Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Sally Azar, première femme pasteure palestinienne ordonnée en Terre sainte

Portrait 

Sally Azar a été ordonnée pasteure dans l’Église évangélique luthérienne de Jordanie et de Terre sainte, le 22 janvier à Jérusalem. La Palestinienne de 26 ans se prépare à rencontrer des résistances.

  • Clémence Levant (à Jérusalem), 
Sally Azar, première femme pasteure palestinienne ordonnée en Terre sainte
 
Sally Ibrahim Azar, avant la procession organisée pour son ordination, le 22 janvier 2023 à Jérusalem. MAYA ALLERUZZO/AP

Sa main se porte à son cou pour réajuster son col romain. « Je ne pensais pas le porter tous les jours, mais j’ai compris que c’était important que les gens le voient. Je dois encore m’adapter », reconnaît-elle dans un sourire.

À 26 ans, Sally Azar vient d’être ordonnée pasteure dans l’Église évangélique luthérienne de Terre sainte et de Jordanie : une première. Le 22 janvier à Jérusalem, la cérémonie, après ses huit ans d’études de théologie entre le Liban et l’Allemagne, était présidée par… son père, l’évêque Sani Ibrahim Azar.

Cette première détonne sur cette terre où le christianisme se vit dans le respect de traditions parfois millénaires, et dans une société arabe où la place de la femme n’est pas aussi questionnée que dans les pays occidentaux.

Sur les traces de son père

Née et élevée à Jérusalem, Sally Azar a passé une grande partie de son enfance derrière les pierres blanches de l’église luthérienne du Rédempteur dans la Vieille Ville. Son père y a servi trente ans comme pasteur. « Elle adorait aider son père. Tout le monde disait qu’elle deviendrait pasteur », s’amuse Georgette, une de ses amies d’enfance. « C’était une manière de passer du temps avec mon père. Il m’a énormément inspirée. La théologie a fini par devenir une évidence », sourit pudiquement Sally Azar.

Les Églises issues de la Réforme sont historiquement plus ouvertes à promouvoir des femmes. En Occident, elles ont accès aux charges pastorales et épiscopales depuis le XXe siècle. L’Église luthérienne de Terre sainte a accepté les ordinations de femme lors d’un synode il y a dix-sept ans. « Je n’ai jamais pensé être la première », témoigne Sally Azar. Désormais, cinq femmes ont été ordonnées au Moyen-Orient depuis la première en 2017 : trois au Liban, une en Syrie et désormais une en Terre sainte.

Des résistances

Mais le cas de Sally Azar n’est ni compris ni accepté par tous. Lors de son ordination, les chaises réservées aux représentants des autres Églises chrétiennes sont restées vides. Seul le Patriarcat latin de Jérusalem s’est fait représenter. « Les Églises orientales y sont totalement opposées », souffle le représentant en question, le père Nikodemus Schnabel, bénédictin allemand et vicaire patriarcal.

Même résistance du côté des fidèles. « On sait que les hommes et les femmes sont égaux, mais c’est la culture arabe ici. Une période d’adaptation va être nécessaire », glisse Daoud Nassar, l’un des 2 500 membres de la communauté luthérienne de Terre sainte.

Sally Azar, dont le ministère se répartira entre la communauté luthérienne anglophone de Jérusalem, et celle, arabophone de Beit Sahour (Territoires palestiniens), sait que les critiques frontales vont arriver. Mathild Sabbagh, pasteure en Syrie et ancienne camarade d’études, l’a prévenue, notamment sur la violence des réseaux sociaux. « C’est exactement pour ça que j’ai choisi de revenir en Terre sainte, explique la nouvelle pasteure, déterminée. Je veux ouvrir un chemin pour l’équité entre les hommes et les femmes dans l’Église et encourager les jeunes femmes à se lancer dans des études de théologie. »

Présente à Jérusalem pour l’ordination, la révérende Susan Johnson a ouvert une voie, il y a seize ans en devenant la première femme à prendre la tête de l’Église évangélique luthérienne du Canada. « L’important, c’est qu’elle soit Sally, conseille-t-elle. Et connaissant son tempérament, je ne me fais pas de soucis. »

Luthériens et réformés, cinquante ans de communion ecclésiale

Analyse 

En 2023, les protestants issus des dénominations réformée et luthérienne célèbrent les 50 ans de la concorde de Leuenberg, une charte fondamentale qui établit l’unité entre les Églises. Née dans son sillage, l’Église protestante unie de France fêtera cette année ses 10 ans.

  • Matthieu Lasserre, 
Luthériens et réformés, cinquante ans de communion ecclésiale
 
L’Église protestante unie de France (EPUdF) compte 200 000 fidèles et 900 lieux de culte (ici à Lyon, lors de son inauguration en mai 2013).ALEXANDER ROTH-GRISARD/MAXPPP

À l’approche des 50 ans de l’anniversaire de la concorde de Leuenberg, plusieurs pasteurs, théologiens et responsables d’Église ont tenu vendredi 27 janvier une conférence de presse afin de revenir sur cette charte rassemblant plus d’une centaine d’Églises réformées et luthériennes à travers l’Europe.

À cette occasion, ces responsables du protestantisme français ont souligné le dixième anniversaire de l’Église protestante unie de France (EPUdF), issue de la fusion des luthériens et réformés, dans la continuité de la concorde signée en 1973. Avec 200 000 fidèles et 900 lieux de culte, elle est la principale Église protestante en France.

Une communion à l’échelle européenne

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs tentatives de rapprochement entre les deux dénominations sont tentées, notamment aux Pays-Bas ou en France, avec les thèses de Lyon en 1968. Au niveau européen, les discussions commencent en 1955, lors d’un synode à Davos. Ce n’est qu’en 1973 que la charte permet de lever les condamnations mutuelles entre luthériens et réformés, notamment concernant la christologie et la double prédestination.

« La concorde de Leuenberg est révolutionnaire pour une raison simple : c’est qu’elle déclare la communion ecclésiale, a expliqué à cette occasion le théologien André Birmelé. Grâce à ce texte, moi pasteur luthérien alsacien, je peux être aussi prêtre anglican à Birmingham et pasteur en Norvège. La charte permet le passage d’une paroisse à l’autre en s’adaptant à la liturgie et la catéchèse locale. »

Tous les signataires sont représentés au sein de la Communion des Églises protestantes d’Europe (Cepe). « Là encore, c’est une grande nouveauté : la communion ecclésiale se fait au niveau continental », ajoute André Birmelé.

Dix ans de l’Église protestante unie de France

Toutefois, si un cadre théologique est donné par la Cepe, pas question pour les signataires de la concorde de Leuenberg de se doter d’un « appareil constitutionnel »« Au niveau local et régional, on laisse la liberté aux gens qui connaissent le terrain, poursuit le théologien. Il y a la communion car nous partageons le même baptême, la célébration du repas du Seigneur, la référence commune à la prédication de Jésus, la louange et la prière, selon le récit de la Pentecôte. »

Au fil des années, plusieurs dénominations adhèrent à la Concorde : les méthodistes en 1997 ainsi que la Communion anglicane dans une moindre mesure (déclaration de Reuilly en 1999), certaines questions éthiques comme le mariage homosexuel étant vivement discutées dans certains pays.

Dans cet esprit, la communion se matérialise sur le terrain par la création de nouvelles structures rassemblant luthériens et réformés, comme l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (Uepal) en 2006. En France, l’EPUdF est créée en 2013 et fêtera au mois de mai prochain ses 10 ans. Toutes deux sont signataires de la charte fondamentale. « En réalité, nous partageons un travail commun et quotidien, souligne Emmanuelle Seyboldt, pasteure et présidente du conseil national de l’EPUdF. Notamment sur des questions de catéchèse, de liturgie, de formation continue des pasteurs. »

Assumer les différences, empêcher les divisions

Le bilan dressé par les responsables protestants ne masque pas certains points plus négatifs, notamment la baisse du nombre de fidèles et des dons ces dernières années. « Si l’aspect théologique a été le moteur de l’union, il y a sans doute parmi les facteurs contingents des raisons économiques, concède Christian Abecker, président du conseil national de l’Uepal. Cela nous a aussi permis d’avancer et de partager nos ressources. »

« C’est quand nos divergences sont perçues comme des divisions qu’elles nous empêchent d’entendre l’Évangile, résume Emmanuelle Seyboldt. Alors qu’elles devraient être une richesse. »

En islam, la représentation de Dieu est interdite, non celle de son prophète

  • Anne-Bénédicte Hoffner et Samuel Bleynie, 
 
En islam, la représentation de Dieu est interdite, non celle de son prophète
 
Le prophète Mohammed reçoit une première révélation de Jibrîl (l’archange Gabriel), miniature du Jâmi’al-Tawârîkh ( « Chronique universelle ») de Rashîd al-Dîn, entre 1307 et 1311, actuellement conservée à la bibliothèque de l’université d’Edimbourg.CC/WIKIPEDIA

Quelle est l’histoire ?

Avec l’interdit posé par le Décalogue – dont l’islam a hérité –, le judaïsme rompt avec l’habitude établie jusque-là de représenter les dieux, aussi bien dans la peinture que la sculpture. Les spécialistes y voient le noyau voire l’essence même du monothéisme : « Il n’y aura pas pour toi d’autres dieux devant ma face ».

De cette interdiction juive qu’il a reprise, l’islam ne s’est jamais écarté en ce qui concerne Allah. Mais, selon les lieux et les époques, il a été « tenté de l’étendre, mais pas partout ni toujours, à la figuration du prophète voire à celle de tous les prophètes », écrit le P. François Boespflug, dans « Le Prophète de l’islam en images : un sujet tabou ? » (Bayard, 2013).

Que disent les textes de l’islam sur la représentation de Dieu ?

À la différence de la Bible, le Coran ne porte pas d’interdiction explicite des images de Dieu. Il ne condamne explicitement que les idoles pré-islamiques et toute autre forme d’idolâtrie. L’interdit semble relever du consensus de la communauté (ijmâ), constate le P. Boepsflug, qui y voit moins « affaire de discipline que l’effet d’une sorte d’évidence ». Et le résultat de l’idée même de Dieu en islam : un Dieu « impénétrable », « opaque », comme « une forteresse sans portes ni fenêtres », selon les métaphores employées par les musulmans, dont rien – ni Jésus bien sûr, mais pas même Adam – ne sont « à la ressemblance ».

 

Qu’en est-il de la représentation du Prophète ?

Le Coran n’interdit en rien la figuration du prophète Mohammed. « Seule la représentation de Dieu est interdite », ne cesse de rappeler l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou. Mais, ici ou là, selon les époques, l’islam a eu la tentation d’étendre cet interdit pesant sur la représentation de Dieu à son prophète, Mohammed.

D’abord en raison d’une « méfiance » croissante envers les images en général, et notamment celles « représentant des êtres vivants ayant un souffle vital (rûh) », c’est-à-dire êtres humains et animaux donc. Méfiance exprimée notamment par les hadith, ces faits et gestes prêtés au prophète Mohammed ou à ses compagnons, mis par écrits et collectés deux siècles plus tard. Même si l’image est loin d’en être un thème central, plusieurs hadiths reprochent à « ceux qui fabriquent des images (…) de vouloir se comparer au Créateur », écrit Vanessa van Renterghem, spécialiste d’études arabes à l’Institut français du Proche-Orient, dans un article sur « La représentation figurée du prophète Mohammed ». Certains de ces écrits sont même plus « ouvertement hostiles aux images », affirmant ainsi « qu’une maison qui en abrite ne sera jamais visitée par les anges »…

Ensuite en raison d’une « sacralisation progressive » du prophète Mohammed. Une évolution notable, liée à un « changement de la société » à la fin de la dynastie omeyyade, rapporte l’historienne et professeur en études arabes, Jacqueline Chabbi, alors que celle-ci, constituée désormais majoritairement de convertis, souhaite se doter de « règles pratiques de vie ».

Pourtant, rappelle Vanessa van Renterghem, « parmi les figures humaines représentées par des artistes du monde musulman, celle de Mohammed ne semble pas, dans un premier temps, avoir constitué une exception notable ».

L’ouvrage du P. Boespflug présente d’ailleurs « un échantillon » de vingt représentations du prophète Mohammed, provenant toutes de pays ou de milieux musulmans » (Iran, Afghanistan, Turquie etc.). Preuve que, tout au long de l’histoire de l’islam, celui-ci a été représenté dans des manuscrits, sous la forme d’enluminures mais aussi parfois d’images « sinon dévotionnelles, du moins catéchétiques ». Son visage est parfois dévoilé, tantôt recouvert d’un linge blanc qui dissimule ses traits, parfois entouré d’un nimbe circulaire (emprunté à l’art chrétien) ou en forme de gerbe de flammes (inspiré de l’art bouddhiste et/ou chinois).

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Plus que le Coran, les hadiths expliquent donc largement cette méfiance vis-à-vis des images figuratives et cette « sacralisation » progressive du prophète. C’est sur cette tradition du Prophète que s’appuient généralement les courants fondamentalistes – comme le wahhabisme, en Arabie saoudite –, jusqu’à la faire prévaloir sur le Coran.

En introduction de son livre, le P. Boespflug souligne donc la nécessité de « mener la lutte contre une mémoire tronquée de l’islam et une amputation de sa tradition », et appelle « les croyants musulmans cultivés, et/ou les islamologues (à) publier un livre de référence à ce sujet ».

Lire aussi : « Plus votre rapport au religieux est argumenté et moins vous craignez la caricature »

« Il fut un temps où artistes comme public musulmans considéraient la production et la contemplation de portraits de leur prophète comme une expression de leur dévotion, et non comme une pratique blasphématoire réservée aux seuls détracteurs de l’islam », rappelle également Vanessa van Renterghem.

Les nombreuses condamnations venues du monde musulman concernant la nouvelle « une » de Charlie Hebdo montrent toutefois la sensibilité du sujet. Même si, outre la représentation en elle-même du prophète de l’islam, les caricatures répétées du journal satirique posent la question du respect dû à cette religion et à ses fidèles.

 

Il n’y a pas dans l’Islam d’autorité suprême à part Dieu.
Pas de pape ou de conciles.

 

 Islam


Cela permet une grande latitude dans ce qu il faut croire ou ne pas croire.

Par exemple?
Prenez le problème de la réincarnation, des vies successives.

Ne me dites pas que le musulman est libre d’y croire ou non.
Bien sûr que si! Vous savez que les premiers Pères de l’Eglise y ont souvent cru, notamment Origène et puis il y a eu le coup de barre donné par l’Eglise, en 560 je crois, au Concile de Mâcon qui a déclaré que les gens qui croyaient a la réincarnation méritaient l’excommunication.
L’Islam, n’ayant pas de conciles, ne peut interdire de croire à la réincarnation. Il y a certaines idées dont on peut dire qu’elles ne sont pas très orthodoxes, mais il ne peut y avoir de notion d’hérésie puisqu’il n’y a pas quelqu’un qui décrit ce qui est ou non hérétique.

Connaissez vous des musulmans qui croient en la réincarnation?

Bien sûr que j’en connais et pas des moindres. Je vous ai dit que puisqu’il n’y a pas de hiérarchie ecclésiastique dans l’Islam, il n’y a pas non plus d’autorité suprême mais il y a tout de même des gens qui sont considérés comme plus calés que les autres. C’est le cas de l’ancien recteur de la prestigieuse université d’Ab Azhar, au Caire, mort à présent. C’est lui qui m’a invité en Égypte et il était devenu un très grand ami, comme il fut d’ailleurs l’ami du grand maître hindou Krishna Manon. Eh bien il m’a dit qu’il croyait fermement à la réincarnation et qu’il la trouvait dans le Coran.
Sans doute avez vous entendu parler de Amadou Hampaté-Bâ qui fut ambassadeur du Mali à l’UNESCO en même temps que le grand maître de la plus grande confrérie soufie de l’Afrique Noire. Je l’ai connu alors qu’il était déjà malade et je me souviens qu’un jour que j’étais allé le voir à l’hôpital, je lui ai demandé, après beaucoup de circonlocutions, ce qu’il pensait des vies successives. « Bien sûr que nous y croyons, m’a t’il répondu. Nous l’enseignons même dans nos confréries mais à un niveau très restreint pour que les disciples ne se disent pas qu’ayant toute l’éternité devant eux, ils peuvent faire dans cette vie toutes les bêtises possibles et imaginables. Nous ne le disons qu’à un petit nombre de disciples. »
Remarquez qu’en Inde, on dit facilement: « Si ce pauvre type meurt de faim, c’est qu’il a été très méchant dans une vie antérieure. » C’est pour éviter un tel raisonnement que les maîtres restent discrets.

Nous comprenons maintenant pourquoi vous vous sentez si bien dans l’Islam: si vous pouvez prendre le Coran comme s’il vous était révélé à l’instant même, vous retrouvez un peu le libre examen si cher à votre grand-mère protestante.

Vous avez raison: j’y ai trouvé la même liberté.
Face au verset du Coran : « D’étape en étape, les hommes sont transformés mais ils ne comprennent pas, car ils sont oublieux », Amadou Hampaté-Bâ voyait le lethé, l’oubli entre deux incarnations, tandis qu’un autre pourra dire: « Mais pas du tout! Cela veut dire que l’homme a une évolution spirituelle au cours d’une seule vie, mais qu’il l’oublie toujours. » Aucun des deux ne sera hérétique.

Extrait de « Islam, l’autre visage » de Eva de Vitray-Meyerovitch, 1991

Synode : Frère Aloïs présente la « veillée de prière œcuménique » fin septembre à Rome

Entretien 

Exclusif. Pour l’ouverture de la phase romaine du synode sur l’avenir de l’Église, le pape François a annoncé, dimanche 15 janvier, la tenue d’un grand rassemblement œcuménique fin septembre au Vatican. Un événement à l’initiative de Frère Aloïs, prieur de la communauté de Taizé, qui en dévoile les contours à quatre médias européens, dont La Croix.

  • Recueilli par Hendro Munsterman (Nederlands Dagblad), Malo Tresca (La Croix), Daniele Zappalà (Avvenire), au nom aussi du Kristeligt Dagblad. , 
Synode : Frère Aloïs présente la « veillée de prière œcuménique » fin septembre à Rome
 
Le frère Aloïs, prieur de la communauté de Taizé, le 6 janvier 2023 au Vatican. FABIO PIGNATA/AGENZIA ROMANO SICILIANI

La Croix : Comment est né ce projet de rencontre œcuménique à Rome ?

Frère Aloïs : En octobre 2021, j’ai été invité à participer à l’ouverture du synode des évêques catholiques sur la synodalité à Rome. On m’a alors donné cinq minutes pour parler : j’ai insisté sur la nécessité de vivre cette démarche dans la prière. J’ai donc proposé que l’on fasse un temps de prière avant la phase romaine d’octobre 2023, pas seulement pour les pères synodaux réunis à Rome, mais avec tout le Peuple de Dieu ; catholiques, chrétiens d’autres confessions, celles et ceux à la marge de la société…

Cette idée a été très bien accueillie par le pape. Il m’a encouragé à aller de l’avant. Nous avons commencé à réfléchir avec les représentants de trois dicastères du Vatican et à Taizé. Dès le début, nous avons compris que nous ne pouvions porter seuls un tel projet, que c’était une occasion de nous mettre en route avec d’autres.

Alors, nous avons invité différents mouvements catholiques, des représentants orthodoxes, protestants, anglicans, évangéliques, des organisations et fédérations ecclésiales, des mouvements impliqués dans l’œcuménisme, des services nationaux de pastorale des jeunes… Et maintenant, le projet prend forme.

Comment se déroulera cette rencontre ?

F. A. : Le samedi 30 septembre 2023, il y aura une veillée de prière œcuménique sur la place Saint-Pierre, en présence du pape François et d’autres responsables d’Églises, dans l’esprit de la prière méditative telle que nous la vivons à Taizé. Elle sera intégrée dans un programme plus large qui durera tout un week-end et s’adresse en particulier aux jeunes de 18 à 35 ans (1). La grande majorité viendra des pays européens, dans une diversité que nous espérons la plus large possible. Les participants seront accueillis dans les paroisses et les communautés chrétiennes de la ville. Ce week-end est baptisé : « Together (“Ensemble”, NDLR) : un rassemblement du peuple de Dieu ». Le samedi matin, il y aura encore différentes « routes » à travers Rome avec des stations en divers lieux, autour de questions spirituelles, d’actualité et de société.

Le repas de midi aura lieu dans un lieu central à Rome, puis nous aurons en début d’après-midi un temps de louange animé par les mouvements et communautés charismatiques. Après, nous irons vers la place Saint-Pierre pour la veillée qui sera introduite par des témoignages, sur différentes réalités d’Église et engagements dans la société. La croix de Saint-François pourrait être au centre de la veillée, pour nous rappeler que c’est le Christ mort et ressuscité qui nous unit. Et ce sera aussi comme une évocation de l’appel entendu par Saint-François d’Assise : « répare mon Église ».

Que peuvent apporter à l’Église catholique ces autres confessions, dans leur pratique de la synodalité ?

F. A. : Il y a des dons, des trésors de l’Évangile, qui ont été gardés dans les différentes traditions ecclésiales. Par exemple, les Églises nées de la Réforme ont développé des structures de participation aux décisions importantes de tous les baptisés, des laïcs, hommes et femmes. Elles accordent aussi une grande attention à la parole de Dieu et à la liberté chrétienne, à la relation personnelle de chacun avec Dieu qui est un sanctuaire qu’il faut préserver. Par tout cela, l’Église catholique pourrait se laisser interroger, tout en gardant sa spécificité propre.

Identifiez-vous certaines attentes des jeunes quant au renouvellement de l’Église ?

F. A. : L’Église devient de plus en plus abstraite pour beaucoup d’entre eux. Mais le désir d’être ensemble, de trouver un sens d’appartenance, d’élargir l’amitié vers d’autres groupes dans la société, mais aussi la solidarité envers toute la création : pour tout cela, il y a une grande sensibilité parmi les jeunes. C’est ainsi que ce rassemblement peut aussi être intéressant pour les jeunes qui ne sont pas motivés par une réflexion sur la synodalité.

Pourquoi ont-ils été si peu nombreux, notamment en France, à s’investir dans ce synode, et comment mieux recueillir la voix de cette génération ?

F. A. : C’est sans doute en partie une question de vocabulaire parce que, pour la plupart, ils ne savent pas ce qu’il y a derrière le mot synodalité. C’est pour cela que nous avons choisi “Together” et “Peuple de Dieu”. Ce sont deux expressions qui sont sans doute plus accessibles aux jeunes d’aujourd’hui. Et si nous leur donnons une responsabilité pour préparer cet événement, alors je suis convaincu qu’ils vont s’impliquer. C’est un défi. Pour le relever, nous aurons vraiment besoin de tous les responsables de la pastorale des jeunes dans les différentes confessions. C’est à eux maintenant de motiver les jeunes à participer.

Ne sentez-vous pas les jeunes « paralysés » par la crise des abus sexuels ?

F. A. : C’est un risque si nous ne sommes pas prêts à admettre la vérité, à reconnaître la gravité des blessures qui ont été infligées et qui entraînent une terrible perte de confiance pour tant de personnes. Mais si nous avons le courage de dire les choses et de travailler constamment à la protection de l’intégrité des personnes, cela pourra aussi nous stimuler dans beaucoup d’autres domaines pour renouveler la vie ecclésiale.

À Taizé aussi, nous avons entamé depuis 2019 un difficile mais nécessaire travail de vérité concernant les abus spirituels et agressions sexuelles qui ont eu lieu dans le passé de la part de frères. Nous nous sommes dit que nous devions la vérité aux jeunes qui viennent participer à nos rencontres et à tous ceux qui nous font confiance. Ce travail continue et nous venons de publier un rapport d’étape expliquant ce qui a été entrepris depuis bientôt trois ans.

Le synode a aussi montré que le paysage ecclésial est fracturé, autour des questions de liturgie, de gouvernance... La démarche pourrait-elle aboutir à une parole apaisante ?

F. A. : C’est mon espoir. Je trouve très beau que l’Église catholique se lance dans un synode sans savoir ce qui pourrait en être le résultat, sans que l’on ne sécurise dès le début la fin du chemin. On se lance dans une aventure : c’est cela l’Église. La confiance en l’Esprit Saint devient très concrète.

(1) Qui pourront s’inscrire en ligne, individuellement ou en groupe. Les adultes plus âgés pourront aussi y participer