Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Burkina Faso: l'archevêque de Ouagadougou appelle à démolir «les murs de la haine et de l’égoïsme»

 

 cardinal

 

Le cardinal Philippe Nakellentuba Ouédraogo du Burkina Faso accueille les visiteurs après avoir été nommé cardinal par le pape lors d'un consistoire dans la basilique Saint-Pierre au Vatican, le 22 février 2014. AFP - VINCENZO PINTO

 

Au Burkina Faso, à l’occasion de la célébration des fêtes de fin d’année, le cardinal Philippe Ouédraogo, archevêque métropolitain de Ouagadougou, a adressé samedi 24 décembre un message aux Burkinabè. Selon l’homme de Dieu, le Burkina Faso est pris depuis 2015 dans une spirale de violences, d’attaques terroristes meurtrières aux conséquences humanitaires dramatiques. Il appelle ses compatriotes à démolir ce qu'il appelle « les murs de la haine et de l’égoïsme », en attendant la réalisation des promesses des autorités de la transition.

Dans son message adressé aux chrétiens du Burkina Faso, le cardinal Philippe Ouédraogo précise que l’année 2022 qui s’achève aura été particulièrement douloureuse du fait des pertes en vies humaines. Il souligne que les conflits communautaires, la stigmatisation, la marginalisation, l’exclusion, l’injustice et la mauvaise gouvernance constituent des terreaux fertiles pour le terrorisme au Burkina Faso. « Que les armes se taisent donc au profit du dialogue pour un vivre- ensemble fraternel », invoque l’archevêque de Ouagadougou.

Il s'est adressé à tous les citoyens qui, pour lui, doivent comprendre que l’ennemi commun est la menace terroriste, et non les personnes, les religions ou les ethnies, avant d'interpeler la société civile sur son rôle au moment où la situation du pays est déjà alarmante.

« Le sens de responsabilité doit guider tout Burkinabé, en particulier les leaders des organisations de la société civile. N’ajoutons donc pas aux problèmes qui existent déjà d’autres problèmes, mais œuvrons tous pour renforcer la sécurité et la stabilité », conseille le cardinal Philippe Ouédraogo.

En attendant les résultats de la part des autorités de la transition qui se sont engagées à « mieux faire », le cardinal invite les fidèles chrétiens à célébrer Noël dans la sobriété, la solidarité et dans le partage en n'oubliant pas les populations en détresse

Fin de vie : les religions prennent part au débat de la Convention citoyenne

Récit 

Pour la deuxième session de la Convention sur la fin de vie, les 185 citoyennes et citoyens tirés au sort avaient rendez-vous, vendredi 16 décembre, avec six représentants des cultes. À la sortie, les avis étaient partagés.

  • Antoine d’Abbundo, 
Fin de vie : les religions prennent part au débat de la Convention citoyenne
 
A l'occasion de la deuxième session de la Convention citoyenne sur la fin de vie, une table ronde avec plusieurs représentants des cultes est organisée ce vendredi 16 décembre 2022 au Conseil économique, social et environnemental. Mgr. Laurent Ulrich, Chems-Eddine Hafiz, recteur de la grande mosquée de Paris et le grand rabbin de France Haïm Korsia (de gauche à droite) débattent sur la fin de vie et répondent aux questions des citoyens.ALEISTER DENNI

Qu’ont à dire les religions sur la fin de vie ? C’est la question qui a ouvert, vendredi 16 décembre, en début d’après-midi, la deuxième session de la Convention citoyenne sur la fin de vie qui réunit, jusqu’en mars 2023, 185 citoyennes et citoyens tirés au sort au palais d’Iéna, siège du Conseil économique, social et environnemental (Cese).

Entendre le message des « grandes » religions présentes en France a-t-il fait débat au sein du comité de gouvernance, organisateur de cette première phase des travaux ? « Aucun », réplique Claire Thoury, sa présidente. « Pour que les participants s’approprient le sujet de la fin de vie, il faut au préalable poser le cadre légal, institutionnel mais aussi philosophique dans lequel s’inscrit la discussion. Il nous a paru nécessaire de le faire assez tôt car les religions occupent une place évidente dans le débat. Nous aurons également l’occasion, plus tard, d’entendre des courants de spiritualité laïques », précise-t-elle.

Pour l’heure, les six représentants des cultes chrétiens - catholique, protestant et orthodoxe -, du judaïsme, de l’islam et du bouddhisme ont pris place sur l’avant-scène de l’hémicycle pour répondre à la question posée. « Qui commence ? », lance l’animateur. « Je vais laisser la parole à Mgr Ulrich », lâche, facétieux, Haïm Korsia, le grand rabbin de France. « Il fait toujours ça. Cela lui permet de réfléchir », rétorque, du tac au tac, l’archevêque de Paris en s’emparant de bonne grâce du micro tendu.

La connivence entre ces hommes est évidente – « l’absence de femmes en dit long », souligne en aparté le sociologue Michel Wieviorka, venu en observateur. Elle n’empêche pas une certaine gravité de ton.

« Nous croyons que l’interdit de tuer est un signe fort »

« Nous croyons que la vie est un don, un cadeau pour nous-mêmes et pour les autres. Nous croyons que Celui qui donne la vie la maintient, que la mort est un événement de la vie, pas un point final. Nous comprenons que ce passage puisse faire peur, mais nous disons, dans la foi, qu’il nous ouvre à une vie nouvelle, transformée, à la vie de ressuscité », commence Mgr Ulrich. « Nous croyons que l’interdit de tuer est un signe fort qui permet de vivre en paix avec les autres. Nous croyons que le devoir de fraternité est une chance. Que pouvoir compter sur des proches, des amis, des accompagnants, des soignants est très important », conclut-il sous les applaudissements.

Chems-Eddine Hafiz, recteur de la grande mosquée de Paris ; Christian Krieger, président de la Fédération protestante de France ; Mgr Marc Alric, auxiliaire de l’archevêché orthodoxe roumain d’Europe occidentale ; Antony Boussemart, président de l’Union bouddhiste de France ; et Haïm Korsia : chacun avec ses mots et à quelques nuances près – plus significatives pour le bouddhisme – rappellera les grands « principes ». Dieu comme origine de tout, la mort comme un temps de la vie, la dignité intrinsèque de tout homme, la finitude de la condition humaine qui lui donne sens, la compassion fraternelle due aux plus vulnérables.

Des citoyens curieux et difficiles à convaincre

Mais cette heure d’exposé n’a pas épuisé la curiosité des participants. Dans les travées, les questions fusent. « Si la loi évolue, la respecterez-vous sans influencer vos fidèles ? Continuerez-vous à les accompagner s’ils demandent l’euthanasie ou le suicide assisté ? », interroge un citoyen. « À quoi sert de parler de dignité et de liberté de conscience si on ne respecte pas le choix de chacun ? », questionne une citoyenne. « Si notre vie est relation, qu’en est-il des malades qui n’ont plus de contact avec les autres ? », s’inquiète un troisième.

À la pause-café, quarante-cinq minutes plus tard, Monique, 65 ans, venue de Lille, et Claude, 74 ans, de Brunoy, en région parisienne, restent dubitatifs. « Je les ai écoutés, sagement, mais ils ne m’ont pas convaincue. Si quelqu’un est au bout du rouleau, qu’il n’y a plus de traitement possible et qu’il demande à en finir, il faut l’accepter », lâche Monique. « Eux disent que c’est Dieu qui choisit. Moi, je crois que c’est à l’homme de choisir », ajoute Claude qui se dit « proche, mais pas militant » de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).

Dialogue de sourds ? La discussion formalisée qui se poursuit par petits groupes montre que les avis sont partagés. À la table du groupe 4, Véronique admet avoir été « positivement étonnée » par l’insistance mise sur le respect de la personne. Michel, lui, trouve que les orateurs ont fait preuve d’une « humanité remarquable et (d’) une absence totale de dogmatisme », ce qui l’a surpris agréablement. « J’ai trouvé le message très beau, très touchant, très positif alors que je m’attendais à quelque chose de tranché et de catégorique », reconnaît lui aussi Mathieu.

« La croyance, c’est quelque chose de personnel. Les religions doivent s’en tenir à cela », nuance Didier. « Ce qu’ils disent, c’est bien beau, mais qu’est-ce qu’on fait devant la personne qui souffre sans pouvoir être soulagée. Le problème reste entier », ajoute Fadel.

Mais à chaque jour suffit sa peine. Samedi 17 décembre, à 9 heures, les mêmes ont rendez-vous avec 25 professionnels de santé – médecins, infirmières, aides-soignants de toutes spécialités confondues – pour trois heures ininterrompues de rencontres et de discussions.

Impulsions panafricaines

Chronique 

Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en Lybie, les projets politiques panafricains ont quelque peu ralenti. Mais les Églises chrétiennes se lancent dans des projets ambitieux à l’échelle du continent.

  • Sébastien Fath (1), 
Impulsions panafricaines
 
Cérémonie d’ouverture d’un nouveau temple de l’Église évangélique Vases d’honneur à Yopougon, en Côte d’Ivoire, le 26 février 2022.D.R. SOURCE : LINFODROME.COM (SITE DE SOIR INFO)

Le projet d’unification de l’Europe doit beaucoup à la démocratie chrétienne. De Robert Schuman à Jacques Delors, les Français ne furent pas les derniers à imaginer, à l’aide de leur cadre de pensée catholique, une maison commune, paneuropéenne, qui dépasse les égoïsmes nationalistes.

Sur la rive sud de la Méditerranée, c’est une autre musique qui s’est jouée. Depuis les indépendances, le christianisme ne s’est pas particulièrement signalé en matière panafricaine. C’est du côté de la politique que cette ambition s’est surtout déclinée, avec des figures notables comme Mouammar Kadhafi (1942-2011), à la tête de la Libye de 1969 à 2011. Ami de Nelson Mandela, dont il avait soutenu précocement le parti, l’ANC, Kadhafi alla jusqu’à se faire proclamer « roi des rois traditionnels d’Afrique » en 2009, alors qu’il préside, pour un an, l’Union africaine. Depuis la destruction de l’État libyen à partir de 2011 sous l’effet de l’intervention militaire internationale, les offres les plus spectaculaires de panafricanisme politique ont reflué quelque peu.

Mais elles demeurent puissantes. En plein processus de recomposition, elles s’alimentent d’un ressentiment, perçu par beaucoup comme justifié, à l’encontre de formes persistantes de prédation néocoloniale. Les effets systémiques de la déstabilisation libyenne, accentuant le fléau du djihadisme sahélien, nourrissent aussi un vif dépit. Contexte à haute tension… Il est cependant des initiatives pour tenter de réinventer, sur des répertoires plus apaisés, une proposition panafricaine. Avec, côté chrétien, des ouvertures à noter. Le quotidien ivoirien Fraternité Matin du 13 décembre 2022 signale ainsi une grande rencontre œcuménique et panafricaine organisée à Abidjan par le service continental de la Communion Charis. Lancé à Koumassi au Ghana en février 2020, ce dispositif catholique voulu par le pape François est déployé sur toute l’Afrique, et ouvert « aux catholiques, aux charismatiques et aux protestants ».

Côté évangélique, de plus en plus d’Églises d’initiative africaine se lancent dans des stratégies au long cours d’évangélisation du continent, par et pour les Africains, avec des méthodes adaptées à l’Afrique. Un exemple ? Le soin pris à dialoguer avec les chefs coutumiers (musulmans, animistes) avant d’évangéliser. Une Église comme Vases d’Honneur, conduite par l’apôtre Mohammed Sanogo, s’inscrit dans cette perspective. Basée à Abidjan, elle est devenue un des fers de lance de l’évangélisation postcoloniale en Afrique de l’Ouest. Elle revendique une vision transafricaine, mais aussi globale, dans la lignée des « entreprises religieuses transnationales » dont l’essor se confirme depuis un demi-siècle (2). Mohammed Sanogo a notamment mené des campagnes spectaculaires au Togo, en Centrafrique, au Liberia, et bien sûr en Côte d’Ivoire. Son mode opératoire ? Une approche holistique combinant action sociale, soins médicaux gratuits, formation et prédication évangélique. Les initiatives missionnaires de cet ex-musulman converti n’ont rien d’un copié-collé des anciens protocoles venus d’Europe. Peut-on parler de méthodes panafricaines ? Le terme, connoté politiquement, suscite une gêne. Mais l’idée est là, résumée aussi dans le nom de cette autre structure missionnaire mise en place à partir de 1987 par l’apôtre Mamadou Karambiri au Burkina Faso : « Mission intérieure africaine ».

(1) Historien, chercheur au CNRS, spécialisé dans l’étude du protestantisme évangélique.

(2) Collectif, Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Karthala, 2005.

« Penser les défis contemporains avec la Bible hébraïque » : la Bible, une ressource pour éclairer l’existence

Critique 

Dans ce livre à quatre mains, deux biblistes montrent l’étonnante actualité des Écritures juives pour faire face aux défis de notre temps.

  • Dominique Greiner, 
« Penser les défis contemporains avec la Bible hébraïque » : la Bible, une ressource pour éclairer l’existence
 
Détail de « Caïn et Abel » par Giovanni Battista.ACTIVE MUSEU/LE PICTORIUM/MAXPPP
       

Penser les défis contemporains avec la Bible hébraïque. Une éthique du bien et du mal

d’Olivier Artus et Sophie Ramond

Odile Jacob, 234 p., 24,90 €

Les textes bibliques, malgré la distance qui nous en sépare, peuvent-ils nous aider à affronter les grands défis de notre temps que sont le changement climatique ou les manipulations du vivant ? Oui affirment Sophie Ramond, religieuse de l’Assomption, enseignante à la Catho de Paris, et Olivier Artus, prêtre et recteur de la Catho de Lyon, dans ce livre accessible. Bien sûr, préviennent les deux exégètes, il ne s’agit pas de lire les Écritures en espérant qu’elles nous livrent « en quelque sorte des recettes pour toute sorte de débats éthiques ou politiques, voire des vérités intemporelles ». Pour tirer profit du texte, il faut d’abord accepter de se laisser dépayser par lui.

En ouvrant le livre, le lecteur est invité à « quitter (son) propre mode de pensée et de représentation », « à quitter le vocabulaire contemporain pour entrer dans la logique du vocabulaire biblique », explique Olivier Artus. C’est à ce dépaysement que nous convient les deux auteurs qui proposent un itinéraire à travers la Bible hébraïque pour réfléchir au bon et au mauvais, des catégories qui ne font plus l’unanimité aujourd’hui, ce qui brouille le discernement. Car si les textes bibliques ne fournissent pas de définition précise du bon et du mauvais, ils n’en cherchent pas moins à débusquer le mal et à le surmonter.

Dénoncer la violence sociale

La question du mal fait irruption avec la violence dès les premières pages de la Genèse. Avec le récit du meurtre d’Abel par Caïn (Gn 4), la Bible envisage la « possibilité » du mal dans un monde qui a été créé bon par Dieu, relève Olivier Artus. Mais elle ne fait pas qu’évoquer la violence individuelle. La littérature prophétique, montre Sophie Ramond, dénonce la violence sociale, conséquence de comportements individuels et collectifs qui ne répondent pas à l’exigence de réaliser le droit et la justice.

Mais, poursuit Olivier Artus, la Bible ne fait pas que débusquer le mal et l’injustice. Elle offre aussi des « stratégies de résistance » pour faire reculer ce qui menace le bon fonctionnement des sociétés et des groupes humains. Elle met « en valeur la résistance d’individus ou de personnages exemplaires, face au mal et à la violence », tel Moïse. Elle contient aussi des textes législatifs qui cherchent à prévenir et à contenir la violence sociale, quitte parfois à contester l’ordre établi. C’est ainsi que le Lévitique en vient à remettre en cause le caractère absolu de la propriété privée…

« Promouvoir l’harmonie dans le monde »

C’est aussi à l’encontre de la terre et des autres créatures que l’homme peut exercer sa violence Là encore, la Bible peut nous éclairer pour faire face à la crise écologique. Elle dit le lien étroit entre le sort de l’humanité et celui de son environnement, ce qui rehausse la responsabilité humaine « de promouvoir l’harmonie dans le monde », souligne Sophie Ramond.

Les écrits de Sagesse et les Psaumes offrent aussi des ressources pour opérer un discernement sur les prétentions de l’homme contemporain à s’affranchir de la finitude et de la mort. « Le propos de ces textes ne convaincra peut-être pas. Il n’en demeure pas moins qu’ils offrent des conditions pour penser l’humain autrement que dans l’optique du projet prométhéen de vaincre le vieillissement et la mort, lequel porte en germe la destruction de ce qu’il prétend améliorer et libérer », conclut la religieuse.

Au final, un livre très pédagogique qui fait découvrir au lecteur non spécialiste comment travaillent des exégètes de métier pour éclairer le présent à partir de textes anciens, tout en invitant chacun à ouvrir les textes bibliques à son tour.

Dialogue islamo-chrétien : Un débat sur l'expérience de foi

MECQUE



Henri de La Hougue, enseignant à l'Institut catholique de Paris, donne des conseils précieux aux chrétiens et aux musulmans qui veulent s'engager dans le dialogue islamo-chrétien.
 

  • Henri de La Hougue, enseignant à l'Institut catholique de Paris ; juin 2006, 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
 
 

Découvrir l'autre tel qu'il est

Dialoguer c'est accepter de faire un pas en avant vers l'autre, de la même manière que Dieu a accepté de faire un pas en avant en notre direction pour que nous puissions le rencontrer. De ce point de vue, si le dialogue nécessite de conserver ses repères, il nécessite aussi d'avancer un peu plus loin dans la rencontre :
- rencontrer l'autre tel qu'il est et non pas tel que nous l'imaginons
- respecter l'autre dans sa différence
- témoigner de son expérience de foi
- accueillir l'expérience de l'autre

C'est finalement un dialogue en chercheurs de Dieu

Dialoguer avec l'autre c'est d'abord apprendre à le connaître, c'est à dire apprendre qui il est, au-delà de l'idée que je m'en fais : qu'est-ce qu'il vit vraiment ? Quelles sont mes affinités avec lui et les points sur lesquels j'ai plus de difficultés ? Qu'est ce que j'arrive à comprendre de ce qu'il vit et qu'est-ce que j'ai du mal à comprendre ? etc. Pour cela, il me faut rencontrer l'autre tel qu'il est et non pas tel que je l'imagine.

L'image des musulmans qui est véhiculée dans les médias et dans nos imaginaires favorise souvent un certain nombre de clichés, tant sur leur mode de vie ("Il est arabe, donc il est musulman… il est certainement polygame… elle porte le voile donc elle est intégriste…") que sur leur foi ("Le Dieu de l'islam est le Dieu de l'Ancien testament… c'est un Dieu lointain… c'est une religion de la loi et pas de l'amour…"). De la même manière, beaucoup de musulmans s'imaginent que les chrétiens sont à moitié polythéistes, que saint Paul à déformé les évangiles que Jésus avait transmis, etc.

La première étape sera donc de se connaître et de se dégager de toutes les images qui m'habitent pour écouter et découvrir l'autre tel qu'il est et non pas tel que je me le figurais.

De plus, certains, face à une autre religion, se sentent une âme de gardien de leur propre religion et de ce point de vue n'ont pas toujours une image très lucide sur eux-mêmes. Le chrétien s'imaginera plus charitable que l'autre, parce que la charité est une principe chrétien sans regarder si lui-même pratique dans sa vie cette charité. De même, un musulman va se sentir par principe accueillant au nom de la traditionnelle hospitalité musulmane, sans regarder s'il pratique dans sa vie quotidienne cette hospitalité… Là encore, la rencontre nécessitera de se regarder soi-même avec lucidité et humilité.

D'autres au contraire vont se situer tel qu'ils sont, mais vont idéaliser la foi de l'interlocuteur qui est en face. Ainsi par exemple le chrétien aura l'impression d'être très loin de la foi chrétienne parce qu'il ne va pas souvent à la messe et a du mal à se souvenir de son Notre Père et il sera en admiration devant le musulman parce qu'il le pense "super pratiquant", lui qui fait le ramadan. En face le musulman qui fait le ramadan, mais qui ne sait pas lire le Coran et ne fait jamais les prières quotidienne aura l'impression d'être très loin de la foi musulmane, mais sera en admiration devant ce chrétien qui l'aura invité à parler de sa foi. Du coup chacun va "idéaliser" sa foi pour ne pas avoir honte en face de l'autre et le discours ne correspondra plus du tout à la réalité. Il faudra donc du temps pour se parler réellement, tel que l'on est, dans la confiance….

Respecter l'autre dans sa différence

Toujours pour que le dialogue puisse se passer en vérité, il faudra apprendre à respecter l'autre dans sa différence, c'est-à-dire, pour le chrétien par exemple, résister à une triple tentation :

- Comprendre les concepts musulmans à la lumière des concepts chrétiens : par exemple quand on entend dire que le ramadan c'est l'équivalent du carême chez les chrétiens. D'une manière générale, il vaut mieux éviter les comparaisons trop rapides : il n'y a aucune équivalence directe entre l'islam et le Christianisme. On est bien obligé de comparer un peu les concepts pour pouvoir les comprendre, mais il ne faut pas en rester là.

- Réduire la foi musulmane à un sous-produit de la foi chrétienne : L'autre tentation est de réduire l'islam à un sous-produit de la foi chrétienne finalement, le message du Coran, c'est l'équivalent de l'Ancien Testament, comme s'il n'y avais pas de spécificité à la foi musulmane. Or chaque religion forme un tout avec son vocabulaire propre, ses systèmes de références propres, ses rites propres,… dont aucun homme d'une autre religion ne pourra faire directement l'expérience sans essayer de comprendre l'ensemble de ce que vit l'autre.

- Réduire la foi musulmane aux éléments dans lesquels les chrétiens se retrouvent : à force de regarder ce que ce que le Coran dit de Jésus ou de Marie, on en oublie que c'est un élément très secondaire de la foi musulmane…

Le dialogue est un échange entre personnes qui se traitent non pas comme adversaires, mais comme partenaires. Le dialogue doit permettre à chacun en découvrant les autres, de mieux comprendre la spécificité de sa foi et de renforcer sa liberté personnelle.

Un dialogue d'expérience

Chaque religion est une totalité, un système cohérent qu'il faut essayer de comprendre dans son ensemble, progressivement. Pour cela, l'unique méthode possible est de partir non pas d'un échange sur les dogmes (qui pourra intervenir, mais que dans une étape ultérieure), mais de l'expérience que chacun fait de Dieu dans sa propre religion. Voici quelques questions qui par exemple peuvent aider à amorcer un échange :

- Quand tu pries tout seul, comment tu fais ? Que demandes-tu ? Pourquoi ? Comment ?
- Quand tu vas à la mosquée/ à l’Église, qu'est ce que tu ressens, comment ça se passe ?
- Quand tu lis la Parole de Dieu, comment Dieu te parle ?
- En quoi Dieu t'aide-t-il dans les moments difficiles de ta vie ?
- T'arrive-t-il de te sentir proche de Dieu ? A quel moment ? Loin de Dieu ? A quel moment ?
- Comment penses-tu à Dieu dans ta vie de tous les jours ?
- Qu'est-ce que ta foi change dans ta manière de regarder les autres ?
- Y a-t-il des choses que tu as du mal à croire ? Lesquelles ?

C'est en discutant autour de ces questions concrètes que chacun pourra témoigner de ce qu'est véritablement la foi pour lui et parler au mieux de sa religion. Cela amènera tout naturellement à préciser des points de vocabulaire ambigus et à repérer et expliciter des divergences dans les dogmes, mais au moins, ceux-ci ne seront pas abordés dans l'absolu. Ils signifieront concrètement quelque chose parce qu'on les aura évoqués en en lien avec sa propre expérience avec Dieu.

Même s'il existe des rencontres interreligieuses à caractère officiel où les représentants des religions présents engagent davantage les communautés qu'ils représentent, celui qui dialogue, dans un premier temps, ne doit pas être obnubilé par le soucis de "répondre comme il faut". Bien répondre c'est répondre au niveau de sa propre relation avec Dieu ; il n'y a pas d'autres intérêts immédiats engagés que celui de pouvoir s'enrichir mutuellement de nos expériences.

Le dialogue de deux chercheurs de Dieu

Le dialogue nécessite une mise en état de disponibilité et d'écoute. Si le chrétien aborde un musulman en exigeant que ce soit lui qui se mette à sa portée, qui fasse l'effort de comprendre les concepts chrétiens, sans lui-même faire un pas pour comprendre la religion musulmane ; ce n'est plus un dialogue, mais l'affirmation de la supériorité de sa foi. Il nous faut donc affronter ce que l'on souhaiterait que l'autre affronte, sans profiter d'un avantage culturel ou d'expression ; accepter de regarder dans la perspective de l'autre pour qu'il accepte de regarder dans la nôtre. Et puisqu'au fond de lui-même, le chrétien souhaiterait légitimement qu'un jour les musulmans puissent découvrir le Christ, qu'il accepte que l'autre souhaite la réciproque.

Chacun est invité, en découvrant la foi de l'autre à approfondir sa propre foi, mais cela nécessite que le dialogue entre un musulman et un chrétien soit un dialogue entre deux "chercheurs de Dieu." On n'est pas là d'abord pour convaincre l'autre… c'est Dieu qui convertit les coeurs. On est là pour approfondir sa propre foi, sa relation à Dieu, en l'enrichissant de l'expérience que l'autre nous partage… et réciproquement. Il est légitime pour le chrétien de penser que sa religion est celle qui le conduit le plus efficacement à Dieu, mais il n'est pas légitime pour lui de porter un jugement sur la relation que le musulman avec lequel il parle entretient avec Dieu, ni même de s'estimer plus proche de Dieu que lui parce que chrétien (1). Le chrétien est invité à reconnaître la démarche spirituelle authentique du musulman avec lequel il parle et à travers cela, éventuellement, de pouvoir approfondir des éléments de sa foi auxquels jusqu'à présent il n'avait pas pensé. C'est au contact de musulman que certains chrétiens très connus ont redécouvert la foi chrétienne : Charles de Foucauld ou Louis Massignon, par exemple.

Comment s'y préparer ?

Entrer dans un véritable dialogue avec des gens d'autres religions n'est pas toujours facile. Il y a parfois beaucoup de peurs ou de vieux réflexes à surmonter. Il faut donc s'y préparer.

L'aptitude au dialogue se développe dans l'aptitude à vivre sa foi de manière sans cesse renouvelée, se laissant remettre en cause et sans cesse interroger par l'Esprit à travers les Écritures et les événements de notre vie. Accepter de voir la vie spirituelle, non pas comme un acquis, mais comme un chemin sur lequel nous avançons. Sur ce chemin nous avons déjà découvert qu'au fur et à mesure de notre cheminement le visage de Dieu s'est éclairé à de multiples reprises pour nous faire comprendre qui était Dieu pour nous. Mais nous avons encore beaucoup à progresser : cette progression se fera :

- en essayant de découvrir combien Dieu parle aux autres et combien il peut aussi nous parler à travers leur expérience.
- En lisant l’Écriture non pas comme un livre de recettes qui donnerait toutes les réponses à nos questions, mais au contraire comme un livre où Dieu nous interroge sur notre propre manière de vivre.
- En accueillant les événements de notre vie comme occasion d'approfondissement de notre relation à Dieu.

C'est donc cette relecture de notre vie qui progressivement pourra développer en nous une aptitude au dialogue.

Notes :

(1) Cf. La parabole du pharisien et du publicain (Lc 18, 9-14)

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Les articles de Henri de La Hougue ont été rédigés à la demande de la revue Repères ACO. Nous les publions ici avec l'autorisation de l'équipe de l'Action catholique ouvrière.