Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Coup d’État en Guinée : des soldats américains sont-ils vraiment impliqués ?

| Par 
Mis à jour le 14 septembre 2021 à 10h49
Capture d’écran de la vidéo diffusée par a.Conakry Live

Capture d'écran de la vidéo diffusée par a.Conakry Live © DR

[Fact-checking] Après la diffusion d’une vidéo montrant des marines au milieu d’une foule qui célèbre la chute du président Alpha Condé, la rumeur enfle sur leur possible participation au putsch. Washington dément formellement.

Tournée à Conakry

Outre les images, la légende inscrite par aConakry Live sur son post Twitter contribue fortement à alimenter les rumeurs. « Dans cette vidéo que nous avons reçu de sources certaines, on aperçoit des soldats américains, armés comme sur un théâtre d’opération normal, parader avec les éléments des forces spéciales », peut-on lire.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

LA VIDÉO A ÉTÉ FILMÉE À MOINS D’UN KILOMÈTRE DE L’AMBASSADE DES ÉTATS-UNIS

Peut-on pour autant affirmer que ces militaires américains ont contribué à déloger Alpha Condé du palais de Sékhoutouréya ? S’il y a un élément sur lequel l’on peut être affirmatif, c’est la localisation. Dans cette courte vidéo, des indices nous permettent d’affirmer que ces images ont bel et bien été tournées en Guinée. L’un des véhicules qui transportent les soldats américains est immatriculé RC (pour « Région de Conakry ») 4362 AV, une plaque typique des voitures privées de la capitale guinéenne.

À l’arrière-plan, la présence d’un bâtiment beige coiffé d’une tôle orange prouve également que les images ont été filmées à Conakry, plus exactement sur l’autoroute Le Prince, aux alentours de l’axe Cosa-Bambeto, fief de l’opposant Cellou Dalein Diallo, et à moins d’un kilomètre de l’ambassade des États-Unis.

Condamnation de Washington

Depuis, plusieurs démentis ont été apportées par les autorités américaines pour écarter toute implication de leur part dans le coup d’État perpétré par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya. Sur sa page Twitter, Jordan Garcia, consul honoraire de la Guinée en Californie, assure qu’il s’agit d’une escorte de l’ambassade américaine à Conakry, rien de plus.

Au lendemain du coup d’État, le gouvernement américain a formellement condamné cette prise de pouvoir via un communiqué publié par le porte-parole du Département d’État : « Les États-Unis condamnent la prise de pouvoir par l’armée en Guinée et les événements survenus dimanche dans la capitale ». Washington a aussi affirmé que la violence et les mesures extra-constitutionnelles ne feraient qu’éroder les perspectives de paix, de stabilité et de prospérité de la Guinée.

Sénégal: le PDS d’Abdoulaye Wade à la tête d’une nouvelle coalition d’opposition

L'ex-président sénégalais Abdoulaye Wade (image d'illustration).

L'ex-président sénégalais Abdoulaye Wade (image d'illustration).
 SEYLLOU / AFP

Une nouvelle coalition de l’opposition a été lancée le jeudi 9 septembre 2021 avec, en tête de file, le Parti démocratique du Sénégal de l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade. Une coalition créée une semaine après celle qui regroupe Taxawu Senegaal de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, le Pastef d'Ousmane Sonko ou encore le Parti de l’unité et du rassemblement (PUR). Tous ont dans le viseur les élections locales municipales et départementales de janvier 2022. 

Avec notre correspondante à DakarThéa Ollivier

« Cette coalition présentera des listes de candidats dans tous les départements, villes et communes de l’étendue du territoire national », annonce le communiqué signé par les partis politiques et organisations qui la composent. Parmi eux, le Parti démocratique sénégalais -le PDS d’Abdoulaye Wade- un des principaux partis d’opposition dans le pays.

Gagner 2022

Ont rejoint cette coalition plusieurs leaders de l’opposition dont les anciens ministres Mamadou Diop Decroix et Thierno Alassane Sall, ainsi que l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye. Objectif : gagner les élections de 2022 et « confisquer le pouvoir à la mouvance présidentielle au niveau local », explique Alassane Ba, membre du PDS.

Pour le député et président du mouvement Tekki, Mamadou Lamine Diallo, s’unir pour aller aux prochaines élections de 2022 est une nécessité : « La fragmentation très très importante du milieu politique sénégalais nous oblige à ce genre de regroupement. Maintenant, on va s'atteler à trouver un nom, un logo, à nous engager dans des investitures dans toutes les communes du Sénégal et les départements. Et puis après, ce sera la préparation de la campagne. »

Cette annonce officielle sera suivie de la déclaration et du nom de cette coalition, « des aspects sont encore à définir » continue Alassane Ba qui ajoute être encore ouvert à d’autres partis et mouvement de l’opposition.

L’analyste politique Abdou Khadre Lo constate de son côté que cette nouvelle coalition est composée de forces expérimentées qui connaissent le terrain politique même si des défis doivent encore être relevés : « Ca peut faire l'affaire du parti au pouvoir. Au lieu d'avoir une grosse coalition en face d'eux, ils ont deux coalitions dont ça fera trois grands pôles majeurs à l'assaut des municipales à venir. Ne pas oublier que pour les deux différentes coalitions qui viennent d'être montées dans l'opposition, il y aura des tiraillements parce que chacun voudra avoir une légitimité dans une localité et surtout dans les localités les plus fortes. »

Le 2 septembre, Ousmane Sonko, Khalifa Sall et Serigne Moustapha Sy avaient lancé officiellement une première coalition de l’opposition composée d’une vingtaine de formations politiques.

 À écouter aussi : Sénégal: explosion du prix des loyers à Dakar

 

Chute d’Alpha Condé en Guinée : un putsch 3.0 ?

|
Mis à jour le 09 septembre 2021 à 10h36
 
 

Par  Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

Mamady Doumbouya a annoncé avoir pris le pouvoir par le biais des réseaux sociaux. Une première.

Ce dimanche, des treillis guinéens ont produit le remake de nombreux coups d’État africains. Un classicisme peut-être pas si classique, si l’on considère les vecteurs de communication employés…

A-t-on assisté, avec le coup de force du lieutenant-colonel guinéen Mamady Doumbouya, à un basculement dans les procédures communicationnelles putschistes ? Traditionnellement, dès qu’il s’agit d’exécuter des desseins constitutionnellement coupables, les militaires morveux se mouchent en bâillonnant Internet. « Réseaux sociaux » riment davantage avec « suivi des conformités électorales » qu’avec « annonce d’entorse à la Constitution ». Dans les minutes qui suivent une tentative de putsch, priorité est habituellement donnée à un contrôle des médias publics qui vaut presque validation d’une prise de pouvoir… 

Comme pour devancer l’iguane dans l’eau, c’est par une vidéo publiée sur les réseaux sociaux que le chef du Groupement des forces spéciales guinéennes a décidé d’assumer, en toute première instance, l’arrestation du chef de l’État et la dissolution des institutions.

Dans une tenue militaire généralement maladroitement représentée sur la toile et sur des plateformes qui symbolisent la personnalisation à outrance des citoyens lambda, Mamady Doumbouya a stigmatisé la… « personnalisation de la vie politique ». En prime : des lunettes de soleil incongrues pour qui veut parler à son peuple les yeux dans les yeux et l’ouverture, dès lundi, d’un compte Twitter personnel mais « régalien », « @PresidentCNRD », compte inauguré par une citation du « putschiste démocrate » ghanéen John Jerry Rawlings.

Des airs de pastiche

N’était-ce qu’une simple question de timing, la mise en branle des médias publics nécessitant un temps qui permettrait à certains adversaires de couper l’herbe communicationnelle sous le pied des putschistes ? Certes, les générations les moins connectées ont eu droit au classique des classiques : l’allocution télévisée engoncée qui ressemble toujours à une quête du record du nombre de militaires patibulaires dans un petit écran.

Avec des airs de pastiche, la version guinéenne de 2021 n’a dérogé, sur la RTG, ni aux règles de l’outrance –en termes d’équipements militaires intimidants ou d’utilisation désordonnée des couleurs nationales–, ni à l’usage des « tartes à la crème » rhétoriques dont la plus goûteuse est la volonté affichée de ne pas monopoliser longtemps le pouvoir…

Comme pour enfoncer le clou du scoop viral, l’annonce en média traditionnel autorise les chaînes d’information occidentales à se délester du conditionnel.

Alpha Condé : l’autre image virale


Alpha Condé, entouré des militaires des Forces spéciales qui ont procédé à son « arrestation », le dimanche 5 septembre 2021. © DR

 

Ancien légionnaire de l’armée française, le nouvel homme fort de Guinée a certainement remarqué que les puissants du monde occidental descendent de plus en plus dans l’arène numérique, d’un Trump twittos très inspiré pas ses insomnies à un Macron jouant le jeu des YouTubeurs Mcfly et Carlito. Par ailleurs, peut-être le Guinéen était-il convaincu qu’il contenterait cette « masse populaire » dont il faut, d’habitude, ralentir les réactions virales.

L’autre image virale de ce dimanche fut la captation audiovisuelle d’Alpha Condé aux arrêts. Censées valider le respect des droits humains du déchu, les images ont circulé au point d’inspirer rapidement des mèmes au goût de challenge, celui de reconstituer la scène déjà historique. Des acteurs amateurs singent le président renversé avec force de détails : la chemise bariolée débraillée au niveau du ventre ou la posture négligée, dos voûté, main au menton et pied nu sur le canapé. Parce qu’il faut en rire, tant que ne manque aucune raison de pleurer la faillite politique…

L’Afrique doit-elle rester pauvre pour que la planète respire ? par François Soudan

|
Mis à jour le 06 septembre 2021 à 13h48
 
 

Par  François Soudan

Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

Après de fortes pluies, des habitants de Dakar sont évacués grâce à des attelages. Le 22 août 2021.

Après de fortes pluies, des habitants de Dakar sont évacués grâce à des attelages. Le 22 août 2021. © SEYLLOU / AFP

 

Exiger des Africains, comme le font certaines ONG intégristes, qu’ils ralentissent leur développement pour freiner la dégradation de l’environnement et les émissions de gaz à effet de serre serait profondément immoral.

Le dernier rapport des climatologues du GIEC nous est tombé dessus le 9 août, comme une pluie d’orage sur le mont Cameroun. Le scénario qu’il nous décrit pour le demi-siècle à venir – celui que vivront nos enfants – ressemble à un voyage sans retour vers ce que le Financial Times appelle « l’enfer sur terre », celui d’une planète en surchauffe ravagée par les catastrophes dues à une température globale la plus élevée depuis 125 000 ans et à une hausse du niveau des mers la plus rapide depuis 10 000 ans.

Code rouge pour l’humanité

Antonio Gutteres parle d’un « Code rouge pour l’humanité » et John Kerry, le « Monsieur Climat » de Joe Biden, d’un « multiplicateur de menaces sans précédent ». Il ne s’agit plus de savoir si le pire est à venir, mais d’imaginer comment y survivre. Tel sera le défi unique auquel aura à répondre la COP26 de Glasgow, en novembre prochain, la plus cruciale sans doute de toutes les COP.

Et l’Afrique dans tout cela ? Les projections du rapport Giec ne l’épargnent pas. Épisodes de chaleur et de sécheresse extrêmes au Maghreb, en Afrique australe, au Sahel et le long de la bande atlantique allant de Dakar à Abidjan. Érosions côtières ravageuses d’Accra à Luanda. Raréfaction des pluies sur le plateau Abyssin et trombes d’eau sur le Bassin du Congo. Incendies de forêt, inondations, affrontements meurtriers entre éleveurs et agriculteurs pour l’usage des terres, insécurité alimentaire, exode rural.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

DANS CET AVENIR PROCHE ET CHAOTIQUE, SEULS LES GROUPES TERRORISTES QUI RECRUTENT SUR LE TERREAU DES CATACLYSMES RISQUENT DE TROUVER LEUR COMPTE.

Dans cet avenir proche et chaotique, seuls les groupes terroristes qui recrutent sur le terreau des cataclysmes risquent de trouver leur compte. Démunis face aux énormes dépenses nécessaires à l’adaptation climatique et à la prévention des catastrophes naturelles, exactement comme ils le sont face à la pandémie de Covid-19, les gouvernements africains préfèrent pour la plupart regarder ailleurs. Quand le sentiment d’impuissance se conjugue avec l’urgence de trouver les fonds nécessaires pour payer chaque fin de mois les fonctionnaires et les retraités, le souci des générations futures n’est pas la priorité.

Économie verte

Ceci expliquant sans doute cela, si le rapport du Giec a fait la une de la quasi-totalité des médias occidentaux, il n’a rencontré qu’un faible écho officiel sur le continent, particulièrement en Afrique francophone. Il est vrai que, trop souvent, l’environnement y est considéré comme un sujet mineur, juste bon à faire du « greenwashing » et ceux qui le défendent comme des trublions, voire de dangereux gêneurs lorsqu’ils mettent leur nez dans les affaires des miniers, des pétroliers ou des professionnels de la surpêche.

Rares aussi sont les chefs d’État qui ont compris que l’économie verte est la « success story » de la décennie en cours, comme le démontre l’étonnante réussite des obligations de croissance durable lancées par le Bénin à la mi-juillet et triplement souscrites depuis. Pourtant, ONG et société civile se mobilisent de plus en plus autour de la cause. Le baobab de la musique sénégalaise Omar Pène vient de sortir « Climat », un album consacré à la crise écologique déjà chantée sur un mode militant par Youssou N’Dour, Angélique Kidjo, Tiken Jay Fakoly et quelques autres stars d’Afrique de l’Ouest.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

LE BASSIN DU CONGO EST LE PLUS GRAND CAPTEUR NET DE CO2 DU MONDE. IL SERAIT TEMPS QUE LE MONDE SACHE QUE CET INESTIMABLE SERVICE DOIT SE PAYER

La jeunesse urbaine est de plus en plus consciente du stress climatique multiforme causé par le réchauffement et ne serait-ce qu’intuitivement, le paysan de Casamance, de l’Adamaoua ou du Katanga est capable de reconstituer la chaîne qui mène de l’émission de gaz à effet de serre à la qualité de sa récolte.

L’Afrique est également – et de plus en plus – consciente de l’injustice qu’elle subit. Voici un continent responsable de 2 % à 3 % des émissions globales de gaz, mais qui reçoit de plein fouet le choc induit du réchauffement climatique. Voici un continent qui recèle en son sein le plus grand absorbeur net de CO2 du monde, le Bassin du Congo, dont la zone de tourbières à cheval entre les deux Congos capture à elle seule l’équivalent de vingt années d’émission de dioxyde de carbone des États-Unis et qui pour cet inestimable service écosystémique ne reçoit rien (ou presque) en échange.

« Pourquoi vous payer pour ce qui n’est qu’un processus naturel ? », se voient encore parfois rétorquer les ministres de l’Environnement des trois principaux pays concernés – RD Congo, Congo et Gabon – dans les couloirs des grandes conférences internationales. C’est feindre d’oublier que la conservation, justement, n’est pas un processus naturel mais le fruit d’une vision.

Choix politique

Si l’Afrique centrale, contrairement à l’Afrique de l’Ouest, où ils ont quasiment disparu au profit des cultures de rente, a su protéger ses espaces forestiers, c’est aussi parce que les dirigeants – surtout ceux de Brazzaville et de Libreville – ont fait un choix politique en ce sens. Il est donc pour le moins affligeant de constater que sur le peu de ressources financières débloquées par les pays riches depuis l’Accord de Paris de 2015, l’essentiel est allé aux cancres de l’environnement afin de les aider à reboiser (Brésil, Indonésie), au détriment des bons élèves qui à juste titre exigent d’être payés pour le gaz qu’ils capturent.

Avec le marché totalement dérégulé du crédit carbone – sorte de jackpot sauvage dont le continent ne reçoit que des miettes – et l’ébauche de Grande Muraille verte pour le Sahara et le Sahel, le Fonds Bleu pour le Bassin du Congo, fort de ses quelque trois cents projets de financement répartis dans dix-sept pays, désormais opérationnel et en attente d’abondement, sera l’un des enjeux africains majeurs de la COP 26 de Glasgow.

Reste à résoudre une question de fond : s’il est acquis que l’industrialisation, source de croissance, est intimement couplée à la dégradation de l’environnement et à l’émission de gaz à effet de serre et que l’Afrique a un besoin vital d’y accéder pour améliorer le niveau de vie de ses populations, que faut-il faire pour résoudre ce dilemme ? Exiger des Africains, comme le font certaines ONG intégristes, qu’ils ralentissent leur développement, juste pour aider le monde à respirer ? Ce serait profondément immoral.

« Leapfrogging »

Les pays riches le sont devenus précisément parce qu’ils sont passés par une phase d’industrialisation, avant de se rendre compte qu’ils menaient la planète à la catastrophe climatique. Se passer des énergies fossiles et avoir recours aux énergies propres, telles que le solaire et l’éolien ? Envisageable, sauf qu’un tel « leapfrogging » demande du temps, beaucoup d’argent et que l’Afrique ne dispose ni de l’un ni de l’autre.

Une chose est sûre : si les gros pollueurs – Chine, États-Unis, Europe, Russie, Australie… – espèrent que l’Afrique accepte de rester pauvre pour le bien du reste de l’humanité, ils risquent fort d’être déçus. D’une manière ou d’une autre, à moins d’attendre que le prochain rapport du Giec se borne à constater que le globe terrestre est devenu invivable, ils devront payer. Bien au-delà des 100 milliards de dollars annuels promis depuis 2009 pour dédommager les pays victimes de leur propre irresponsabilité. Et jamais versés depuis.

 

Côte d’Ivoire : l’affaire de Mbella ou le bling-bling des petits

|
Mis à jour le 04 septembre 2021 à 17h10
 
 

Par  Francis Akindès

Sociologue, professeur à l'Université Alassane Ouattara à Bouaké (Côte d'Ivoire)

Yves de Mbella dans l’émission « La Télé d’Ici », qui a fait scandale en mettant en scène le modus operandi d’un violeur.
Yves de Mbella dans l’émission « La Télé d’Ici », qui a fait scandale en mettant en scène le modus operandi d’un violeur.
© Capture d'écran Youtube/TV5Monde


Médiocrité assumée, buzz à tout prix, dictature des réseaux sociaux… Derrière la polémique qui enfle autour d’Yves de Mbella, ce que cette affaire dit de l’état de nos sociétés n’a rien de réjouissant.

L’affaire « Yves de Mbella », du nom d’un présentateur de télévision ivoirien qui a cru bon de faire reconstituer, le 30 août, une scène de viol en direct, a pour une fois choqué l’opinion publique.

Sur le plateau de l’émission télé d’Ici Vacances sur la Nouvelle chaîne ivoirienne (NCI), un violeur présenté comme « repenti » raconte sans vergogne ses exploits. Il se sent honoré ou du moins, il est à l’honneur. Ça rit sur le plateau. Il espérait lui aussi être célèbre, le temps d’une émission et rejoindre les autres stars de la vulgarité, dont les frasques et extravagances inondent les réseaux sociaux et nourrissent les imaginaires.

Il bombe le torse, explique. Il est plus démonstratif que jamais. Il se souvient, comme si c’était hier, de ses prouesses, de son acte de viol – un délit et non un crime en Côte d’Ivoire, qui reste largement impuni. Il montre la technicité du viol. Ses hauts faits. Il est applaudi. Il ne se doutait de rien, quant aux effets que ses gestes et ses mots pouvaient avoir sur l’opinion. Ce violeur a cru trouver le chemin de la célébrité. Il devait se réveiller le lendemain, la gloire chevillée au cerveau.

Jamais les jeunes créateurs de petites unités de production, ces jeunes entrepreneurs qui peinent à exister et travaillent dur pour émerger, n’ont été ainsi montrés, valorisés comme ce « violeur repenti ». Manifestement, travailler ne vous rend pas forcément vite riche et encore moins connu et reconnu dans l’espace public en Côte d’Ivoire. Trop long ! Dans la civilisation de l’éphémère en construction, il faut aller vite. Très vite.

Égéries de l’éphémère

La fin justifie les moyens, et les réseaux sociaux en sont un puissant véhicule. La méthode : faire le buzz par le choc. Exceller dans l’escalade de la légèreté, de la désinvolture et de la vulgarité dans sa façon d’être, de voir et de se donner à voir, sa posture, ses propos. Le tout au mépris de la décence. Ce sont les réseaux sociaux qui disent désormais aux femmes ce qu’elles doivent penser et être aujourd’hui.

https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">

EN CLAIR, EXISTER PAR LE BUZZ EST UNE NOUVELLE MANIÈRE DE RÉUSSIR EN CÔTE D’IVOIRE

Les nouvelles égéries pullulent, toutes en concurrence médiatique dans l’extravagance et l’outrecuidance. En Côte d’Ivoire, fini le temps de l’éducation des  filles à l’ancienne, à la mode des lycées Sainte-Marie ou Notre-Dame des Apôtres. Fini le temps de l’éducation à la prise de responsabilité vis-vis de soi et des autres. Ce qui existe encore chez ceux qui nous dominent et risquent de nous dominer encore pour longtemps pendant que nous usons nos cerveaux à rechercher les circuits courts d’enrichissement rapide et sans cause.

En clair, exister par le buzz est une nouvelle manière de réussir en Côte d’Ivoire. Mais cela fait sauter toutes les limites et tous les verrous de la morale publique. La culture du no limit nous mène tout droit dans le mur. Un peu de pudeur ne tue pas la liberté d’expression. Mais tant que je continue de voir ce que je vois à l’école et dans les universités publiques, j’ai peur pour nous. J’ai peur pour la société que nous fabriquons. Il va falloir mettre le holà à ces dérives.

Médiocrité, argent facile et bling-bling

Et puis, on ne crève plus l’écran parce qu’on a des émissions bien préparées, bien rendues et des invités aux idées bien articulées sur le plateau. La médiocrité assumée et mise en scène de manière obscène entretient la descente aux enfers. Demain qu’apprendrons-nous à nos enfants sur ce qu’on ne dit pas, qu’on ne fait pas ? Puisque tout est permis pour avoir de l’argent. L’argent, l’argent, l’argent et toujours l’argent. Mais qu’achetons-nous réellement avec l’argent ainsi gagné par les circuits courts ? De l’éphémère.

La joie de l’effort n’a encore de sens que pour des privilégiés. Je vais de temps en temps tendre mes oreilles et ouvrir grand les yeux dans les quartiers populaires pour observer ce qui fait encore sens dans ces mondes. Mais je me rends compte que ce qui est en bas est la réplique de ce qu’on trouve en haut. Sauf que là-bas, c’est le bling-bling des « petits », une reproduction frelatée du bling-bling des « grands » avec les moyens de « petit ». Bling quand même. Les valeurs cardinales ? Elles sont compromises, dans un monde où tout est permis.

L’émission de la NCI révèle au grand jour combien le corps de la femme est moqué, gravement banalisé en Côte d’Ivoire. Pouvait-il en être autrement ? L’absurde et l’immoralité sont eux aussi de plus en plus banalisés dans notre société, profondément malade.