Vu au Sud - Vu du Sud

Togo : plus Faure que jamais

| Par
Faure Essozimna Gnassingbé, le 3 février 2020 lors de l'inauguration  d'une centrale photovoltaîque en compagnie de Mohammed Ben Zayed, prince héritier d'Abou Dabi (EAU).

Selon des résultats provisoires, le président togolais, Faure Essozimna Gnassingbé, a été réélu avec plus de 70 % des suffrages. Mais que fera-t-il de ce quatrième mandat ?

À quoi pense-t-il, en ce 23 février au soir ? À son père, ce chef omnipotent auquel il ressemble si peu et dont la mort, quinze ans plus tôt, l’a propulsé au pouvoir ? À ces dizaines de milliers de manifestants qui, il y a encore deux ans, arpentaient les rues de Lomé en réclamant la fin de la « dynastie Gnassingbé » ? Ou à ses opposants, si divisés qu’ils ont paru en oublier de faire campagne ?

La question lui serait posée qu’il n’y répondrait certainement pas : Faure Essozimna Gnassingbé, 53 ans, n’est pas homme à se laisser aller à la confidence. Mais peut-il encore douter du fait que la commission électorale va proclamer sa victoire à l’issue de l’élection présidentielle qui s’est tenue la veille ? Sans doute pas.

Annoncés dans la nuit du 23 au 24 février, les résultats provisoires lui ont finalement donné 72,36 % des suffrages. En face, Jean-Pierre Fabre, le candidat de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), s’est effondré, obtenant moins de 5 % des voix. L’ancien chef de file de l’opposition paie-t-il des choix politiques hasardeux, lui qui a refusé l’idée d’une candidature unique ? C’est possible.

Désaveu cinglant

La lassitude des électeurs a également joué contre ce routier de la politique togolaise, raide et intransigeant, qui briguait la magistrature suprême pour la troisième fois consécutive. Mais alors qu’en 2010 et 2015 il était parvenu à obtenir autour de 35 % des voix, le désaveu est cette fois cinglant et, à Lomé, certains pronostiquent la fin de sa carrière politique.

Contre toute attente, l’homme qui est parvenu à émerger, c’est Agbéyomé Kodjo. Quoique contesté par l’intéressé, qui dénonce « une mascarade électorale » et a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle, son score (18,37 % des voix) augure d’une vraie reconfiguration de l’opposition.

L’ex-Premier ministre de Gnassingbé Eyadéma est, dans son combat, soutenu par Philippe Fanoko Kpodzro. Déjà très présent durant la campagne, le fougueux archevêque émérite de Lomé est allé jusqu’à demander au pape François de « s’autosaisir du dossier togolais comme le ferait le Christ ».

Il y a pourtant peu de chance pour que la justice prenne le contre-pied de la commission électorale et mette Faure Essozimna Gnassingbé en difficulté. Certes, Washington a critiqué l’expulsion, trois jours avant le vote, des experts du National Democratic Institute (NDI) qui devaient observer le scrutin. Les États-Unis ont également suggéré au gouvernement togolais de publier les résultats « bureau de vote par bureau de vote » afin qu’aucun doute ne subsiste. Mais c’est à peu près tout.

Rien aujourd’hui ne l’oblige à mener une politique de large ouverture

Il faut dire que, ces dernières années, attachée à la stabilité du Togo, sensible à sa résilience face aux pressions qu’exercent les jihadistes présents au nord de ses frontières, attentive aussi à ses bonnes performances macroéconomiques, la communauté internationale a manifesté une certaine bienveillance à l’égard de son discret président. Elle s’est même accommodée de la révision constitutionnelle qu’il a fait adopter par voie parlementaire en mai 2019 et qui lui a permis de se représenter.

Que fera Faure Essozimna Gnassingbé de ce quatrième mandat ? « Il a été réélu avec un score confortable et n’a pas besoin de poser des gestes d’apaisement, avance l’universitaire Kokou Folly Hetcheli. Je ne vois pas ce qui le contraindrait à mener une politique de large ouverture. » « Aucune espèce de tractation n’est envisagée, confirme un ministre qui lui est proche.

Les élections se sont déroulées dans la clarté et la transparence. C’est la preuve que les Togolais ont adhéré à la vision prônée par le chef de l’État. » Un membre de son entourage précise qu’il « y aura davantage de dialogue et de concertation pour rassembler toutes les composantes de la société, afin que chaque citoyen se sente pris en compte pour une prospérité partagée », mais que « cette volonté d’ouverture n’impose pas de lancer des arrangements politiques ».

Vents favorables

Sur le plan économique, l’exécutif va poursuivre les efforts engagés dans le cadre du Plan national de développement (PND), lancé en mars 2019. Après avoir assaini les finances publiques et consenti des réformes pour renforcer l’attractivité du Togo, le chef de l’État veut approfondir les résultats obtenus et faire du PND le catalyseur de l’investissement privé, notamment dans les secteurs de la finance et de la logistique.

Une perspective qui permet à Lomé de tabler sur une croissance de 6,2 % cette année, contre 5,3 % en 2019. En espérant que la dégradation sécuritaire dans le Sahel ne contaminera pas le Togo et ne stoppera pas les vents favorables qui soufflent sur Lomé.

Transhumance au Sahel: plus de 400 éleveurs bloqués entre le Burkina et le Bénin

La transhumance des troupeaux dans le Sahel (photo d'illustration).
La transhumance des troupeaux dans le Sahel (photo d'illustration). Marco LONGARI/AFP

De mars à juin, durant la période de soudure, la plupart des troupeaux des pays sahéliens viennent chercher des pâturages dans les pays côtiers. Mais cette année, le Bénin a décidé de fermer ses frontières aux transhumants étrangers, pour des raisons de sécurité. Un arrêté a été pris à cet effet le 26 décembre. Seul le Niger bénéficie d'une mesure d'exception. Pour les éleveurs sahéliens, cette interdiction rend leur situation critique.

Publicité

Diallo Hama vient de la commune de Tambaga, dans l'est du Burkina Faso. Il a parcouru 200 kilomètres avec son troupeau pour atteindre la frontière béninoise, où il est bloqué. La saison a été dure, les pluies insuffisantes, Diallo Hama a besoin de pâturages. « Il y a le problème de l’eau, le problème des arbres… Aujourd’hui, il y a quelques troupeaux qui ne peuvent même pas se lever. Les animaux vont mourir. »

Mais le Bénin a lui-même fait les frais de pluies capricieuses cette année. Wolou Alawolé, est le point focal de la transhumance au ministère de l'Élevage. « Beaucoup de nos aires de pâturage sont parties du fait des inondations. Les sécheresses ont aussi contribué à réduire très fortement la biomasse qu’on pouvait espérer en temps normal. »

C'est aussi au nom de la sécurité que le Bénin a choisi de fermer ses frontières aux transhumants. Dodo Boureima, président du réseau d'éleveurs ouest-africain Bilital Maroobé, regrette que les pasteurs soient ainsi stigmatisés. « On fait souvent un amalgame, on dit que ce sont les transhumants qui véhiculent la violence. Or un éleveur cherche à sauver son troupeau. Il ne peut pas se mêler à ce genre de choses. »

À partir de ce dimanche, les éleveurs nigériens peuvent venir au Bénin, mais à des conditions strictes : seuls trois points d'entrée ont été autorisés, les noms des transhumants doivent avoir été transmis au préalable et le nombre de têtes de bétail est limité à 50 000.

À lire aussi : Au Sahel, le nombre de personnes en insécurité alimentaire a doublé en un an

Bénin [série 4/4]: la transhumance transfrontalière encadrée

Mali: l'imam Dicko fait sa rentrée politique

L'imam malien Mahmoud Dicko lors du lancement de son mouvement politique la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS), le 7 septembre 2019 à Bamako.
L'imam malien Mahmoud Dicko lors du lancement de son mouvement politique la Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS), le 7 septembre 2019 à Bamako. MICHELE CATTANI / AFP

Dignitaire religieux influent dans le pays, l'Imam Mahmoud Dicko, ancien président du Haut Conseil islamique du Mali et parrain d'une Coordination de sympathisants, la CMAS, est intervenu ce samedi 29 février au cours d'un meeting à Bamako. Il a abordé la situation de l'école malienne, paralysée par une grève des enseignants, mais aussi le dialogue avec les jihadistes et la gouvernance du Mali.

Avec notre correspondant à Bamako, Serge Daniel

Comme d’habitude, lorsqu’il est annoncé, la salle est pleine. Et comme d’habitude, il prend le dernier la parole.

La situation de l’école malienne inquiète Mahmoud Dicko. L’imam comprend les enseignants en grève depuis plusieurs semaines. Il demande la reprise des cours et en même temps, il exhorte au gouvernement de trouver une solution aux revendications financières des enseignants.

Si la situation reste bloquée, l'imam pourrait, vendredi prochain, appeler à une grande manifestation. « Vendredi, a déclaré Mahmoud Dicko, c’est tout simplement une mobilisation citoyenne. Si vraiment on ne se met pas ensemble pour trouver notre solution, on n’aura pas de solution. »

Appel au jihadistes

Pour sa rentrée politique, le religieux dénonce également la mauvaise gouvernance. Il s’inquiète par ailleurs de l’insécurité qui se propage dans le centre du Mali. Et puis, sujet inévitable, il évoque le dialogue avec les jihadistes. S'il s'y déclare favorable, il leur demande d'observer une trêve sur le terrain.

« J’ai lancé un appel parce que le pays tout entier aujourd’hui est d’accord pour qu’on parle avec eux, explique Mahmoud Dicko. Il faut que de leur côté, ils acceptent qu’il y ait une trêve et montrent un signe de bonne volonté. »

L’imam malien, qui est désormais le parrain d’un mouvement politique, la CMAS, ne veut plus se taire. Il veut manifestement peser de plus en plus sur le cours des événements. Officiellement, il répète qu’il n’a pas d’ambition politique, pas d’agenda. Mais ici, certains ont du mal à le croire.

À écouter : Mali: l'imam Dicko défie le gouvernement

Contestation en Guinée: Conakry prend des allures de ville morte

Affiche de campagne dans une rue de Conakry, en Guinée, le 26 février 2020.
Affiche de campagne dans une rue de Conakry, en Guinée, le 26 février 2020. JOHN WESSELS / AFP

Nouvelle journée de mobilisation pour les Guinéens à l’appel du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) avant le double scrutin de dimanche 1er mars. Les citoyens devront élire leurs députés et donner leur avis sur le projet de réforme de la Constitution. Société civile et opposition protestent ce jeudi contre un éventuel 3e mandat du président Alpha Condé

Avec notre envoyée spéciale à Conakry, Bineta Diagne

La plupart des commerces et restaurants sont fermés. La circulation est fluide sur la route « le Prince », traditionnellement embouteillée par des véhicules et des motos. Il faut dire que le mot d’ordre du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) était assez général : il n’y a pas de lieu de rassemblement précis. Le FNDC appelle les habitants à sortir dans leurs quartiers, en signe de protestation.

À Hamdallaye, quartier favorable à l’opposition, les habitants restent terrés chez eux. « Je ferme ma boutique en signe de protestation contre le projet de changement de Constitution », disait ce matin, Ousmane Barry. Comme lui, plusieurs commerçants et habitants optent pour le silence pour afficher leur mécontentement. Aïssatou Diallo, cadenas à la main, a clôturé sa boutique, de peur de subir des pillages.

Activité très calme aussi, dans le quartier de Taouyah, où quelques boutiques seulement ont ouvert. À l’image de la quincaillerie tenue par Moussa Camara : « Ces journées ville morte sont inutiles, il faut aller voter dimanche pour s’exprimer ».

À noter enfin que des heurts ont été signalés dans le quartier de Wanindara, en banlieue de Conakry. Cela se traduit par des échanges de jets de pierre entre jeunes et forces de sécurité.

Togo: Mgr Kpodzro et Gabriel Agbéyomé Kodjo confinés à domicile

Mgr Philippe Kpodzro en campagne, assis aux côtés du candidat Agbéyomé Kodjo, le 14 février 2020.
Mgr Philippe Kpodzro en campagne, assis aux côtés du candidat Agbéyomé Kodjo, le 14 février 2020. Peter Sassou Dogbe/RFI

L’appel à manifester de Mgr Philippe Kpodzro vendredi à Lomé a été étouffé, lui-même et son candidat Gabriel Agbéyomé Kodjo ayant été confinés chez eux toute la journée. Les maisons ont été quadrillées, les issues bouchées et les manifestants empêchés de se rassembler.

Publicité

Avec notre correspondant à Lomé, Peter Sassou Dogbé

Toute la journée Mgr Philippe Kpodzro et Gabriel Agbéyomé Kodjo sont restés confinés chez eux. Mais Mgr Kpodzro a pu sortir pour aller protester auprès de la délégation de l’Union européenne.

À sa sortie, il nous a confié ceci : « Je viens me plaindre pour qu'on remette de l'ordre. S'ils ont fait cela, c'est pour m'empêcher justement de présider le rassemblement que j'ai convoqué pour ce soir dans le "Bas-Fond" du collège Saint-Joseph. »

Le prélat a voulu faire la même démarche à l’ambassade des États-Unis mais s’est retrouvé devant une porte close avant d’être contraint par les gendarmes à retourner chez lui, l’empêchant ainsi d’aller au rassemblement sur le terrain du Bas-Fond.

► Lire aussi : Élections au Togo: la dynamique Kpodzro renforcée par la réaction américaine aux résultats

Selon le général de brigade, Yark Damehame, ministre de la Sécurité, ce dispositif mis en place autour des domiciles des deux personnalités était pour leur sécurité.

Ceux qui ont tenté de se rassembler dans les environs du collège Saint-Joseph ont essuyé des gaz lacrymogènes et des coups de matraque. Ce sont des récalcitrants qui ont tenté de se rassembler, a déclaré le ministre de la Sécurité, ils ont juste été repoussés et le calme est revenu dans la soirée, a conclu le ministre.