Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Marseille, le dialogue interreligieux ancré dans les quartiers

 

Religions du Monde vous emmène à Marseille, cité de plus de 800 000 habitants ouverte sur la Méditerranée et sur le monde, où se croisent toutes les nationalités et confessions, une ville où le dialogue interreligieux est promu depuis plusieurs décennies, notamment par Jean-Marc Aveline, prêtre puis archevêque de Marseille, qui a été nommé cardinal par le pape François en août 2022. Des échanges encouragés par des représentants notamment catholiques, musulmans et juifs qui œuvrent sur le terrain. Un dialogue qui s’est renforcé après les attentats de 2015. Nous partons à la rencontre de celles et ceux qui tissent des liens entre les religions, entre les habitants, entre les quartiers, au cœur de la cité phocéenne.

Participants :

 

colette

 

- Colette Hamza, religieuse catholique xavière, directrice de l’Institut des Sciences et de Théologie des religions à Marseille (ISTM)

 

Haim

 

- Haïm Bendao, rabbin de la synagogue Ohel Yaacov dans le 14è arrondissement de Marseille

 

pretres

 

- Thierry Alfano, curé des paroisses Saint-Joseph E.M., Sainte-Marthe et Aygalades (nord de Marseille)

 

Mohsen

 

- Mohsen Ngazou, président des Musulmans de France, directeur du Collège-Lycée Ibn Khaldoun à Marseille (15è arrondissement)

 

noirs

 

- Issa Koné, médecin à Marseille, d’origine malienne

 

mosquee

 

- Abobikrine Diop (Mbaye Diop), recteur de la Mosquée Bilal à Marseille

 

En images

Un nouveau dialogue islamo-chrétien

Témoigner

Les rencontres entre chrétiens et musulmans ont changé de visage depuis leurs débuts dans les années 1970, valorisant davantage les sujets épineux.

  • Mélinée Le Priol, 
Un nouveau dialogue  islamo-chrétien
 
MARYLB/GETTY IMAGES


Pour Stéphanie Jozan, le premier « déclic » s’est produit en 2012, au moment de s’envoler pour un volontariat au Cameroun avec son mari Stanislas. « Nous avions des amis qui, au même moment, partaient vivre dans une cité à Marseille. J’ai alors compris que les fameux “quartiers Nord” me faisaient plus peur que le Cameroun ! Faute de connaissances, j’avais une vision négative de l’islam. » Peu après leur retour en France, en 2014, deuxième ­déclic : les attentats de 2015. La prise de conscience que les musulmans constituaient désormais une part importante de la société, et que celle-ci « risquait de se fracturer si l’on continuait d’avoir peur les uns des autres », pousse la ­famille Jozan à un choix radical : ne pas s’installer en centre-ville du Mans, où Stanislas venait d’être muté, mais dans un quartier prioritaire.

C’est là, aux Sablons, que Stéphanie s’est liée d’amitié, pour la première fois, avec des musulmanes. Aujourd’hui mère de cinq enfants, cette catholique de 39 ans a découvert, pendant ces trois années, un univers bien loin du sien. Avec néanmoins des points communs : les familles nombreuses, notamment, mais aussi et surtout la « grande importance accordée à Dieu ». Le couple, par ailleurs membre de la communauté de l’Emmanuel, a bientôt suivi la formation « Lumière du Christ », que cette communauté propose depuis 2017 pour « porter la lumière du Christ aux musulmans ».

« Nous n’attendons pas leur conversion, on veut simplement aller à leur rencontre », précise d’emblée le père Henry Fautrad, cofondateur de cette formation d’un an. Au fil de la quinzaine d’enseignements prodigués aux catholiques qui souhaitent vivre cette rencontre, une attention particulière est portée à « l’altérité religieuse ». Pour le prêtre, les différences ont trop longtemps été « gommées », et des « raccourcis » établis entre la Bible et le Coran, ou encore la prière chrétienne et la prière musulmane. « C’est dommage, car tant que l’on n’explore pas ces différences, on ne peut pas être véritablement à l’écoute de l’autre », estime-t-il.

Cette manière de valoriser les différences plus que les points communs constitue sans nul doute une inflexion d’importance par rapport aux « trente glorieuses » du dialogue interreligieux (l’expression est du pasteur genevois Jean-Claude Basset), entre les années 1970 et 2000. Dans l’enthousiasme de l’élan conciliaire, de nombreux chrétiens s’étaient alors engagés dans l’amitié avec des musulmans, souvent sous la forme d’une « quête du commun ». Plusieurs de ces structures historiques restent actives aujourd’hui, même si elles reconnaissent avoir du mal à attirer les plus jeunes.

Le 11 septembre 2001 et la montée du terrorisme au nom de l’islam ont en effet constitué un « tournant », bientôt confirmé par les attentats de 2015, selon le théologien Michel Younès qui aborde ces questions dans un livre récent (1). « Certains catholiques se sont mis à taxer d’angélisme et de relativisme les personnes engagées dans ce dialogue, cherchant plutôt à mettre en avant les écarts irréductibles. » Loin d’un « consensus mou » sous couvert de « respect », des chrétiens – de sensibilité souvent plus conservatrice que la génération précédente – prônent désormais un « dialogue critique ». D’autres refusent toutefois le dialogue, dont ils estiment qu’il fait barrage à l’évangélisation (lire page 15).

« Mous », les débats que Geoffroy Auzou nourrit avec des musulmans de son âge sont loin de l’être. En plus de dîners mensuels dans une ambiance chaleureuse, ce trentenaire lyonnais participe à une conversation WhatsApp « nettement plus cash », où chrétiens et musulmans s’affrontent sur des sujets aussi polémiques que la laïcité ou l’islamophobie. « Ce qui m’intéresse, c’est de ne pas en rester à mon propre vécu pour comprendre les positions qui ont cours dans les milieux musulmans. » Par ces échanges, Geoffroy recherche aussi bien la « croissance spirituelle » que la « paix sociale »… même si la virulence de ces joutes verbales le « fatigue » parfois. « La fatigue vient peut-être aussi du fait que depuis la crise sanitaire, nos échanges sont uniquement virtuels et donc moins incarnés », ajoute-t-il.

Le dialogue interreligieux se serait-il mué en « débat interreligieux » ? Saïd Oujibou, ancien musulman devenu pasteur évangélique, incarne avec panache cette volonté de « parler vrai » et de « mettre des mots sur des maux ». Depuis une douzaine d’années, il anime des rencontres enflammées entre chrétiens et salafistes, qui attirent parfois plusieurs centaines de personnes. « Les musulmans, même radicaux, ont soif de ces échanges, ils veulent qu’on leur donne la parole. Je leur fais sentir que je les aime, ce sont mes petits frères ! Mais je partage clairement mes convictions avec eux : même si je respecte beaucoup Mohammed, je ne peux pas, théologiquement, le reconnaître comme un prophète. »

Témoigner de sa foi, dire en profondeur ce en quoi on croit… Sans pousser jusqu’à l’exubérance d’un Saïd Oujibou, de nombreux chrétiens ressentent aujourd’hui ce besoin quand ils rencontrent des musulmans. Même si un « apprivoisement réciproque » et un « climat de confiance » sont souvent des préalables indispensables à de tels échanges. « Nous avons commencé par aborder des questions très quotidiennes, ce n’est que plus tard que sont venus les sujets liés à la foi », se souvient ainsi Marie-Régine de Jaureguiberry, membre de l’association Le message de Tibhirine, qu’elle a contribué à créer à Lyon en 2016.

Soucieuse de ne pas « dire n’importe quoi » de sa religion catholique, cette ancienne ingénieure commerciale de 57 ans a d’abord suivi une formation dans son diocèse, puis un cours d’introduction à l’islam délivré par Michel Younès, à l’Université catholique de Lyon (Ucly). Une exigence intellectuelle qui ne surprend guère le théologien. « Le dialogue islamo-chrétien a changé de milieu social », explique-t-il. « S’il prenait plutôt les traits, dans les années 1970, de la solidarité avec des travailleurs immigrés, aujourd’hui, ce sont des chrétiens plus jeunes et plus aisés qui cherchent des musulmans bien insérés socialement, pour se rencontrer ou pour débattre. »

Le tout à partir de terrains communs qui, eux non plus, ne sont plus ceux d’il y a cinquante ans. Le groupe de rencontre dont fait partie Marie-Régine de Jaureguiberry s’est ainsi constitué à la suite des mobilisations de 2012-2013 contre le mariage homosexuel. Conscients d’être minoritaires dans la société, ces croyants se sont découvert, à cette occasion, des « valeurs communes » bientôt devenues un « moteur puissant » pour la rencontre.

(1) Les Approches chrétiennes de l’islam, Éd. Cerf patrimoines, 364 p., 29 €.

Au Mali, l’imam Dicko, l’éternel opposant ?

Lors de son retour à Bamako, samedi 14 janvier, le prédicateur et ses fidèles ont été visés par des tirs de gaz lacrymogènes. Certains y voient le symptôme de la dégradation de ses relations avec la junte malienne.

Mis à jour le 17 janvier 2023 à 19:41
 

 

dicko

 

 

L’imam Mahmoud Dicko lors d’un rassemblement à Bamako, au Mali, le 28 novembre 2021. © FLORENT VERGNES / AFP

Le cortège de deux-roues progresse lentement le long de la route qui mène de l’aéroport au premier pont de Bamako. Ce 14 janvier, une foule de fidèles est venue escorter chez lui l’imam Mahmoud Dicko. De retour d’Arabie Saoudite, il vient d’être fait membre permanent du bureau de la Ligue islamique mondiale. Les coups de klaxon se mêlent aux claquements des drapeaux maliens qui s’agitent en tout sens quand, une trentaine de minutes après son départ de l’aéroport, la procession voit s’abattre sur elle des fumerolles de gaz lacrymogènes.

À en croire des participants au cortège, les forces de l’ordre, qui ont préalablement encadré le rassemblement, seraient à l’origine des tirs. « Avant même l’arrivée de l’imam Dicko, ses sympathisants ont été exhortés à rebrousser chemin. Les forces de l’ordre ne nous ont pas expliqué pourquoi, elles nous ont simplement dit qu’elles avaient reçu des consignes », raconte Youssouf Daba Diawara, coordinateur général de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS).

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Prises de position hostiles à la junte

Le prédicateur, qui n’a pas réagi publiquement à cette mésaventure, souhaite désormais « laisser l’affaire retomber », font savoir ses proches. « Ce type de rassemblements n’est pas rare, mais jusqu’ici, il n’y avait jamais eu d’incident de la sorte », précise Youssouf Daba Diawara.

Pour ce collaborateur du religieux, l’épisode s’expliquerait par la dégradation des relations entre l’imam et la junte malienne. S’il a un temps soutenu les autorités transitoires de Bamako, Mahmoud Dicko s’est, au fil des mois, montré de plus en plus critique envers le gouvernement.

Gouvernants qualifiés « d’arrogants », opposition à la révision de la Constitution telle que proposée par la junte… L’imam de Badalabougou a récemment multiplié les prises de positions hostiles à la politique des colonels. « Aujourd’hui, les autorités estiment que l’imam est leur opposant et ils ne veulent pas laisser s’installer une mobilisation autour de lui. Il dit simplement sa part de vérité, comme il en a le droit et le devoir », assure le coordinateur général de la CMAS.

Forces conservatrices

Il faut dire qu’en plus d’être une figure majeure de la vie religieuse du pays, le prédicateur n’a jamais hésité à s’aventurer sur le terrain politique, les deux domaines étant étroitement imbriqués au Mali. « L’influence politique de l’islam pourrait correspondre à la capacité des organisations musulmanes de se constituer en forces conservatrices pesant efficacement sur les décisions politiques publiques, et imposant un ordre social qui engage l’ensemble de la société », explique le chercheur Boubacar Haïdara, spécialiste des rapports entre l’islam et la politique au Mali.

D’Amadou Toumani Touré (ATT) à Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en passant par Alpha Oumar Konaré (AOK), Mahmoud Dicko a toujours habilement manœuvré entre le politique et le religieux, ferraillant contre les pouvoirs qui se sont succédé.

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« Mahmoud Dicko est devenu une figure contestataire principalement à la faveur de l’opposition au Code de la famille dont les débats se sont tenus entre 2009 et 2011. À l’époque, les manifestations qu’il organisait étaient considérées comme inédites au Mali », se souvient Boubacar Haïdara. À l’époque, le chef religieux, qui préside le Haut conseil islamique du Mali (HCIM), fait plier le gouvernement, lequel se voit contraint de réviser le texte selon les revendications des organisations musulmanes. « Toutes les confrontations publiques autour de réformes sociales et sociétales qui ont opposé l’État aux organisations islamiques, se sont soldées par la victoire de ces dernières », résume le chercheur.

Tirs à balles réelles

Pour les hommes politiques maliens, l’influence d’une figure comme celle de Dicko est à double tranchant. L’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta en a fait tout particulièrement les frais. Alors que, lors son accession au pouvoir, en 2013, il bénéficie du soutien de l’imam Dicko, ce dernier devient quelques années plus tard le fer de lance de la contestation qui exige la démission du président.

En 2020, Mahmoud Dicko est en effet l’autorité morale du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui, dès le mois de juin organise des rassemblements monstres contre le régime d’IBK. Un rôle qui lui vaut, déjà, d’être la cible des forces de l’ordre.

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À tel point que, le 11 juillet 2020, alors que les rassemblements tournent à l’affrontement entre forces de sécurité et manifestants, la mosquée de Mahmoud Dicko devient l’épicentre des tensions. Ses partisans sont massés devant l’édifice, craignant que l’imam ne soit interpellé. Ils essuient des tirs à balles réelles de la Force spéciale antiterroriste (Forsat). Bilan : entre onze et vingt morts, selon les sources, et plus d’une centaine de blessés.

Un épisode sanglant, sans commune mesure avec l’incident de ce 14 janvier. Pourtant, certains acteurs politiques se sont émus de l’intervention des forces de l’ordre. C’est le cas de Housseini Amion Guindo, président du Codem, qui a dénoncé une « agression […] préjudiciable à la stabilité et à la cohésion sociale ». Une manière de rappeler l’influence du religieux sur la société malienne ? L’entourage de Mahmoud Dicko refuse en tout cas la qualification d’opposant. Les récents événements, eux, semblent dire le contraire.

La théologie de la prospérité

Explication 

La théologie de la prospérité, d’origine protestante, veut voir dans la Bible une confirmation : Dieu comble de biens, notamment matériels, celui qui a foi en lui.

  • Gilles Donada, 
La théologie de la prospérité
 
Pendant le culte dominical, bénédiction des fidèles qui font des offrandes à l’église «Lampe du Monde», à Kimbanseke (République démocratique du Congo). VINCENT BOISOT / RIVA PRESS

Qu’est-ce que la théologie de la prospérité ?

La théologie de la prospérité est née aux États-Unis dans les années 1960 dans le mouvement protestant du pentecôtisme. Elle a gagné l’Amérique latine et l’Afrique dans les années 1970 pour ensuite se diffuser en Asie. Aujourd’hui, elle se décline en de multiples variantes. Quel est son message essentiel ? Celui qui met sa foi dans le Christ sera non seulement sauvé, mais il récoltera ici-bas richesse matérielle, santé et succès.

Pour appuyer leur propos, les adeptes de cette théologie utilisent de nombreuses citations bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament. Parmi celles-ci, deux sont souvent citées. La première émane du prophète Malachie (3,10) : « Apportez toute la dîme à la maison du trésor, pour qu’il y ait de la nourriture dans ma Maison. Soumettez-moi donc ainsi à l’épreuve, – dit le Seigneur de l’univers –, et vous verrez si je n’ouvre pas pour vous les écluses du ciel si je ne répands pas sur vous la bénédiction en abondance ! »

La seconde est tirée de l’Évangile de Marc (10, 29-30), lorsque Jésus affirme : « Nul n’aura des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres… » En omettant, comme souvent, de mentionner la fin du verset qui évoque aussi des « persécutions »

Quelle forme prend-elle ?

L’historien et chercheur au CNRS Sébastien Fath a identifié à ce jour sept « variantes » de la théologie de la prospérité. La première repose sur le principe de réciprocité, instauré par Jésus : « Donnez, et l’on vous donnera » (Luc 6,38). La seconde insiste sur l’observance des commandements divins : « Vous garderez les paroles de cette alliance, et vous les mettrez en pratique pour réussir dans toutes vos actions » (Deutéronome 29,8).

La troisième relève d’une dimension « magico-religieuse ». Si, par la foi, on reçoit l’onction de Dieu, on est protégé : « Ne touchez pas à qui m’est consacré » (psaume 104, 15). La quatrième variante attribue un pouvoir à la parole qui est prononcée avec foi, elle prend alors une force créatrice qui fait advenir ce qu’elle énonce : « La mort et la vie sont au pouvoir de la langue » (Proverbes 18, 21).

La cinquième répond à un certain clientélisme. Autrement dit, le fidèle qui se soumet à l’autorité de son pasteur – « Faites confiance à ceux qui vous dirigent et soyez-leur soumis », dit Paul aux Hébreux (13, 17) – bénéficiera, en retour de faveurs divines… La sixième variante relève davantage du développement personnel. « Grâce à la foi, rappelle Sébastien Fath, je vais pouvoir devenir une meilleure version de moi-même. » Cette croyance s’appuie sur la parole de Jésus dans l’Évangile de Jean (10,10) : « Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »

La septième et dernière variante consiste en un « transfert des richesses ». Elle fait florès en Afrique et s’enracine dans la lecture du livre de l’Exode, souligne Sébastien Fath. Comme le peuple juif sous le règne de Pharaon, les Africains ont vécu sous le joug des colonisateurs qui les ont opprimés et exploités. Dieu vient aujourd’hui libérer son peuple, le restaurer et lui restituer les biens dont il a été injustement privé.

En Asie, enfin, notamment en Corée du Sud et en Chine, la théologie de la prospérité repose sur la valeur travail, qui devient une forme de prière et de vocation. « Comme j’honore Dieu par mon travail en étant un employé ou un entrepreneur honnête, discipliné et productif, je reçois, en récompense, le fruit de mon travail », résume Sébastien Fath.

Est-ce fidèle à ce que dit la Bible ?

La théologie du Pentateuque (du livre de la Genèse à celui du Lévitique) comporte bien une notion de rétribution. « Si vous écoutez ma voix, dit en substance Dieu aux patriarches, et que vous accomplissez mes commandements, alors vous recevrez mes bénédictions et une récompense notamment sur le plan matériel, détaille Philippe Haddad, rabbin de la synagogue de la rue Copernic à Paris. Mais avec les prophètes, on sort de cette logique. Ils dénoncent la richesse mal acquise et son utilisation à mauvais escient, ainsi que l’écart croissant entre les riches et les pauvres. Le riche, disent-ils, a une responsabilité vis-à-vis de la veuve et de l’orphelin. Ne pas partager ses richesses, c’est profaner le nom de Dieu. »

Jésus s’inscrit dans cette lignée prophétique en faisant du soin porté aux plus démunis (pauvre, étranger, malade, prisonnier en Matthieu 25) le critère même du jugement divin. Et il va même plus loin encore. « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi », dit-il au jeune homme riche (Matthieu 19,21). Par un grand renversement, devient riche celui qui suit le Christ, pauvre parmi les pauvres.

Pourquoi les chrétiens évangéliques prennent-ils de la distance avec ces théologies ?

« Bien sûr, parler de prospérité est un discours séduisant, qui peut attirer de nouveaux fidèles, confie le pasteur pentecôtiste Marc Rizzolio au journal Réforme (1). Mais il me semble que l’idée de donnant-donnant sur laquelle il repose peut insinuer dans les cœurs une mauvaise compréhension de l’Évangile. Le chrétien ne doit pas s’attacher à Dieu parce que Dieu va le faire prospérer, mais parce qu’il lui offre son amour, son salut révélé dans la personne de Jésus-Christ. »

Malicieux, Sébastien Fath ajoute une raison plus pratique : « Quand les chrétiens donnent beaucoup à la quête en espérant abondance de biens en retour, comme le promet leur pasteur, et qu’ils ne voient rien venir, ils quittent l’église ! »

L’appétit pour la théologie de la prospérité interroge le croyant. « À quelqu’un de tenté par la théologie de la prospérité, dit le pasteur baptiste Nicolas Farelly (2), je pourrais suggérer ceci : qu’est-ce que cette recherche du succès, de la richesse, dit de votre foi, de votre confiance en Jésus ? Jésus ne serait-il qu’un moyen pour parvenir à vos fins ? (…) Même si je ne sais pas si ma situation va s’améliorer, la présence du Christ est là, qui me rassure ; grâce à elle, je peux être en joie même dans l’épreuve, car je sais que Dieu œuvre en moi. »

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Extrait. Un langage décomplexé sur l’argent

La Théologie de la prospérité, Conseil national des évangéliques de France, octobre 2012

Ce courant (la théologie de la prospérité, NDLR) correspond aux aspirations matérialistes d’une frange du christianisme occidental, qui y trouve enfin un langage « décomplexé » sur l’argent. Il rejoint aussi, par les espoirs qu’il suscite, bien des populations dont la réalité quotidienne est la souffrance et la misère. Son invitation à positiver l’avenir répond au désarroi d’un nombre croissant de personnes insécurisées par une mondialisation impitoyable. (…) (Par leurs interprétations bibliques), les prophètes de la prospérité se mettent à l’abri de toute remise en cause de leurs promesses. Par contre, tout le poids de l’échec éventuel de ces promesses repose sur le croyant qui a espéré, prié, donné. Impossible, dans le système, de remettre en cause les promesses de départ. On renvoie celui qui n’a « pas reçu » à son manque de foi, dont on décèlera les moindres failles.

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ce qu’il faut retenir

Une théologie pentecôtiste

La théologie de la prospérité est née dans les Églises pentecôtistes des États-Unis dans les années 1960 et s’est répandue sur tous les continents.

En s’appuyant sur de multiples citations bibliques, parfois tronquées ou sorties de leur contexte, les adeptes de cette théologie affirment que, si la foi en Dieu est assez forte, alors celui-ci comble son fidèle de bienfaits : le salut mais aussi la richesse, la santé, le bonheur.

Cette vision s’oppose au message biblique dans lequel Dieu met en garde l’homme et la femme contre l’idolâtrie de la richesse pour les inviter à la sobriété et au partage.

(1) Du 9 décembre 2020.

(2) Ibid.

À Jérusalem, l’unité des Églises pour défendre la présence chrétienne

Reportage 

Deux adolescents soupçonnés d’avoir profané plusieurs dizaines de tombes d’un cimetière chrétien de Jérusalem ont été arrêtés, vendredi 6 janvier. Les chrétiens continuent de dénoncer plus largement une atmosphère d’insécurité et misent sur une plus grande unité pour faire entendre leur voix.

  • Nicolas Rouger, à Tel-Aviv (Israël), 
À Jérusalem, l’unité des Églises pour défendre la présence chrétienne
 
L’archevêque et gardien du cimetière protestant, Hosam Naoum, inspecte des tombes vandalisées sur le Mont Sion, le 4 janvier 2023.AHMAD GHARABLI/AFP

Mercredi 4 janvier à Jérusalem. L’archevêque anglican Hosam Naoum caresse avec tristesse des pierres tombales brisées dans le cimetière protestant du mont Sion. Il est venu pour témoigner de sa solidarité après la profanation de 30 tombes, le jour de l’An.

La nouvelle et les images des caméras de vidéosurveillance se sont répandues sur les réseaux sociaux. On y voit deux suspects s’adonnant à leur triste besogne – ils portent, tous les deux, la tenue traditionnelle des juifs orthodoxes sionistes. Il n’aura fallu que quelques jours à la police de Jérusalem pour les identifier et les appréhender. Une bonne surprise pour les communautés chrétiennes de la Ville sainte, et surtout celle sur le mont Sion, qui font régulièrement l’objet de harcèlement de la part d’extrémistes.

Des attaques et brimades régulières

Elles ne sont jamais d’une grande ampleur mais contribuent à créer une atmosphère d’insécurité. Sur le mont Sion, en particulier, où chrétienté et judaïsme cohabitent difficilement. Les attaques contre les frères bénédictins de l’abbaye de la Dormition, les brimades envers des prêtres par des jeunes juifs au sang chaud, les entrées par effraction dans une église orthodoxe sont monnaie courante. Et restent la plupart du temps sans réponse. « Même si la police sait très bien qui sont les auteurs… », regrette amèrement le gardien d’un des cimetières.

La rapidité de ces arrestations est sans doute liée à la sévérité du crime, aux preuves disponibles, mais aussi à la médiatisation de ces actes à travers le monde. Cela pourrait être en partie dû aux actions de la campagne collective lancée par les responsables des Églises de Terre sainte en 2021, spécifiquement pour sonner l’alarme sur une présence chrétienne en danger dans la Ville sainte. Cette unité est rare sur une Terre sainte bigarrée où les rivalités entre confessions chrétiennes sombrent parfois dans le tragi-comique.

Si les moyens mis à disposition de cette campagne ne sont pas colossaux – elle repose sur le travail de bénévoles –, elle semble toutefois avoir réussi à mettre les autorités israéliennes au pied du mur. Dimanche 8 janvier, ce n’est pas l’archevêque anglican mais le patriarche grec-orthodoxe, moteur de l’effort collectif, que le commissaire de la police de Jérusalem est allé voir pour annoncer l’arrestation. Les photos de leur conversation ont immédiatement été relayées par la diplomatie israélienne.

« La liberté de religion doit être sauvegardée »

« La politique de l’État d’Israël est très claire, depuis sa fondation en 1948 : la liberté de religion doit être sauvegardée », souligne Tania Berg-Refaeli, directrice du département des religions au ministère des affaires étrangères israélien. Elle insiste sur la bonne santé de la communauté chrétienne en Israël et l’ouverture des institutions d’État aux responsables religieux : « Ils peuvent avoir accès à tous les niveaux du pouvoir et ce dialogue est constant. »

De fait, la campagne des Églises chrétiennes, et ses différents acteurs, ne désavouent pas l’autorité de l’État d’Israël. Au contraire, c’est en partenaires qu’ils veulent rappeler aux autorités leurs obligations. Le message est clair et se veut neutre : les institutions chrétiennes reconnaissent les autorités israéliennes mais demandent que leur liberté de culte et leur présence dans le berceau de la religion chrétienne soient sauvegardées.

Craintes pour l’avenir

Cette affaire souligne une dichotomie complexe : certes l’existence des institutions chrétiennes, vieilles de centaines d’années, n’est pas menacée. C’est plutôt l’avenir des « pierres vivantes », la communauté chrétienne elle-même, qui inquiète. À Jérusalem, elle n’a pas grandi depuis les années 1920 en raison de l’émigration, alors que les populations juives et musulmanes ont décuplé.

Et si les arrestations des jeunes qui ont vandalisé des tombes ont été bien accueillies, des questions demeurent. Deux jours avant la profanation, des policiers ont aussi accompagné les membres de la Fondation de la Cité de David (Elad en hébreu) afin de prendre possession d’un terrain voisin de l’antique piscine de Siloé. La vente de ce terrain par le patriarcat orthodoxe, et l’expropriation de la famille palestinienne qui y habite, au profit d’Elad est contestée, faisant partie d’une affaire de corruption liée au précédent patriarche.

Pour les chrétiens locaux, c’est un nouvel épisode d’un processus de « judaïsation » – renforcement de la présence juive – de la ville, en partie responsable de leur exode. Et il pourrait s’alourdir sous le nouveau gouvernement israélien qui fait la part belle à l’extrême droite. « Nous craignons que les attaques augmentent, les crachats et les confrontations, assure l’archevêque anglican Hosam Naoum. Nous craignons plus de haine, plus de ségrégations, et c’est cela qui me rend le plus triste pour l’avenir de Jérusalem. »

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Les chrétiens de Jérusalem

Une population chrétienne qui stagne. Il y a environ 16 000 chrétiens à Jérusalem, autant qu’en 1922, selon les recensements officiels. Alors que les chrétiens représentaient un cinquième de la population, ils ne pèsent plus que pour 2 %.

En Israël, la loi et les institutions protègent la liberté de culte. Seule une minorité d’extrémistes expriment des sentiments antichrétiens.

En décembre 2021, à l’initiative du patriarche grec-orthodoxe Theophilos III, 13 Églises chrétiennes de Terre sainte ont appelé à la mise en place d’un statut particulier protégeant le quartier chrétien de la Vieille Ville de Jérusalem des « agressions physiques et verbales » par des groupes radicaux.