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Guinée : au RPG, la guerre pour succéder à Alpha Condé est ouverte

Par  - à Conakry
Mis à jour le 17 novembre 2021 à 17:08
 

 

Alpha Condé à Abidjan, en juillet 2021 © Guinea’s President Alpha Conde gives an interview during a meeting to discuss the 20th replenishment of the World Bank’s International Development Association, in Abidjan, Ivory Coast July 15, 2021. © Luc Gnago/REUTERS

 

Si la date des prochaines élections, comme celle de la libération d’Alpha Condé, demeure inconnue, les ambitieux s’activent déjà en coulisses. Dans leur ligne de mire : la tête du parti fondé par l’ancien président – et pourquoi pas – du pays.

Au Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel), l’on est certain d’une chose : si longue sera la transition, les élections finiront par se tenir. L’absence de calendrier électoral et les incertitudes sur l’avenir du fondateur du parti, Alpha Condé, n’empêchent pas les prétendants à la succession de se projeter. Un enjeu qui a déjà entraîné une cassure au sein du parti : d’un côté, les caciques qui revendiquent une légitimité historique et, de l’autre, les partisans d’un renouvellement générationnel.

Dans le premier groupe, on retrouve en tête de liste l’ancien tout-puissant ministre délégué à la Défense nationale chargé des affaires présidentielles, Mohamed Diané. Resté fidèle à Alpha Condé, il s’estime plus légitime que quiconque pour lui succéder à la tête du parti. Mais, au RPG, il ne fait pas l’unanimité. Certains l’accusent d’avoir isolé le président des militants et de n’avoir pas su déjouer le putsch du 5 septembre dernier. Ses mauvaises relations avec Mamadi Doumbouya, le chef des putschistes devenu président de la transition, sont également perçues comme un handicap.

Autre cadre historique du RPG, Amadou Damaro Camara, n’a pas renoncé à jouer les premiers rôles. Président de l’Assemblée nationale sous Alpha Condé, il en était le dauphin constitutionnel. Mais le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) a brisé son rêve de se retrouver en pleine lumière à l’occasion d’une vacance du pouvoir. Contacté par Jeune Afrique, il affirme toutefois que « [sa] priorité, c’est la libération d’Alpha Condé ».

L’OPINION ASPIRE A UN RENOUVELLEMENT. QUAND L’ÉLECTION SE TIENDRA, LES DIANÉ, KASSORY ET DAMARO AURONT 70 ANS

L’ancien Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, qui a rejoint le RPG en 2018, milite quant à lui pour que le prochain président du parti ne soit pas malinké (et pourquoi pas soussou, comme lui).

Bataille discrète

Interrogés sur leurs ambitions, les uns et les autres se cachent volontiers derrière le flou qui entoure la situation de l’ancien chef de l’État. « La bataille se déroule en coulisses, mais elle a bien lieu, confirme néanmoins un cadre du parti. Il y a plusieurs candidats qui se sont déclarés de façon discrète. » Commençant lui aussi par insister sur le fait que seul le sort d’Alpha Condé importe, l’ex-député RPG Souleymane Keïta concède à sa manière que la lutte a déjà commencé. « Ce sera un conflit intergénérationnel et c’est un congrès du RPG qui nous départagera, poursuit-il. Il y a clairement une “tendance jeune″ qui se démarque, à laquelle je suis personnellement favorable. »

« L’opinion publique aspire a un renouvellement de la classe politique, confirme un ancien ministre sous couvert d’anonymat. Quand l’élection se tiendra, les Diané, Kassory et Damaro auront 70 ans. » « C’est la loi de la nature », ajoute Diakaria Koulibaly, qui se verrait bien lui aussi à la tête du parti. Demain, quand j’aurai l’âge de la retraite, je ne forcerai pas les choses. »

Les nouvelles autorités peuvent-elles influer sur le sort du RPG ?« Si vous voulez que ça marche, laissez la place aux jeunes ! Vous avez fait votre temps et trahi le président », a récemment lancé Mamadi Doumbouya aux dirigeants de la formation et aux anciens ministres qu’il recevait. Mais pourrait-il aller jusqu’à faire introduire une limite d’âge pour briguer la présidentielle dans la Constitution et prendre le risque de se mettre à dos toute une partie de la classe politique ?

« De toute façon, les militants ne conçoivent pas qu’un des anciens puissent reprendre les rênes du RPG, explique un autre cadre du parti. Leur gestion n’a pas été bonne et il y a tous ces scandales d’enrichissement illicite qui pourraient les rattraper. » Et de tacler ces poids-lourds du RPG qui ont, selon lui, « acheté le soutien des jeunes militants grâce à l’argent accumulé lorsqu’ils étaient aux affaires ».

LA POPULARITÉ NE S’ACHÈTE PAS AU MARCHÉ. C’EST AVEC UNE IDÉOLOGIE QUE JE CONVAINCRAI

Notre interlocuteur cite volontiers Diakaria Koulibaly, ancien ministre des Hydrocarbures, qui aurait su se montrer fort généreux. Contacté par Jeune Afrique, l’intéressé se défend. « C’est facile de porter des accusations sur quelqu’un, mais encore faut-il pouvoir en apporter la preuve, rétorque-t-il. Et puis la popularité ne s’achète pas au marché : j’ai vu des candidats distribuer de l’argent pour ne recueillir qu’entre 2 et 7 % des voix. Le jour où je déciderai de refaire de la politique, c’est avec une idéologie que je convaincrai, pas avec de l’argent. »

« Rien n’est exclu »

Jeune quadragénaire plutôt en vue jusqu’à la chute de Condé, Diakaria Koulibaly souhaite-t-il lui succéder à la tête du RPG Arc-en-ciel ? « Des gens en émettent le souhait, répond-il. Certains jeunes viennent même à la maison parce qu’ils me considèrent comme accessible et attentif à leurs problèmes. C’est leur droit, mais je ne veux pas me prononcer à ce stade. » Un militant croit toutefois savoir que les ambitions de Koulibaly sont « un secret de polichinelle ». Plusieurs sources affirment même que si le parti devait ne pas le choisir, il pourrait envisager de lancer sa propre formation. « Rien n’est exclu », admet l’intéressé.

S’il devait se lancer, il trouverait également sur sa route Sanoussy Bantama Sow, ancien ministre réputé proche d’Alpha Condé, qui se verrait lui aussi prendre la relève. C’est un militant de longue date à la fidélité inébranlable, renvoyé de l’université dans les années 1990 pour avoir pris fait et cause pour « Alpha » quand celui-ci s’opposait à Lansana Conté. Comme Kassory Fofana, ce Peul de Moyenne-Guinée milite pour une alternance ethno-régionale à la tête du parti.

Descendre dans l’arène

Autre ambitieux : Ibrahima Khalil Kaba, ancien ministre des Affaires étrangères, longtemps perçu comme le dauphin potentiel d’Alpha Condé. Cela lui avait d’ailleurs valu des inimitiés dans l’entourage de l’ancien président et, aujourd’hui encore, ses relations avec Mohamed Diané, Tibou Kamara ou Kassory Fofana sont inégales. Khalil Kaba est un technocrate, plutôt moins marqué politiquement que plusieurs des prétendants précédemment cités. Mais lui aussi se prend à rêver du premier rôle. « Ce n’était pas son agenda, affirme l’un de ses proches. Mais il est hors de question de laisser ce pays entre les mains de ces vieux ! »

« Beaucoup de gens lui demandent de se positionner pour la reprise du parti, explique une source en interne. J’ai pour ma part un a priori positif parce qu’il n’a pas été mêlé à des scandales financiers. » « Mais il faudra qu’il descende dans l’arène politique, qu’il se fasse connaître, qu’il accepte de donner des coups et d’en recevoir », conclut l’un de ses proches. Pour l’instant, lui aussi insiste sur la nécessité de faire libérer Alpha Condé. Et cela lui fait au moins un point commun avec tous ses rivaux.

Burkina Faso : entre Roch Marc Christian Kaboré et Eddie Komboïgo, le bras de fer est engagé

Par  - à Ouagadougou
Mis à jour le 15 novembre 2021 à 16:18
 

 

Roch Marc Christian Kaboré et Eddie Komboigo. © roch-christian kaboré et eddie komboigo © Montage JA; V.Fournier/JA; Sophie Garcia pour JA

Le chef de l’opposition burkinabè vient de lancer un ultimatum au président. Eddie Komboïgo laisse un mois à Roch Marc Christian Kaboré pour mettre fin aux actions sanglantes des groupes terroristes. Ou il appellera ses partisans à descendre dans la rue.

Au lendemain de l’attaque meurtrière d’Inata qui a fait au moins vingt morts dans les rangs de l’armée burkinabè dimanche 14 novembre, Roch Marc Christian Kaboré se sent-il sous pression ? Ce nouveau drame tombe en tout cas on ne peut plus mal. En plus d’aiguiser tristesse et colère au sein d’une population régulièrement en deuil, il donne du grain à moudre au patron de l’opposition. Cinq jours plus tôt, mardi 9 novembre, Eddie Komboïgo avait fait de l’insécurité une arme politique. Le chef du parti de l’ancien président Blaise Compaoré, le Congrès pour la démocratie et la paix (CDP) avait musclé le ton face à l’exécutif, dénonçant son apathie devant les attaques terroristes qui frappent des pans entiers du pays.

Mission impossible pour le président ? Komboïgo a demandé à Kaboré de faire en un mois ce que personne n’est parvenu à réaliser en dix années au Sahel : mettre fin aux violences des groupes terroristes. Le leader d’opposition menace en tout cas de faire descendre ses partisans dans la rue. « Si rien de concret ni de sérieux n’est entrepris d’ici là, l’opposition appellera à des manifestations pour réclamer la démission immédiate du président du Faso et de son gouvernement », a-t-il annoncé. Confronté aux groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique depuis ces cinq dernières années, le Burkina connaît une dégradation grave de sa situation sécuritaire, constate l’opposition qui exige donc des mesures urgentes.

Affaire politique

Depuis l’attaque sanglante de Solhan qui a fait 132 victimes en juin dernier, l’armée burkinabè peine à contenir l’avancée de ces groupes armés. Alors que le pays était déjà en proie aux violences dans le Nord et l’Est, un nouveau front a vu le jour dans la région de Mangodara, près de Banfora, dans le Sud-Ouest frontalier de la Côte d’Ivoire. Les exactions causées par les hommes armés ont fait plus de 2 000 morts depuis 2015 et contraint plus d’1,4 million de personnes à fuir de chez elles, notamment dans le Sahel et le Nord du pays.

Récemment, le gouvernement appelait à un « sursaut patriotique » contre les groupes terroristes. « Je demande aux forces armées nationales de se mobiliser pour lancer l’offensive décisive en vue de reprendre le contrôle de tout le territoire national », a déclaré le ministre de la Défense, le général Aimé Barthélemy Simporé, lors de la commémoration du 61e anniversaire de la création de l’armée burkinabè.

Si le président Kaboré n’a pas officiellement réagi aux menaces proférées par son principal opposant, ses partisans s’en sont chargés. Réponse du berger à la bergère : c’est le président de l’Assemblée nationale, Allassane Bala Sakandé, qui a haussé le ton lors d’une réunion du bureau politique du parti présidentiel. « Nous entendons des gens qui prédisent le chaos. Il n’y aura pas de coup d’État car les forces de défense et de sécurité (FDS) sont républicaines, a-t-il affirmé ». « Eddie Komboïgo essaie de mettre la pression sur l’exécutif, commente un observateur avisé de la politique burkinabè. Mais il est impossible de régler cette question d’insécurité en si peu de temps. » Un simple stratagème politique ? À quatre ans de la prochaine présidentielle, le bras de fer est déjà engagé.

Le conflit oublié du Sahara occidental

 
 

Depuis un an, les indépendantistes sahraouis du front Polisario ont repris leurs opérations militaires contre l’armée marocaine, après quasiment trois décennies de cessez-le-feu. Un conflit asymétrique dont ils espèrent qu’il relancera les négociations autour de ce territoire au statut contesté, au cœur de la tension diplomatique entre le Maroc et l’Algérie.

De notre envoyé spécial dans les camps de réfugiés sahraouis et dans les territoires contrôlés par la République arabe sahraouie démocratique,

À 6 km en face de nous s’élèvent des panaches de fumée. Allongés au sommet d’une dune de sable et de petits cailloux noirs rendus brûlants par le soleil, nous observons en compagnie de combattants de l'armée populaire de libération sahraouie (APLS), la branche armée du front Polisario, le résultat de tirs à l’arme lourde sur les positions marocaines.

L’objectif, c’est le mur de sable, ce dispositif défensif marocain dont la construction a débuté en 1980 pour éviter les incursions de miliciens indépendantistes, et dont l’agrandissement et le perfectionnement n’ont cessé depuis. Plus de 2 700km de fortifications parcourent le Sahara, de la côte atlantique à la frontière avec l’Algérie. Plusieurs lignes séparées de fossés, entourées de mines, abritant des bunkers, protégées par des radars, des drones, et si besoin est, des unités héliportées et la chasse des forces aériennes royales.

Sur cette fortification coupant en deux le territoire de l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental, les combattants tirent à la mitrailleuse lourde, lancent quelques roquettes Grad installées à l’arrière de pick up dont les cabines ont été sciées à la disqueuse. La plupart des équipements de l’APLS date de la première phase du conflit, entamé à la fin de 1975, et close par le cessez-le-feu de 1991. 

Le « mur de la honte »

Les commandants des diverses unités de l’APLS sont tous des vétérans de cette époque. Ils utilisent la seule stratégie à leur disposition : « frapper vite la nuit et le jour pour ne pas laisser les Marocains tranquilles », explique Abba Ali Hamoudi, le chef de la sixième région militaire, la plus proche de leur base arrière algérienne. Blessé sept fois, opéré en France, ce sexagénaire de haute stature est encore là pour ramper avec ses hommes et suivre le déroulement de l’opération qu’il a initiée.

Les combattants sahraouis sont des volontaires, et pour eux ce « mur de la honte » représente une déchirure, une séparation : « Quand je le vois, je pense à mes grands-parents qui sont restés de l’autre côté et que je n’ai jamais vus », nous dit Saïd, caméraman de la télévision sahraouie qui suit et filme les opérations. « La moitié de ma famille se trouve de l’autre côté. Ca me fait beaucoup de mal, clairement. Il faut que nous revenions sur nos terres, il n’y a pas d’autre issue possible », témoigne-t-il.

Parfois, comme sous nos yeux, la défense marocaine réplique. D’autres fois, elle ne s’en donne pas la peine. Le temps d’identifier l’origine de ces tirs, et les combattants sahraouis sont déjà remontés à bord, sillonnant le reg, ce désert rocailleux, sur leurs véhicules. C’est la définition même du conflit asymétrique et de basse intensité. En un an, l’APLS, qui dit tirer chaque jour des roquettes, a perdu une quinzaine d’hommes au combat. Le Maroc n’a jamais communiqué de bilan de son côté.

Un « territoire non-autonome »

Pour le Maroc, l’engrenage n’est pas souhaitable. Le statu-quo permet au royaume de consolider sa mainmise sur ce qu’il appelle les « provinces du sud ». Il contrôle 80% de la superficie de l’ancienne colonie espagnole, et toutes les ressources naturelles : phosphate, pêche, agriculture et tourisme.

Vu de Rabat, le « Sahara marocain » est lié à la monarchie depuis l’époque précoloniale. Si cette proximité historique a été reconnue par la Cour internationale de Justice en 1975, celle-ci a conclu que le droit à l’autodétermination des peuples primait. C’est sur cette base que le Sahara occidental est toujours considéré par les Nations unies comme un « territoire non-autonome », le dernier en Afrique, et que la Cour de justice de l’Union européenne a récemment estimé que les produits venant de cette région ne pouvaient être assimilés à des produits marocains.

► À écouter aussi: Au Sahara Occidental, «Il n'y a pas un véritable message clair de soutien» du Conseil de sécurité

De son côté, le Maroc propose une autonomie pour ces provinces sous la souveraineté du roi, et des négociations sous-régionales impliquant l’Algérie, parrain du Polisario, ce que rejette Alger.

Pour les Sahraouis, la perspective est toute autre. Le cessez-le-feu de 1991 avait entrouvert la porte vers un référendum. Mais les années ont passé et la situation n’a pas changé. Le front Polisario, épine dorsale de la République arabe sahraouie démocratique, proto-État en exil dans les camps de réfugiés de la région de Tindouf, en Algérie, a perdu plusieurs de ses soutiens. Mouammar Kadhafi n’est plus là, Fidel Castro non plus, et la révolution n’est plus vendeuse sur le plan diplomatique. Ni l’Algérie, ni les pays de l’Afrique australe n’ont empêché le retour du Maroc au sein de l’Union africaine en 2017.

« La révolution n’est pas une option mais notre responsabilité »

L’immuabilité des positions a bloqué tout le travail diplomatique des différents représentants onusiens, qui ont jeté l’éponge les uns après les autres. Le dernier nommé, Staffan de Mistura, a pris ses fonctions le 1er novembre, après deux ans de vacance du poste.

Autant qu’à Rabat, les cibles du courroux des Sahraouis sont à Paris ou Washington, alliés indéfectibles du Maroc, « qui empêchent le déploiement d’une véritable mission de l’ONU, et l’application du droit international », nous dit un jeune militaire. L’administration Biden n’est pas revenue sur la décision de Donald Trump de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. « Notre liberté, personne ne nous la donnera » renchérit un autre combattant, « la révolution n’est pas une option mais notre responsabilité », ajoute Omar Deidh.

Ce jeune homme de 23ans incarne ce que le leadership du front Polisario veut absolument mettre en avant : passionné de sciences politiques et de numérique, il a étudié dans plusieurs pays étrangers, parle parfaitement l’anglais et l’espagnol, mais vient de se mettre au service de l’APLS dont il entend devenir un officier tout en relisant l’exemplaire de L’art de la guerre de Sun Tzu qu’il garde dans la poche de sa veste.

Ces jeunes cadres éduqués, formés, au discours moderne mais aussi capable de s’enflammer pour la défense de leur cause sont opposés aux militaires marocains en faction sur le mur « qui ne sont là que pour un solde minable, et décamperont dès que leur vie sera vraiment en jeu », dixit Omar Deidh.

À quelques heures de piste du mur, s’étendent les camps de réfugiés accueillant depuis 1976 les Sahraouis en exil. Selon les Nations unies, ils étaient 173 600 fin 2017, répartis en cinq wilayas. Ces communes ont pris le nom de villes situées dans ce qu’on appelle ici les « territoires occupés » : Laayoune, Aousserd, Smara et Boujdour encadrent le site administratif de Rabouni. Plus loin vers le sud se trouve Dakhla.

Les populations y survivent grâce à l’aide humanitaire internationale et au soutien matériel de l’Algérie qui a construit les routes, alimente les centrales électriques en hydrocarbure et prend en charge les malades qui ne peuvent être soignés par les hôpitaux sahraouis.

Dans les camps, il nous est difficile de nous déplacer sans un traducteur affilié au front Polisario. Si le mouvement sahraoui n’est pas connu pour réprimer les voix dissidentes, ceux qui acceptent de nous parler savent dans quel contexte ils s’expriment, puisqu’il encadre toutes les facettes de la vie ici.

Néanmoins, le retour à l’état de guerre semble populaire. Il permet de mobiliser une jeunesse qui n’a connu que l’exil, les familles coupées en deux et le fait accompli. Peut-être aussi de canaliser certains candidats à une démarche plus radicale, qui a vu d’anciens réfugiés des camps rejoindre des groupes jihadistes au Sahel, tel Abou Walid al-Sahraoui, chef du groupe Etat islamique tué par les Français mi-août.

« Nous ce qu’on veut, c’est retrouver notre terre »

Derrière une mosquée du camp de Boujdour, la moins peuplée des cinq wilayas, un groupe de jeunes se présentant comme des militaires en congés, nous assurent de leur enthousiasme : « Nous ce qu’on veut, c’est retrouver notre terre. Pour cela, il nous faut nous battre. Moi j’étudiais dans un centre de formation, ici, mais en novembre quand la guerre a repris, j’ai rejoint l’armée. C’est la décision qu’on attendait. »

Des combattants des années 80 ont renfilé leurs treillis, et d’autres ont rejoint les camps d’entrainement du front Polisario. Dans le détachement qui nous accompagnait au front, Ahmed faisait sa première sortie en tant que militaire. Ce père de deux enfants en bas âge sort à peine de formation. Il a pourtant 40 ans : « J’ai travaillé à droite à gauche, dans des commerces, puis dans le bâtiment. Et puis, en novembre, j'ai rejoint l'armée et les camps pour les volontaires. Il y a beaucoup de monde là-bas, beaucoup de jeunes, qui attendaient ce jour, qui étaient frustrés, et d’ailleurs nos centres n’ont pas assez de place pour tant de volontaires » assure-t-il, sachant que nous n’aurons pas les moyens de vérifier cette assertion.

Cet engouement n’est-il pas vain face à la supériorité technique marocaine ? « Nos grands-pères avaient de simples fusils et ils se sont battus quand même. Maintenant on espère que le Polisario trouvera un moyen de nous avoir des armes plus sophistiquées », relativise un jeune de Boujdour.

Certains affirment pourtant que le mouvement indépendantiste a du rompre le cessez-le-feu à son corps défendant, contraint de réagir aux évènements de Guerguerat. À ce poste-frontière avec la Mauritanie, considéré comme une zone tampon par l’accord de cessez-le-feu de 1991, des militants ont en novembre 2020 organisé des sit-in pour protester contre le bitumage de la route par le Maroc, des travaux devant faciliter le trafic des camions. Une « provocation » pour ces volontaires, dont certains n’ont pas hésité à faire six jours de piste et 1 500km pour venir des camps de réfugiés.

Parmi eux, Fatoumata Ment Moyssa nous reçoit pour le thé dans son salon du camp d’Aousserd. Mère et grand-mère âgée de 68 ans, elle est partie dans un convoi d’une soixantaine de personnes sans en référer aux autorités sahraouies : « Ce sont des gens d’ici, des campements, qui se sont organisés. On parlait de ce que faisait le Maroc à Guerguerat, et on a décidé d’aller sur place. On ne peut pas rester éternellement dans cette situation, donc a décidé de faire quelque chose, de manifester. On n’a pas demandé l’avis du gouvernement. On ne nous a pas aidé, mais on ne nous a pas empêché de partir. On ne pensait pas que cela amènerait au retour des hostilités, mais que cela permettrait d’attirer l’attention internationale sur notre situation. »

En ce milieu du mois d’octobre, les écoliers chantent dans les rues, en tenue de fête, des slogans favorables à l’indépendance. C’est la fête de l’Unité, fête nationale de la RASD. L’occasion de souligner et de faire vivre la singularité culturelle sahraouie, la langue hassaniya, les costumes et la musique locales.

« Nous sommes un peuple minoritaire en Afrique du nord », explique Ahmed-Nah, étudiant en France et jeune cadre du Polisario au sein de la diaspora, rentré pour l’occasion, « mais nous sommes plus solides que jamais. Nous n’avons pas la même culture que les Marocains ou les Algériens, alors ce moment de transmission est primordial pour nous ».

Lui aussi veut croire en des lendemains qui chantent : « l’espérance est ici depuis le début et jusqu’à maintenant. Nos grands-parents sont peut-être morts sans avoir vu l’indépendance, mais nous, ou nos enfants, nous verrons ce jour, et ça j’en suis sûr ».

 

Libye : le grand retour des Kadhafi

 
Mis à jour le 15 novembre 2021 à 11:53
 


Seif el-Islam Kadhafi, candidat à la présidence libyenne. © DR

L’événement était attendu depuis plusieurs semaines : le fils de Mouammar Kadhafi, Seif el-Islam, a déposé sa candidature à la présidence libyenne ce 14 novembre, dans la ville de Sebha.

Il est arrivé au centre électoral de Sebha à grand renfort de klaxons et toutes sirènes hurlantes : après dix ans d’éclipse politique, Seif el-Islam Kadhafi a déposé son dossier de candidature à la présidence libyenne le 14 novembre. Il lui a également été délivré sa carte d’électeur.

Retour de Béchir Saleh

Le fils « préféré » de l’ancien « Guide » avait prévu d’annoncer sa candidature quelques jours plus tôt, mais la perspective de la Conférence de Paris du 12 novembre l’a incité à repousser la date de dépôt de son dossier de candidature afin de ne pas perturber le rendez-vous. Lequel a abouti à un communiqué commun appelant « à la pleine mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu […] et à la tenue des élections présidentielle et législatives le 24 décembre 2021 ».

L’annonce de la candidature du rejeton de Mouammar Kadhafi a été accompagnée de scènes de liesse dans le pays, en particulier à Sebha et Tobrouk, où le drapeau vert du régime précédent a été brandi. Surtout, elle a été suivie du retour au pays de Béchir Saleh, l’argentier de Mouammar Kadhafi et ex-patron du Libyan African Investment Portfolio, après dix ans d’exil, toujours à Sebha, où, selon toute vraisemblance, il a retrouvé Seif el-Islam.

Le cousin de Mouammar Kadhafi, Ahmed Kadhaf al-Dam, toujours installé au Caire, et qui avait permis le ralliement de nombre de kadhafistes à Khalifa Haftar, s’est exprimé pour soutenir Seif el-Islam. L’annonce de la candidature de ce dernier est incontestablement un coup dur pour le maréchal.

IL NE RESTE PLUS QUE CE DOSSIER À LA CPI, IL EST NORMAL QU’ELLE S’Y ACCROCHE », BALAIE SON ENTOURAGE

Seif el-Islam devrait s’exprimer dans les prochains jours et annoncer la création d’un parti. Reste que ses démêlés judiciaires risquent de compliquer sa campagne. Il est notamment réclamé par la Cour pénale internationale (CPI) pour des allégations de crime contre l’humanité durant la répression de la révolte de 2011. « Le mandat d’arrêt de la CPI reste en vigueur et n’a pas changé », a ainsi confirmé Fadi al-Abdullah, porte-parole de la CPI dans la foulée de l’annonce.

« Désormais incontournable »

Une perspective qui n’inquiète pas outre mesure l’entourage de Seif el-Islam. « Il ne reste plus que ce dossier à la CPI, il est normal qu’elle s’y accroche », balaie ainsi son entourage. Qui confirme que son dossier a bien été accepté par la Commission électorale. Un rapprochement avec le Premier ministre, Abdulhamid Dabaiba, qui a déjà eu l’occasion de travailler avec Seif el-Islam Kadhafi sous l’ancien régime, est en cours.

Alors que des contacts ont déjà été établis avec l’Élysée, l’ex-attaché de défense de l’ambassade de France à Tripoli Benoît de La Ruelle a estimé dans un post publié sur le réseau LinkedIn que Seif el-Islam Kadhafi est « désormais incontournable dans le jeu politique libyen ». Pour l’entourage du fils Kadhafi, il ne subsiste plus de doute sur le fait que la candidature de Kadhafi est acceptée par la France.

Covid-19: des réticences à se faire vacciner dans la population en Afrique de l'Ouest

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La campagne vaccinale anti-Covid-19 ne prend pas au Sénégal ou au Bénin. Michele Spatari AFP/File

Les vaccins anti-Covid-19 sont désormais disponibles en quantités conséquentes en Afrique ; pourtant seule 5,7% de la population a accompli un schéma vaccinal complet, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Au Bénin ou Sénégal, par exemple, la population est réticente à se faire vacciner.

Il y a près d’un mois, le conseil des ministres du Bénin décidait de maintenir les mesures de restriction liées au Covid-19, tant que le taux de vaccination national ne se serait pas amélioré. Selon les chiffres officiels, le pays a enregistré un peu moins de 25 000 cas de contamination au coronavirus confirmés au total, dont 161 décès. En début de semaine dernière, le taux de vaccination n’atteignait pas les 4%.

« J'ai encore des doutes »

Dans les rues de Cotonou, une certaine réticence s'exprime encore, remarque notre envoyée spéciale à CotonouMagali Lagrange. Quelques personnes patientent, devant une salle d’un centre de santé, où ils vont se faire vacciner contre le coronavirus. Les patients se voient remettre une fiche d’information… avant de recevoir l’injection. Hervé avoue avoir hésité : « J'ai décidé, après un certain moment, de me faire vacciner pour apporter ma contribution et surtout que j'ai des parents âgés avec moi. Avec tout ce que l'on entendait sur les réseaux sociaux, ça fait qu'on est un peu réticent. »

Une réticence exprimée par d’autres. Sur sa moto, un jeune homme est à l'extérieur du centre de santé où il accompagne sa femme. « J'ai amené ma femme pour se faire vacciner. J'ai encore des doutes sur ça. Donc je réfléchis toujours si je veux... Pour ma femme, c'est parce qu'on lui a exigé dans son service. Elle est venue faire ça juste pour ne pas perdre son emploi. »  

À ses côtés, un conducteur de moto taxi sort un carnet de vaccination de sa sacoche. Il s’est vacciné, dit-il, pour suivre les recommandations des autorités. La vaccination contre le Covid est entièrement gratuite au Bénin. Les autorités la recommandent à partir de 18 ans. Elle est obligatoire, notamment, pour les personnels de santé.

Blandine Toundo, agent vaccinateur, charlotte sur la tête, se montre rassurante : « Ceux qui viennent et qui hésitent, on essaye de les amener à accepter le vaccin en leur expliquant que dans le vaccin, il n'y a rien de grave et que nous-même les agents de santé, on l'a fait. Et on est bien portant. »

Même situation au Sénégal  

Au Sénégal, la professeure Maïmouna Ndour Mbaye, directrice du Centre Marc Sankalé à Dakar explique que la couverture vaccinale peine aussi à se mettre en place. Pour elle, la mise en place d'un passe sanitaire ne fonctionnerait pas au Sénégal, il faut que la vaccination soit acceptée avant tout :

Il faut que [la vaccination] soit culturellement acceptée par la société. Si ce n'est pas le cas, on va droit dans le mur. Il faut inclure les guides religieux, les guides coutumiers pour que cette stratégie-là soit acceptée par la société.

Professeure Maïmouna Ndour Mbaye: «Nous n'arrivons pas à convaincre les populations de se faire vacciner» au Sénégal

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