Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

Du Mali au Burkina : le sorcier Macron et les petits démons, par François Soudan

De Bamako à Ouaga, les partisans des juntes au pouvoir affichent des positions pro-russes et anti-françaises pour se donner une posture révolutionnaire. Bien commode quand on tente, comme Abdoulaye Maïga devant l’ONU, de masquer un échec politico-sécuritaire.

Mis à jour le 3 octobre 2022 à 17:45
 
François Soudan
 

Par François Soudan

Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

 

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© Jeune Afrique

Depuis sa première édition, en 1946, on a entendu à l’Assemblée générale de l’ONU deux types de discours. Ceux – la grande majorité – qui passent inaperçus, prononcés à une heure tardive devant une poignée de délégués somnolents. Et ceux, beaucoup plus rares, dont l’Histoire se souvient de par la densité de leur contenu et la personnalité de leur auteur : Yasser Arafat en 1974, Nelson Mandela en 2004, mais aussi Ahmed Sékou Touré et Fidel Castro en 1960.

La légitimation par la surenchère

Celui qu’a prononcé, le 24 septembre 2022, le colonel Abdoulaye Maïga, Premier ministre par intérim du Mali, est une sorte d’ovni qui ne relève d’aucune de ces deux catégories. Quoiqu’en disent ses thuriféraires sur les réseaux sociaux et la foule de Maliens enthousiaste qui lui a réservé un accueil de héros à son retour à Bamako trois jours plus tard, ce discours vindicatif n’entrera dans la petite histoire que sous un aspect assez peu mémorable : celui d’un déni de réalité et d’une quête effrénée de légitimité de la part de ce fils de général de 41 ans, qui n’a jamais combattu ni participé aux putschs perpétrés par ses collègues, formé en France, où réside une partie de sa famille, citateur de Victor Hugo, d’Alfred de Vigny et des philosophes des Lumières, et ancien fonctionnaire de la Cedeao – autant dire que dans le Mali d’aujourd’hui, en proie à toutes les fièvres nationalistes, il a beaucoup à se faire pardonner.

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La légitimation par la surenchère est un phénomène connu, tout comme l’est le recours à la violence verbale pour camoufler la vacuité de la vision, l’ineptie de la pensée et le tragique de la réalité. Qualifier de « junte » un gouvernement démocratiquement élu quand on est le porte-parole d’un quarteron de colonels biputschistes ; mettre en doute la nationalité d’un chef d’État étranger en un remugle acide des concepts sectaires et xénophobes de l’ivoirité, de la congolité et de toutes les idéologies racistes du repli identitaire ; brocarder les troisièmes mandats quand on est le Premier ministre d’un régime d’exception issu de coups d’État, qui est à la démocratie ce que la justice militaire est à la justice… En quoi ce résidu appauvri des grands discours anti-impérialistes d’autrefois mériterait-il d’entrer dans l’Histoire ?

Et pourtant : loin de passer inaperçue, la diatribe onusienne du colonel Maïga a atteint son but. Encensée avec zèle sur les comptes d’influenceurs afro-souverainistes dont l’ultra-violence verbale et l’hypertrophie du moi cachent une course frénétique aux followers, elle a eu, sur les réseaux sociaux, presque autant de succès que le clash entre Booba et Maître Gims.

Un clash générateur de buzz en ce monde où il ne s’agit plus de débattre, encore moins d’argumenter, mais de choisir son camp : telle est sans doute la meilleure définition que l’on puisse donner d’un discours construit sur la base de la victimisation, ce constituant majeur de « l’écriture africaine de soi », nous dit Achille Mbembe, laquelle se déroule « selon la trame d’un complot toujours fomenté par des forces hors de toute atteinte ».

 

Ibrahim Traoré, le nouveau dirigeant du Burkina Faso, acclamé par des partisans agitant des drapeaux russes, à Ouagadougou, le 2 octobre 2022. © Vincent Bado/REUTERS

 

 

Ibrahim Traoré, le nouveau dirigeant du Burkina Faso, acclamé par des partisans agitant des drapeaux russes, à Ouagadougou, le 2 octobre 2022. © Vincent Bado/REUTERS

Posture révolutionnaire

Afficher des positions anti-françaises et invoquer la complicité de l’ex-colonisateur permet aux entrepreneurs politiques et aux animateurs de l’afrosphère militante de se donner une posture révolutionnaire sans grands risques. Une attitude qui permet aussi aux dirigeants maliens d’éviter de se pencher sur leurs propres responsabilités en agissant comme un couteau suisse de la mauvaise foi : elle offre réponse à tout.

Ainsi, et puisqu’il leur est impossible de nier l’augmentation inquiétante du nombre des victimes de la guerre menée contre les groupes jihadistes tout comme la perte de contrôle de pans entiers du territoire national, les dirigeants de Bamako accusent une « junte française » à la perversité sans limites de fournir « renseignements, armes et munitions » aux terroristes responsables de la mort de 59 de ses propres soldats.

L’imputation, qui n’est pas récente et n’a jamais été étayée par aucune preuve, rappelle irrésistiblement en modèle réduit les délires complotistes d’un Pierre Péan accusant Paul Kagame d’avoir sciemment provoqué le génocide des siens afin d’accéder au pouvoir.

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Cette obsession d’une France sorcière entourée de petits démons régionaux n’est pas exempte de contradictions. Tout en laissant leurs encenseurs du net et partisans locaux répéter à l’envi que « la racaille de Barkhane » (sic) a été chassée du Mali de par la volonté du peuple, Abdoulaye Maïga, tout comme son prédécesseur, Choguel Maïga, fustige l’ « abandon en plein vol » de son pays par la France.

Abandon ou libération ? Peu importe après tout. Le mythe d’une France surpuissante mue par une volonté de prédation et d’accaparement sur le continent africain est un procédé narratif bien commode et le fonds de commerce de bien des manipulations, à Bamako certes, mais aussi à Dakar, Abidjan, Ouagadougou, Yaoundé ou ailleurs.

Oui, peu importe que les quinze pays de la zone franc ne représentent que 0,6% du commerce extérieur français et que les exportations françaises vers ces pays soient inférieures à celles destinées à la seule République tchèque. Ce qui compte et qui alimente ce ressentiment contre lequel nulle parade ne semble efficace – au point que des cabinets de conseil en sécurité comme SSF ont créé un « baromètre SAF » (« Sentiment anti-français ») à l’intention de leurs clients –, ce n’est pas la réalité, mais la visibilité et la pérennité.

Visibilité de grands groupes comme Air France, Total, Auchan, Bolloré, Bouygues, Castel, Société générale, qui, pour certains, réalisent en Afrique francophone une part non négligeable de leur chiffre d’affaires. Pérennité d’une politique africaine de soutien ambigu à des régimes perçus comme prédateurs ou peu démocratiques.

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Guerre numérique

Si les guerres de libération en Angola, au Mozambique et en Guinée Bissau n’ont pas suscité de « sentiment anti-portugais », pas plus qu’il n’existe de « sentiment anti-britannique » au Kenya malgré la sanglante répression des Mau-Mau, c’est parce que ces ex-puissances coloniales ont su gérer leur départ dans la discrétion et la non-intervention.

Ce ne fut pas, on le sait, le cas de la France et elle en paie aujourd’hui la facture, à la fois réelle et fantasmée. Quoi d’étonnant dès lors si, sur le champ de bataille d’une guerre numérique où les intelligents sont souvent lâches tandis que de sonores imbéciles pérorent et vitupèrent en se répandant en furieuses invectives, des intellectuels de haute volée comme Achille Mbembe, Felwine Sarr, Kako Nubukpo ou Pap Ndiaye, et tous les invités au sommet Afrique-France de Montpellier en octobre 2021, soient traités de « nègres de salon » et de « caniches lobotomisés » pour avoir osé échanger avec Emmanuel Macron ?

Auprès des couches populaires et moyennes urbanisées, surtout jeunes, et au sein de la diaspora, les cyberactivistes anti-français ont beaucoup plus d’audience et d’influence qu’eux, ce qui rend quelque peu vaine, il faut le reconnaître, l’injonction de riposte communicante que le président français a adressée aux diplomates (et aux médias publics) lors de son allocution devant les ambassadeurs, le 1er septembre dernier.

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Occasion manquée

Si Abdoulaye Maïga avait su s’extraire de sa logique d’impuissance et de victimisation, il y aurait eu pourtant matière à un bon discours, quatre jours après celui prononcé par Emmanuel Macron à cette même tribune, au cours duquel il avait reproché aux pays du Sud de « mimer le combat des non alignés » et de servir « malgré eux ou secrètement, avec une certaine complicité », le « nouvel impérialisme » russe.

Dire, par exemple, que le Mali voit dans la guerre en Ukraine une bataille autour d’un nouveau rapport de forces en Europe, et non une bataille pour des principes que tout le monde ou presque a violé, y compris la France lorsqu’elle entretient des rapports complaisants avec l’Arabie saoudite en fermant les yeux sur la guerre de Mohammed Ben Salmane au Yémen.

Dire aussi que, pour les Africains, dénoncer une « Russie coloniale » n’a guère de sens ni d’impact après l’intervention occidentale contre Kadhafi en 2011, source principale de l’extension du jihadisme au Sahel, et ajouter que ces mêmes Africains, libres de choisir leurs partenaires, ont bien le droit de conserver ouverts leurs canaux historiques de communication et de coopération avec Moscou.

Expliquer, pourquoi pas, qu’il existe aussi des coups d’État populaires et salutaires – tout au moins au début – et conclure avec l’affaire des 46 soldats ivoiriens, qui ont débarqué quasiment à l’improviste sur le tarmac de l’aéroport de Bamako munis d’ordres de mission incomplets, en signifiant que le Mali méritait un peu plus de sérieux dans le respect des procédures, avant, pourquoi pas, d’annoncer leur libération imminente. Le tout dans le langage décent qui correspond au multi-diplômé qu’il est et convient à « l’héritage des ancêtres » dont il se réclame – la sagesse et la courtoisie ancestrales en moins.

Mais le Premier ministre malien a préféré qualifier les Ivoiriens de « mercenaires » sans dire un mot sur les autres, les vrais, ceux du groupe Wagner au service de la junte. Il a préféré solder ses comptes avec le président Mohamed Bazoum de la pire des manières et sans se rendre compte de ce que révèlent ses propos stigmatisants – car enfin, pourquoi ce dernier, bien que né au Niger, ne serait-il pas Nigérien, si ce n’est parce qu’il est Arabe ? Une analogie qui en dit long sur le regard que portent les dirigeants de Bamako sur les Arabes et Touareg maliens.

Plutôt que d’être écouté, Abdoulaye Maïga a jugé préférable d’être entendu, sûr de son effet auprès des militants de Yerewolo. Le populisme et la paranoïa ont toujours fait bon ménage…

Logique d’isolement

En ce début d’octobre, alors que Bamako se rêve en « capitale de la résistance anti-françafrique », avec Assimi Goïta en réincarnation de Thomas Sankara et l’Algérie de Houari Boumédiène en lointain modèle, la logique d’isolement dans laquelle s’enferme la république des colonels voudrait qu’elle demande aux casques bleus de la Minusma de plier bagages.

Les activistes l’exigent avec insistance, et un tel départ aurait, aux yeux de la junte, le mérite de mettre un terme aux enquêtes sur les exactions commises contre les civils, dont les groupes terroristes sont loin d’avoir l’exclusivité, FAMA et supplétifs russes n’étant pas en reste comme nul ne l’ignore.

Un avantage donc, mais aussi un inconvénient de taille : il n’y aura plus personne pour jouer le rôle de bouc émissaire et éviter par conséquence aux dirigeants maliens de répondre à la seule question qui vaille en ce moment. Pourquoi, à la date du 15 septembre, dénombrait-on déjà deux fois plus de victimes de l’insécurité en neuf mois qu’au cours de toute l’année précédente, soit plus de 3 600 morts ?

Certes, il sera toujours loisible à Abdoulaye Maïga d’entonner l’inépuisable refrain du « C’est la faute à la France ». Mais il arrive un moment où, pour paraphraser Abraham Lincoln, « on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps ».

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Assimi Goïta et la camarilla du comité militaire de transition auraient tort de se réjouir trop tôt de la chute, le 2 octobre, du colonel Damiba, sous le prétexte que ce dernier était « pro-français » et plus que réservé quant à l’hypothèse d’un recours rémunéré aux services du groupe mercenaire Wagner.

La prise du pouvoir, au Burkina Faso, par le capitaine Ibrahim Traoré sanctionne en effet un échec sécuritaire massif, similaire à celui que connaît le Mali, en même temps qu’il traduit la volonté de revanche des hommes de troupe sur un corps d’élite particulièrement choyé, celui des Forces spéciales auquel appartiennent Damiba, Goïta et le Guinéen Doumbouya, ainsi que la tendance des colonels et de leurs proches à l’embourgeoisement citadin.

Certes, tel n’est pas l’unique motif du énième putsch de Ouagadougou, applaudi par une foule décidément bien veule puisque rigoureusement identique à celle qui, il y a huit mois, célébrait l’infortuné Damiba. Son tombeur faisait en effet partie des jeunes officiers qui l’avaient aidé à renverser, en janvier dernier, le président démocratiquement élu Roch Marc Christian Kaboré.

Or nul n’ignore que ceux qui ont participé à un coup d’État, soit qu’ils ne s’estiment pas assez récompensés, soit qu’ils aient pris goût à la conjuration, seront toujours les premiers à comploter contre celui qui, à leurs yeux, leur doit tout. D’où l’idée répandue que l’auteur d’un putsch doit d’abord se débarrasser de ceux qui l’ont aidé à le perpétrer – ce que n’a pas fait le très consensuel Paul-Henri Damiba, pour son plus grand malheur.

Il est évidemment trop tôt pour dire si Ibrahim Traoré, capitaine de 34 ans au langage structuré, s’alignera sur les positions anti-françaises et pro-russes des dirigeants maliens et d’une partie de la société civile burkinabè. La tonalité de ses premières déclarations et le fait qu’il ait accordé à RFI, radio française vouée aux gémonies par les afro-souverainistes de Bamako, l’une de ses toutes premières interviews semblent indiquer, si ce n’est le contraire, à tout le moins sa volonté de mener une politique autonome.

Sa priorité absolue, assure-t-il, est de mettre fin à l’interminable martyrologue des populations du Nord et de l’Est. Comme son prédécesseur, qui s’était emparé du pouvoir avec les mêmes intentions, c’est sur sa capacité à relever ce défi en se gardant de toute fuite en avant idéologique à la malienne qu’il sera jugé. En viendrait-il à échouer qu’après le temps des colonels, puis des capitaines, surgira celui des lieutenants. Toujours aussi populaires, toujours aussi éphémères, les militaires continueront de squatter les plateaux de la télévision entourés de séides masqués, armés jusqu’aux dents. Et de promettre un avenir aussi radieux qu’un mirage dans le désert du Yatenga.

Au Burkina Faso, les putschistes attisent le rejet de la France pour prendre l’ascendant 

Reportage 

Depuis vendredi, une grave crise militaire voit s’opposer deux clans opposés à la tête du Burkina Faso. Des représentations de l’État français ont été violemment prises pour cible dans la capitale et la deuxième ville du pays.

  • Ludivine Laniepce (correspondante à Ouagadougou, au Burkina Faso), 

 

Au Burkina Faso, les putschistes attisent le rejet de la France pour prendre l’ascendant
 
À l’extérieur de l’ambassade de France à Ouagadougou, au Burkina Faso. Les guérites extérieures ont été brûlées durant des émeutes, le 1er octobre 2022.ASSANE OUEDRAOGO/EPA/MAXPPP

C’est un bras de fer entre deux frères d’armes devenus ennemis auquel sont suspendus les Burkinabés. Samedi matin, le coup d’État proclamé la veille par le capitaine Ibrahim Traoré semblait acté. Dimanche, la tension restait vive, des manifestants s’en prenant à plusieurs édifices symbole de la France.

Tandis que certains axes et points stratégiques de Ouagadougou étaient occupés par les militaires acquis à Ibrahim Traoré, la population s’en retournait, selon la formule consacrée, « vaquer à ses occupations ». Lever de rideau des buvettes, automobilistes en route pour « le service », chasse aux bonnes affaires dans la fourmilière du grand marché. Nombreux sont ceux qui comptent sur leurs gains du jour pour manger le soir.

Guerre de communication

La confusion reste grande : vols d’hélicoptères de l’armée burkinabée à basse altitude, mouvements de foule et de troupes, tirs sporadiques… « La bataille pour le pouvoir recommence, glisse Yaya, vendeur de citron aux abords du CHU Yalgado Ouédraogo. On dirait qu’ils ne se sont pas entendus cette nuit. »

Les loyalistes du lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, au pouvoir depuis le coup d’État du 24 janvier et renversé vendredi, n’avaient en effet pas capitulé face aux dissidents du capitaine Ibrahim Traoré, en dépit des tentatives de négociations entre les deux clans. Il y a huit mois, ils avaient pourtant renversé ensemble le président burkinabé Roch Marc Christian Traoré.

« On reproche à Damiba de s’être compromis dans des affaires civiles et politiques et d’avoir trahi l’esprit de janvier, explique Kalifara Séré, expert en stratégie territoriale. Les jeunes officiers rappellent aujourd’hui les anciens à l’ordre. Les moyens et les résultats espérés sur le terrain ne sont pas à la hauteur de leurs attentes, notamment des forces spéciales qui sont parfois peu expérimentées et très exposées. »

Samedi après-midi, l’affrontement entre ces deux factions s’est traduit par une guerre de communication. À la télévision nationale, des hommes du capitaine Traoré ont déclaré, en son nom : « Le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba se serait réfugié au sein de la base française à Kamboinsé [en périphérie de Ouagadougou, NDLR], en mesure de planifier une contre-offensive. Cela fait suite à notre ferme volonté daller vers dautres partenaires prêts à nous aider dans notre lutte contre le terrorisme. »

Agressions anti-françaises

La porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères français, Anne-Claire Legendre, a formellement démenti « toute implication dans les événements en cours depuis [vendredi] au Burkina Faso. Le camp où se trouvent les forces françaises n’a jamais accueilli Paul-Henri Sandaogo Damiba, pas davantage que notre ambassade. » Mais l’idée selon laquelle la France appuierait ce dernier avait déjà infusé à Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.

Samedi après-midi, des rassemblements de manifestants soutenant le capitaine Ibrahim Traoré et appelant « au départ de la France » et au « rapprochement avec la Russie » se sont ainsi formés dans les deux premières villes du pays. Des feux ont consumé les guérites de l’Institut français de Bobo-Dioulasso tandis que plusieurs salles de l’Institut français de Ouagadougou ont été pillées.

Mais c’est autour de l’ambassade de France à Ouagadougou que les tensions les plus vives se sont cristallisées : dégradations, départ de feux, jets de pierre contre l’enceinte diplomatique et tentatives d’intrusion de plusieurs centaines de personnes. Une foule chauffée à blanc par les insinuations du « clan » Traoré et une campagne de désinformation virulente à l’encontre de la France sur les réseaux sociaux.

Depuis lors, les résidents français sont invités par le consulat à demeurer impérativement à leurs domiciles et d’éviter tout déplacement jusqu’à nouvel ordre. Sur les réseaux sociaux, des appels à s’en prendre à eux ont également largement circulé. Dans la nuit de samedi à dimanche, un cas d’intrusion au domicile de ressortissants européens a été rapporté.

Le rejet profond de la France

Dimanche, d’autres symboles ont été dégradés telle que l’entrée de Bolloré Transport & Logistics, dans le centre-ville de Ouagadougou, ou l’occupation de station TotalEnergies. À la mi-journée, les soutiens du capitaine Ibrahim Traoré appelaient toutefois à « se départir (…) de ce qui pourrait être perpétré contre lambassade de France ou la base militaire française de Kamboinsé ».

Selon un expert des relations internationales burkinabé souhaitant garder l’anonymat : « Traoré a agité la rue avec un levier populiste pour faire plier les loyalistes. » Car le rejet de la France est profond et trouve un terreau fertile depuis plusieurs années.

« Nous assistons à leffondrement des États postcoloniaux dAfrique de lOuest. La vraie décolonisation commence aujourdhuiobserve Laurent Bigot, ancien diplomate du Quai d’Orsay. Le lien se coupe car cest une histoire damour déçu. On est en train de payer chèrement notre paternalisme, notre ingérence et l’écart entre la prétention de nos discours et la réalité de nos actions en matière de politique africaine. Les populations sont déçues, elles se sentent humiliées. Nous n’avons pas été au rendez-vous de leurs attentes. » Pour les quelques milliers de Français qui résident au Burkina Faso, la page d’histoire commune se mue, ces derniers jours, en héritage lourd à porter.

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De coup d’État en coup d’État

1983. Coup d’État du capitaine Thomas Sankara.

1987. Coup d’État du capitaine Blaise Compaoré et assassinat de Thomas Sankara.

2014. Blaise Compaoré est chassé du pouvoir. L’armée nomme un pouvoir de transition.

2015. Tentative avortée de putsch. En décembre, un nouveau départ s’annonce avec l’élection d’un président civil, Roch Marc Christian Kaboré, qui sera réélu en 2020. Mais au fil des ans les attaques djihadistes font des milliers de victimes.

2022. Le 23 janvier, putsch du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.

30 septembre. Le capitaine Ibrahim Traoré se proclame nouveau chef de la junte.

« On n’a plus que nos yeux pour pleurer » : le choc après l’attaque d’un convoi de ravitaillement au Burkina Faso 

Analyse 

Un convoi qui devait ravitailler la population de Djibo est tombé, lundi 26 septembre, dans une embuscade. Au moins onze soldats ont été tués, une cinquantaine de civils sont portés disparus. De Djibo à Ouagadougou, les Burkinabés sont consternés par l’ampleur de cette attaque.

  • Ludivine Laniepce, correspondante à Ouagadougou (Burkina Faso), 
« On n’a plus que nos yeux pour pleurer » : le choc après l’attaque d’un convoi de ravitaillement au Burkina Faso
 
Des personnes déplacées à l'intérieur du Burkina Faso attendent de l'aide à Djibo, le 26 mai 2022.SAM MEDNICK/AP

Une poignée d’hommes silencieux et impuissants. Face à eux, en file indienne le long d’une route, des dizaines de camions éventrés et renversés brûlent. Des cabines fantômes et des armatures encore rougeoyantes, un sol parsemé de monticules de marchandises perdues. Seule une colonne de fumée noire, à perte de vue, relie encore les véhicules entre eux.

Les vidéos amateurs donnent une idée de la violence du choc qui s’est déroulé lundi 26 septembre, en début d’après-midi, à quelques dizaines de kilomètres de Djibo, chef-lieu de la province du Soum, dans la région du Sahel (dans le nord du Burkina Faso).

Ce convoi de ravitaillement, composé de plus d’une centaine de véhicules et escorté par le quatorzième régiment interarmes de l’armée burkinabée, a été « la cible d’une attaque lâche et barbare », selon les mots du porte-parole du gouvernement, Lionel Bilgo, non loin de Gaskindé. Dans son bilan provisoire, il fait état de « 11 corps de militaires retrouvés, 28 blessés (…) et d’une cinquantaine de civils portés disparus ». Les dégâts matériels sont considérables.

La ville de Djibo encerclée

« On dirait que dans ce pays, on n’a plus que nos yeux pour pleurer, déplore Boukary (1), un membre de la société civile de Djibo, de retour des lieux du drame et encore sous le choc. Je suis allé faire mes constats mardi. Il y avait encore beaucoup de blessés parmi les transporteurs et les habitants. »

Encerclée depuis février par des groupes armés terroristes, la ville est une souricière pour les 350 000 personnes qui s’y trouvent. « Nous dépendons des convois et des escortes de l’armée pour nous nourrir, mais aussi pour entrer ou sortir de la ville. C’est pourquoi beaucoup de civils se trouvent dans ces convois, explique Hama (1), un habitant de Djibo. Des femmes, des enfants, des écoliers ou des étudiants, des commerçants… Ici, nous n’avons plus rien à manger, plus un sac de quoi que ce soit chez les commerçants… »

De plus en plus de convois attaqués

Dans la capitale, les images diffusées sur les réseaux sociaux échauffent les esprits. « Quand on voit ces tonnes de vivres parties en fumée, on voit aussi ce que les gens de Djibo n’auront pas, et donc de quoi elles manquent depuis des mois, et ça fait mal, déplore un responsable d’ONG burkinabée sous couvert d’anonymat. On est aussi en droit de se demander si ce convoi était sécurisé par des moyens aériens suffisants. »

À cette question, le lieutenant-colonel Yves Didier Bamouni, à la tête du Commandement des opérations du théâtre national, assurait il y a quelques semaines à La Croix :«Nous avons des moyens aériens pour assurer le suivi et la protection de ces convois. » II expliquait alors que pour ravitailler une ville comme Djibo, il faut passer par la route mais «les groupes armés terroristes guettent les passages pour mieux les attaquer. » Une stratégie qui a pris une ampleur dramatique depuis le début de l’été.

L’armée burkinabée, qui a déployé des renforts dans la zone, mène des opérations de sécurisation. Selon des sources sécuritaires locales, le convoi de ravitaillement du lundi 26 septembre aurait été victime d’embuscades menées simultanément par des dizaines d’hommes armés à moto. Plusieurs personnalités de la société civile redoutent que le bilan officiel fasse état de dizaines de victimes civiles supplémentaires.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

Grogne des contrôleurs aériens de l’Asecna dans le ciel africain

 

Des turbulences dans le ciel africain. Les contrôleurs aériens de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) ont lancé un appel à la grève à partir de ce vendredi 23 septembre, à 8 heures, TU. 

Avec notre correspondante à Dakar, Charlotte Idrac

Dix-sept pays africains sont membres de cette agence. Un premier préavis avait été suspendu au mois d’août après une intervention du président sénégalais Macky Sall, également président de l’Union africaine. Suite à des décisions de justice, l’Asecna affirme que la grève annoncée ne touchera pas le Tchad, le Togo, la Côte d’Ivoire ou encore Madagascar.

Pourquoi ce nouveau mouvement d’humeur ? « On a négocié les 29 et 30 août derniers. Mais on n’a pas eu gain de cause, pour ce qui concerne la motivation, que ce soit l’augmentation de la prime de contrôle, le plan de carrière des contrôleurs aériens, la résorption du manque d’effectifs. Sur tout cela, l’Asecna n’a pas donné satisfaction », explique François Paul Gomis, le secrétaire général de l’Union des syndicats des contrôleurs aériens de l’Asecna. 

« L’Asecna ne fait que nous menacer »

Et le syndicaliste de poursuivre : « On a attendu pendant trois semaines, et pendant ces trois semaines, le comité des ministres ne s’est pas prononcé. C’est pourquoi on a décidé de réactiver le préavis de grève. Il y aura un service minimum qui sera assuré pour les vols militaires, les vols des chefs d'État et de gouvernement, les évacuations sanitaires, les vols qui participent à des opérations de recherche et de sauvetage, et aussi les vols humanitaires. L’Asecna ne fait que nous menacer, on nous a même menacés de licenciement. L’Asecna fait tout sauf initier un dialogue. Donc, nous aussi, on se braque. »

Dans un communiqué, l’Asecna dénonce la légitimité de l’union syndicale, qualifiée « d’organisation clandestine qui n’est reconnue par aucun des États membres ». L’agence assure avoir « pris toutes les mesures réglementaires pour assurer la continuité » de sa mission de service public.

Tchad: l’Église dénonce les affrontements intercommunautaires dans le Moyen-Chari

 

Au Tchad, l’évêque du Moyen-Chari lance un appel à l'aide après les affrontements intercommunautaires qui ont fait une dizaine de morts et une vingtaine de blessés, il y a quelques jours, à Kyabé, dans le sud du pays. De retour d’un déplacement sur les lieux des affrontements, le chef de l’Église catholique dans cette province appelle les autorités à porter assistance aux victimes, mais surtout à faire en sorte que justice soit rendue.

Avec notre correspondant à Ndjamena, Madjiasra Nako

Miguel Sebastián, l’évêque de Sarh, dit s’être rendu à Kyabé où il a pu s’entretenir avec les victimes des affrontements de la semaine dernière. Il raconte : « Une fois de plus, le sang a été versé sur notre terre. Une fois de plus, des innocents sont morts ou ont été blessés par la méchanceté de certaines personnes armées. Une fois de plus, il y a eu la destruction de biens d’une population qui vit déjà dans la pauvreté. »

Les conflits entre agriculteurs et éleveurs sont récurrents dans cette province et se soldent souvent par des morts. C’est aux autorités de prendre leurs responsabilités, interpelle le prélat : « Les autorités administratives et judiciaires, en particulier. Je leur demande de dire la vérité sur ce qu’il s’est passé. Vérité qui ne doit pas être cachée, ni manipulée. En plus de cet appel à la vérité, je lance un appel à la justice. Sans justice, nous ne pourrons jamais arriver à la paix. »

Il appelle enfin les bonnes volontés à voler au secours des populations qui ont été obligées de fuir leurs villages déjà menacés par la famine, les récoltes ayant été détruites par les inondations.

►À lire aussi : Dialogue national au Tchad: les mots durs de Mahamat Idriss Deby, le retrait de l'Église