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[Chronique] Mali : quand les putschistes attirent les putschistes

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Par  Damien Glez

Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.

Damien Glez

Un débat se fait jour au lendemain de l’apparition d’Amadou Sanogo, en uniforme d’apparat, lors de la célébration du 60e anniversaire de l’indépendance du Mali.

Dans le pays aux quatre coups d’État, les putschs se suivent mais ne se ressemblent pas. Et leurs auteurs, chacun à sa manière, se rappellent ces jours-ci au bon souvenir des Maliens. Sans être toujours le ressort d’une réhabilitation formelle, un décès est souvent l’occasion d’une commémoration en trompe l’œil. Et voilà le tombeur de Modibo Keïta, le général Moussa Traoré décédé ce 15 septembre, dépeint avec une certaine bienveillance par son propre tombeur, le général Amadou Toumani Touré, tout masque dehors.

Novembre 1968 et mars 1991 suggérés en filigrane de la transition malienne version 2020, il ne manquait plus qu’une évocation du 22 mars 2012, de ce couac militaire qui devra au voisin burkinabè Gilbert Diendéré de ne pas rester dans l’histoire comme « le coup d’État le plus bête du monde ». L’ancien président du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE) a tenu à combler cette lacune potentielle en apparaissant en public à Bamako…

En tribune officielle

C’est même un général Amadou Sanogo en uniforme d’apparat – lunettes noires, casquette, fourragère et médailles – qui s’est affiché, ce 22 septembre, lors d’une parade organisée à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance. Il n’avait pas l’air d’un intrus, d’ailleurs, installé qu’il était en tribune officielle. Ce statut apparent de V.I.P. a suscité quelques critiques, notamment sur les réseaux sociaux.

Le point de fixation de la grogne est la situation judiciaire de l’ancien professeur d’anglais du Prytanée militaire de Kati. Suite à des exactions commises, en 2012, par des hommes censément proches de lui, Sanogo fut inculpé, en novembre 2013, de meurtres et d’assassinats. S’il a bénéficié, en janvier dernier, d’une liberté provisoire pour des raisons de santé, son procès n’est pas arrivé à son terme.

Face à la désinvolture de l’ancien putschiste en mode selfies, cette semaine, le coordonnateur de la justice transitionnelle au Mali, Abdoulaye Doucoure, parle d’«insulte aux victimes », de « déni total du droit », voire de « menace pour la paix et la réconciliation nationale ».

D’autres observateurs suggèrent un scandale politicien bien plus élaboré qu’une simple expression de laxisme judiciaire. Des posts d’internautes imaginent une connivence entre Sanogo et certains des militaires qui ont renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta. Et les plus conservateurs d’exhumer des photographies des putschistes de 2012, notamment un cliché où figure le colonel Malick Diaw, numéro deux de la junte malienne actuelle.

À la croisée des chemins politico-sécuritaires, le Mali n’a besoin ni de se rappeler les transitions ratées, ni de suspecter des coups d’État en échos…

Tchad : comment Déby Itno mise sur l’or du Tibesti

| Par Jeune Afrique
Le président tchadien Idriss Déby Itno à Yeribou, dans le Tibesti, le 2 mars 2020.

Le président tchadien Idriss Déby Itno à Yeribou, dans le Tibesti, le 2 mars 2020. © Présidence Tchad

Le 7 septembre, le comité d’auto-défense de Miski (Tibesti) s’est retiré de l’accord de paix qui le liait au gouvernement depuis novembre 2019. Un nouveau contretemps pour Idriss Déby Itno et sa stratégie minière, dont Jeune Afrique vous dévoile les dessous.

Le bras de fer a repris entre Idriss Déby Itno (« IDI ») et Togoï Oya, le commandant du comité d’auto-défense de Miski. Sous l’impulsion de ce dernier, les notables rebelles du comité du Tibesti ont décidé, lors d’une réunion le 7 septembre à Miski, de se retirer du fragile accord de paix qui les liait au gouvernement depuis novembre 2019.

Selon nos sources, le comité d’auto-défense de Miski reproche avant tout au pouvoir central de N’Djamena de vouloir mettre la main sur la manne aurifère de la région. Depuis plusieurs années, Idriss Déby Itno compte en effet sur le potentiel minier du Tibesti pour combler le déficit budgétaire de son pays lié à la chute des revenus pétroliers.

Le président a envoyé plusieurs émissaires dans la région : l’ex-président Goukouni Weddeye et le général Oki Dagache, tous deux Toubous, le ministre délégué à la Défense, Mahamat Abali Salah, le directeur général des Douanes (et neveu du chef de l’État), Charfadine Abdelkerim ou encore son fils et directeur de cabinet adjoint Abdelkerim Déby Itno.

IDI a pour objectif d’attirer des « majors » minières, après avoir sécurisé le terrain – et limité les activités des orpailleurs locaux et étrangers – grâce à l’armée et à la Direction générale des services de sécurité des institutions de l’État (DGSSIE), que dirige son fils, Mahamat Idriss Déby. Ce dernier a été envoyé plusieurs fois en mission à Miski, mais ses relations avec les notables toubous restent mauvaises.

Des sociétés liées à la famille Déby

Plusieurs des sociétés présentes dans le Tibesti sont intimement liées à la famille du président. Parmi elles, GMIA Minerals, présente dans la région grâce à un permis d’exploration accordé par N’Djamena en juillet 2014. Celle-ci dispose de fonds en provenance d’Afrique du Sud. Elle est d’ailleurs officiellement dirigée par le Sud-Africain Albert Matthews.

Mais, selon nos sources, l’administration de GMIA Minerals compte surtout dans ses rangs l’ancien directeur général des Douanes et ex-patron du Bureau national du fret Osman Oume Dindima. Ce dernier est également le beau-fils de Daoussa Déby Itno, le frère aîné d’IDI, ancien ministre plus connu pour ses activités d’homme d’affaires dans le BTP.

Très présent dans les mines, il entretient des liens privilégiés avec des investisseurs d’Afrique du Sud (où il a lui-même investi dans l’immobilier). Il avait été reçu, le 14 février 2020 en compagnie d’Albert Matthews, par Idriss Déby Itno pour signer un mémorandum d’entente entre GMIA Minerals et la Société nationale des mines et de la géologie.

Une autre société, ADTM, active sur le site aurifère de Kouri Bougoudi, a pour directeur Bokhit Bahar Mahamat Itno, neveu du président. Selon nos informations, ce dernier a reçu en juin l’appui de la brigade minière du Tibesti, laquelle est chargée de stopper les activités des orpailleurs sur les sites attribués à ADTM. Bokhit Bahar Mahamat Itno est le frère du général Ousmane Bahar Mahamat Itno, commandant de la force mixte Tchad-Soudan.

 

Présidentielle en Guinée: la classe politique divisée après l'audit de la Cédéao

Les cartes d’électeurs sont vérifiés dans un centre de distribution, dans le quartier Koloma, à Conakry.

Les cartes d’électeurs sont vérifiés dans un centre de distribution, dans le quartier Koloma, à Conakry.
 RFI/Carol Valade
Texte par :RFISuivre
3 mn

Les réactions se multiplient après l’audit du fichier électoral par trois experts de la Cédéao. Le camp de la majorité présidentielle se dit satisfait. Mais l’opposition guinéenne est plus méfiante quant à la fiabilité de cette liste électorale.

Avec notre correspondant à Conakry, Mokhtar Bah

L’audit du fichier électoral guinéen par trois experts de la Cédéao a abouti à la radiation de « faux électeurs », des mineurs, des personnes décédées et des doublons. Le parti au pouvoir s’en félicite, et invite tout le monde aux urnes pour l'élection présidentielle du 18 octobre prochain.

« La Cédéao, en donnant son quitus, fournit la preuve que notre pays est réellement sur la bonne voie. Cela nous satisfait et je crois que cela satisfait ceux qui vont à l’élection présidentielle », se réjouit Malick Sankon, membre du Bureau exécutif du RPG au pouvoir. Pour lui, le fichier électoral est « bon » et les élections pourront « se tenir, comme c’est prévu » le 18 octobre. « Nous avons toujours souhaité que l’élection soit inclusive. Alors, tout ce qui peut rassurer ceux qui partent dans la compétition, cela nous fait plaisir », conclut-il.

De son côté, l’opposition émet des réserves sur le travail des experts. « Plus de 50 % des électeurs qui sont dans le fichier guinéen ne sont pas enregistrés sur la base d’une pièce d’identité fiable », critique Cellou Baldé, vice-président de la Commission électorale de l’UFDG, principal parti d’opposition.

Dérapages

Selon lui, il y avait du travail à faire en amont. « Si la Cédéao avait fait un travail sérieux dans l’accompagnement technique de la Céni, les listes devraient être validées, affichées, le contrôle des inscriptions fait, et après cela, les cartes d’électeurs [devraient être] imprimées pour permettre à ce que tout citoyen guinéen en âge de voter, qui est correctement inscrit, puisse avoir sa carte électorale ».

La campagne électorale qui avait timidement commencé, a connu quelques dérapages ces derniers jours, avec des affrontements entre militants rivaux en Haute-Guinée.

Après le Sénégal et la Côte d’Ivoire, le Togo révise son PIB

| Par 
Mis à jour le 24 septembre 2020 à 18h08
Une vue de Lomé, en 2014. Photo d'illustration.

Une vue de Lomé, en 2014. Photo d'illustration. © Jacques TORREGANO pour Jeune Afrique

Avec la réévaluation, le produit intérieur brut togolais bondit de plus de 36 %, ce qui accroît les capacités d’endettement du pays.

Après le Sénégal en 2018 et la Côte d’Ivoire en mars, c’est au tour du Togo de réévaluer son produit intérieur brut (PIB). Annoncée le 22 septembre, cette réévaluation découle de la modification par l’Institut national de la statistique et des études économiques et démographiques (Inseed) de l’année de base utilisée pour le calcul des comptes nationaux : la nouvelle année de base est 2008 alors que les précédents calculs du système des comptes nationaux reposaient sur l’année 1993.

« Cette réévaluation permet au Togo de mieux rendre compte de la réalité de son économie, en intégrant dans l’estimation de la richesse des secteurs qui n’existaient pas ou étaient insuffisamment pris en compte, notamment les activités informelles, l’économie bleue, les services financiers assurés par les opérateurs de téléphonie», précise à Jeune Afrique un membre du comité technique en charge du processus comptable.

Résultat : le PIB du pays fait un bond de 36,5 %. Ce saut est supérieur à la moyenne des pays de la région qui ont déjà réévalué leur PIB (Burkina: 13 %, Sénégal : 30 %, Niger: 30 %) mais inférieur au résultat de la locomotive de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), la Côte d’Ivoire, dont le PIB a augmenté de 38 %.

Le plan de développement en révision

Concrètement, avec le nouveau système, le PIB togolais de 2016 passe à 3 574,4 milliards de francs CFA (environ 5,4 milliards d’euros), contre 2 618,1 milliards de F CFA avec l’ancienne année de base. Pour l’année 2017, le PIB réel est de 3 729,8 milliards de F CFA (environ 5,6 milliards d’euros), correspondant à un taux de croissance de 4,3 % sur un an. Et, pour cette année, l’estimation du nouveau PIB s’élève à 4 399,9 milliards de F CFA (soit 6,7 milliards d’euros), bien supérieure au chiffre de 3 322,3 milliards de F CFA obtenu avant la révision.

Cette mise à jour des modes de calcul des comptes nationaux intervient alors que les autorités togolaises sont en train de revoir le Plan national de développement (PND), qui avait fixé des objectifs pour la période 2018-2022 mais dont le déploiement est perturbé par les conséquences de la pandémie de coronavirus.

« Le rebasage améliore l’évaluation que les partenaires et les investisseurs font de l’économie togolaise», a indiqué à JA le ministre des Finances, Sani Yaya. « Cette réévaluation est une avancée supplémentaire dans l’amélioration de la gouvernance économique amorcée depuis quelques années, permettant le reprofilage de la dette du pays et le respect du programme avec le Fonds monétaire international (FMI) », a-t-il ajouté. Le processus ouvre notamment une possibilité pour Lomé de bénéficier du « Compact with Africa », initiative lancée par l’Allemagne en 2017 pour encourager les échanges commerciaux avec le continent et les investissements allemands en Afrique.

Plus d’investissements publics

Autre aspect positif de ce rebasage, et non des moindres, le déficit budgétaire, qui s’élevait à 68,6 %, enregistre une baisse drastique de 27 points. « Le taux d’endettement est désormais de 51,8 %. Concrètement, l’État retrouve des marges de manœuvre pour plus d’investissements publics, via le recours aux emprunts, afin de mener des actions notamment dans les secteurs à fort impact social », a indiqué le membre du comité technique sollicité.

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RAMENER LE TAUX DE PRESSION FISCALE À UN SEUIL ACCEPTABLE

« Le rebasage redonne effectivement une capacité d’endettement avec un taux autour de 51 %, largement inférieur à la norme communautaire de 70 % », commente, sous couvert d’anonymat, un économiste installé à Lomé. « Néanmoins, il demeure un défi de taille, commun à nombre de pays de la zone, à savoir l’amélioration de la taxation de l’économie. Car, avec la réforme, le taux de pression fiscale chute mécaniquement de 21,1 % à 14,6 %. Il va falloir ramener ce taux à un seuil acceptable », insiste notre interlocuteur, rappelant que la norme régionale  se situe autour de 20 %.

Mali: Goodluck Jonathan à Bamako pour une possible levée des sanctions de la Cédéao

L'ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan, aujourd'hui médiateur de la Cédéao.

L'ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan, aujourd'hui médiateur de la Cédéao.
 REUTERS/Afolabi Sotunde
Texte par :RFISuivre
4 mn

L'ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan, est arrivé mercredi 23 septembre à Bamako pour une visite de quarante-huit heures. Une semaine après le sommet d'Accra avec la junte malienne, le médiateur de la Cédéao vient voir si les conditions sont réunies pour lever les sanctions imposées par la communauté ouest-africaine au lendemain du coup d’État du 18 août. 

Avec notre envoyée spéciale à Bamako, Florence Morice

La visite de Goodluck Jonathan était très attendue au Mali. L'ex-président nigérian est finalement arrivé à Bamako ce mercredi 23 septembre dans l'après-midi. Son séjour ici représente un enjeu de taille pour le pays : les sanctions imposées par la Cédéao après le coup d'État du 18 août commencent à peser sur les populations et les finances publiques. « C’est au chef de l’État ghanéen Nana Akufo Addo », président en exercice de la Cédéao, qu’il revient de se prononcer sur une éventuelle levée des sanctions, a expliqué le médiateur.

Mardi, le colonel Assimi Goïta a, pendant la fête de l'indépendance, appelé à leur levée pour « le bonheur des Maliens ». Mais la Cédéao a conditionné cette levée de sanctions à la nomination de deux civils au poste de président de la République et de Premier ministre de la transition.

La Cédéao veut un Premier ministre au profil strictement civil cette fois

Certes, l'étape du président a été franchie lundi, et saluée comme un moment important. Mais la Cédéao attend maintenant un Premier ministre. Et elle veut une personnalité strictement civile cette fois, sans passé militaire, comme c'est le cas du président Bah N'Daw. Au soir du coup d'État, le 18 août dernier, la junte avait promis une transition civile, avant d'essayer de convaincre la communauté ouest-africaine d'accepter une transition militaire. Il s'agit d'une ligne rouge à ne pas franchir pour la Cédéao.

Le choix de nommer le chef de la junte Assimi Goïta à la vice-présidence fait craindre à certains que les auteurs du coup d’État cherchent à conserver les leviers du pouvoir de manière déguisée. La Cédéao a donc besoin de garanties. Mardi dernier à Accra, elle avait d’ailleurs réclamé un toilettage de la charte de la transition afin que le vice-président ne puisse pas remplacer le président en cas d’empêchement ou de démission. Elle avait aussi plaidé pour la libération d'un certain nombre de responsables arrêtés le 18 août, dont l'ancien Premier ministre Boubou Cissé. Pour les chefs d’État de la région, ce n’est pas un préalable à la levée des sanctions, mais il devrait en être question au cours de l’entretien prévu ce jeudi 24 septembre entre le colonel Assimi Goïta et Goodluck Jonathan.

Une rencontre sans doute décisive suivie d'une autre avec nouveau le président Bah N'Daw. Le nouveau Premier ministre ne devrait pas être connu avant vendredi, car il doit être nommé par le nouveau président. Or, celui-ci ne sera investi que vendredi, justement. C'est ce jour-là que la Cédéao pourrait se prononcer quant à une possible levée des sanctions.