Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Burkina : les leçons de la condamnation de Diendéré au procès Dabo Boukary

Le verdict est tombé 32 ans après les faits. Le général Gilbert Diendéré, déjà condamné pour l’assassinat de Thomas Sankara, a écopé de 20 ans de prison ferme pour la mort de Dabo Boukary, assassiné en mai 1990. Ce qu’il faut retenir du procès.

Mis à jour le 23 septembre 2022 à 10:55

 
 diendere

 

 

Le général Gilbert Diendere au tribunal militaire où il est jugé avec 13 autres personnes pour le meurtre du leader Thomas Sankara, à Ougadougou, le 11 octobre 2021. © Sam Mednick/AP/SIPA

 

La nuit du 21 au 22 septembre a été longue à la Cour d’appel de Ouagadougou. Il est 1h30 du matin quand le général Gilbert Diendéré et ses coaccusés écoutent le verdict du juge. Le général Diendéré, chef de corps du centre d’entraînement commando de Pô, avec le grade de capitaine au moment de la mort de Dabo Boukary, a écopé de 20 ans de prison ferme et d’1 million de F CFA d’amende. Le lieutenant-colonel Mamadou Bemba a été condamné pour sa part à 10 ans de prison ferme, et une amende d’1 million de F CFA. Victor Yougbaré, en fuite, a été condamné par contumace à 30 ans de prison et 5 millions de F CFA d’amende.

Étudiants torturés

Les trois hommes ont été reconnus coupables d’arrestation illégale, de séquestration aggravée et de recel de cadavre. Dabo Boukary, en 7e année de médecine au moment des faits, avait été arrêté lors d’une manifestation sur le campus de l’université de Ouagadougou par des éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Les hommes du RSP, qui répondaient directement à Blaise Compaoré, avaient interpellé plusieurs étudiants, ce fameux 19 mai 1990. Conduits dans les locaux du Conseil de l’entente, la majeure partie d’entre eux avaient été remis en liberté, non sans avoir subi mauvais traitements et tortures. Dabo Boukary, lui, n’est jamais ressorti.

À LIRECoup d’État au Burkina – Smockey : « Il fallait mettre fin au régime de Kaboré »

Pour sa famille, les associations estudiantines et les mouvements de défense de droits humains, ce verdict met fin à plus de trois décennies de lutte, de doute et d’espoir que la lumière soit enfin faite sur les évènements tragiques de mai 1990. Pour le général Diendéré, cette condamnation est une étape supplémentaire de sa chute amorcée en même temps que celle de Blaise Compaoré, en octobre 2014.

À LIREBurkina Faso : Blaise Compaoré demande pardon au peuple et à la famille de Thomas Sankara

Diendéré, chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré et patron du défunt RSP, a été de tous les combats aux côtés de l’ex-président du Faso pendant plus de 30 ans. Dès 1983, il participe activement au coup d’État ayant porté le président Thomas Sankara au pouvoir. « C’est moi qui ai occupé la radio nationale. Et quand Sankara est arrivé pour son discours, j’ai pris le micro et j’ai dit : “Peuple de Haute-Volta, le capitaine Thomas Sankara te parle” », a-t-il raconté lors des audiences des procès de l’assassinat de l’ancien président burkinabè. Très vite, il liera son destin à celui de Compaoré, dont il devient l’un des hommes de confiance, aussi discret que redoutable. Le natif du village de Song-Naba, dans la province du Passoré, imaginait-il, du temps de sa toute-puissance, avoir à répondre de ses actes devant des juges ? Il est vraisemblable que non.

Complicité tacite ou active

La première leçon à retenir de ce procès Dabo Bokary est qu’il a permis aux Burkinabè de la jeune génération de comprendre qu’au début des années 1990, le pays était dirigé par un régime qui ne tolérait aucune contestation, et s’appuyait sur la peur pour imposer le silence. Il aura servi à mettre en lumière cette propension des dirigeants de l’époque à régler tous les différends par les armes, avec la complicité – tacite ou active – d’une hiérarchie militaire qui n’avait visiblement pas assez de poigne pour mettre au pas les soldats indisciplinés.

À LIREBurkina Faso : le balai citoyen dans le viseur de Paul-Henri Sandaogo Damiba ?

Il aura, enfin, rendu justice à ceux qui, parmi les Burkinabè, se sont dressés contre l’arbitraire. Dabo Boukary a payé le prix fort. D’autres qui ont manifesté à ses côtés n’ont dû leur salut qu’à la mobilisation du Mouvement Burkinabé des droits de l’Homme et des peuples (MBDHP), qui a obtenu la libération des étudiants détenus dans des casernes militaires.

Le temps des procès

« Quand la justice tarde à agir, c’est qu’elle est allée au loin, chercher de gros bois verts et flexibles pour mieux châtier les coupables », dit un proverbe peul cité par Amadou Hampaté Ba dans L’étrange destin de Wangrin (1973). Une maxime validée par les lourdes condamnations dont ont écopé le général Diendéré et ses coaccusés.

À LIREBurkina Faso – Mariam Sankara : « Je doute de la demande de pardon de Blaise Compaoré »

Plusieurs questions n’en restent pas moins en suspens. La fin de l’ère Compaoré a ouvert la voie au traitement par la justice burkinabè des dossiers de crimes et de sang qui sommeillaient depuis plusieurs décennies dans les tiroirs des tribunaux. Une liste sur laquelle figure le nom de Norbert Zongo, journaliste et militant des droits de l’homme assassiné le 13 décembre 1998 par des éléments de la garde présidentielle. Cette justice participera-t-elle à la réconciliation entre les Burkinabè ? Que penser de la place que ce procès occupe dans l’agenda politique de la Transition dirigée par Paul-Henri Sandaogo Damiba ? Passé le temps des procès, ne risque-t-on pas de voir venir la saison des grâces et des amnisties ?

Goïta, Damiba, Doumbouya : les illusionnistes, par Marwane Ben Yahmed

Les auteurs des putschs qui ont secoué l’Afrique de l’Ouest prétendaient rectifier une situation de crise imputée aux dérives des régimes précédents. Deux ans après leur arrivée au pouvoir, on est loin du compte…

Mis à jour le 19 septembre 2022 à 10:45
 
Marwane Ben Yahmed
 

Par Marwane Ben Yahmed

Directeur de publication de Jeune Afrique.

 

 ben

 

JAD20220916-EDITO-Marwane-BEN-TAHMED

 

 

ÉDITORIAL – Mali, Burkina, Guinée… Il y a deux ans, l’Afrique de l’Ouest, que l’on pensait suffisamment engagée sur la voie de la démocratie après de très nombreuses alternances et des élections devenues la routine, renouait subitement avec le temps des colonels et des coups d’État. Premier épisode au Mali, le 18 août 2020, avec la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta. Le 5 septembre 2021, en Guinée, c’est le tour d’Alpha Condé. Et, enfin, le 24 janvier 2022, au Burkina, celui de Roch Marc Christian Kaboré. La Guinée-Bissau, elle, a échappé de peu au même sort.

À LIRESoldats ivoiriens arrêtés au Mali : jusqu’où ira Assimi Goïta ?  

Ces putschs, qualifiés un peu vite de « coups d’État nouvelle génération », alors qu’ils ressemblaient furieusement à ceux qui ont émaillé l’histoire contemporaine africaine entre les années 1960 et le début des années 1990, avaient pour objectif supposé, selon leurs auteurs, de rectifier une situation de crise imputée aux dérives de pouvoirs issus des urnes.

Plusieurs dénominateurs communs

Ces trois pays étant confrontés à des problématiques sécuritaires, les militaires ont en outre eu beau jeu de dénoncer et de prétendre pallier l’incurie des régimes en matière de lutte contre le terrorisme. Dernier dénominateur commun : tous ont été menés par des officiers, colonels ou lieutenants-colonels quadragénaires, et donc relativement jeunes, aux profils étrangement similaires. Assimi Goïta, Mamadi Doumbouya et Paul-Henri Sandaogo Damiba ont été formés à l’étranger et ont dirigé des forces d’élite dans leurs pays respectifs.

À LIREGuinée – Doumbouya à Erdogan : « Renvoyez-nous le citoyen Alpha Condé ! »

Des prises de pouvoir par la force, la plupart du temps acclamées par la population (en tout cas personne ne regrette la chute des présidents en question), qui révèlent au grand jour un bien triste constat : le sentiment largement partagé que les élections, et par association la démocratie, ne servent à rien et ne reflètent même pas la volonté réelle des citoyens. Dans des pays où le quotidien rime souvent avec chômage, flambée des prix, difficultés d’approvisionnement en eau et délestages récurrents, on peut comprendre la défiance générale à l’encontre des dirigeants censés résoudre ces problèmes. Alors quand aucune solution ne pointe à l’horizon, on ouvre la boîte de Pandore, et donc les bras à ceux qui enfilent le costume – en l’occurrence un simple treillis – de sauveurs. Lesquels savent très bien comment faire passer l’amère pilule : promesses tous azimuts, populisme débridé, exacerbation de la fierté nationale, désignation de boucs émissaires (généralement l’ancienne puissance coloniale), etc.

Promesses sans lendemain

Nos présidents kaki bandent les muscles, serinent que leurs pays n’ont de leçon à recevoir de personne et qu’ils ne se soucient que du bonheur du peuple. Tous utilisent la même antienne pour jouer les prolongations et faire durer leurs transitions au-delà du raisonnable. « Il faut refonder l’État », clament-ils en chœur. Tout revoir de fond en comble : les Constitutions, les institutions, les lois. Consulter les forces vives de la nation, soigneusement triées sur le volet bien entendu. Avec eux, l’avenir ne peut être que radieux…

À LIREAfrique de l’Ouest : Goïta, Doumbouya, Damiba… Le temps des colonels  

Deux ans après la chute d’IBK, les fruits ont-ils passé la promesse des fleurs ? Évidemment, non. Plutôt que de lutter efficacement contre l’insécurité ou de se préoccuper de développement, les militaires se cantonnent à prolonger leur présence aux commandes des États, en prétendant engager des réformes au long cours. Primo, c’est faux. En tout cas rien ne l’atteste. Et secundo, ce n’est pas le rôle dévolu à des autorités de transition. Bénéficiant d’une certaine popularité, liée surtout au rejet des pouvoirs qu’ils ont défaits, les juntes en place ne laissent en outre guère entrevoir une volonté de remettre sur les rails la démocratie. Bien au contraire : le plus souvent, la classe politique est mise à l’écart, la liberté d’expression confisquée, les journalistes menacés, les manifestations sur la voie publique interdites et la justice dévoyée pour mettre hors d’état de nuire d’anciens caciques des régimes précédents, voire les opposants les plus influents. Boubou Cissé et Tiéman Hubert Coulibaly au Mali, Cellou Dalein Diallo ou Sidya Touré en Guinée en sont les exemples les plus flagrants.

La loi du plus fort

Ces juntes ne rendent aucun compte, accaparent tous les leviers de l’État, fixent la durée de leur « mandat » à leur guise, ne prennent aucun engagement, usent et abusent de la loi du plus fort. On se croirait revenus au temps du parti unique… Sur le plan économique comme sur celui de la lutte contre la corruption, aucun progrès notable, pour rester poli. On devait s’y attendre, ils n’ont aucune compétence ni formation en la matière, n’ont jamais rien prouvé ni réglé dans leur pays. Pis, ils se révèlent incapables de mener à bien leur mission première, ce pour quoi ils étaient payés et ont été formés : assurer la sécurité de leurs pays et combattre les jihadistes. Bref, à l’heure du bilan d’étape, il n’y guère de raison de pavoiser.

À LIREMali : au moins 42 morts au sein de l’armée à la suite des attaques de Tessit

Détestable habitude, donc, des hommes en treillis sous nos latitudes, qui n’hésitent jamais à investir par la force le champ politique, prétextant à chaque fois, la main sur le cœur, vouloir sauver le pays – ou ce qu’il en reste. Le constat d’échec des dirigeants (et des classes politiques en général) étant posé, et le débat sur les carences démocratiques ou institutionnelles en Afrique étant ouvert depuis l’époque des conférences nationales, est-ce une raison suffisante de ne pas s’interroger sur ces transitions dévoyées ?

Un remède pire que le mal

Le remède n’est-il pas pire que le mal ? Ceux qui applaudissent à tout rompre la chute d’untel, prêts à lécher les godillots du nouvel homme providentiel et à se nourrir de promesses sans lendemain feraient bien d’y réfléchir à deux fois. Et de se préparer au pire. Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté (Guinée), Amadou Haya Sanogo (Mali), Salou Djibo (Niger), Mohamed Ould Abdelaziz (Mauritanie), pour ne citer qu’eux, ont-ils démontré leur capacité à gouverner dans l’intérêt général, leur leadership ou leur probité ? À trop rêver d’un nouveau Thomas Sankara, on risque surtout de se retrouver avec un vulgaire Yahya Jammeh…

Mali: nouvelles allégations d'exactions contre l'armée à Gouni

 
 
black

De nouvelles allégations d'exactions visent l'armée malienne et ses supplétifs russes. Après les accusations de viols et de pillages à Nia-Ouro, révélées par RFI il y a deux semaines, un autre village tout proche, Gouni dans la commune de Timnri (région de Mopti, cercle de Bandiagara), a été la cible d'une opération meurtrière dimanche 18 septembre. Le bilan est d'au moins 35 morts.

Selon plusieurs sources locales et sécuritaires concordantes, les militaires maliens et leurs supplétifs russes – mercenaires du groupe Wagner selon la plupart des pays ouest-africains, européens ou les États-Unis ; le gouvernement malien de transition parle de simples « instructeurs » et ne reconnaît pas leur présence sur le terrain – ont débarqué par hélicoptère, samedi 17 septembre dans l'après-midi, dans le village de Gouni. Des chasseurs traditionnels dozos les ont rejoints dans la soirée.

Un grand nombre d'habitants avait déjà pris la fuite, pour se cacher en brousse ou dans des localités voisines. Au cours de la journée, l'armée malienne et ses supplétifs avaient eu un accrochage dans la zone avec des éléments de la Katiba Macina du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (Jnim). Aucun bilan fiable n'a filtré, mais les Forces armées maliennes auraient été contraintes de faire demi-tour, avant de procéder à des bombardements aériens sur une forêt proche. Ceux-ci n'auraient pas fait de victimes, en dehors d'une soixantaine de têtes de bétail.

À Gouni, c'est le lendemain, dimanche 18 septembre, que les militaires maliens et leurs supplétifs, russes et dozos, sont passés à l'attaque. Ils ont commencé par la partie peule du village, Gouni Wouro. Puis, ce fut le tour de Gouni Saré, où vivent les Rimaïbés, descendants d'esclaves, et les Dogons. Toujours selon plusieurs sources locales et sécuritaires concordantes, des habitants ont été rassemblés dans la mosquée de Gouni Saré et exécutés, tandis que les habitations ont été incendiées. Au total, 35 personnes sont mortes, dont l'imam et plusieurs enfants. On est toujours sans nouvelles de nombreux villageois depuis.

Le secteur de Sofara est très fréquenté, et régulièrement attaqué, par les jihadistes du Jnim, liés à l'organisation al-Qaïda au Maghreb islamique. Les forces maliennes et leurs supplétifs russes y mènent actuellement des opérations d'envergure.

Après les accusations de viols et de pillages à Nia Ouro, au début du mois, l'armée avait appelé à la « vigilance » contre la « désinformation des terroristes et de leurs complices » et assuré qu'elle menait ses opérations « avec professionnalisme ». Sollicitée à propos de ces nouvelles allégations d'exactions, l'armée n'a pas donné suite.

Burkina Faso: des frappes anti-terroristes dans l'Oudalan font des victimes civiles

 

Au Burkina Faso, des frappes aériennes ont fait plusieurs victimes civiles, mercredi 14 septembre, dans la région de l’Oudalan, à l’extrême nord du pays. Selon plusieurs sources locales, jointes par RFI, une nouvelle opération anti-terroriste est en cours dans cette province située aux frontières du Mali et du Niger.

C’est vers Timbolo, localité à la frontière avec le Mali, que les frappes ont eu lieu mercredi 14 septembre, vers 18 heures. Selon plusieurs sources locales, elles ont touché deux maisons précisément, dans lesquelles se trouvaient trois femmes et sept enfants. 

Lundi 12 septembre, le détachement militaire de Déou avait été attaqué par des hommes armés, provoquant une riposte de l'armée burkinabè. Des moyens aériens ont été mobilisés. Des hélicoptères ont notamment été aperçus vers Gorom Gorom. Selon une autorité locale, plusieurs bases terroristes ont été démantelées. Le président Paul-Henri Sandaogo Damiba s'est lui-même rendu dans la région la semaine dernière pour décorer des soldats. 

Mais sur place, des sources affirment que les populations locales font les frais de la guerre contre le terrorisme. En avril déjà, 17 organisations de la société civile avaient dénoncé des exactions de l'armée dans l'Oudalan, ce qu'avait démenti l'état-major burkinabè.

Boisé, limitrophe du Mali et du Niger, l’Oudalan fait partie des zones « d’intérêt militaire » mises en place en juin par les autorités où toute présence humaine est interdite. Contacté par RFI, l’état-major burkinabè n'a pas souhaité communiquer sur « des opérations en cours ». 

►À lire aussi : Le Burkina Faso commence à faire voler des drones armés de fabrication turque

Burkina Faso : le général Simporé, bouc émissaire du président Damiba ?

Huit mois après son putsch, le président burkinabè a décidé de cumuler ses fonctions avec le ministère de la Défense. Il a ainsi écarté l’un des derniers survivants du régime de Roch Marc Christian Kaboré.

Par  - à Ouagadougou
Mis à jour le 19 septembre 2022 à 19:00
 
da

 

 

Le général Aimé Barthélémy Simporé, ministre de la Défense, a été limogé, lundi 12 septembre 2022 © OLYMPIA DE MAISMONT/AFP

L’image est rarissime. Mercredi 14 septembre, avant le traditionnel conseil des ministres, le général Aimé Barthélemy Simporé reçoit, en guise de cadeau d’au revoir, un tableau des mains du Premier ministre Albert Ouédraogo et du président du Faso, Paul-Henri Sandaogo Damiba.

Le haut gradé est tout sourire. Pourtant, l’avant-veille, il a perdu son portefeuille de la Défense. Par décret, le chef de l’État s’est octroyé cette fonction régalienne. Seul un ministre délégué, Silas Kéïta, jusqu’alors secrétaire général chargé de la Défense et des anciens combattants, l’assistera dans cette tâche.

Alors que le Burkina Faso est englué dans la guerre contre les groupes jihadistes et que les attentes des Burkinabè sont de plus en plus pressantes, c’est un pari risqué que fait le président Damiba. Pour relever ce défi titanesque, il compte sur des hommes de confiance, des militaires qu’il a pris soin de placer à des postes stratégiques depuis sa prise de pouvoir en janvier dernier. Parmi eux, le lieutenant-colonel Yves-Didier Bamouni, qui pilote le Commandement des opérations du théâtre national (COTN), et le colonel-major David Kabré, qui tient les rênes de l’état-major général des armées.

À LIREBurkina : dix choses à savoir sur le général Simporé, stratège en chef de Kaboré

Expérimenté et respecté

Une réorganisation d’autant plus intrigante que Barthélémy Simporé était un des rares ministres à ne pas avoir perdu son poste lors du renversement de Roch Marc Christian Kaboré. La longévité du général avait d’ailleurs donné lieu a de multiples spéculations, certains y voyant une trahison de l’officier d’infanterie vis-à-vis de son ancien mentor et la preuve irréfutable de la collusion entre les chefs militaires pour débarquer le premier président civil démocratiquement élu du pays.

À LIREBurkina Faso : le mystérieux Monsieur Damiba

Pour d’autres en revanche, il s’agissait d’un choix stratégique du chef de la junte, qui estimait avoir besoin des services du général Simporé, un militaire expérimenté qui a été directeur général du Centre national d’études stratégiques, au cœur de la politique nationale de sécurité du Burkina Faso au cours de ces dernières années. Dans une armée traversée par des fractures, la présence à la tête du département de la Défense d’un homme réputé pour sa tempérance et son management semblait être un atout de taille pour espérer remporter l’adhésion des militaires après le putsch.

Grogne de plus en plus forte

Pourquoi l’évincer désormais ? Selon plusieurs observateurs, ce départ serait lié à la situation sécuritaire, toujours aussi catastrophique, du pays, mais aussi à des incompatibilités d’humeur entre lui et d’autres membres de l’exécutif. « Ils n’ont simplement plus besoin de lui », glisse un ancien diplomate fin connaisseur la scène politique à Ouagadougou. Un représentant de la société civile se réjouit : « Simporé est un ouvrier de la duperie, des illusions et des mensonges d’État sur cette lutte contre le terrorisme. »

Pour le président Damiba, Simporé semble aussi faire office de bouc émissaire face à une opinion publique de plus en plus remontée. Le putschiste avait en effet justifié son coup de force par la persistance de l’insécurité dans le pays, promettant de restaurer l’intégrité territoriale et la paix.

À LIREMassacre de Solhan au Burkina : pourquoi l’armée ne parvient pas à protéger les civils

Reste à savoir si le sacrifice du général Simporé suffira à rebooster le moral des troupes et à redonner confiance aux Burkinabè. Le président, en reprenant les manettes, saura-t-il faire reculer les hordes terroristes qui écument le pays ? Rien n’est moins sûr. Depuis l’éviction du patron de la Défense, les attaques jihadistes se sont poursuivies et aucune décision opérationnelle majeure n’a été annoncée. Seule certitude : Paul-Henri Sandaogo Damiba est attendu au tournant.