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L’or, une manne encore largement sous-exploitée en Afrique de l’Ouest

| Par - à Dakar
Lingot tout juste raffiné, au sein du complexe minier de Loulo-Gounkoto, exploité par Barrick, au Mali.

Lingot tout juste raffiné, au sein du complexe minier de Loulo-Gounkoto,
exploité par Barrick, au Mali. © Simon Dawson/Bloomberg via Getty Images

Si trois pays de la sous-région font désormais partie du top cinq des producteurs africains d’or, la Cedeao doit encore résoudre de nombreux défis liés à l’insécurité, l’énergie ou encore la régulation.

« L’Afrique de l’Ouest a plus de potentiel que n’importe quelle autre région de la planète. Sa géologie est semblable à celle du nord de l’Ontario, du Québec ou de l’Australie-Occidentale, des ceintures exceptionnellement prolifiques », nous confiait il y a quelques mois Richard Young, le patron du groupe minier canadien Teranga Gold Corporation (TGC), actif au Sénégal et au Burkina Faso.

La région se situe au troisième rang mondial des zones les plus riches en terrains aurifères, après l’Australie et le Canada.

Trois pays font désormais partie du top cinq des producteurs africains d’or, à commencer par le Ghana (l’ancienne Gold Coast), qui est devenu le plus grand producteur du continent avec 142 tonnes extraites en 2019, devant l’Afrique du Sud (118 t), le Soudan (76 t), le Mali (61 t, avec quinze mines industrielles exploitées) et le Burkina Faso (51 t, quatorze mines).

Si, selon les experts, la région est encore largement « sous-explorée », elle attire cependant un nombre croissant d’acteurs, à l’instar de Barrick Gold. Devenu le numéro un mondial du secteur après sa fusion avec Randgold Resources en janvier 2019, le groupe canadien est installé au Mali depuis une quinzaine d’années et est aujourd’hui présent au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Sénégal.

En filière en plein boom

C’est aussi le cas de ses compatriotes Iamgold (Sénégal, Burkina, Mali) et Endeavour Mining. Cette dernière compagnie, qui a racheté en mars la Société d’exploitation minière en Afrique de l’Ouest (Semafo) pour 640 millions de dollars (567 millions d’euros), est présente au Burkina, au Mali et en Côte d’Ivoire.

Parmi les pays où la filière se développe fortement, la Côte d’Ivoire, justement, a vu sa production passer de 7 t en 2009 à près de 30 t en 2019. Le pays compte aujourd’hui cinq mines industrielles, exploitées par Barrick, Endeavour Mining et l’australien Perseus Mining.

Au Sénégal, la mine industrielle qu’exploite Sabodala Gold Operations (SGO), filiale locale de Teranga Gold, a produit 18 t d’or en 2019, un record depuis son entrée en production, en 1998.

Délais raccourcis

Les nouveaux codes miniers élaborés par les différents pays pour attirer et sécuriser les investissements étrangers ont favorisé le boom de l’or et l’arrivée d’opérateurs venus du monde entier. Par exemple, l’obtention d’un permis minier peut se faire en un an, contre au moins cinq ans en Amérique du Nord.

Les principaux défis auxquels se trouvent confrontés les États et les professionnels de la filière sont l’insécurité liée aux attaques jihadistes dans le Sahel, le déficit en énergie et la cherté de l’électricité, ainsi que la nécessité de régulariser l’activité des mines artisanales et d’encadrer l’orpaillage, véritable fléau, tant pour les recettes de l’État que pour les investissements des opérateurs privés.

Nouveau gouvernement en Mauritanie : comme un air de déjà vu ?

| Par 
Mis à jour le 10 août 2020 à 17h53
Le président mauritanien Mohamed Ould El Ghazouani

Le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani a nommé un nouveau gouvernement après remise à la justice d’un rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les années Aziz. Sur 23 ministres, huit seulement sont nouveaux…

Depuis le 9 août, la Mauritanie a un nouveau gouvernement dirigé par le  Premier ministre nommé le 6 août, Mohamed Ould Bilal, 57 ans, précédemment conseiller du Chef de l’État pour les infrastructures.

Selon plusieurs observateurs, il s’agit plus d’un remaniement ministériel que d’un changement de gouvernement puisque, sur ses 23 membres, huit seulement sont nouveaux et que les ministères régaliens des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la Défense conservent leurs titulaires.

À l’ombre du rapport sur les années Aziz

En présentant la liste des ministres, Adama Bocar Soko, nouveau ministre-secrétaire général de la présidence de la République, a déclaré que la formation de ce nouveau gouvernement était « étroitement lié à l’enquête de la Commission parlementaire » conduite depuis le mois de janvier sur la gestion des affaires publiques durant les deux mandats de l’ancien président Ould Abdelaziz (2008-2019).

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AUCUN DES MINISTRES DONT LES NOMS FIGURENT DANS LE RAPPORT DE LA COMMISSION NE FAIT PARTIE DU NOUVEAU GOUVERNEMENT

Effectivement, aucun des ministres — y compris le Premier d’entre eux, Ismaïl Ould Bedda Ould Cheikh Sidiya — dont les noms sont apparus dans le rapport de cette Commission publié le 26 juillet et transmis depuis au Parquet général ne fait partie du nouveau gouvernement.

« Tout en respectant la présomption d’innocence, il a été estimé que les personnes concernées devaient bénéficier de toute latitude pour prouver leur innocence, a poursuivi Adama Bocar Soko. C’est pourquoi ils figurent parmi les ministres touchés par le changement. Le président de la République n’hésitera pas à faire appel à nouveau aux compétences et à l’expertise de ceux, parmi eux, dont l’innocence aura été avérée ».

Entrent au gouvernement trois personnalités auxquelles sont confiés des postes stratégiques : à la Justice, Mohamed Mahmoud Ould Cheikh Abdoullah Ould Baya, ancien ministre ; à l’Économie et à l’Industrie, Ousmane Mamadou Kane, ancien ministre, ancien Gouverneur de la Banque centrale et ex-patron de la SNIM ; au Pétrole, aux Mines et à l’Énergie, Abdessalem Ould Mohamed Saleh, ancien ministre.

Une équipe plus réduite

On notera que la nouvelle équipe est plus réduite que la précédente, deux ministères ayant fusionné, le ministère chargé de l’Investissement et du Développement industriel avec l’Économie et celui de l’Éducation secondaire avec l’Enseignement fondamental.

Elle comporte quatre femmes dont Naha Mint Hamdy Ould Mouknass, qui retrouve le ministère du Commerce et du Tourisme qu’elle a déjà dirigé à l’occasion de la réouverture de la Mauritanie au tourisme en 2017.

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LA COMPOSITION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT RESPECTE L’ÉQUILIBRE ENTRE POLITIQUES ET TECHNOCRATES

Les commentateurs jugent que la composition de la nouvelle équipe respecte l’équilibre entre politiques et technocrates.

Ceux qui comptaient les points dans la querelle opposant le Premier ministre Sidiya et son ministre de l’Intérieur, Ahmed Salem Ould Merzoug, constatent que celui-ci l’a définitivement emporté. Deux ministres, dont celui de l’Économie, sont réputés proches du puissant homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, rentré depuis quelques mois en Mauritanie après des années d’exil pour cause de graves différends avec l’ancien président Mohamed Ould Abdelaziz.

Cacao, coton, cajou…. L’Afrique de l’Ouest vent debout contre sa marginalisation

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À Zogbodomey,
au Bénin, l’usine de décorticage d’anacarde de Fludor, filiale locale du holding nigérian Tropical General Investment (TGI).

À Zogbodomey, au Bénin, l’usine de décorticage d’anacarde de Fludor, filiale locale du holding nigérian Tropical General Investment (TGI). © Jacques Torregano pour JA

Producteurs mondiaux de premier plan dans ces filières, États et professionnels doivent fédérer leurs efforts pour peser vraiment, enfin, sur les cours du marché.

La Cedeao se développe, mais pas assez vite pour réduire la pauvreté de la population ouest-africaine. S’il est vrai que l’or, le coton, le cacao ou l’uranium constituent de belles opportunités pour ces pays en mal de recettes et d’emplois, cela reste toutefois insuffisant en raison du rythme élevé de la croissance démographique, selon le rapport « Dynamiques du développement en Afrique. Réussir la transformation productive », publié en 2019 par l’Union africaine et le Centre de développement de l’OCDE.

En dépit des efforts déployés pour tirer le meilleur parti de ces atouts, « la transformation productive de la région reste limitée », peut-on y lire. Le secteur industriel de l’Afrique de l’Ouest ne progresse pas. La part de l’agriculture y a reculé de 3,1 points de pourcentage au cours des dix dernières années, alors qu’elle a progressé dans les autres régions du continent.

« La croissance totale de la productivité est en recul depuis 2000, principalement en raison de l’insuffisance du développement technologique », indique le document. Le commerce intrarégional reste limité (15 % du total des marchandises exportées), et les échanges sont peu diversifiés.

Treize produits phares

En 2016, les matières premières non transformées représentaient 75 % des exportations de la sous-­région à destination d’autres continents. « Ces résultats mitigés soulignent le succès limité des stratégies adoptées jusqu’à présent en faveur de la transformation productive », poursuivent les auteurs du rapport.

Et si la Cedeao évitait de se disperser et abattait ses cartes maîtresses ? « Son plus grand potentiel réside dans l’agro-industrie », estime Bakary Traoré, économiste au Centre de développement de l’OCDE.

En 2017, entre cinq et neuf pays de la sous-région figuraient parmi les vingt premiers producteurs mondiaux de treize produits agricoles, dont voici la liste (avec le pourcentage que représente l’Afrique de l’Ouest dans la production mondiale) : le fonio (céréale sans gluten, comme le quinoa, 99,9 %), la noix de cajou (35,5 %), la noix de karité (99,9 %), l’igname (92,2 %), le millet (32,1 %), le gombo (28,2 %), l’arachide (12,8 %), la noix de kola (84 %), le niébé (83,4 %), le cacao (63,5 %), le manioc (33 %), le caoutchouc (6 %) et l’huile de palme (4,7 %).

L’exemple de la Côte d’Ivoire et du Ghana

Qu’ils aient une vocation alimentaire ou hygiénique, « on constate que la croissance de la demande de ces produits dans la région est supérieure à celle de la demande globale mondiale », souligne l’économiste.

Pour optimiser ces atouts, il faudrait que les pays de la Cedeao suivent l’exemple de la Côte d’Ivoire et du Ghana, qui se sont unis pour obtenir des chocolatiers une meilleure rémunération de leurs fèves de cacao et une augmentation de la transformation locale des produits primaires.

La création de filières efficaces concernant les produits agricoles pour lesquels l’Afrique est très bien placée suppose une amélioration des compétences, en vue de les valoriser, ainsi que des infrastructures pour les acheminer et de l’énergie pour les transformer.

Les zones économiques spéciales, un outil précieux

L’union fait la force, dans ces domaines comme dans les autres. À cet égard, l’un des principaux défis de la Cedeao sera de favoriser la mise en commun d’infrastructures. Cela passe par le développement des réseaux énergétiques, routiers et ferroviaires« Les zones économiques spéciales [ZES] sont aussi un outil précieux, ajoute Bakary Traoré.

Celle à dominante agro-industrielle créée [en mai 2018] avec l’appui de la Cedeao entre le Mali (région de Sikasso), le Burkina Faso (région de Bobo-Dioulasso) et la Côte d’Ivoire (région de Korhogo) est une première. Mais la Cedeao ne va pas assez vite pour multiplier ces zones de complémentarité transfrontalières, qu’il faut exploiter partout où un potentiel a été identifié. »

Pour que ces ZES éclosent en plus grand nombre, encore faudrait-il que la Cedeao s’inspire de la Communauté d’Afrique de l’Est et réalise au plus vite l’interconnexion numérique de ses systèmes douaniers. Celle-ci apporterait une fluidité extraordinaire au commerce intrarégional, dont les premiers bénéficiaires seraient les producteurs de denrées agricoles, que celles-ci soient ou non déjà transformées.

Depuis sa création, la Cedeao a montré l’exemple au reste du continent dans de nombreux domaines, notamment avec son passeport communautaire, qui, depuis 1995, permet la libre circulation des personnes sur l’ensemble de son territoire.

D’ici à la fin de l’année, elle devrait supprimer le coût du roaming pour les utilisateurs de téléphone portable. Ses atouts naturels devraient l’inciter à faire preuve de la même hardiesse et du même esprit communautaire dans l’élaboration de sa politique de transformation productive.

Niger : dans les coulisses de la traque des terroristes de Kouré

| Par Jeune Afrique
Des soldats nigériens patrouillent dans le désert d'Iferouane en février 2020 pour protéger touristes et dignitaires pendant le festival de l'Aïr.

Des soldats nigériens patrouillent dans le désert d'Iferouane en février 2020 pour protéger touristes et dignitaires
pendant le festival de l'Aïr. © Souleymane Ag Anara/AFP

La traque se poursuit au Niger, deux jours après l’attaque terroriste qui a coûté la vie à deux Nigériens et six Français dans la zone de Kouré. « Jeune Afrique » en dévoile les coulisses.

Il est 16h30 à Niamey, lundi 10 août, lorsque la réunion du Conseil national de sécurité débute au palais présidentiel. Celle-ci, qui a lieu d’ordinaire tous les mardis, a été avancée de vingt-quatre heures. La veille, le 9 août, deux Nigériens et six Français ont été abattus par des hommes armés venus à moto à Kouré, au sud-est de Niamey.

Depuis, les assaillants, qui n’ont pas été identifiés, sont en fuite. Et la traque a commencé. Sont présents au palais présidentiel les principaux hauts gradés de l’armée nigérienne, ainsi que les ministres concernés : à la Défense, Issoufou Katambé, à l’Intérieur, Alkache Alhada, et à la direction du cabinet, Mahamadou Ouhoumoudou.

Les hommes de confiance d’Issoufou

Le président Issoufou connaît ces trois derniers par cœur. Katambé est un vieux compagnon de route du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir), et Mahamadou Ouhoumoudou est son principal collaborateur depuis des années. Quant à Alkache Alhada, c’est son ancien directeur de cabinet adjoint.

Mahamadou Issoufou insiste : il faut faire la lumière sur cette attaque, non seulement parce qu’elle a suscité l’émotion au Niger et en France, mais aussi parce qu’elle a frappé un symbole du pays, à seulement une heure de route de Niamey, la capitale. Le chef de l’État, qui s’est entretenu dimanche avec son homologue français Emmanuel Macron, décide d’étendre l’état d’urgence à toute la zone de Kouré.

Des traces et un suspect interrogé

Le président nigérien décrète également l’interdiction d’accéder à ladite zone. Celle-ci est donc désormais totalement bouclée par les Forces de défense et de sécurité (FDS) nigériennes, qui en contrôlent les points d’entrée et de sortie. Priorité est donnée au ratissage du terrain, à la recherche des assaillants ou d’indices de leur passage.

Lundi 10 août, les militaires nigériens, assistés d’éléments de la force Barkhane et de membres de commandos français, ont retrouvé des traces de véhicules appartenant potentiellement aux fuyards. Elles sont en cours d’analyse. Un suspect a également été interpellé et mis à la disposition des équipes d’investigation. Selon nos sources, les informations sont centralisées au ministère de l’Intérieur d’Alkache Alhada, lequel se charge d’informer le Conseil national de sécurité.

D’après des confidences recueillies par Jeune Afrique, les hauts gradés nigériens, qui restent prudents, privilégient toujours la piste menant à la zone des trois frontières et à l’État islamique au grand Sahara, dirigé par Adnane Abou Walid al-Sahraoui et mis sous pression par l’armée nigérienne, l’opération Barkhane et, sur un autre front, par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), d’Iyad Ag Ghaly.

Pots-de-vin, surfacturations et armes de guerre : comment le Niger a perdu des dizaines de milliards

| Par 
Mis à jour le 06 août 2020 à 16h30
Une patrouille de soldats nigériens à Diffa.

Une patrouille de soldats nigériens à Diffa. © REUTERS/Luc Gnago

76 milliards de francs CFA (116 millions d’euros) auraient été détournés au Niger dans le cadre de contrats d’armement entre 2014 et 2019. C’est ce que révèle un audit de l’Inspection générale des armées, auquel l’Organized Crime and Corruption Reporting Project a eu accès en intégralité. Jeune Afrique détaille le scandale.

*Cet article est issu du travail de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un consortium de journalistes d’investigation fondé en 2006, lequel a permis à Jeune Afrique de relayer les résultats de son enquête (dont l’original peut être lu, en anglais, ici).

Cet audit est sans doute à l’origine du plus gros scandale politico-financier de l’histoire du pays. Réalisé en février 2020, le document de l’inspection générale des services, dont JA avait déjà évoqué les principales conclusions, révèle un total de 76 milliards de francs CFA (116 millions d’euros) détournés entre 2014 et 2019 dans le cadre de commandes d’armes passées par l’État nigérien et son ministère de la Défense.

Principale enseignement de cet audit, auquel l’Organized Crime and Corruption Reporting Project a eu accès : une grande partie des équipements fournis par des entreprises internationales – y compris des entreprises publiques de défense russe, ukrainienne et chinoise – étaient sujet à des surfacturations, de faux appels d’offre ou n’étaient parfois tout simplement pas livrées.

La justice nigérienne enquête aujourd’hui sur les conclusions de cet audit qui aurait dû rester confidentiel. Au centre de ces investigations, deux hommes d’affaires : Aboubacar Hima et Aboubacar Charfo, que l’inspection générale des armées soupçonnent d’avoir truqué des marchés en utilisant des sociétés sous leur contrôle pour donner l’illusion d’une mise en concurrence.

Aboubacar Hima, l’homme au cœur du scandale

Selon l’OCCRP, Aboubacar Hima, alias « Petit Boubé », a remporté au moins les trois quarts des contrats contrôlés par les auditeurs. Époux de la fille de l’ancien président Ibrahim Baré Maïnassara, Petit Boubé est apparu dans le monde de l’armement en 2010, via le Nigeria, où il a créé des sociétés qui joueront un rôle clé dans les transactions détaillées par l’audit.

À l’époque, explique l’OCCRP, « la plupart des transactions liées à Hima étaient signées en vertu d’une loi de 2013 sur la sécurité nationale. Elle autorisait certains contrats de défense à être signés par négociations directes avec une entreprise, plutôt que via un appel d’offres public ».

« Le Niger a abandonné cette loi en 2016, la remplaçant par une autre exigeant un processus plus transparent. Mais le mal avait été fait », ajoute l’OCCRP. La plupart des ventes identifiées dans l’audit ont donc échappé aux organes de contrôle du ministère de la Défense et du ministère des Finances.

19,7 millions de dollars de trop-payé dans un contrat russe

Des soldats nigériens dans la région d'Agadez, en 2011.Des soldats nigériens dans la région d'Agadez, en 2011. © Luc Gnago /REUTERS

Dans le cadre d’un accord facilité par « Petit Boubé » en 2016, le ministère de la Défense a ainsi acquis deux hélicoptères de transport et d’assaut Mi-171Sh à Rosoboronexport, société de défense russe. L’achat, qui comprenait également la maintenance et les munitions, a coûté au Niger 55 millions d’euros – un trop-payé d’environ 19,7 millions de dollars, selon l’Inspection générale.

Dans son contrat avec le gouvernement nigérien, Rosoboronexport avait demandé à ce que les paiements soient effectués sur un compte qu’elle détenait chez la succursale allemande de VTB Bank, banque russe détenue majoritairement par Moscou.

Selon l’OCCRP, les auditeurs nigériens se sont rendus dans la capitale russe début 2020 à la recherche d’informations sur le contrat. Ils ont fait chou blanc : Rosoboronexport, qui n’a pas répondu aux sollicitations des journalistes, a également refusé de fournir des informations, expliquant que les accords étaient confidentiels.

« Petit Boubé », client et fournisseur ?

Quel rôle a donc joué « Petit Boubé » ? Le rapport pointe plusieurs sociétés dont l’une, TSI, fondée au Nigeria, a pu fonctionner après avoir obtenu une procuration du ministère de la Défense. « Cela lui a donné la possibilité d’approuver les transactions et d’émettre des certificats d’utilisateurs finaux, documents destinés à garantir que les armes vendues à un client ne soient pas transmises à un tiers non autorisé », explique l’OCCRP.

« Il s’agissait d’une violation flagrante des lois nigériennes, qui stipulent que les certificats d’utilisateur final ne peuvent être émis que par le gouvernement », dénonce Ara Marcen Naval, responsable du plaidoyer pour la défense et la sécurité de Transparency International.

Aboubacar Hima avait en outre réussi à faire de TSI la représentante de Rosoboronexport au Niger. Cela lui donnait donc la possibilité d’intervenir des deux côtés du contrat, en tant que mandataire du client – le gouvernement – et en tant que représentant du fournisseur russe. Une position confortable.

Magouilles autour du hangar du président

Les auditeurs se sont également penchés sur une autre société immatriculée au Nigeria, Brid A Defcon. Cette dernière a notamment remporté un contrat de 4,3 millions de dollars pour la construction d’un hangar pour l’avion officiel du président Mahamadou Issoufou. Mais, selon l’OCCRP, la compétition n’a pas été loyale.

Deux autres sociétés ayant soumis des offres pour ces marchés étaient en effet, elles aussi, contrôlées par le même Aboubacar Hima. L’une était Motor Sich,domiciliée en Algérie. Celle-ci a par la suite remporté d’autres « appels d’offres » proposés par le gouvernement nigérien, dont un contrat de fourniture d’armes de 11,5 millions de dollars.

L’autre était Aerodyne Technologies, qui utilisait le nom d’une ancienne compagnie aérienne française. Bien qu’Aerodyne ait présenté son offre en tant que société basée aux Émirats arabes unis, elle semble en fait être enregistrée en Ukraine, selon l’audit. « Brid A Defcon a utilisé Motor Sich et Aerodyne Technologies pour simuler une concurrence », ont conclu les auditeurs de l’inspection générale des armées.

Aboubacar Charfo également au cœur de l’enquête

Des soldats nigériens, lors de la fête nationale, le 18 décembre 2014. (image d'illustration)Des soldats nigériens, lors de la fête nationale, le 18 décembre 2014. (image d'illustration) © Vincent Fournier/J.A.

Au-delà de « Petit Boubé », les enquêteurs s’intéressent également à Aboubakar Charfo, un homme d’affaires proche du parti au pouvoir et originaire, comme le président Issoufou, de la région de Tahoua. Selon l’OCCRP, celui-ci a reçu plusieurs contrats de l’administration : l’ameublement – ironie du sort – du siège de l’Inspection générale des armées ou encore la fourniture de matériels aux forces armées, (armes, lunettes de vision nocturne, etc…).

« L’audit de l’Inspection générale des armées montre que l’inflation des coûts et les pratiques de corruption de l’Établissement Aboubacar Charfo et d’Agacha Technologies, deux sociétés liées à Charfo, ont coûté au ministère de la Défense un trop-payé de 24,7 millions de dollars », détaille l’OCCRP.

Surfacturation en lien avec la Chine

Les auditeurs ont notamment enquêté sur cinq contrats remportés par les deux sociétés entre 2014 et 2018. Ceux-ci comprenaient un accord de 40 millions de dollars pour l’achat par le gouvernement de véhicules de transport de troupes à la société chinoise Norinco. Charfo aurait « gonflé le prix de 8,2 millions de dollars ».

Dans un accord de 2017, Agacha Technologies aurait également remporté un contrat de 6,5 millions de dollars pour fournir 30 autobus au ministère de la Défense. « Plus de la moitié de ce total a été perdu à cause de la surfacturation », selon les auditeurs.

« Comme Hima, Charfo manipulait le processus pour donner l’impression qu’il était en concurrence avec des entreprises qui étaient en réalité contrôlées par lui ou liées à lui », ajoute l’OCCRP.

Des entreprises étrangères impliquées

Plusieurs entreprises en Ukraine, au Royaume-Uni et en République tchèque ont semblé profiter des largesses de l’État nigérien. Ainsi, en 2012, la société d’État ukrainienne Ukrspecexport a remporté un contrat pour fournir au Niger deux avions de combat SU-25 d’occasion, pour un montant de 12,5 millions de dollars (dont 1 million pour l’assurance et la livraison et 1,9 millions pour les pièces de rechange).

L’audit détaillé par l’OCCRP estime une nouvelle fois que les prix ont été gonflés, la fourniture de plus de 350 pièces de rechange semblant « inutile et suspecte ». « L’ajout de pièces de rechange aux contrats d’armement est une technique courante pour intégrer le coût des pots-de-vin », explique un expert en armement.

Des sociétés écrans à Londres ?

La société ukrainienne a nié avoir conclu des accords avec le Niger, mais la livraison de ces avions est bel et bien documentée dans le registre de l’Institut international de la paix de Stockholm, qui répertorie chaque année les ventes d’armes dans le monde. Selon l’institut, les appareils ont bien été livrés.

De plus, les auditeurs ont découvert un avenant au contrat qui semblait, selon eux, cacher un pot-de-vin. Il stipulait que Stretfield Development, société basée à Londres et aux propriétaires anonymes, devait recevoir une commission de deux millions de dollars sur l’opération.

Le contrat précisait que ces frais seraient financés par le ministère de la Défense, mais payés par l’intermédiaire d’une autre société londonienne, Halltown Business. Cette dernière, dont l’adresse était utilisée par plus de 400 autres sociétés (dont plusieurs ont été signalées dans une affaire de blanchiment d’argent liée à l’Azerbaïdjan), a été fermée peu de temps après la conclusion de l’accord.

Un mystérieux intermédiaire ukrainien

Autre contrat analysé par l’audit nigérien et l’OCCRP : celui qui aurait été passé entre le Niger et la société EST Ukraine, d’un montant de 4,3 millions de dollars pour l’entretien de ses hélicoptères de combat MI-35 et des jets SU-25. EST Ukraine n’a en réalité jamais reçu le paiement : celui-ci a été effectué au profit d’une autre entité ukrainienne, Espace Soft Trading Limited, qui, selon les enquêteurs, ne faisait pas partie du contrat initial.

Espace Soft Trading Limited, créée en 1998, est contrôlée par Yuri Ivanushchenko, ancien membre du parlement ukrainien et allié de l’ancien président Viktor Ianoukovitch (renversé en 2014). Les auditeurs estime que la société d’Ivanushchenko a été l’un des bénéficiaires d’« enchères truquées ».

À l’époque, Ivanushchenko occupait une place de choix dans le milieu de l’armement ukrainien, notamment auprès d’Ukrspecexport – l’entreprise ayant fourni des avions d’occasion à l’armée nigérienne. Ivanushchenko, suspecté d’avoir touché des commissions, « supervisait le travail d’Ukrspecexport et avait une influence significative sur ses décisions », explique l’OCCRP. EST Ukraine n’a pas répondu aux sollicitations.

Des conséquences politiques à prévoir ?

Jusqu’où ira l’enquête de la justice nigérienne, qui a plusieurs fois interrogé les protagonistes, dont Aboubacar Hima ? Le dossier, qui pourrait avoir des conséquences politiques – plusieurs protagonistes étant des proches du parti au pouvoir – serait actuellement entre les mains d’un juge d’instruction à Niamey.

Au-delà des présomptions contenues dans l’audit, c’est le train de vie de « Petit Boubé », lequel n’a pas souhaité répondre aux interrogations de l’OCCRP, qui interpelle. Selon l’OCCRP, Hima possède – outre son immense villa de Niamey (bien connu des Nigériens) – au moins trois appartements acquis en 2015 dans la capitale tchèque, Prague.

« Petit Boubé » semble particulièrement aimé cette dernière. Sa société Brid A Defcon, aujourd’hui disparue, s’est régulièrement associée à une autre enregistrée en République tchèque : « Defcon SRO ». Quant à ses appartements, ils vaudraient au total plus de 2 millions de dollars. L’un d’eux est situé dans un complexe de luxe surplombant la rivière Vltava et permettant aux résidents d’admirer leurs bateaux depuis leur balcon.