Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Mali : la classe politique soulagée mais prudente après la levée des sanctions de la Cedeao

Réunis à Accra, au Ghana, ce 3 juillet, les chefs d’État de l’institution sous-régionale ont levé les sanctions économiques et financières imposées depuis janvier. Une décision saluée par la classe politique de Bamako, qui appelle à tout faire pour un retour à l’ordre constitutionnel.

Mis à jour le 4 juillet 2022 à 19:43
 
ONU

Les chefs d’État de la Cedeao, réunis le 3 juillet 2020 à Accra, au Ghana. © FRANCIS KOKOROKO/REUTERS.

Cela faisait près de six mois que le Mali avait été placé sous embargo financier et économique par l’instance sous-régionale. Des sanctions finalement levées ce 3 juillet lors du sommet de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui s’est tenu à Accra, au Ghana.

À LIREMali, Burkina, Guinée : la Cedeao se penche sur les sanctions

« L’adoption des textes portant sur la création d’un organe unique de gestion des élections, l’élaboration d’un chronogramme de la transition, son mécanisme de suivi en particulier, nous ont amené à décider de lever les sanctions économiques et financières appliquées au Mali », a ainsi déclaré l’Ivoirien Jean-Claude Brou, président de la Commission de la Cedeao (auquel a succédé le Gambien Oumar Touray ce 3 juillet), devant la presse.

Rassurer

Depuis quelques jours, et alors que les négociations avec l’instance sous-régionales piétinaient, les autorités maliennes ont en effet adopté une série de mesures considérées par les chefs d’État ouest-africains comme les gages d’un retour, dans un délai raisonnable, à l’ordre constitutionnel. Après s’être doté, le 24 juin, d’une nouvelle loi électorale, Bamako a en effet présenté, quatre jours plus tard, un chronogramme fixant à février 2024 la prochaine échéance présidentielle. Si ce délai dépasse largement celui de seize mois défendu par une partie des dirigeants de la sous-région, le Nigérien Mohamed Bazoum en tête, « il a le mérite d’exister », ironise un homme politique malien.

À LIREMali : une élection présidentielle en février 2024 ?

Selon ce dernier, c’est avant tout « l’inclusivité » de la démarche qui a permis de rassurer Goodluck Jonathan, le médiateur de la Cedeao au Mali, et dont le rapport plaidait en faveur d’une levée des sanctions. Alors que le dialogue était rompu depuis le coup d’État du 24 mai 2021 (le deuxième en mois de deux ans), la classe politique a été conviée le 28 juin dernier afin d’examiner le chronogramme proposé par le gouvernement. Les différentes parties prenantes se sont également entendues sur la création d’un comité de suivi qui réunira tous les mois le gouvernement, la classe politique et des acteurs de la société civile. Une démarche jugée « encourageante » par la Cedeao.

Soulagement et gravité

Une partie de la classe politique a partagé ce sentiment. « Nous accueillons la levée des sanctions avec soulagement et gravité », se réjouit Modibo Soumaré, président du cadre d’échange des partis politiques. Cette coalition hétéroclite de partis d’opposition, qui avait annoncé ne plus reconnaître les autorités en place à compter du 25 mars (date initialement fixée de la fin de la transition), se dit désormais attentive et ouverte à la poursuite du dialogue, « à condition que les autorités tiennent leurs engagements ». « Que cela serve de leçon à ceux qui pensent que le Mali peut évoluer en totale autarcie. Les autorités ont maintenu une posture mortifère pendant trop longtemps et nous devons aujourd’hui en subir les conséquences politiques, économiques et sociales », ajoute Soumaré.

À LIREAssimi Goïta – Nana Akufo-Addo… Qui aura le dernier mot ?

« Nos populations ont souffert le martyre pendant six mois d’embargo. Désormais, les autorités de la transition et l’ensemble des forces vives de la nation doivent travailler à respecter les engagements pris pour le retour à l’ordre constitutionnel », plaide quant à lui l’ancien ministre Amadou Koïta. Réunis à huis clos, les dirigeants ouest-africains ont effectivement débattu de la situation économique au Mali. En décidant de mettre fin au gel des avoirs de l’État malien et des entreprises publiques et parapubliques, la Cedeao devrait offrir une respiration aux finances publiques maliennes et au portefeuille des Maliens déjà lourdement touché par la pandémie de coronavirus, la hausse du prix des denrées alimentaires et la flambée du coût de l’essence.

Mali : de la présidence aux gouvernorats, les militaires ont-ils désormais la main sur toute l’administration ?

La nomination du colonel Abdoulaye Maïga pour remplacer, même temporairement, le Premier ministre Choguel Maïga parachève un phénomène de « militarisation » des services de l’État entamé dès 2020.

Mis à jour le 26 août 2022 à 12:43
 
 
 abdou

 

Abdoulaye Maïga a été nommé Premier ministre par interim. © DR

 

« Nous avons le sentiment d’une militarisation du processus de transition que nous ne pouvons pas accepter. Nous sommes des démocrates. » Ces mots, recueillis en novembre 2020 par une chaîne de télévision française, sont ceux de Choguel Kokalla Maïga. À l’époque, celui qui n’est encore que président du comité stratégique du M5-RFP, le mouvement qui a mené la contestation populaire contre Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), s’oppose avec véhémence à un régime transitoire militarisé.

À LIREMali : Abdoulaye Maïga, le colonel qu’Assimi Goïta a choisi pour remplacer Choguel Maïga

Sept mois et un nouveau putsch plus tard, celui qui accusait le quarteron de colonels conduit par Assimi Goïta de « confisquer la transition » en devenait le Premier ministre. Fonction à laquelle il a finalement été remplacé, à la suite d’un accident cardiaque, par un colonel : Abdoulaye Maïga, ministre de l’Administration territoriale.

Bien que largement décrié par la classe politique malienne et une partie de la communauté internationale, Choguel Maïga était la dernière caution civile à la tête de la transition. Il incarnait un vestige des engagement pris, sous la pression de la Cedeao, par les militaires à leur arrivée au pouvoir. D’abord confiées aux civils Bah N’Daw – militaire de carrière à la retraite – et Moctar Ouane, les deux plus hautes fonctions de l’État sont désormais, au moins provisoirement, aux mains des gradés.

« Pas de polémique »

Pour Modibo Soumaré, cet intérim « ne doit pas devenir un sujet de polémique ». Le président du Cadre d’échange, coalition regroupant de nombreux partis politiques, justifie son point de vue par « les relations exécrables qu’entretenait Choguel Maïga avec la classe politique ».

À LIREMali : face à Assimi Goïta, les leaders politiques perdent patience

« Il n’y avait aucun dialogue possible avec le Premier ministre, poursuit-il. Nous avons bon espoir qu’avec Abdoulaye Maïga, le rapport puisse être plus franc et sincère. Ce dernier a notamment défendu un projet de loi électorale plus consensuel que celui voulu par Choguel Maïga. »

CELA DÉMONTRE, ENCORE UNE FOIS, LA VOLONTÉ DES MILITAIRES DE SE SAISIR DE TOUS LES LEVIERS DU POUVOIR

Une position que ne semblent pas partager un certain nombre d’observateurs de la vie politique malienne, inquiets de voir les militaires s’installer durablement au sommet de l’État. « Le remplacement de Choguel Maïga par un colonel est loin d’être anecdotique, constate un analyste politique sous couvert d’anonymat. Le fait qu’il s’agisse d’un intérim n’y change rien. Cela démontre, encore une fois, la volonté des militaires de se saisir de tous les leviers du pouvoir. »

Des gouverneurs « gradés »

Une mue entamée dès les premières heures de la transition. Ainsi, en novembre 2020, à peine un mois après l’installation de la première équipe gouvernementale transitoire, une vague de gradés est portée à la tête des régions.

Le 25 novembre, le Conseil des ministres entérine la nomination de dix-sept gouverneurs – dix d’entre eux sont des officiers. Depuis le mercredi 24 août 2022 et la nomination du colonel-major Issa Timbiné comme gouverneur de la région de Ménaka, quatorze des vingt gouvernorats que compte le Mali sont tenus par militaires.

À LIREMali : Keba Sangaré, un général-gouverneur controversé

Ces nominations ont été accueillies avec peu d’enthousiasme par une partie de la classe politique qui n’a eu de cesse de dénoncer, dès 2020, la part faite aux officiers au sein du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif que préside le colonel putschiste Malick Diaw.

Les cabinets ministériels n’échappent pas non plus à la vague kaki. Si parmi les ministères régaliens, les Affaires étrangères (Abdoulaye Diop), la Justice (Mahamadou Kassogué) et l’Économie demeurent aux mains de civils, les colonels ont hérité, à la chute d’IBK, de portefeuilles hautement stratégiques.

Les ministères de la Réconciliation nationale et de la Défense ont été confiés aux colonels Ismaël Wagué et Sadio Camara – c’est l’éviction de ce dernier, en mai 2021, qui a mené à un second coup d’État. Ceux de la Sécurité et de l’Administration territoriale sont revenus au colonel-major Daoud Aly Mohammedine et au colonel Abdoulaye Maïga.

Risques de trucage des élections ?

Ce dernier cristallise l’essentiel des inquiétudes de « militarisation » de l’État. « À son arrivée, Abdoulaye Maïga a fait monter des militaires et des gendarmes au détriment de profils plus administratifs comme les énarques, commente un diplomate européen. Or le ministère de l’Administration territoriale, même si son rôle va changer avec la création de l’organe indépendant de gestion des élections, est au cœur de l’organisation et de la gestion des scrutins. Le découpage territorial, qui est l’une de ses prérogatives, est également une composante importante. »

À LIREMali : une élection présidentielle en février 2024 ?

Un rappel qui souligne les appréhensions à l’approche de la prochaine présidentielle. « On peut légitimement craindre un trucage des élections, affirme un politologue malien qui, par peur des représailles, préfère taire son nom. Les gouverneurs ont une fonction essentielle dans l’organisation des scrutins. Le fait que des militaires, pour beaucoup réputés proches de la junte, aient été nommés à ces postes pose un certain nombre de questions. »

Longue tradition putschiste

Ces craintes sont-elles justifiées ? Une partie de l’opinion publique malienne semble en tout cas ne pas s’émouvoir de cette omniprésence des militaires. Est-ce en raison du nombre de régimes militaires qui se sont succédé à Bamako ?

À LIREMali : l’histoire secrète de la chute d’IBK

Depuis Moussa Traoré, militaire putschiste resté plus de vingt ans au pouvoir, seuls deux présidents élus n’étaient pas issus des rangs de l’armée : Alpha Oumar Konaré (1992-2002) et Ibrahim Boubacar Keïta (2013-2020). Tous les autres sont arrivés au pouvoir par la force, même si Amadou Toumani Touré fait figure d’anomalie. Le tombeur de Moussa Traoré en 1991, resté à la tête de la transition jusqu’aux élections de 2002, avait ensuite pris sa retraite anticipée de l’armée et obtenu démocratiquement deux mandats, en 2002 et 2007. Avant d’être lui-même renversé.

Inflation : vers une rentrée sociale à la sauce « vie chère » ?

La situation économique internationale fait craindre des troubles sociaux dans des pays africains où la hausse des prix des produits alimentaires pèse de plus en plus sur le budget des ménages.

Mis à jour le 24 août 2022 à 14:44
 
Damien Glez
 

Par Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

 

guez

 

© Damien Glez

À la mi-août, le Nigeria annonçait que son inflation atteignait son taux le plus élevé depuis dix-sept ans. L’Afrique du Sud, autre moteur économique du continent, publiait également un taux record de hausse des prix de 7,4 %, largement influencé par le renchérissement des transports et des denrées alimentaires. Le Zimbabwe, lui, habitué des records continentaux dans ce domaine, avait établi, en juin, une inflation des prix des denrées alimentaires de… 255 %.

Alors que la période de soudure n’est pas encore un mauvais souvenir, la Banque mondiale anticipe une baisse de 0,6 point de la croissance économique de l’Afrique en 2022. Si le conflit ukrainien ne devrait pas se muer en guerre mondiale, la crise diplomatique concerne bien tous les pays, alignés ou non, de même que les difficultés économiques largement influencées par les blocus et autres sanctions liées audit conflit.

À LIREInflation : cinq questions pour comprendre la flambée des prix en Afrique

Le prix du pain, mètre étalon de la grogne

Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest comme le Bénin, la Gambie, le Sénégal ou le Togo importent plus de la moitié de leur blé d’Ukraine et de Russie. Les citadins biberonnés à la baguette franchouillarde se mettront-ils au pain rural déjà enrichi aux farines à base de millet, de sorgho ou de fonio ? Si des initiatives entrepreneuriales individuelles et des campagnes de sensibilisation publiques tendent à susciter la résilience par une consommation locale, un système d’approvisionnement et des habitudes de consommation ne se modifient pas d’un claquement de doigt. D’ailleurs, les productions locales, comme le manioc ou l’igname, subissent également l’inflation, du fait de l’augmentation des prix des engrais dont la Russie est également l’un des principaux exportateurs mondiaux.

À LIREComment sortir l’Afrique de sa dépendance aux céréales importées

Le prix du pain étant – avec les carburants –, le mètre étalon de la grogne consommatrice, l’Afrique doit-elle s’attendre à une rentrée sociale troublée à la sauce « vie chère » ? En matière de révoltes (pondérées) du pain, le Sénégal et le Burkina Faso ont déjà anticipé la marche des manifestations, respectivement en avril et en mai.

Spectre des émeutes de la faim

Au moment où le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) indique que dans les pays en développement, en seulement trois mois, 71 millions de personnes auraient basculé dans la pauvreté, nombre d’observateurs alertent effectivement sur les risques de troubles sociaux. Et voilà le spectre d’un acte II des émeutes de la faim qui transparaît dans certains discours, en référence aux mouvements de contestation de 2008 dans une trentaine de pays, et ceci en dépit d’une reprise très progressive des exportations de céréales en provenance d’Ukraine.

Le 10 août, à Freetown, des manifestations contre la vie chère ont entraîné la mort d’au moins douze civils et de quatre membres des forces de sécurité. Rappelons au passage que certains renversements de régimes des Printemps dit « arabe » ont été tout autant motivés par des aspirations de liberté que par l’augmentation de prix de denrées essentielles comme l’huile ou les céréales…

Afrique de l’Ouest : les zones de transformation agricole, une bonne idée ?

Parcs agro-industriels, agropoles, zones économiques spéciales… Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin, Togo misent sur ces espaces pour créer de la valeur localement. Explications.

Mis à jour le 19 août 2022 à 18:37
 
 agricole

Transport de sacs de cacao par camion à Soubre, Côte d’Ivoire. © REUTERS/Luc Gnago

 

Parcs agro-industriels, agropoles, zones économiques spéciales… Les infrastructures visant à transformer localement les produits agricoles pour générer davantage de valeur ajoutée connaissent un regain de vitalité sur le continent, en particulier en Afrique de l’Ouest. Togo, Bénin, Nigeria, Côte d’Ivoire, Sénégal, et même le Gabon, en Afrique centrale, se sont engagés dans cette voie.

Les pays de la région affichent de grandes ambitions, d’autant que leurs systèmes alimentaires ont subi les conséquences de la pandémie de Covid-19 puis par celles de la guerre en Ukraine. Ils sont notamment soutenus par la Banque africaine de développement (BAD) à travers le programme « Nourrir l’Afrique 2016-2025 ». Alors que ces annonces de nouveaux investissements se multiplient, différents modèles sont expérimentés. À l’évidence, États et acteurs privés cherchent encore la bonne formule.

À LIREPatisen, Coris, Dangote : le secteur privé à la conquête de la souveraineté alimentaire africaine

Au Togo et au Bénin, où se développent respectivement les zones d’Adétikopé et de Glo-Djigbé, les gouvernements ont noué un partenariat avec Arise Integrated Industrial Platforms (Arise IIP). Spécialisé dans les plateformes logistiques et industrielles, ce groupe a été fondé et reste dirigé par Gagan Gupta, l’ancien patron d’Olam au Gabon. L’idée ? Maximiser la valeur des ressources naturelles (coton, noix de cajou, soja, céréales, fruits tels que la mangue ou l’ananas) en les transformant localement, dans l’objectif de les exporter dans le monde entier. À cette fin, Arise propose un forfait clé en main à des investisseurs, notamment étrangers, afin de les inciter à lancer des activités sur place.

Effet d’entraînement

« Au Togo et au Bénin, cela créera plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers d’emplois directs, auxquels s’ajouteront des emplois indirects dans un certain nombre de pôles de services : entreprises d’intérim, usines de fourniture de pièces détachées, d’emballage, de maintenance technique, de traitement des déchets, de transport du personnel », explique Pierre Ricau, analyste de marchés chez Nitidæ. Le gouvernement togolais, qui fonde également des agropoles, espère que 40% des produits agricoles du pays seront transformés sur place d’ici à 2030.

CONFIER NOTRE DESTIN AGRICOLE À DES ENTREPRISES ÉTRANGÈRES EST UNE ERREUR

Ce modèle, en plein essor depuis l’annonce de la création, d’ici à la fin de l’année, de zones dans les deux Congos, au Sénégal et au Rwanda, ne fait toutefois pas l’unanimité. « Confier notre destin agricole à des entreprises étrangères est une erreur », affirme ainsi Gustav Bakoundah, fondateur de l’entreprise agroalimentaire biologique Label d’or. « Au Togo, la plateforme d’Adétikopé s’approprie des filières de transformation, comme le soja ou le coton, qui ont déjà été développées par des [entrepreneurs] locaux, ce qui engendre de la concurrence », estime-t-il. L’entrepreneur togolais recommande plutôt d’aider, sur des filières spécifiques, une poignée de leaders nationaux autour desquels pourraient se développer des chaînes de valeur agricoles.

« C’est ce qu’a fait Olusegun Obasanjo, l’ancien président du Nigeria, en soutenant des champions émergeant dans les secteurs de la banque, de l’assurance, de la cimenterie, du pétrole et de l’agriculture, reprend-il. Aujourd’hui, ce sont les Nigérians eux-mêmes qui développent leur économie. »

À LIREAfrique de l’Ouest : quatre milliards de dollars de produits agricoles gâchés par an

« Pour que cela fonctionne, il faut une firme leader, un grand donneur d’ordre autour duquel se créera un écosystème, un peu comme Airbus à Toulouse dans le domaine aéronautique », insiste Sidy Diop, analyste économique spécialiste de l’Afrique chez Deloitte France.

En Afrique de l’Ouest, il cite l’exemple des Grands moulins de Dakar (GMD, cédés en 2018 par le groupe Mimran au géant américain Seaboard), moteur d’un marché de la farine, qui s’est fortement développé, et, en Afrique centrale, celui d’Olam, au Gabon, qui investit depuis vingt ans dans l’agriculture, les forêts, le transport, la logistique et la santé, entraînant sous-traitants et autres PME dans son sillage.

Problème de débouchés

Au Sénégal, l’huilier Sonacos compte bien tenir ce rôle dans le secteur de l’arachide, à condition que le gouvernement s’engage dans une vaste réhabilitation de son outil de production, aujourd’hui obsolète. « Le développement de la transformation agricole passe par la renaissance des industries existantes, comme la Sonacos, et par la création de nouvelles usines », juge Modou Diagne Fada, le directeur général de la société, qui voit dans le marché local de l’huile un créneau porteur.

LE MOT-CLÉ : LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE

La question du débouché est un autre point de débat. Faut-il privilégier les cultures pour l’export ou, au contraire, les productions vivrières destinées au marché local, voire régional ? Pour Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (Farm), spécialisée de longue date sur les questions agricoles en Afrique, le modèle des agropoles tournées à 100% vers l’exportation a montré ses limites.

À LIRE« L’Afrique n’a pas besoin d’aide alimentaire »

« Le mot-clé, c’est la souveraineté alimentaire. Pour les nouvelles zones de transformation agricoles, l’enjeu est d’accompagner les petites exploitations familiales par le biais de la création de filières, d’accès aux intrants, de sécurisation du domaine foncier… En somme, de diversifier l’économie en augmentant la production agricole et en l’orientant vers le marché local pour créer un cercle vertueux », souligne-t-il.

Usine de décorticage d'anacarde de Fludor Benin, filiale locale du holding nigerian Tropical General Investment (TGI) à Zogbodomey, Bénin, novembre 2017. © Jacques Torregano pour JA

 

Usine de décorticage d'anacarde de Fludor Benin, filiale locale du holding nigerian Tropical General Investment (TGI) à Zogbodomey, Bénin, novembre 2017. © Jacques Torregano pour JA

 

Si son point de vue est assez largement partagé, d’autres voix défendent une approche plus nuancée, pariant sur un juste équilibre entre la production destinée à l’export et celle destinée à la consommation locale. C’est le chemin que semble emprunter la Côte d’Ivoire. Premier transformateur mondial de cacao, avec six usines en activité (et deux autres en cours de création) situées à proximité des ports d’Abidjan et de San Pedro, le pays est en outre devenu, en l’espace de cinq ans, le troisième transformateur mondial de noix de cajou. Dix-huit usines, réparties entre les pôles industriels d’Abidjan, de Yamoussoukro et de Bouaké, tournent à plein régime. Elles n’étaient que deux en 2017.

Politique économique affirmée

Parallèlement, l’exécutif a lancé un programme de neuf agropoles misant sur l’essor des cultures vivrières destinées à la consommation locale. Objectif : augmenter le taux de transformation industrielle des produits, améliorer les revenus des producteurs et créer des emplois. Pour faciliter leur déploiement, le gouvernement envisage d’investir dans les infrastructures de transport et dans la formation.

À LIREAgribusiness : ces recettes locales qui marchent

Ces efforts reposent sur une politique économique volontariste. « Le gouvernement ivoirien applique des taxes à l’exportation pour des matières premières telles que le cacao ou la noix de cajou. En même temps, il soutient les investissements destinés à la transformation de ces produits sur des durées allant de dix à quinze ans », explique Pierre Ricau, pour qui les investisseurs doivent pouvoir compter sur « une vision à long terme ».

La transformation de la noix de cajou attire, entre autres, des investisseurs ivoiriens, israéliens, chinois, libanais, vietnamiens ; une vingtaine d’usines sont en construction, avec pour chacune environ 500 emplois directs à la clé. Sans oublier l’alliance que la Côte d’Ivoire a conclue avec le Ghana sur le cacao (60 % de la production mondiale à eux deux) pour peser davantage face aux acheteurs internationaux et instaurer un prix plancher pour les producteurs locaux.

L’écueil des infrastructures

Quels que soient la culture et le modèle choisis, la mise en œuvre demeure délicate. Au Sénégal, où dans chaque zone du pays se développent des agropoles destinées à dynamiser les ventes sur le marché local, le secteur de l’arachide, par exemple, se heurte aux contraintes du marché international. « À la fin de 2020, la filière n’avait pas assez de graines à transformer car les étrangers, Chinois en tête, avaient acheté toutes les récoltes à l’avance », rappelle Sidy Diop, du cabinet Deloitte. Selon lui, il faudrait réfléchir à la transformation locale dans un contexte de concurrence mondiale.

POUR TRANSFORMER UN PRODUIT, IL FAUT UN TISSU INDUSTRIEL, DE LA LOGISTIQUE

Car, s’agissant du volet industriel, force est de constater que le Sénégal a un train de retard sur les nations asiatiques. Ces dernières transforment les mêmes produits que lui, mais avec des coûts de production bien plus bas et avec du personnel mieux qualifié. « Il faudrait faire une étude par produit afin de mesurer l’avantage comparatif de chaque pays, puis créer une politique incitative pour attirer des investisseurs privés », suggère Pierre Ricau.

À LIRERDC : Bénédicte Mundele réussit le pari de la transformation agricole

Enfin, les difficultés se situent également à l’échelle locale. Accès aux engrais, problèmes de stockage, défaillance des infrastructures routières, aléas climatiques… Les obstacles sont nombreux avant même que débute le processus de transformation, lequel implique à son tour un accès au foncier, des financements, un savoir-faire industriel… « L’enjeu de la transformation agricole, ce sont les infrastructures. Pour transformer un produit, il faut un tissu industriel et de la logistique », conclut Ollo Sib, analyste au Programme alimentaire mondial (PAM), qui appelle à investir sur l’ensemble de la chaîne de valeur agricole.

Nigeria: l'inflation s'envole pour atteindre son plus haut taux en 17 ans

 

L'économie nigériane s'enfonce toujours un peu plus loin dans le marasme, avec une inflation générale qui a atteint les 19,6 % au mois de juillet, selon le Bureau National des Statistiques. Ce mardi 17 août, la valeur de la monnaie nationale, le Naira, a également chuté face au dollar.

Avec notre correspondante à Lagos, Liza Fabbian

Les Nigérians sont plus que jamais pris en tenaille entre des prix qui grimpent et une monnaie de plus en plus dévaluée. Les coûts flambent dans tous les secteurs : l'énergie, les transports, mais aussi l'alimentation, du fait notamment de l'explosion du prix du pain et des céréales

Même en excluant les produits les plus volatiles, l'emballement de l'inflation de fond bien supérieure aux prévisions de la Banque Centrale. De plus, une mauvaise gestion structurelle et le vol le long des pipelines ont empêché le Nigeria de profiter de l'augmentation des prix du baril de pétrole ces derniers mois.

Bien au contraire, d'importantes subventions sur le prix de l'essence grèvent le budget de l'État. Pour son carburant, comme pour de nombreux autres biens de consommation, le Nigeria dépend totalement des importations et donc, du dollar américain.

Sauf que les importateurs ont le plus grand mal à obtenir des devises étrangères, en raison des restrictions de la Banque Centrale, qui veille farouchement sur ses réserves de liquidités. Résultat : tout le monde ou presque se fournit sur le marché parallèle. Ce mardi, le Naira s'est effondré à 683 nairas pour 1 dollar sur le marché noir, 20 % en dessous de sa valeur au guichet officiel.

► À lire aussi : Nigeria : les petites mains du trafic de pétrole artisanal (1/2)

► À lire aussi : Nigeria : face aux pénuries d'essence des raffineries illégales organisées (2/2)