur La Clé des champs, malgré le succès commercial de ce projet, Jérémie Malbrancke sourit : « Ils le gardent sous la main pour le jour où ils ont un petit problème avec l’État », analyse-t-il.

En dépit de l’émergence de cette approche, de nombreuses sociétés ont encore une logique caritative, de dons ponctuels sans suivi, souligne le conseiller. Les fonds à impact pourraient bien se généraliser. « Cette dynamique est nouvelle ; dans quatre ou cinq ans, ce sera la norme », affirme-t-il.

Enquête – Dans les coulisses du softpower russe en Afrique

| Par et 
Mis à jour le 28 juillet 2021 à 15h07
Les interventions de la Russie en Afrique ne se limitent pas aux terrains militaires.
Les interventions de la Russie en Afrique ne se limitent pas aux terrains militaires. © Photomontage : JA

« La symphonie africaine de Poutine » (2/2). Productions de contenus audiovisuels, financement de médias locaux, parrainage d’influenceurs « anti-impérialistes », campagnes de propagande sur internet… Les moyens déployés par Moscou pour promouvoir son action sont innombrables.

Ils sont plusieurs milliers, massés dans les travées du stade Barthélémy-Boganda de Bangui, ce 14 mai. Ils ne sont pas venus pour regarder un match des Fauves mais pour assister à l’avant-première d’un film un peu particulier : Touriste. Ce long-métrage russo-centrafricain tourné dans le pays retrace – et glorifie – l’action des « instructeurs » russes qui ont soutenu le régime de Faustin-Archange Touadéra, réélu en décembre 2020, face à la poussée de la rébellion de l’ex-président François Bozizé. Scènes de guerre où quelques Russes tiennent tête à des dizaines de rebelles, kalachnikovs qui crépitent dans tous les sens, héros blessé dans des combats mais qui s’en sort avec le sentiment du devoir accompli… Une sorte de blockbuster hollywoodien à la sauce moscovite, le tout en faisant la propagande des mercenaires russes sur les rives de l’Oubangui – sans aborder les accusations d’exactions qui les visent. Selon la presse russe, Touriste aurait été intégralement financé par Evgueni Prigojine, oligarque proche de Vladimir Poutine et patron de la nébuleuse Wagner.

JAD20210723-ASS-ENQUETE-WAGNER-SOFT-POWER-2 © Affiche du film russe « Touriste » tourné en Centrafrique.
Cette « fiction » dans laquelle on peut reconnaître l’aéroport de Bangui M’Poko, le camp de Roux, le camp militaire russe de Bérengo…

Depuis la signature d’accords de défense entre Bangui et Moscou à la fin de 2017, tout est bon pour promouvoir les actions russes en Centrafrique. Dans le rôle du mécène, Lobaye Invest, une société minière liée au groupe Wagner. Dirigée par Evgueni Khodotov, un fidèle de Prigojine, elle a financé une radio (média largement dominant dans le pays), Lengo Songo, et un hebdomadaire gratuit, La Feuille volante du président. Elle a aussi sponsorisé le concours de Miss Centrafrique à Bangui, en décembre 2018. Même les enfants ne sont pas en reste : la société russe a ainsi imprimé des manuels scolaires ou encore « soutenu » un petit dessin animé qu’on peut visionner sur YouTube et qui raconte l’histoire d’un ours venu de Russie pour sauver des animaux de la savane attaqués par des hyènes.
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L’AFRIQUE EST LEUR NOUVEL HORIZON DE PROSPECTION DE RESSOURCES, ILS LA VOIENT COMME UN ENDROIT OÙ SE FAIRE DE L’ARGENT

Sous ses différentes facettes, ce soft power russe fait autant partie de la stratégie de Moscou que les gros bras de Wagner pour pousser ses pions sur le continent. Au cœur du dispositif, la propagande sur les réseaux sociaux. Avec, encore et toujours à la manœuvre, Evgueni Prigojine. Au début des années 2010, celui-ci fonde l’Internet Research Agency (IRA) à Saint-Pétersbourg. Véritable usine à désinformation qui produit fake news et théories complotistes à la chaîne, cette agence n’a, officiellement, rien à voir avec le Kremlin. Sa mission : mener des campagnes de propagande prorusse sur internet pour défendre les intérêts de Moscou et de ses alliés à travers le monde. En 2014, l’IRA dirige des opérations durant la guerre en Ukraine, multipliant les publications favorables à la politique agressive de Poutine. Deux ans plus tard, elle contribue à l’accession de Donald Trump à la Maison-Blanche et fait la une des médias américains. Des opérations de manipulation qui valent d’ailleurs à Prigojine d’être inculpé par la justice américaine. Soutien à Bachar al-Assad en Syrie, manipulations en faveur du Brexit… Les trolls de l’IRA se faufilent partout, au gré des objectifs de leur patron et de sa galaxie.

Réseaux de manipulation russes

Ces dernières années, l’attrait de Prigojine et d’autres oligarques pour le continent est croissant. « Leur motivation est avant tout financière. L’Afrique est leur nouvel horizon de prospection de ressources, ils la voient comme un endroit où se faire de l’argent. Ces entrepreneurs d’influence agissent d’abord dans leur propre intérêt, pour faire fructifier leur capital, tout en accompagnant le retour de la Russie dans cette région du monde », explique Kevin Limonier, maître de conférences en géopolitique et spécialiste du cyberespace russophone. S’implanter en Afrique leur permet aussi de servir leurs ambitions à Moscou, où la compétition entre hommes d’affaires est rude. Le tout sous l’œil bienveillant, voire complice, des autorités, qui, officiellement, n’ont rien à voir avec leurs activités. « L’État russe n’a pas forcément les moyens de ses ambitions politiques en Afrique. Il s’appuie donc sur ces réseaux aux méthodes peu conventionnelles pour les servir et nier sa responsabilité en cas de problème », poursuit le chercheur.

En octobre 2019, le sommet de Sotchi, sur les rives de la mer Noire, avait pris la forme d’une démonstration de force de la puissance russe en Afrique. Dans la foulée, Facebook avait annoncé le démantèlement de réseaux basés en Russie menant des campagnes de manipulation – notamment en période électorale – dans huit pays africains : la Centrafrique, la RD Congo, la Côte d’Ivoire, le Cameroun, Madagascar, la Libye, le Mozambique et le Soudan.

Le réseau social avait alors clairement pointé du doigt l’IRA de Prigojine. Le système était bien huilé. Des hackers, avec l’aide d’utilisateurs recrutés localement, diffusaient des publications prorusses de manière coordonnée en veillant à ne pas être identifiés. En tout, des dizaines de comptes, de pages ou de groupes touchant potentiellement près de 750 000 utilisateurs. « Ils publiaient généralement des informations politiques mondiales et locales, notamment des sujets tels que la politique russe en Afrique, les élections à Madagascar et au Mozambique, la surveillance des élections par une organisation non gouvernementale locale et la critique des politiques française et américaine », avait alors expliqué le département sécurité de Facebook dans un communiqué.

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POUR CES HACKERS PRO-RUSSES, LA FRANCE EST L’UNE DES PRINCIPALES CIBLES À PILONNER

En décembre 2020, rebelote. La firme de Palo Alto annonce une nouvelle fois avoir démantelé des réseaux de manipulation russes – mais aussi français – actifs dans plusieurs pays africains, en particulier la Centrafrique. Cette fois, il y est question de la pandémie de Covid-19, des prochaines élections en Centrafrique, ou encore de la politique française en Afrique.

Car, pour ces hackers prorusses, la France est l’une des principales cibles à pilonner. Au cœur de leur stratégie de propagande : l’alimentation du sentiment antifrançais. Rien de bien compliqué tant l’ex-puissance coloniale est critiquée depuis des décennies dans son ancien pré carré. « Les Russes vendent un narratif décolonial sur le continent en se présentant comme une alternative à la France. Les Chinois ne jouent jamais sur ce registre – ou le font de manière très subtile. Eux le font ouvertement sur le mode “nous vous apportons une seconde décolonisation”, estime une source haut placée à Paris. Ce discours anti-français des Russes en Afrique est purement opportuniste et est avant tout un moyen pour eux de se rendre attrayants. Cela a marché en Centrafrique, mais cela sera difficilement transposable dans d’autres pays.

Actions violentes contre des symboles occidentaux

Pour nourrir ce discours anti-français à travers le continent, Prigojine et ses lieutenants s’appuient sur des activistes anti-impérialistes parfois connus. « Ils repèrent les influenceurs dans les pays qui les intéressent pour les stipendier », affirme un diplomate français. Kemi Seba, militant franco-béninois et fondateur de l’ONG Urgences panafricanistes, fait partie des personnalités qui ont ainsi collaboré avec les Russes.

L’intéressé, qui a refusé de répondre à nos questions, s’est en revanche exprimé sur ces relations lors d’une émission sur la chaîne Vox Africa, en octobre 2020. Il y racontait notamment avoir été invité plusieurs fois par Evgueni Prigojine. « Je l’ai rencontré en Russie, au Soudan et en Libye. Nous nous sommes vus un an après la campagne extraordinaire que nous avons menée contre le franc CFA, et il m’a dit : “Vous avez la capacité de toucher la jeunesse africaine comme très peu de gens sont capables de le faire. Je veux vous soutenir. Ceux qui sont contre nos ennemis sont nos amis”. » Kemi Seba accepte son soutien logistique « à différents degrés », mais à une condition : « »Si et seulement si Prigojine ne nous dit jamais ce que nous devons faire. » Selon lui, leur « compagnonnage » aura duré environ dix mois avant de s’arrêter à son initiative, après que Prigojine, lors d’un rendez-vous à Saint-Pétersbourg, lui a suggéré de passer à des actions violentes contre des symboles occidentaux, quitte à faire des dommages africains collatéraux.


Kemi Seba brûlant un billet de 5 000 FCFA lors d’un rassemblement, le 19 août 2017 à Dakar. © Clement Tardif pour JA

La Suisso-Camerounaise Nathalie Yamb est aussi liée aux réseaux russes. Se définissant elle-même comme la « Dame de Sotchi » depuis sa participation remarquée au sommet du même nom, en octobre 2019, elle est une des détractrices les plus en vue de la France et de ses alliés sur le continent – des prises de position qui lui ont d’ailleurs valu son expulsion de Côte d’Ivoire en décembre 2019. D’après un rapport de l’ONG Free Russia Foundation, elle participe au réseau Afric (Association for Free Research and International Cooperation), sorte d’organe d’influence monté par Prigojine pour protéger et promouvoir ses intérêts sur le continent. Selon ce rapport, Yamb a notamment participé à une de ses conférences dans un palace de Berlin, en janvier 2020, coorganisée avec la Fondation pour la protection des valeurs nationales, une structure similaire également liée à Prigojine et dirigée par le journaliste Alexandre Malkevitch. Sollicitée par JA, elle n’a pas souhaité répondre à nos questions sur ses liens avec ces influenceurs russes.

Au Mali aussi, les Russes s’appuient sur des activistes antioccidentaux pour jouer leur partition. Dans ce pays miné par l’insécurité, qui a connu deux coups d’État en neuf mois, la France est largement tenue pour responsable d’une situation très précaire. Enlisées dans un bourbier sahélien dont beaucoup peinent à voir comment elles parviendront à en sortir sans perdre la face, les autorités françaises ont annoncé la fin de l’opération Barkhane et l’allègement de leur dispositif militaire dans la région. Une brèche dans laquelle Moscou essaie désormais de s’engouffrer.

Selon les services de renseignements français, des émissaires russes ont approché Adama Ben Diarra, leader du mouvement Yerewolo et membre du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif de la transition. À la fin de mai, Ben Diarra a organisé plusieurs manifestations à Bamako, y compris devant l’ambassade de Russie, pour réclamer le départ de la France et l’arrivée des Russes pour sortir le Mali de l’impasse. L’intéressé, lui, dément tout financement extérieur. « Je n’ai jamais eu de contact avec un Russe. Ni diplomate, ni homme d’affaires, ni militaire, ni même un journaliste. Toutes nos mobilisations sont financées par des cotisations. Il n’y a aucun financement extérieur, si ce n’est de l’argent envoyé par la diaspora. Tout ce qui est organisé par Yerewolo est financé par Yerewolo », assure Adama Ben Diarra.

Opacité toujours

Pour gagner les cœurs, les Russes s’appuient également, comme les autres puissances mondiales, sur des médias traditionnels. Les rédactions françaises de Russia Today et de Sputnik, basées à Paris, sont chargées de couvrir l’actualité de l’Afrique francophone. Ni l’une ni l’autre n’ont de bureaux sur le terrain, seulement une poignée de correspondants. Selon différentes sources internes, il n’y aurait pas, pour l’instant, de volonté de mettre davantage de moyens éditoriaux pour développer leur couverture africaine.

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MOSCOU PEUT COMPTER SUR QUELQUES CHAÎNES AFRICAINES TRÈS PRO-RUSSES

Parallèlement, Moscou peut compter sur quelques chaînes africaines très pro-russes, au premier rang desquelles Afrique Media TV, basée au Cameroun. Avant de se lier d’affaire avec les Russes, son promoteur, Justin B. Tagouh, avait bénéficié de la générosité de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et de celle d’Idriss Déby Itno pour développer sa chaîne. L’Équato-Guinéen était en froid avec Paris, alors que son fils et successeur putatif, Teodorín Nguema Obiang Mangue, était poursuivi par la justice dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis. Déby Itno, lui, voyait en la chaîne un instrument pour souffler sur les braises de la francophobie et un moyen de pression supplémentaire pour s’imposer à Paris comme un recours indispensable dans la lutte antiterroriste.

Pour fonctionner, l’entreprise ne compte pas sur d’hypothétiques revenus publicitaires mais sur les contrats négociés avec des chefs d’État. Sauf que, à partir de 2014, la crise pétrolière assèche les finances publiques de ces deux pourvoyeurs de fonds. En quête de financement, Tagouh prend contact avec les Russes grâce à l’intermédiation de son ami Luc Michel. Ce consultant belge, lié à des réseaux d’extrême droite en Europe et connu des téléspectateurs d’Afrique Media TV pour ses chroniques anticolonialistes, est très introduit à Moscou. Grâce à son appui, Justin B. Tagouh se rend deux fois à Sotchi et affirme avoir rencontré Poutine, même si personne dans son entourage ne le confirme. En revanche, photo faisant foi, il a bien rencontré Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères. « Les Russes ont sollicité notre accompagnement mais ne nous ont jamais demandé de dénigrer la France  », confie un journaliste d’Afrique Media. Aucun détail ne filtre sur le montage financier ni sur les montants mis à disposition de la chaîne.

Même opacité autour du projet de radio panafricaine, sur financements russes, annoncé en 2020 par Tagouh. « Douze pays ont déjà donné leur autorisation. Nous espérons boucler rapidement ce dossier pour lancer la production », assure une source proche des discussions. Pour Moscou, la ligne d’Afrique Media TV rétablit une sorte d’équilibre dans un espace francophone où les narratifs ont toujours été favorables aux Occidentaux.

Tagouh était aussi à la manœuvre lors de la création du Conseil africain des médias, en 2013, à Malabo, sous l’égide d’Obiang Nguema – lequel l’avait doté d’un financement à hauteur de 1 million de dollars avec pour mission de « promouvoir l’image d’une Afrique positive ». Manifestement cornaquée par Tagouh, la structure va, elle aussi, se rapprocher des partenaires russes de ce dernier.