[Édito] Patrice Talon, patron de Bénin Inc.

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François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

Le président béninois Patrice Talon, lors de l'ouverture duy dialogue politique, le 10 octobre 2019 à Cotonou.

Quatre ans après son arrivée au pouvoir, et malgré des zones d’ombres, Patrice Talon a fait mentir les cassandres. Sa méthode, certes directive, produit des résultats.

Il y a quatre ans, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 2016, la plupart des observateurs doutaient des capacités de Patrice Talon à exercer le plus exigeant des jobs : celui de chef d’État. Comment, pouvait-on lire ou entendre, un homme d’affaires, certes doué mais centré sur sa propre réussite, pourrait-il travailler dans une perspective d’intérêt général et placer le service de la chose publique au-dessus de son destin, de sa fortune et de sa vanité personnelles ?

Un mois plus tard, au lendemain du second tour et de l’accession du natif de Ouidah au palais de la Marina, les mêmes se désolaient de voir un électorat jugé décidément bien immature préférer celui qui n’était à leurs yeux qu’un séducteur populiste, sorte d’avatar local de Silvio Berlusconi, plutôt qu’un brillant agrégé d’économie, don, qui plus est, de la France au Bénin.

C’était il y a quatre ans, et les cassandres ont dû, depuis, ravaler leurs prédictions passablement méprisantes, l’intéressé ayant apporté la preuve qu’un manager pouvait être pourvu de convictions, d’un idéal et d’un vrai sens de l’État.

Rationalisation

Certes, Patrice Talon ne peut prétendre à la sainteté. Ce fils de cheminot qui rêva d’être pilote d’avion est un personnage volontiers transgressif, parfois autoritaire, mais il a une idée plutôt claire de ce qu’il veut faire, se fixe un cap et sait s’y tenir. Dans le marigot de la politique béninois, complexe, scissipare, quasi incestueux à force de retournements d’alliances, la navigation à vue est une condition de survie.

Alors, forcément, ce type de personnalité et de gouvernance, déterminées à mettre un terme aux dérives d’une vie publique où le « modèle » démocratique est trop souvent synonyme d’hystérie permanente, cela tranche et cela dérange. C’est donc au forceps et au prix d’une crise postélectorale inédite, en avril-mai 2019, que Patrice Talon a mis en œuvre son projet de rationalisation d’un paysage politique béninois jusqu’alors quasi illisible.

Sa méthode est certes directive, mais il la revendique d’autant plus facilement que, sur les plans économique et social, les résultats du PDG de Bénin Inc. sont peu contestables. Par rapport à 2015, le taux de croissance a bondi de 2,1 % à 6,4 %, et le pays est enfin sorti de la liste des 25 États les plus pauvres de la planète. Au classement de l’indice de développement humain, et même si ses performances restent inférieures à la moyenne continentale, le Bénin est le premier de la zone Uemoa et le quatrième d’Afrique de l’Ouest.

Quinze places gagnées au classement de Transparency International et quatre sur celui de « Doing Business » démontrent que la lutte anti­corruption y est une réalité – certes imparfaite – et un corollaire indispensable des chantiers infrastructurels.

Impulsivité

Des zones d’ombre subsistent, bien sûr, notamment dans le domaine clé de l’éducation, où le Bénin peine à retrouver son statut, patiné, il est vrai, de « Quartier latin de l’Afrique francophone ». Et nul doute que Patrice Talon, qui n’est pas exempt de défauts et auquel il arrive de commettre des erreurs, peut parfois confondre l’engagement avec l’impulsivité.

Mais, à un an de la prochaine échéance présidentielle, le parcours au pouvoir accompli par ce seigneur de l’or blanc devenu chef de l’un des États les moins aisément gouvernables du continent prouve que l’on peut conjuguer ambition personnelle et ambition pour son pays au sein d’une même vision. Ce n’est pas si fréquent.