Vu au Sud - Vu du Sud

[Série] Côte d’Ivoire : coup de jeune sur les infrastructures (9/10)

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L’autoroute entre Abidjan et Yamoussoukro.

L’autoroute entre Abidjan et Yamoussoukro. © Jacques Torregano pour JA

La politique de grands travaux a mis l’économie et la société ivoiriennes sur les rails du développement. Mais d’importants écarts persistent entre les territoires.

Au lendemain de la crise postélectorale, Alassane Ouattara a pris les rênes d’un pays certes relativement bien doté en infrastructures de base comparé à ses voisins ouest-africains, mais dont les ouvrages et les équipements n’en étaient pas moins tous vieillissants, largement insuffisants en nombre et mal répartis sur le territoire.

La mise à niveau du pays en la matière était donc une priorité : amélioration des capacités de production et de distribution d’électricité, construction d’un troisième pont à Abidjan, aménagement de routes et de zones d’activité à travers le pays…

Bilan positif

« Le bilan économique du président Ouattara est plutôt positif. Les bonnes performances macroéconomiques ont été portées par ce que j’appellerais un rattrapage, avec, pour socle, des investissements massifs dans les infrastructures », souligne l’économiste et analyste politique béninois Gilles Yabi, fondateur du think tank ouest-africain Wathi.

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LES CHANTIERS D’EXTENSION ET DE MODERNISATION DE PLUSIEURS AÉROPORTS STRATÉGIQUES ONT ÉTÉ ENGAGÉS

En 2011, les besoins en financement pour la remise en état du réseau routier prioritaire, qui comprend notamment 1 500 km de routes internationales et 8 000 km de nationales, ont été évalués à 1 500 milliards de F CFA (2,3 milliards d’euros). En 2018, un nouveau programme d’investissements a été adopté pour la modernisation des infrastructures routières, d’un montant de 3 750 milliards de F CFA sur cinq ans. Il vise la construction de ponts, d’autoroutes et d’ouvrages hydrauliques.

Par ailleurs, un fonds doté de 100 milliards de F CFA par an est désormais chargé de l’entretien d’environ 12 000 km de pistes à travers le pays. Pour accompagner le développement du secteur aérien, les chantiers d’extension et de modernisation de plusieurs aéroports stratégiques ont été engagés, comme ceux d’Abid­jan (lancé en 2017 pour un montant estimé à 42 milliards de F CFA) et de Bouaké. L’État a également mobilisé 68 milliards F CFA pour les aéroports régionaux de San Pedro, de Séguéla, de Korhogo et de Kong.

Doper l’essor de l’activité

Afin de doper l’essor de l’activité économique, un programme piloté depuis 2013 par l’Agence de gestion et de développement des infrastructures industrielles (Agedi) a été mis en place pour moderniser les zones industrielles (ZI) existantes et en créer de nouvelles. Il concerne une dizaine d’agglomérations, dont Bouaké, Bonoua, Korhogo, Odienné, Séguéla et Yamoussoukro.

En matière de création, le plus grand chantier en cours est celui de la ZI d’Akoupé-Zeudji (PK 24), au nord d’Abidjan, et en matière de rénovation, citons celle de la ZI Yopougon, dans la périphérie nord-ouest de la capitale économique, dont l’opération d’extension-­modernisation s’est achevée au début de 2018, ainsi que celles de Koumassi et de Vridi, dans le port d’Abidjan, en cours de réaménagement.

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LE RESSENTI DE LA POPULATION EST QUE LA POLITIQUE DES GRANDS TRAVAUX N’A PAS EU D’IMPACT SUR LA RÉDUCTION DES INÉGALITÉS

« Il est incontestable que de grands travaux, comme le troisième pont d’Abidjan, ont abouti. Mais la critique que l’on peut faire est qu’ils ne correspondent pas tous à une volonté de décentraliser les lieux de création de richesse, constate Gilles Yabi. Lorsque vous voulez réduire les inégalités territoriales dans un pays, le choix des investissements est important pour donner le sentiment à toute la population qu’elle compte. Or on n’a pas eu le sentiment, dans les décisions des gouvernements de Ouattara, qu’il y avait une volonté de privilégier des régions ayant souffert des longues années de crise, comme Duékoué. Pour la majorité des Ivoiriens, le ressenti est que la politique des grands travaux n’a pas eu d’impact sur la réduction des inégalités, ni même sur la réconciliation nationale. »

[Série] La Côte d’Ivoire entre le marteau jihadiste et l’enclume factieuse (7/10)

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Opération de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), à Yopougon en avril 2015.

Opération de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), à Yopougon en avril 2015. © Sia KAMBOU / AFP

Désormais confrontée à la menace terroriste, l’armée va devoir rapidement adapter son dispositif. Un défi d’autant plus difficile à relever qu’elle est toujours en phase de reconstruction.

Ils ont attaqué par surprise, au milieu de la nuit. Le 11 juin dernier, aux alentours de 3 heures du matin, une trentaine d’individus ont pris d’assaut le poste mixte de la gendarmerie et de l’armée à Kafolo, à quelques kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso. Bilan : 12 militaires tués.

Certes, il y a eu l’attentat de Grand-Bassam en mars 2016 (19 morts, 33 blessés). Mais jamais le pays n’avait connu une telle saignée contre ses forces de défense et de sécurité. Désormais, les soldats ivoiriens sont visés au même titre que leurs frères d’armes maliens ou burkinabè.

À Abidjan, l’attentat de Kafolo a provoqué une véritable onde de choc. Même si elle n’a malheureusement rien d’une surprise.

Depuis la tuerie de Grand-Bassam, première et jusqu’alors unique attaque du genre en Côte d’Ivoire, la menace jihadiste n’a cessé de croître. Outre plusieurs projets d’attentats déjoués dans la capitale économique, c’est surtout dans le nord frontalier du Mali et du Burkina que l’inquiétude est palpable. Les cellules jihadistes qui y sont implantées, tel le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), n’en font pas mystère : l’un de leurs objectifs est d’étendre leur rayon d’action aux pays côtiers du golfe de Guinée. Et ils y parviennent, lentement mais sûrement.

Opération « Frontière étanche »

En juin 2019, plusieurs personnes suspectes ont été signalées par la population aux autorités dans la zone de Ouangolodougou. Puis d’autres, cette fois vers Nasian. L’armée a alors déclenché son opération Frontière étanche et dépêché des renforts dans le Nord pour tenter d’empêcher toute infiltration sur son territoire.

Mais les jihadistes y ont poursuivi leur patient travail d’installation. En particulier un petit groupe d’une cinquantaine de combattants dirigé par un Burkinabè, Rasmane Dramane Sidibé, alias Hamza, lié à la katiba Macina, du Malien Amadou Koufa. Établie des deux côtés de la frontière, sa cellule a été la cible, à la mi-mai 2020, d’une vaste opération de ratissage menée conjointement par les armées ivoirienne et burkinabè.

A-t-elle attaqué le poste de Kafolo en représailles ? Cela semble probable, même si aucune revendication n’a été formulée. À la mi-juin, l’armée ivoirienne a annoncé l’arrestation d’une trentaine de personnes suspectées d’être impliquées dans cette attaque, dont l’un des lieutenants burkinabè de Hamza, Ali Sidibé, dit Sofiane, présenté comme le chef du commando de Kafolo.

« Désormais, l’un des principaux enjeux est de savoir si des Ivoiriens sont membres de cette cellule. Si c’est le cas, alors la menace est endogène et devient bien plus complexe à gérer », explique le chercheur Lassina Diarra, spécialiste du terrorisme en Afrique de l’Ouest.

Difficile, par ailleurs, d’imaginer que les assaillants aient mené cette opération sans complicités locales. « Ils ont constitué un réseau d’informateurs et de logisticiens sur place », poursuit une source sécuritaire.

Face à cette menace accrue, les forces armées de Côte d’Ivoire (Faci) vont devoir rapidement adapter leur dispositif, mais aussi gagner l’entière confiance des populations locales – un paramètre déterminant dans la lutte contre les groupes jihadistes. À la mi-juillet, le gouvernement a annoncé la création d’une « zone opérationnelle » dans le Nord, qui disposera d’un commandement unique pour les opérations militaires et aura pour objectif « d’empêcher toute infiltration de groupe armé » sur le territoire.

Nouvelle planification

Des soldats ivoiriens à Abidjan, en mai 2014.

Des soldats ivoiriens à Abidjan, en mai 2014. © Bruno Levy pour Jeune Afrique

 

Le défi est d’autant plus grand pour l’armée ivoirienne qu’elle est toujours en phase de reconstruction. Dix ans après la crise postélectorale et cinq ans après l’achèvement du processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), le clivage entre militaires de carrière et ex-rebelles des Forces nouvelles reste marqué. La place importante prise par certains comzones et ex-rebelles au sein de la grande muette depuis l’arrivée ­d’Alassane Ouattara au pouvoir fait grincer des dents.

Après l’attentat de Grand-Bassam, certains hauts gradés ont ainsi milité auprès du chef de l’État pour qu’il replace des « professionnels » aux postes de commandement stratégiques. En interne, ces divisions restent perceptibles, et des observateurs évoquent encore volontiers une armée à deux vitesses.

Au début de 2017, des mutineries menées par d’ex-éléments des Forces nouvelles ont éclaté dans plusieurs villes du pays et relancé le débat sur leur intégration au sein de l’armée ivoirienne. Au cœur de ces poussées de fièvre, une nouvelle fois, la revalorisation des salaires, le paiement des primes, la révision du système d’avancement dans les grades… Les mutins ont obtenu gain de cause, ce qui a creusé un peu plus le fossé avec le reste des troupes.

Après cette nouvelle secousse, Alassane Ouattara a nommé Hamed Bakayoko au portefeuille de la Défense en juillet 2017, avec pour mission de remettre de l’ordre au sein des Forces armées.

C’est également Bakayoko qui a été chargé de piloter la loi de programmation militaire 2016-2020. Une vaste réforme, dotée d’un budget de 2 254 milliards de F CFA (plus de 3,4 milliards d’euros), dont l’objectif est de réduire progressivement les effectifs des Faci à environ 40 000 hommes, à travers un programme de départs volontaires pour 4 400 militaires.

L’une des priorités du nouveau quinquennat sera de poursuivre et d’intensifier la modernisation des Forces armées ivoiriennes, notamment en travaillant à une nouvelle planification de la défense pour la période 2020-2025.

Présidentielle en Guinée : Cellou Dalein Diallo candidat face à Alpha Condé

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Mis à jour le 06 septembre 2020 à 18h16
Cellou Dalein Diallo à son domicile de Conakry, en 2016.

Cellou Dalein Diallo à son domicile de Conakry, en 2016. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Pour la troisième fois consécutive, Cellou Dalein Diallo sera candidat à la présidentielle en Guinée. Son parti, l’UFDG, prônait pourtant jusque-là le boycott du scrutin dans le cas où Alpha Condé briguerait un troisième mandat.

Sa décision se faisait attendre. Après de longues hésitations et d’âpres discussions au sein de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le parti d’opposition a annoncé samedi, tard dans la soirée, aux coordinateurs du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) qu’il participera bel et bien à la présidentielle.

L ors d’une AssemSa blée générale extraordinaire, organisée dimanche, l’UFDG a investi le chef de file de l’opposition comme candidat du parti à l’élection présidentielle prévue le 18 octobre prochain.

Cellou Dalein Diallo,  se lancera donc, pour la troisième fois consécutive, dans la course à la présidence. Et pour la troisième fois, ce sera face à Alpha Condé.

Fin du boycott

Mercredi, les cadres du parti avaient formellement demandé à leur président de se porter candidat, à l’issue d’une assemblée plénière au siège de l’UFDG, dans le quartier Hamdallaye, à Conakry. « Nous avons dit à Cellou Dalein Diallo que nous devions déposer notre candidature, pour éviter d’être dans une situation de forclusion, car le dépôt des candidatures prend fin le 8 septembre », confie à Jeune Afrique l’un des ténors du parti ayant pris part à cette réunion.

« L’objectif, c’est d’éviter de rejouer le scénario de mars dernier », explique notre source. Après avoir boycotté le double scrutin – les législatives et le référendum constitutionnel –, le parti n’a en effet désormais plus aucun représentant à l’Assemblée nationale. Face à ses lieutenants, Cellou Dalein Diallo a « pris acte » de leur demande, mais a réclamé « un délai de 48 heures » avant de faire connaître sa décision. Il lui aura finalement fallu quatre jours pour donner sa réponse aux cadres de son parti, tant les dissensions étaient nombreuses.

Décision sous pression

La pression que subissait le chef de file de l’opposition était forte. D’un côté, les militants de l’UFDG étaient partagés sur la stratégie à adopter. Une vaste consultation avait été menée au cours des jours précédant la rencontre, les fédérations locales du parti étant mises à contribution pour recueillir le sentiment de la base sur l’opportunité ou non de poursuivre le boycott.

« La tendance était claire : il faut y aller », confie un cacique du parti d’opposition. Les cadres réunis au siège de l’UFDG mercredi se sont donc fait l’écho de ces remontées du terrain en faveur d’une participation au processus électoral.

De l’autre côté, les coordinateurs du FNDC ont exigé des leaders des partis d’opposition qu’ils sortent de leur silence et expriment clairement, et rapidement, leur intention de participer ou non au scrutin. Cellou Dalein Diallo a donc tranché en faveur des premiers. Première conséquence, mécanique, de la déclaration de candidature de Cellou Dalein Diallo : l’exclusion de son parti du FNDC.

L’UFDG pose ses conditions

L’UFDG n’entend cependant pas aller à l’élection sans négocier une série de préalables. « Le dépôt de notre candidature ne signifie pas que nous serons de facto dans la course le 18 octobre », précise un cadre de l’UFDG.

« Si le scrutin n’est pas supervisé par la communauté internationale, et si le fichier électoral – qui comporte plus de 2 millions d’électeurs problématiques – n’est pas assaini, nous retirerons notre candidature », assure-t-il.

Certains plaident également pour un report du vote. C’est notamment le cas du vice-président de l’UFDG, Fodé Oussou Fofana, qui estime que c’est « impératif pour aller aux urnes dans de bonnes conditions ».

Autant de paramètres qui vont obliger le parti de Cellou Dalein Diallo à rétablir le dialogue avec l’exécutif, rompu depuis plus d’un an.

Marcel Amon-Tanoh : « Ouattara et moi avons un différend, mais nous ne sommes pas fâchés »

| Par - à Abidjan
Mis à jour le 04 septembre 2020 à 14h51
Marcel Amon-Tanoh, à Abidjan, le 3 septembre 2020.

Marcel Amon-Tanoh, à Abidjan, le 3 septembre 2020. © Issam Zejly pour JA

Candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre en Côte d’Ivoire, l’ancien ministre des Affaires étrangères estime qu’Alassane Ouattara ne devrait pas briguer un troisième mandat et s’inquiète du regain de tension constaté ces dernières semaines. Interview.

La peinture est encore fraîche, les travaux ne sont pas totalement achevés. C’est ici, dans cette villa du quartier des Deux-Plateaux à Abidjan, que Marcel Amon-Tanoh a installé son QG de campagne. Avec son équipe (une grosse centaine de personnes), il y finalise son programme de gouvernement.

À 68 ans, et sous réserve que le Conseil constitutionnel valide sa candidature à la prochaine élection présidentielle, l’ancien ministre des Affaires étrangères se lance dans une nouvelle aventure. Un pari osé pour un homme qui avait jusque-là montré un intérêt limité pour la chose politique et qui n’avait pas réussi à se faire élire député d’Aboisso en 2011.

Mais « MAT », comme l’appellent ses proches, veut croire en sa bonne étoile. À quelques semaines du scrutin prévu fin octobre, il s’inquiète néanmoins des tensions actuelles. Celui qui fut un proche collaborateur d’Alassane Ouattara pendant 26 ans regrette la décision du chef de l’État de briguer un troisième mandat. Dans cette interview recueillie jeudi 3 septembre, la première depuis sa démission du gouvernement en mars, il appelle à la tenue d’un dialogue pour que l’élection se tienne dans de bonnes conditions. Quitte à ce que celle-ci soit reportée.

Jeune Afrique : À quelques semaines de l’élection présidentielle, le climat politique s’est tendu. Les manifestations contre la candidature d’Alassane Ouattara ont fait une dizaine de morts. Êtes-vous inquiet ?

Marcel Amon-Tanoh : Le 19 juillet sur les réseaux sociaux, j’avais appelé les Ivoiriens et surtout la classe politique à se ressaisir. Je demandais au président de la République de tendre la main à l’opposition, et à l’opposition de l’accepter. L’atmosphère autour du processus électoral était très tendue et j’étais déjà inquiet, alors même que le chef de l’État n’avait pas encore annoncé sa décision de se représenter. Alors vous imaginez aujourd’hui ? La situation est devenue explosive et oui, je suis très préoccupé.

Qui porte la responsabilité de ces violences ? L’opposition accuse le pouvoir et le pouvoir reproche à l’opposition d’être dans une posture insurrectionnelle…

Nous sommes dans un pays divisé, qui ne s’est pas encore réconcilié avec lui-même, et il ne faut pas mettre d’huile sur le feu. À mon sens, le plus important est d’arrêter cette violence et de faire en sorte qu’il n’y ait plus de mort. La seule façon d’y arriver est d’asseoir les différentes parties autour d’une table et de faire en sorte qu’elles se parlent. Nous sommes tous responsables de cette situation. Le président de la République est le chef de la famille. Qu’il prenne des initiatives. L’opposition avait d’ailleurs demandé à le rencontrer. Il ne faut pas que l’on oublie de tirer les leçons d’un passé récent, auquel nous avons tous assisté et participé.

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MIEUX VAUT REPORTER LE SCRUTIN SI LES CONDITIONS NE SONT PAS RÉUNIES. »

Les conditions d’une élection libre et transparente sont-elles réunies ?

Nous ne sommes pas encore entrés en campagne et il y a déjà des morts. Qu’en sera-t-il lors du scrutin ? À quoi ressemblera la période post-électorale ? Nous avons tous intérêt à ce que l’élection se tienne dans de bonnes conditions. Elle doit être juste, transparente et inclusive pour que celui qui est battu reconnaisse sa défaite. La Côte d’Ivoire le mérite, ses morts aussi.

Quitte à reporter le scrutin ?

Il n’est pas trop tard pour s’asseoir, dialoguer et tenir l’élection à bonne date. Mais mieux vaut la reporter si les conditions ne sont pas réunies plutôt que risquer d’entraîner le pays dans une crise et de porter la responsabilité de nouveaux morts.

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LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE A DONNÉ SA PAROLE. IL SERAIT BIEN QU’IL LA TIENNE. »

Il y a actuellement plusieurs sujets de crispations. Le premier est lié à la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat. Diriez-vous qu’elle est légale ou qu’elle est contraire à la Constitution, comme l’estime l’opposition ?

De grands juristes ivoiriens se sont prononcés sur cette question. Ils ont dit que le président n’avait pas droit à un troisième mandat. Je sais également que le Conseil constitutionnel est divisé sur cette question : en son sein, certains pensent que le chef de l’État peut se représenter, d’autres que non.

Pour ma part, je ne suis pas juriste. Mais j’estime que c’est avant tout une question de morale et de parole donnée. Tenir ses engagements, c’est important. Encore plus pour un chef. Le président de la République a donné sa parole. Il serait bien qu’il la tienne. Je ne retiens pas la raison de force majeure qu’il a avancée. Il avait dit qu’une équipe allait lui succéder. Ne pouvait-il pas choisir une autre personnalité ? N’importe lequel d’entre nous peut mourir demain matin. Le président aurait dû envisager le cas de figure dans lequel nous nous sommes retrouvés [la mort de son dauphin, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly] et anticiper.

L’Église catholique, par la voix du cardinal Jean-Pierre Kutwa, a estimé que sa candidature n’était pas nécessaire. L’Église a-t-elle eu raison de se prononcer publiquement ?

Le rôle des religieux est de prendre position sur des faits de société, surtout quand des vies sont en danger. On ne peut pas les solliciter pour qu’ils se prononcent quand cela nous arrange et les clouer au pilori lorsqu’ils expriment des avis qui ne nous sont pas favorables.

En 2016, à l’époque de la révision constitutionnelle, vous étiez  le directeur de cabinet du président Ouattara, vous étiez donc au cœur du système. Aviez-vous exprimé des réserves ?

J’étais contre cette révision et j’ai précisé les points qui me posaient problème – je l’ai même écrit. Je me suis étonné du fait qu’on ait fait sauter la limite d’âge. Des raison m’ont été données, mais je considère qu’elles n’étaient pas valables.

Autre point de crispation : l’exclusion de certains acteurs du processus électoral. L’ancien président Laurent Gbagbo et l’ex-président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, doivent-ils être autorisés à concourir ?

La crise postélectorale date de 2011. Nous sommes en 2020 et le processus de réconciliation est manifestement en panne. Laurent Gbagbo et Guillaume Soro font partie de ceux qui peuvent aider à la réconciliation. Il serait donc bon qu’ils puissent participer à l’élection. Concernant leurs candidatures, le président de la commission électorale a expliqué qu’il les avait rayées de la liste à la suite de décisions de justice. Je ne porterai pas de jugement sur ces décisions, mais il me semble que la raison d’État et la stabilité de notre pays doivent prévaloir. Il faut faire en sorte que les deux personnalités que vous évoquez soient autour de la table pour parler de la réconciliation de notre pays.

Est-ce au chef de l’État de faire le premier pas vers Laurent Gbagbo ?

Laurent Gbagbo sort de prison. Il ne refuse pas la discussion, puisqu’il demande un passeport pour rentrer chez lui.

Doit-on lui délivrer ce passeport ?

C’est un citoyen ivoirien. Il doit pouvoir avoir des papiers pour se déplacer, comme la CPI [Cour pénale internationale] l’y autorise.

Guillaume Soro a été condamné à 20 ans de prison pour recel de deniers publics et blanchiment dans une affaire liée à l’achat de l’une de ses résidences. Votre nom a été cité lors de la procédure. En quoi étiez-vous impliqué ?

Je ne suis pas concerné. Je n’ai pas participé à l’achat de cette maison. À l’époque, j’étais ministre de la Construction et Soro était Premier ministre. Un jour, il m’appelle pour me dire que l’État a décidé de lui acheter une maison. On a regardé dans le patrimoine de l’État et conclu qu’il n’y avait pas de bien susceptible de convenir. C’est tout. On a ensuite voulu m’impliquer dans la transaction, mais l’affaire est passée en justice et le dossier est clos.

Vous êtes candidat à la présidentielle. Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer ?

Je suis en politique depuis 40 ans. J’ai servi sous plusieurs régimes, acquis une certaine expérience. Je considère que je peux servir mon pays au plus haut niveau. Selon moi, il y a trois conditions sine qua non pour diriger un pays. D’abord l’amour : cela peut surprendre, mais il faut savoir aimer les gens, comme le faisait Félix Houphouët-Boigny. Il faut ensuite avoir une vision, savoir quel pays vous voulez construire, et cette vision se nourrit de l’écoute et du dialogue. Enfin, il faut une équipe. Je l’ai et la dévoilerai dans les prochaines semaines.

Vos ambitions ont surpris. Tout au long de votre carrière, vous n’avez jamais semblé vraiment intéressé par la politique « politicienne », vous ne vous êtes jamais réellement impliqué au sein du RHDP. Pourquoi un tel changement ?

Lorsque vous m’aviez posé cette question en août 2019, j’avais répondu que j’avais le droit d’envisager d’être candidat. Tout le monde a le droit de vouloir diriger son pays s’il considère qu’il a quelque chose à apporter.

Un jour, lors d’une discussion avec le président de la République, il s’était étonné des ambitions des uns et des autres. Je lui ai dit : « Tout est écrit. Prenez votre propre exemple. On a dit que vous ne seriez jamais président. Moi, je me concentre sur ce qui m’est confié. Le reste dépend de Dieu. »

Vous auriez souhaité que le processus de désignation du candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) soit plus ouvert ?

Cela fait partie des choses que j’ai écrites au président. Le RHDP aurait gagné à avoir un processus inclusif et démocratique. Les primaires étaient une évidence. C’est parce qu’il n’y en a pas eu que j’ai dit que je ne m’impliquerai pas dans le processus.

C’est ce qui a motivé votre démission du gouvernement, le 18 mars ?

Ce n’est pas seulement pour ça. J’avais des divergences de fond, de valeurs. Je m’étais engagé auprès d’un homme, Alassane Ouattara. Aujourd’hui, il sait pourquoi je me suis retiré. Quand je vois l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire, je suis content de l’avoir fait.

Dans l’entourage du chef de l’État, on estime que vous n’avez pas joué franc jeu…

Je suis libre d’exprimer mes ambitions quand je le veux.

Aviez-vous dit votre opposition au choix d’Amadou Gon Coulibaly comme candidat ?

Je n’ai jamais eu de problème avec ce choix, mais avec le processus. J’ai connu Amadou Gon Coulibaly avant d’entrer en politique. Les familles Gon Coulibaly et Yacé, celle de ma mère, sont alliées. J’avais des rapports très chaleureux avec Amadou. Je l’aimais beaucoup. Quand il a été évacué en France pour ses soins, nous étions en contact. À son retour, le 2 juillet, nous avons communiqué tard dans la nuit.

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S’IL N’Y AVAIT PAS EU DE DÉCEPTION, JE NE SERAI PAS PARTI. »

Comment sont aujourd’hui vos relations avec Alassane Ouattara ?

Très bonnes. Je l’ai vu une fois depuis ma démission. Nous sommes en contact. Je lui ai dit que j’étais ouvert et qu’à tout moment, s’il a besoin de consulter ou de me dire quelque chose, je répondrai positivement. Nous avons un différend, mais nous ne sommes pas fâchés.

Diriez-vous qu’il vous a déçu ? 

S’il n’y avait pas eu de déception, je ne serai pas parti.

Quel regard portez-vous sur ses dix ans à la tête de la Côte d’Ivoire ?

Le président a travaillé. Il a un bilan. Je serais malhonnête de dire le contraire. Maintenant, je considère que l’on peut faire autrement et qu’il y a des valeurs qu’il faut remettre en avant.

Pensez-vous vraiment qu’aujourd’hui en Côte d’Ivoire, il soit possible de percer sans appartenir à l’un des trois grands partis traditionnels ?

L’avenir nous le dira. Peu de gens me pensaient capable de réunir les 1% de parrainages, mais je suis allé au-delà.

Selon vos détracteurs, vous manquez d’ancrage politique. Ils rappellent d’ailleurs que vous n’êtes pas parvenu à vous faire élire député à Aboisso en 2011…

J’ai perdu parce que j’ai été combattu par mon propre camp. Ils le savent.

Sur l’échiquier politique, vous considérez-vous comme un membre de l’opposition ?

Je suis moi-même.

Vous avez de fortes attaches avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Pourriez-vous y revenir ?

Je ne regarde jamais dans le rétroviseur.

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POURQUOI DEVRIONS-NOUS DEMANDER À EMMANUEL MACRON DE SE PRONONCER SUR QUOI QUE CE SOIT ? »

Quel était l’objet de votre récente rencontre avec Henri Konan Bédié ?

Nous avons échangé sur la situation en Côte d’Ivoire, qui est préoccupante. J’ai aussi vu l’ancien vice-président, Daniel Kablan Duncan. Je pense qu’il peut jouer un rôle même s’il n’est pas candidat. Je compte également m’entretenir avec Assoa Adou, Pascal Affi Nguessan, Simone Gbagbo. Je suis en contact avec Laurent Gbagbo, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé. Je parle avec tout le monde.

Vous étiez opposé à la levée de la limite d’âge pour être candidat à la présidentielle. Estimez-vous que la candidature de Bédié, qui a 86 ans, est souhaitable ?

Je ne porte pas de jugement sur l’âge, ni sur le fait qu’il ait l’ambition de redevenir président de la République. Le péché originel est d’avoir fait sauter le verrou. Si ça n’avait pas été le cas, il n’aurait pas été candidat.

Si vous deviez citer quatre mesures phares de votre programme, quelles seraient-elles ?

Je dévoilerai bientôt mon programme aux Ivoiriens. Ce que je peux dire, c’est qu’en cinq ans, on ne peut pas tout régler. Il y a des secteurs prioritaires comme la réconciliation, le social, la répartition des richesses, l’accès à l’éducation… Il faut aussi régler certains problèmes de gouvernance.

Ces derniers jours, plusieurs responsables de l’opposition ont appelé Paris à se prononcer sur la candidature d’Alassane Ouattara. Soixante ans après la fin de la colonisation, la France doit-elle s’impliquer dans le processus électoral en Côte d’Ivoire ?

Je peux comprendre que le président Emmanuel Macron soit attentif à la situation de notre pays et qu’il soit préoccupé. Mais c’est le problème de la Côte d’Ivoire. Quand il rencontre des difficultés, comme cela a été le cas avec les gilets jaunes, il ne nous appelle pas. Pourquoi devrions-nous lui demander de se prononcer sur quoi que ce soit ? Il faut être cohérent.

Mali : une deuxième jeunesse pour la mine historique de Morila ?

| Par 
Installations de Morila, au Mali.

Installations de Morila, au Mali. © Mali Lithium

Rachetée par la junior australienne Mali Lithium au géant canadien Barrick, la mine d’or malienne, dont les réserves paraissaient épuisées, s’apprête à produire de nouveau.

C’est une cession hautement symbolique, annoncée ce 31 août, que le canadien Barrick, deuxième producteur mondial d’or, entend conclure au Mali. La mine de Morila est le gisement qui a propulsé Randgold – qui a fusionné avec Barrick – dans la cour des grands producteurs d’or sur le continent au début des années 2000, sous la houlette de son emblématique fondateur sud-africain Mark Bristow, devenu depuis lors une figure clef du secteur aurifère.

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EN VINGT ANS, LE SITE A PRODUIT PAS MOINS DE 6,9 MILLIONS D’ONCES D’OR

Après ce premier succès ouest-africain, Randgold avait éprouvé son modèle de « découvreur et développeur de mines » ailleurs au Mali, puis en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Sénégal et en RDC, avant de convoler en justes noces avec Barrick. Après la fusion, finalisée en janvier 2019, Mark Bristow était devenu directeur général du nouvel attelage.

Changement de spécialité pour Mali Lithium

Depuis 2000, date de son entrée en exploitation, le site extractif de Morila, situé à quelque 280 km au sud-est de Bamako, a produit pas moins de 6,9 millions d’onces d’or, ce qui lui a valu à son apogée le surnom de « Morila Gorilla » (« Morila le gorille ») dans les milieux miniers.

Repoussée à plusieurs reprises, la fermeture définitive du site – devenu en 2015 un centre de traitement de stocks de minerais résiduels – était annoncée pour 2021. Mais la revente à la junior australienne Mali Lithium, titulaire de permis miniers adjacents, pourrait allonger à nouveau la durée de l’exploitation. En effet, le repreneur entend extraire encore 1,3 million d’onces du  principal gisement de Morila et de ses satellites.

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L’OR VA DEVENIR NOTRE CŒUR DE MÉTIER

Cotée à la bourse de Sidney (ASX) et initialement centrée sur l’exploration de lithium – et titulaire pour cela du permis de Goulamina, acquis en 2016 –, cette petite compagnie entend changer de minerai de prédilection.

« L’or va devenir notre cœur de métier. Nous n’excluons pas la mise en place d’un partenariat [pour l’exploitation du lithium] à Goulamina, voire une cession [de ce permis] », explique Alistair Cowden le PDG de la compagnie basée à Perth, interrogé par Jeune Afrique Business +. Mali Lithium détient déjà des permis dans l’or pour les projets extractifs de Massigui et Dankassa, situés dans la même région que Morila.

>>> À lire sur Jeune Afrique Business+ : Mali Lithium réglera Barrick et AngloGold en cash (22 millions $) et n’exclut pas de vendre Goulamina

« Nous allons lever de l’argent pour un règlement en cash », indique également le patron de Mali Lithium, qui précise que ce recours aux marchés permettra à sa compagnie, outre l’acquisition – estimée à environ 25 millions de dollars – de couvrir les investissements nécessaires au redéploiement de Morila.

Barrick poursuit sa route dans la sous-région

De son côté, Barrick entend bien poursuivre sa route au Mali, en dépit du coup d’État qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août dernier, qui n’a selon lui pas eu de conséquences sur sa production d’or dans le pays.

Le groupe canadien va concentrer ses efforts sur l’optimisation de l’exploitation de son complexe aurifère de Loulo-Gounkoto, qu’il qualifie de gisement de « classe mondiale », et dont il tire actuellement quelque 700 000 onces d’or chaque année.

Le géant entend poursuivre ses activités d’exploration au Mali et dans la sous-région pour lancer nouveaux projets miniers du même acabit, capables de produire plus de 500 000 onces par an.