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[Édito] Guinée, Côte d’Ivoire, Burkina… Des élections jouées d’avance ?

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Mis à jour le 27 juillet 2020 à 14h23
 
 

Par  François Soudan

François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

Dans un bureau de vote à Abidjan, en 2016.

Guinée, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger… Au cours des cinq prochains mois, cinq présidentielles cruciales vont se tenir en Afrique francophone. Et les jeux y sont plus ouverts qu’il n’y paraît.

« Une dictature, disait Georges Clemenceau, est un pays dans lequel nul n’a besoin de passer la nuit devant son poste de radio pour apprendre le résultat des élections. » À cette aune, indubitablement, l’Afrique n’est plus ce continent où voter revenait à parier sur une course à un seul cheval, quand tout, y compris les taux de participation mirobolants, était préfabriqué. De la Guinée à la Centrafrique en passant par la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Niger, aucun des cinq scrutins présidentiels de ces cinq prochains mois ne peut être considéré comme joué d’avance.

Certes, dans chacun de ces pays, ce qui fait le menu des brèves de comptoir de médias occidentaux obsédés par la résilience de pseudo-« traits culturels » africains sera probablement présent. Du vote communautaire à la fraude, de la manipulation des foules aux achats de voix, ces cinq élections se dérouleront (quoique à des degrés divers) sur fond de réactivation – voire d’exaltation – des clivages identitaires, de clientélisme assumé et de ce revers quasi inévitable de toute confrontation électorale sur le continent qu’est la violence physique.

Cependant, par rapport aux élections sans choix ni concurrence du passé, dont nul n’imagine plus le retour, le progrès est indéniable : la fraude et l’achat de voix ne sont plus l’apanage des partis ni celui des candidats au pouvoir, et, en deçà de ce qui est perçu comme le seuil de tolérance pour qu’une élection soit présumée libre (ne pas faire obstacle à l’alternance), tous les coups sont permis en démocratie électorale, y compris l’usage de la force. Plus il y a de choix, plus la lutte est âpre, mais à tout le moins y a-t-il compétition pour la conquête du pouvoir…

À Bamako comme à Conakry, la « ruecratie » risque, si elle s’impose, de remettre à la mode l’exact opposé de la démocratie : les juntes militaires

Guinée

C’est là que devrait avoir lieu, le 18 octobre, la première édition de cette série de scrutins présidentiels. À l’heure où ces lignes sont écrites, la coalition au pouvoir s’apprête à désigner son candidat, et, sauf révolution copernicienne, ce sera le président sortant, Alpha Condé. Tout comme son voisin Alassane Ouattara, Alpha Condé a fait adopter une nouvelle Constitution qui l’autorise à concourir. Mais à la différence de ce dernier, l’idée de céder la place à un dauphin ne l’a jamais effleuré : il se prépare à cette échéance depuis le jour de sa réélection, en 2015, persuadé de devoir achever son projet de modernisation de la Guinée avant de passer la main à une nouvelle génération.

Ses deux principaux adversaires, Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, que la mise en œuvre de ce scénario éliminerait ipso facto de la scène politique, sont résolus à l’en empêcher. Et comme ils ne reconnaissent pas à Alpha Condé le droit de se représenter, ce n’est pas dans les urnes mais dans la rue qu’ils comptent parvenir à leurs fins. Longtemps contraintes par la crise sanitaire, les manifestations devraient bientôt s’intensifier, et les dix semaines à venir seront tendues.

Si la très probable candidature d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat fait les affaires d’Alpha Condé, le président guinéen suit avec inquiétude les tentatives de déstabilisation de son camarade Ibrahim Boubacar Keïta, dont il est proche, au point de multiplier les appels téléphoniques aux protagonistes de la crise malienne. À Bamako comme à Conakry, la « ruecratie » risque fort, si elle s’impose, de remettre à la mode l’exact opposé de la démocratie : les juntes militaires.

Côte d’Ivoire

Les circonstances exceptionnelles qui ont amené Alassane Ouattara à faire le choix de se représenter le 31 octobre sont longuement analysées par Marwane Ben Yahmed, seul journaliste à s’être entretenu avec le président ivoirien, en marge des obsèques d’Amadou Gon Coulibaly. Je n’y reviendrai donc pas. Si ce n’est pour dire ceci : en 2011, dans son discours d’investiture, Alassane Ouattara plaçait sa présidence sous le sceau de « l’écriture d’une page nouvelle » de l’histoire de son pays.

Deux mandats plus tard, si la volonté de stabilisation par le biais de la croissance économique a incontestablement porté ses fruits, il n’en va pas de même de la stratégie de réconciliation nationale et de réduction des inégalités sociales.

À cette contradiction, il faudra que le candidat Ouattara apporte des promesses crédibles de solution, car, au-delà des polémiques sur son éligibilité, c’est sur elle que jouera Henri Konan Bédié. Faute, évidemment, de brandir la carte de l’alternance générationnelle (s’il est élu, le « sphinx de Daoukro » sera, à 86 ans, le vice-doyen des chefs d’État africains, juste derrière Paul Biya), le postulant du PDCI avance déjà celle de l’alternance communautaire. Quitte à laisser ses partisans relancer sur les réseaux sociaux la traque nauséeuse des « étrangers qui n’ont pas de village en Côte d’Ivoire » (sic).

Une décennie plus tard, la crise postélectorale demeure centrale dans le débat politique ivoirien, et elle continuera à le polluer tant que la vérité et la justice n’auront pas été complètement dites sur ces événements.

Burkina Faso

Il fut un temps où le régime de Blaise Compaoré rassemblait l’essentiel des élites du pays, le seul espace de compétition électorale se situant à l’intérieur du parti – ultra-dominant – au pouvoir. La révolution de 2014 a tout changé, sauf la mémoire : les Burkinabè savent que Roch Marc Christian Kaboré, qui briguera le 22 novembre un second mandat, tout comme ses concurrents Zéphirin Diabré, Kadré Désiré Ouédraogo, Eddie Komboïgo ou Gilbert Noël Ouédraogo, sont d’anciens barons du système mis en place par l’exilé d’Abidjan. Rares sont les candidats qui, à l’instar du juriste Abdoulaye Soma ou de l’ex-ministre Tahirou Barry, n’ont pas joui de postes avantageux à l’époque où l’alternance était un objectif improbable.

Reste que ce ne sont pas les comptes du passé qui sont un enjeu dans cette élection où le président Kaboré part en position de favori, face à une opposition désunie. Mais bien plutôt les comptes sécuritaires du présent. Groupes jihadistes, banditisme, litiges fonciers, milices paysannes, réfugiés : le bilan global des violences qui ont endeuillé le nord, l’est et l’extrême-ouest du Burkina Faso a été en 2019 supérieur à celui du Mali.

Quel impact cette situation aura-t-elle sur la présidentielle ? L’élection pourra-t-elle se tenir partout ? Et in fine : le chef de l’État a-t-il été à la hauteur du défi sécuritaire, compte tenu de la faiblesse des moyens dont il dispose ? De la réponse à ces questions dépend en partie le résultat des urnes, dans moins de quatre mois.

Niger

En désignant, il y a plus d’un an déjà, son dauphin pour la présidentielle du 27 décembre en la personne de Mohamed Bazoum, Mahamadou Issoufou a fait le pari de la modernité et du vote transversal : originaire d’une tribu arabe très minoritaire au Niger, l’ancien ministre de l’Intérieur peut apparaître a priori comme un candidat clivant qui devra en outre assumer la totalité du bilan de cette dernière décennie, y compris l’affaire récente des malversations présumées au sein du ministère de la Défense.

Mais Bazoum, qui sillonne le pays depuis plusieurs mois, est un homme politique aussi madré qu’expérimenté, le parti sur lequel il s’appuie, une machine électorale, et son mentor, quoi qu’on en dise, un démocrate candidat au prix Mo Ibrahim.

Pour autant, rien n’est gagné car la concurrence, renforcée par une société civile pugnace, est vive, même si Hama Amadou, qui fut en 2016 le principal adversaire du président Issoufou, ne pourra pas être de la partie. L’ex-Premier ministre Seyni Oumarou se présentera pour la troisième fois, l’ancien général putschiste (et président de la transition) Salou Djibo rêve de revenir au pouvoir, et le vibrionnant Ibrahim Yacouba (ancien ministre) d’y accéder, alors que l’entrepreneur Hamidou Mamadou Abdou s’imagine en émule de Patrice Talon. Les jeux sont ouverts…

Centrafrique

C’est sans doute l’élection la plus aléatoire des cinq : prévue en principe pour le 27 décembre, sans que l’on sache encore si les opérations d’enrôlement des électeurs pourront être achevées à temps. Ni quel pourcentage du territoire national sera concerné par ce scrutin.

Près des deux tiers du pays sont toujours contrôlés par des groupes armés, en principe signataires des accords de paix de Khartoum et de Bangui, mais dont les chefs Abbas Sidiki et Mahamat Ali Darassa continuent de se comporter en seigneurs de guerre. Milice peule d’autodéfense, le groupe 3R (Retour, Réclamation, Réhabilitation) tient ainsi le Nord-Ouest sous sa coupe, face à ce qui reste des bandes anti-balaka.

Dans ce contexte, la candidature programmée du président Touadéra à un second mandat revient à faire avaliser par les Centrafricains un constat d’échec. Mais dans un pays qui n’a jamais brillé par la qualité de son leadership, la gouvernance n’est pas un critère. Seule compte la capacité du candidat à redistribuer et à « saluer les fronts » de sa clientèle.

À ce jeu, celui qui tient le pouvoir à Bangui a sur ses adversaires une longueur d’avance, même si ces derniers – Anicet-Georges Dologuélé, Martin Ziguélé, Désiré Kolingba, Catherine Samba-Panza, Karim Meckassoua, avec l’ex-président François Bozizé en faiseur de rois – peuvent espérer, dans le cadre d’un éventuel second tour au début de février 2021, le renvoyer à sa chaire de mathématicien émérite. Encore faudrait-il pour cela qu’ils aient trouvé le vaccin contre le coronavirus des hommes politiques africains : l’ego.

Burkina: Eddie Komboïgo, candidat du CDP à la présidentielle, adoubé par Compaoré

Eddie Komboïgo, président du parti de Blaise Compaoré, le 10 mai 2015 lors du congrès du CDP.
Eddie Komboïgo, président du parti de Blaise Compaoré, le 10 mai 2015 lors du congrès du CDP. AFP PHOTO / AHMED OUOBA
Texte par : RFI
2 mn

Après le rendez-vous manqué de 2015 – il avait été exclu suite à l’application du code électoral pour avoir soutenu le projet de modification de la Constitution ayant conduit à la chute de Blaise Compaoré –, Eddie Komboïgo a dit accepter « cette charge exaltante », validée par Blaise Compaoré, le président d’honneur du CDP.

Avec notre correspondant à Ouagadougou, Yaya Boudani

Comme attendu, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l'ancien parti au pouvoir, a investi Eddie Komboïgo ce dimanche candidat pour la présidentielle de novembre 2020.

C’est dans un palais des sports chauffé à blanc par des milliers de militants de l'ancien parti au pouvoir qu'Eddie Komboïgo a reçu l’acte d’investiture et le drapeau. Il a tenu à mettre fin à toute contestation sur le choix de sa personne. « Le président d'honneur, le camarade Blaise Compaoré, conformément aux statuts du parti, a validé le choix de ma candidature. J'accepte avec beaucoup d'humilité et d'honneur de porter cette charge exaltante pour relever le défi de la conquête du pouvoir » par les urnes.

Prenant la parole au nom des partis invités, Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition et candidat également à la présidentielle, a annoncé la signature prochaine d’un accord politique entre les différents partis de l’opposition. « Il faut que nous soyons soudés et rassemblés. C'est pour cela que nous avons travaillé sur un accord politique. Au premier tour, chacun d'entre nous va les mordre là où il peut les mordre et au second tour nous allons nous rassembler derrière ceux qui seront devant pour remporter la mise et renverser le MPP [parti de Roch Marc Christian Kaboré, au pouvoir] »

Quant au candidat Eddie Komboïgo, il a pris l’engagement de rassembler « tous les Burkinabè qui aspirent au changement pour une victoire totale au soir du 22 novembre ».

Un sommet extraordinaire de la Cédéao pour tenter de sortir le Mali de la crise politique

Des manifestants réclamant le départ du président IBK, lors d'un rassemblement à Bamako, le 10 juillet 2020.
Des manifestants réclamant le départ du président IBK, lors d'un rassemblement à Bamako, le 10 juillet 2020. REUTERS/Matthiew Rosier NO RESALES.
Texte par : RFI
2 mn

La rencontre de ce lundi doit se dérouler par visioconférence est sera donc consacrée à la situation au Mali. Cinq chefs d'État de l'institution sous-régionale ont séjourné jeudi à Bamako, mais aucune solution n'a pour l'heure été trouvée. 

Avec notre correspondant à Bamako, Serge Daniel

Au Mali, les regards sont tournés ce lundi vers la rencontre des chefs d’État de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Que va-t-il en sortir ? Quelle sera la solution de sortie de crise ? Les questions sont nombreuses.

De source proche de l’organisation de la rencontre, la réunion pourrait d’abord se féliciter de la récente mission de cinq chefs d’État à Bamako. Mahamadou Issoufou, qui a une double casquette de président du Niger et de président en exercice de la Cédéao, pourrait alors prendre la parole pour faire le bilan de cette visite.

Une ligne rouge

Lors de ce séjour à Bamako, il a rencontré, en compagnie des autres présidents, la majorité présidentielle, la société civile et l’opposition malienne. Et ils ont établis un plan de sortie de crise pour le Mali qui se résume à trois points : le règlement du contentieux électoral, l’installation d’une nouvelle Cour constitutionnelle et la formation d’un gouvernement d’union nationale.

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Ce n’est pas du tout suffisant, affirme de son côté l’opposition malienne qui réclame notamment la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta. Ce qui reste la ligne rouge à ne pas franchir, rétorquent déjà les chefs d’État de la Cédéao.


■ Dialogue nécessaire pour Soumeylou Boubeye Maïga

Pour l'ancien Premier ministre malien Soumeylou Boubeye Maïga, il faut que les Maliens saisissent certes, la main tendue de la Cedéao, mais qu'ils se parlent davantage entre eux et que le président Ibrahim Boubacar Keïta en prenne l’initiative.

De mon point de vue, le président de la République doit avoir un dialogue direct.

Soumeylou Boubeye Maïga, ancien Premier ministre du Mali

Tchad: tension après un incident meurtrier entre un militaire et un civil à Ndjamena

Une vue de Ndjamena, capitale du Tchad. (Image d'illustration)
Une vue de Ndjamena, capitale du Tchad. (Image d'illustration) Xaume Olleros / AFP
Texte par : RFI
2 mn

Un colonel de l’armée et un mécanicien ont une altercation sur un marché de Ndjamena. Un marché qui regroupe des centaines d’échoppes vendant des pièces détachées pour automobiles et autour duquel se sont greffés, au fil des années, des centaines de garages illégaux, mais tolérés. Depuis, l’affaire a pris des proportions démesurées et menace la paix civile, selon les autorités qui tentent d’éteindre l’incendie.

Lors de cette altercation, le 14 juillet, l’officier supérieur a tiré sur le mécanicien ainsi que sur un de ses collègues. Selon le procureur de la capitale, la foule en colère s'en est alors pris au colonel. Le jeune mécanicien a succombé à ses blessures, alors que l’officier tchadien a passé plusieurs jours dans le coma.

Suite à cette affaire, lundi, le maire de Ndjamena s’est rendu sur ce marché et dit avoir constaté la présence de « milliers de délinquants et de drogués ». Il leur a demandé de vider les lieux « immédiatement ».

Les forces de l’ordre sont ensuite venues le lendemain pour détruire une partie des hangars construits autour de ce marché et qui servaient d’abris notamment à des centaines de jeunes mécaniciens.

Pas d’opération de « déguerpissement forcé »

Depuis, le maire Oumar Boukar a tenté de calmer le jeu en assurant à RFI qu’il n’y aurait finalement pas d’opération de « déguerpissement forcé ».

Il faut savoir que la tension n’avait cessé de monter, alimentée surtout par des rumeurs propagées sur les réseaux sociaux, sur « d’horribles sévices » infligés aux sept suspects aux mains de la justice. « On se devait d’agir, on a été obligé de restreindre provisoirement l’accès à internet en vue d’endiguer ce flot de rumeurs pernicieuses », a justifié une source gouvernementale tchadienne.

Ce mercredi, le procureur de Ndjamena a dû organiser une conférence de presse pour démentir toutes ces accusations. Et pour prouver ses dires, il a amené séance tenante les journalistes à la maison d’arrêt d’Amsinené pour leur montrer que les sept prévenus étaient « bien portants ».

Néanmoins, de nombreuses voix dénoncent un énième assassinat à l’actif d’un haut gradé de l’armée, « parce qu’ils se croient au-dessus des lois ». Le procureur Youssouf Tom s’est voulu rassurant là aussi. « Le colonel incriminé est sous surveillance policière », il sera « inculpé pour meurtre et placé sous mandat de dépôt dès sa sortie d’hôpital », a-t-il promis.

Côte d'Ivoire: Alassane Ouattara sera-t-il candidat à la présidentielle?

Le président ivoirien Alassane Ouattara.
Le président ivoirien Alassane Ouattara. REUTERS/Afolabi Sotunde
Texte par : Jeanne Richard
4 min

Qui sera le candidat du pouvoir à l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire ? Le décès d’Amadou Gon Coulibay, Premier ministre et dauphin d’Alassane Ouattara bouleverse la stratégie de l’actuel chef de l’État. La candidature du président ivoirien à sa propre succession est évoquée par nombre d’observateurs et au sein de son propre camp, le parti RHDP. Il avait pourtant déclaré qu’il ne serait pas candidat à sa propre succession.

C’était le 5 mars dernier. Alassane Ouattara s’exprimait devant les parlementaires réunis en Congrès. « Je voudrais vous annoncer solennellement que j’ai décidé de ne pas être candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 […] et de transférer le pouvoir à une jeune génération. » Un discours unanimement salué.

Mais pour le sociologue Francis Akindès, après la mort d’Amadou Gon Coulibaly, successeur fidèle qui aurait pu assurer au président une retraite paisible, l’annonce de la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat ne fait plus de doute : « Le changement de contexte sert de justification au fait qu’il veuille revenir sur sa décision et se représenter. » Le président, rappelle aussi Francis Akindès, avait également déclaré « que si son challenger principal, l’ancien président Henri Konan Bédié, se présentait, alors il se présenterait aussi ».

Éviter une guerre de succession en interne

Le chef de l’État et son entourage, note le sociologue, répètent désormais que « la donne » ou « le contexte » a changé. « Il faut construire l’argumentaire qui justifie vraiment le fait de se dédire, explique Francis Akindès. Quelles raisons objectives se donne-t-il pour revenir sur sa parole sans donner l’impression de faillir face à ses propres engagements ? Je pense que c’est ce à quoi il réfléchit en ce moment. »

Surtout, au sein du parti présidentiel, le choix d’Amadou Gon Coulibaly avait déjà fait des déçus qui ont pris leurs distances ou qui ont quitté le RHDP. Aujourd’hui, à trois mois de la présidentielle, il s’agit d’éviter une guerre de succession en interne. « Il sait que dans ses rangs il y a beaucoup de velléitaires. Mais s’il doit laisser ces velléités, ça va encore plus compliquer les choses. Donc cela s’impose à lui de faire taire dans ses rangs les tensions qu’il peut y avoir », estime Francis Akindès.

D’un autre côté, dans un paysage politique où les figures des années 1990 sont encore au devant de la scène dans les principaux partis - Laurent Gbagbo au FPI, Henri Konan Bédié au PDCI et Alassane Ouattara au RHDP - l’horizon politique est bouché pour les générations suivantes qui souhaiteraient peut être enfin avoir leur chance.

Risque de tensions

Si Alassane Ouattara, au pouvoir depuis neuf ans, se déclare, s’ouvrirait aussi le débat de la constitutionnalité de sa candidature. Le nombre de mandats présidentiels est toujours limité à deux, mais pour les soutiens du président, la nouvelle Constitution de 2016 remettrait les compteurs à zéro. Or selon certains juristes, l’article 183 de la Constitution, qui stipule que la législation en vigueur avant 2016 reste applicable aujourd’hui, signifierait qu’Alassane Ouattara ne peut pas briguer un troisième mandat.

« En Côte d’Ivoire, près de la moitié des membres du Conseil constitutionnel sont nommés par le président de la République. On pourrait légitimement se demander s’ils auront la capacité à prendre du recul pour traiter pareil dossier », souligne Sylvain N'Guessan, analyste politique, qui dirige l'Institut de stratégie d'Abidjan. Des tensions au sein de la société ne sont ainsi pas à écarter, estime-t-il : « Les risques de violences ne sont pas toujours loin des urnes en Côte d’Ivoire, et une telle candidature pourrait susciter des risques. » Toutefois, il est « difficile de d’évaluer l’ampleur de ces risques actuellement », tempère Sylvain N'Guessan.

Quelle réaction de la communauté internationale ?

Les deux analystes sont d’accord pour dire que si ces possibles tensions, son âge (78 ans), ou les accusations de ne pas tenir sa promesse de ne pas se représenter peuvent le faire hésiter, cela reste insuffisant pour faire renoncer Alassane Ouattara. « Les pressions internationales ne jouent plus autant qu’elles jouaient il y a une dizaine ou une vingtaine d’années », note aussi le sociologue Francis Akindès.

La communauté internationale, la France en particulier, pourrait d’ailleurs s’accommoder d’un troisième mandat d’Alassane Ouattara, selon Sylvain N’Guessan. « Entre quelqu’un qui arrive tant bien que mal à maintenir la stabilité, même si c’est par la peur, et un nouveau candidat qui pourrait peut-être ne pas réussir à conduire le navire avec la menace terroriste, le piratage en mer, les violences en interne, etc, on peut se demander où se trouvent les intérêts des acteurs extérieurs », analyse-t-il.

« La véritable question, c’est de savoir qui pourrait gérer l’héritage du RHDP. Avec tout ce qui a été fait aux cadres du FPI de Laurent Gbagbo, par exemple - gel des avoirs, exils, prison… - ils ont des raisons légitimes d’avoir peur du retour du bâton. En vue de préserver sa personne, son héritage et son clan, Alassane Ouattara pourrait se présenter », avance le politologue.

Selon Francis Akindès, l’annonce officielle de la candidature d’Alassane Ouattara n’est donc qu’une question de temps. La date limite du dépôt des candidatures est fixée au 31 août prochain mais le recueil des parrainages citoyens, nécessaires à la validation de ces candidatures, a déjà débuté.