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Coups d’État en Afrique de l’Ouest: une redistribution des cartes politiques

 

Quelles sont les conséquences politiques et les impacts sous-régionaux des coups d’État de 2021 en Afrique de l’Ouest ? Le Mali, la Guinée et le Tchad sont au cœur de transitions politiques complexes, sous pression d’institutions régionales qui cherchent aussi à garder le contrôle.

L’Afrique de l’Ouest a toujours été marquée par des renversements de régime mais cette année, on a vu apparaitre deux « familles » de coups d’État, une distinction qui n’a fait qu’accentuer les tensions politiques dans la sous-région. Avec ou sans armes : voilà, en schématisant, la distinction faite par les États et les institutions.

D’un côté, on observe l’acceptation d’un coup d’État institutionnel, avec le maintien au pouvoir d’une lignée, comme celle de la famille de feu Idriss Déby Itno au Tchad. De l’autre, le rejet des coups d’État militaires, comme au Mali en août 2020 puis en mai dernier et en Guinée début septembre.

Début décembre, lors du sommet paix et sécurité de Dakar, le président Macky Sall, comme l'avait fait avant lui le chef de l’État français Emmanuel Macron, faisait encore cette distinction en ne citant que le Mali et la Guinée : « En Afrique de l’ouest, nous avons deux pays qui ont été frappés, le Mali et la Guinée. Nous ne pouvons pas accepter que les militaires prennent le pouvoir par les armes. Nous sommes en démocratie, le pouvoir se conquiert par les élections. »

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Des habitants applaudissent les soldats de l'armée alors qu'ils célèbrent le soulèvement à Conakry, en Guinée, le 5 septembre 2021. © REUTERS/Souleymane Camara

Même si Macky Sall et ses homologues ne le reconnaissent pas, ces coups d'État au Tchad, au Mali et en Guinée sont avant tout la conséquence de dérives politiques : volonté de rester au pouvoir, État au service d’un clan ou encore violations des droits de l’homme...

Pour Alioune Tine, ancien responsable d’Amnesty International en Afrique de l’Ouest et fondateur du think thank, AfrikaJom Center, les putschs se sont multipliés car la Cédéao est affaiblie par ces dérives à répétition des dirigeants. « Les coups d’État sont la conséquence de dysfonctionnements graves et en réalité, le coup d‘État arrive comme une espèce de thérapie mais c’est une fausse thérapie. Cela révèle une chose, c’est l’effondrement des mécanismes de régulation des tensions politiques à la Cédéao. La Cédéao s’est pratiquement effondrée, le leadership est assuré par des pays qui ne sont pas démocratiques. La politique ne fait plus sens et quand les militaires arrivent, les gens applaudissent », explique-t-il.

De l’élite politique à l’élite militaire  

Point commun de ces putschs, les dirigeants des transitions politiques sont des hauts gradés de l’armée qui refusent de se soumettre. Mahamat Idriss Deby Itno au Tchad était responsable de la sécurité du palais présidentiel. Assimi Goïta au Mali et Mamadi Doumbouya en Guinée étaient tous deux leaders des forces spéciales. Trois dirigeants autoproclamés présidents qui ont fait le choix stratégique de dissoudre les institutions, bloquant, de fait, tout retour en arrière.

Faiblesse des institutions locales, perte d’influence de la France, faiblesse également de la Cédéao et de l’Union africaine, tous ces éléments ont permis à ces militaires de s’imposer jour après jour, estime Ibrahima Kane, observateur et militant sénégalais des droits de l’homme. « On est dans des sociétés qui sont en totale décomposition. Il n’y a plus de structures capables de jouer le rôle que la société civile jouait par le passé. Et cela permet à ces militaires de surfer, de développer des stratégies, d’aller dans des directions qui sont les leurs et qui ne sont pas celles de la population. Aujourd’hui, en dehors de ces militaires, il n’y a absolument rien », analyse-t-il.  

 

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Des soldats de l'armée malienne du CNSP à une manifestation célébrant le coup d'Etat place de l'Indépendance à Bamako, au Mali, le 21 août 2020. REUTERS/Mamadou Keita

 

Alioune Tine va dans le même sens. Il estime que ces coups d’État à répétition en 2021, avec des dirigeants de transition qui refusent de respecter les codes constitutionnels, notamment les calendriers pour organiser des élections, sont un des signes, une conséquence directe aussi, de systèmes démocratiques à bout de souffle en Afrique de l’Ouest. « On vit quand même une des périodes historiques postcoloniales les plus sombres dans l’espace Cédéao. Et il me semble que nous devons repenser les démocraties en Afrique de l’Ouest, repenser la gouvernance et repenser la géopolitique », selon lui.

Début janvierMacky Sall prendra la tête de l’Union africaine. Très critique sur ces putschs, il sera intéressant de voir si le président sénégalais, qui refuse de son coté de dire s’il sera ou non candidat à un troisième mandat, poussera ou contraindra les dirigeants des transitions au Mali et en Guinée, mais aussi du Tchad, à organiser au plus vite les élections présidentielles. 

► À écouter aussi: Alioune Tine: «En Afrique, les coups d'État militaires, symptômes du dysfonctionnement démocratique»

Côte d’Ivoire : Henri Konan Bédié mis en cause dans les violences de 2020

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 28 décembre 2021 à 16:50
 

 

Henri Konan Bédié lors d’un meeting du PDCI, pendant la campagne présidentielle, le 21 septembre 2020, à Yamoussoukro. © Diomande Ble Blonde/AP/SIPA

 

Le rapport d’enquête sur les crimes commis après la réélection d’Alassane Ouattara, en octobre 2020, a été rendu public ce lundi 27 décembre. Il met en avant la responsabilité de nombreux opposants, au premier rang desquels le patron du PDCI.

Des maisons incendiées, des jeunes tués ou disparus, des corps calcinés, des barricades enflammées, des affrontements entre bandes armées. Un an après les violences post-électorales commises fin 2020 en Côte d’Ivoire, l’unité spéciale chargée de l’enquête sur ces événements vient de livrer ses conclusions. Et elles ont tout pour faire grand bruit.

Dans un rapport d’une soixantaine de pages rendu public lundi 27 décembre, cette structure créée par Alassane Ouattara en novembre 2020 (composée de quarante officiers de police judiciaire et déployée sur le terrain en février 2021), pointe du doigt la responsabilité de personnalités majeures de l’opposition, alors hostiles à un troisième mandat du chef de l’État.

UNE JEUNESSE ARMÉE ET INSTRUMENTALISÉE PAR LES LEADERS POLITIQUES

Les « opérations subversives » de Bédié

Selon les enquêteurs, l’appel au boycott et à la désobéissance civile lancé quarante jours avant le scrutin par l’ancien président Henri Konan Bédié (HKB) a été « l’un des déclencheurs » de ce nouveau cycle de violences qui a officiellement fait 85 morts et plus de 500 blessés à travers le pays. Début novembre 2020, au lendemain de la proclamation de la victoire d’Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié avait même annoncé la création d’un « Conseil national de transition » avec Pascal Affi N’Guessan.

Le procureur près du tribunal de grande instance d’Abidjan, Richard Adou, décrit « une jeunesse, bras exécuteur de la violence, instrumentalisée par les leaders politiques » et  « galvanisée par des discours d’appel à la haine ». La jeunesse « a été armée pour faire échec à la tenue de l’élection et accentuer le climat de terreur ». « Les investigations de l’unité spéciale ont démontré que les évènements survenus à l’occasion de l’élection présidentielle du 31 octobre 2020 ont été planifiés et financés essentiellement par des acteurs politiques et de la société civile », souligne le rapport.

«Les investigations ont par ailleurs démontré [qu’Henri Konan Bédié] finançait plusieurs opérations subversives par l’intermédiaire de son directeur de cabinet Narcisse N’Dri, d’Anges Félix N’Dakpri Djaha, délégué adjoint PDCI-RDA à Toumodi, et de son neveu Hyacinthe Bédié, qu’il incitait particulièrement à bloquer les différentes voies d’accès à la ville de Daoukro [la ville natale du leader du PDCI] », peut-on lire.

Simone Gbagbo, Assoa Adou, Affi N’Guessan…

Les enquêteurs ciblent aussi pêle-mêle de nombreuses personnalités qui s’étaient opposées à la réélection d’Alassane Ouattara. Alors que la situation était particulièrement tendue, une dizaine d’entre elles avaient été arrêtées, d’autres avaient pris la fuite.

Toujours au sein ou autour du PDCI, le rapport souligne la responsabilité de Maurice Kacou Guikahué, le secrétaire exécutif du parti, mais aussi celle de Guillaume Soro, l’ancien allié, ex-président de l’Assemblée nationale, en exil depuis deux ans. Celui-ci avait appelé l’armée à « agir » au lendemain de la présidentielle.

Pascal Affi N’Guessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI), l’ex-première dame, Simone GbagboAssoa Adou (aujourd’hui au PPA-CI, le nouveau parti de Laurent Gbagbo)Georges Armand OuegninMabri Toikeusse ou encore Mamadou Koulibaly, le président du parti LIDER, sont également cités… Autant dire la quasi totalité des leaders politiques d’opposition. Les conclusions à l’encontre du dernier de la liste sont même très précises : « Étant l’un des instigateurs les plus virulents de ces actes de sédition et d’atteinte à l’autorité de l’État, sa responsabilité pénale doit être engagée. »

Onze accusés en détention

Trois juges d’instruction sont désormais chargés de déterminer le degré de responsabilité de chacun et d’intenter ou non des poursuites. Au total, 233 personnes ont été interpellées pour leur participation aux violences et 40 sont toujours activement recherchées. La très grande majorité des mis en cause a bénéficié d’une mise en liberté provisoire ou a été placée sous contrôle judiciaire. Seuls onze accusés sont actuellement en détention, dont le meurtrier présumé de Toussaint N’Guessan, un jeune homme décapité à Daoukro, et celui de l’adjudant Seydou, tué par balle sur l’axe Bouaflé-Yamoussoukro.

TOUTES LES INFRACTIONS COMMISES PAR CES PERSONNALITÉS EN PÉRIODE ÉLECTORALE ÉCHAPPENT À LA PROCÉDURE SPÉCIALE, INDIQUE LE PROCUREUR

Henri Konan Bédié pourrait-il bientôt être jugé devant un tribunal ivoirien ? Sur ce point, Richard Adou a rappelé que dans pareil cas de figure, l’ancien président n’était pas protégé par la loi de 2005 relative au statut des anciens présidents, présidents d’institutions et ministres. « L’article 54 de cette loi dit bien que toutes les infractions commises par ces personnalités en période électorale échappent à la procédure spéciale », a indiqué le procureur.

Wagner: «Il y a une volonté bien réelle des élites dirigeantes maliennes de changer les alliances»

Plusieurs partenaires internationaux du Mali ont condamné le déploiement du groupe paramilitaire russe Wagner au Mali. Parmi ces signataires, la France, l’Allemagne, ou encore le Canada, qui craignent une dégradation de la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest. Pour ces partenaires, la présence de ces éléments russes pourrait « mener à une aggravation de la situation des droits de l’homme au Mali. » Qu’en est-il réellement ? Pourquoi autant de crispations autour de ce nouveau partenariat ? Quels sont les risques pour le Mali ? Bineta Diagne s’entretient avec Jean Hervé Jezequel, le directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group.  

RFI : Jusque-là, il y avait énormément de rumeurs et de scepticisme sur la volonté des autorités maliennes de nouer un partenariat avec le groupe paramilitaire russe Wagner. Qu’est-ce que cette condamnation apportée dans ce communiqué de presse vient apporter de plus aujourd'hui ?

Jean-Hervé Jézéquel : Ce communiqué, en quelque sorte, traduit le fait qu’effectivement au Mali il y a une volonté de guerre bien réelle d’une partie des nouvelles élites dirigeantes maliennes, de changer les alliances ou du moins procéder à de nouveaux choix, de solliciter la venue d’autres acteurs militaires.

Pourquoi malgré les pressions internationales, les autorités maliennes ont-elles, finalement, fait ce choix-là ?

Ce choix des autorités maliennes, je crois que d’un côté on peut comprendre en réalité après huit années d’interventions internationales dans la région qui ont échoué à endiguer l’expansion des groupes jihadistes. Après aussi, il y a quelques mois, le choix assez unilatéral du président Macron de revoir le dispositif militaire français au Sahel et au Mali en particulier, choix dont il avait fait part à ses homologues de la région, mais qui est un choix assez unilatéral. Face à cela, on peut comprendre que les autorités maliennes de transition veuillent essayer de donner une nouvelle direction au dispositif de stabilisation et de réponses à la crise violente. Après, on peut regretter la forme que prend ce choix. Inviter un acteur militaire de plus dans un espace saturé en groupes armés, qu’ils soient étatiques ou pas. Et puis aussi, le choix bien particulier d’une compagnie de mercenaires, et puis de cette compagnie de mercenaires Wagner dont on sait par ailleurs qu’elle a, par exemple, en Centrafrique un bilan déjà assez sombre en termes d’abus sur les populations civiles. Et puis aussi, une présence qui ne s’est pas accompagné d’un rétablissement de l’État dans ce pays-là.

Quel impact le déploiement des mercenaires russes peut-il avoir sur le dispositif français déjà déployé sur le terrain ?

Cela pourrait effectivement entrainer une accélération du redéploiement de la force française. On a déjà la fermeture de trois bases ces dernières semaines. Il en reste quelques-unes. Les Français pourraient choisir de se redéployer plutôt sur d’autres pays. Le Niger en particulier. Ils pourraient choisir également de penser que, au fond, face à l’expansion des groupes jihadistes, l’essentiel c’est aujourd’hui de préserver les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest et que, dans ce dispositif-là, le Mali n’est plus un allier suffisamment fidèle et crédible. C’est possible.

Les partenaires du Mali qui sont signataires de ce communiqué estiment que la présence de mercenaires russes remet en question l’accord de paix d’Alger. Est-ce que ces craintes-là sont avérées ?

Il est sans doute encore trop tôt pour savoir et pour affirmer que cette affaire et le déploiement de Wagner auraient des effets délétères sur l’application de l’accord de paix. Il est trop tôt parce qu’on ne sait pas, au fond, quel sera le format de cette force, quelles seront ses missions, quelle sera la géographie de son déploiement. On est encore dans l’expectative. Il est d’ailleurs possible que cette force se concentre sur des missions d’abord de protection des institutions et des autorités maliennes à Bamako. Éventuellement, elle pourrait aussi concentrer ses premières missions sur le centre du pays, sur une mission visant à contenir l’expansion des groupes jihadistes qui ont tendance de plus en plus à menacer les régions méridionales. Cette force Wagner pourrait-elle être utilisée pour aller combattre au nord et y rétablir l’autorité de l’État ? C’est une possibilité, c’est même une crainte pour un certain nombre de groupes politico-militaires du nord qui sont signataires de l’accord de paix inter-malien. Mais on en n’est pas encore là.

Mali-Guinée : face aux militaires, la Cedeao sert-elle vraiment à quelque chose ?

Mis à jour le 22 décembre 2021 à 18:56
 


Sommet de la Cédéao sur la situation en Guinée, le 16 septembre 2021, à Accra © NIPAH DENNIS/AFP

 

Confrontée à deux transitions qui pourraient bien s’éterniser, l’organisation régionale oscille entre sanctions et négociations pour tenter de se faire entendre.

La maison, à deux pas de la corniche nord de Conakry, a le mérite d’être face à la mer. De jour comme de nuit, des blindés légers de l’armée sont stationnés devant son portail, et gare aux badauds qui s’aventureraient dans une des ruelles proches de la villa. Ils sont systématiquement fouillés et contrôlés.

Depuis qu’il a été transféré dans cette résidence du quartier de Dixinn, en banlieue de la capitale, Alpha Condé n’a pas beaucoup changé sa routine. Le président déchu lit, discute avec ses gardes, regarde la télévision. Cet accro au smartphone espère sans doute encore récupérer ses nombreux portables et avoir droit aux visites. Lui qui aimait tant recevoir dans son palais de Sékhoutouréya convives de prestige et hommes de confiance est plus isolé que jamais. Depuis cette matinée du 5 septembre où il a été sorti de son palais par Mamadi Doumbouya et ses hommes, Alpha Condé ne voit plus que son médecin personnel et son cuisinier Jérémie, d’origine togolaise.

Nouvelle maison ou nouveau lieu de détention ? Les autorités assurent que l’ex-chef de l’État « n’est pas un prisonnier ». « Il fallait bien réagir aux rumeurs qui le donnaient pour séquestré, explique un membre du gouvernement de transition. Il bénéficie de la bienveillance de Mamadi Doumbouya et jouit d’une certaine liberté de mouvement et de rencontre. Au regard de la situation, il bénéficie du meilleur traitement possible. »

Maladie contagieuse ?

Contrairement à son homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta, qui avait accepté de démissionner devant les caméras de la télévision nationale et qui est depuis autorisé à se soigner à l’étranger, le Guinéen ne peut pas pour l’instant sortir du pays : son passeport serait toujours détenu par Mamadi Doumbouya. « Garde tes amis proches, tes ennemis plus proches encore », dit l’adage… Face à la pression de la communauté internationale, le président de la transition en Guinée aura donc seulement concédé au transfert de son prédécesseur. Il faut dire que les chefs d’État de la sous-région avaient beaucoup insisté.

Lorsqu’ils rencontrent Mamadi Doumbouya pour la première fois, le 17 septembre dernier, le président en exercice de la Cedeao, Nana Akufo-Addo, et le chef de l’État ivoirien, Alassane Ouattara, arrivent avec deux revendications : la libération d’Alpha Condé et la durée de la transition, qu’ils veulent la plus courte possible. Au sein de l’organisation, Alassane Ouattara défend une ligne dure. D’autres, comme le Niger ou le Nigeria, adoptent une position plus souple, rechignant à sanctionner les militaires.

POUR NE PAS DONNER L’IMPRESSION D’ENCOURAGER LES PUTSCHS, LA CEDEAO N’AVAIT PAS D’AUTRE CHOIX QUE CELUI DE LA FERMETÉ

Le coup d’État guinéen inquiète l’Ivoirien, tout juste réélu pour un troisième mandat. « Il y a une maladie contagieuse qui s’appelle IBK, qui a aussi emporté Alpha. Pour ne pas donner l’impression d’encourager les putschs, la Cedeao n’avait pas d’autre choix que celui de la fermeté », observe un responsable politique guinéen. « Le troisième mandat représente le début des problèmes politiques de la Cedeao et de ses mauvaises performances en matière de respect du cadre démocratique dans la région », ajoute un ancien ministre ouest-africain.

Premières dissensions

Conspuée par les populations, fragilisée par deux transitions à durée indéterminée, confrontée à des militaires jeunes et fiers, peu enclins à se laisser dicter leur conduite, la Cedeao peut-elle reprendre la main ?

Elle peut compter sur certains acquis solides : intégration économique, passeport commun et un certain langage. « Il existe une relation spéciale entre les chefs d’État, analyse un général ouest-africain habitué des sommets de l’organisation. Il nous est déjà arrivé d’aborder des situations explosives en réunion et de voir les présidents réunis à huis clos sortir de la salle en se tapant dans le dos. » Une proximité qui avait notamment permis de résoudre la crise gambienne de 2016-2017 : les pays membres avaient décidé, à la quasi unanimité, de garantir la tenue des élections, puis étaient convenus de tenter de convaincre Yahya Jammeh de se retirer avant d’intervenir militairement pour lui forcer la main.

Des dissensions voient le jour avec le cas bissau-guinéen, un temps géré par Alpha Condé au moment de la crise parlementaire de 2017. Le Guinéen est alors accusé par Umaro Sissoco Embaló de jouer un jeu ethnique dangereux en soutenant le camp rival, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC), l’ancien parti au pouvoir. Le début d’une inimitié farouche. Embaló se rapproche du Sénégal et du Niger, puis du grand frère nigérian. Deux camps apparaissent dans le cercle des chefs d’État.

À la veille de la saison des putschs, les décisions sont donc influencées par les petites querelles ou les relations de confiance. Dans les réunions, le discret et réservé Muhammadu Buhari reste particulièrement influent. Le nouvel entrant, le Nigérien Mohamed Bazoum, tente de marcher dans les pas de son prédécesseur Mahamadou Issoufou, très respecté par ses pairs, comme avait pu l’être IBK en son temps. Volubile, toujours écouté, l’Ivoirien Ouattara se heurte souvent aux opinions de Macky Sall, tandis qu’Embaló joue volontiers les trublions.

Avec Goïta, le jeu de dupes

Un équilibre mis à mal par deux coups d’État d’affilée : au Mali, le 18 août 2020, puis en Guinée, le 5 septembre 2021. « Lors du premier coup d’État au Mali, la Côte d’Ivoire s’était d’abord opposée aux sanctions économiques, relate une source qui avait assisté aux sommets. Le pays sortait d’élections très problématiques, IBK avait accepté de démissionner… Et de manière générale, plusieurs États de la sous-région étaient réticents à sanctionner un pays en guerre. » Assimi Goïta, auquel on ne prêtait aucune ambition, se déplace pour rencontrer les présidents, qu’il tente de rallier à sa cause.

LES ENGAGEMENTS PRIS PAR LE COLONEL AUPRÈS DE LA CEDEAO SEMBLENT AUJOURD’HUI COMPLÈTEMENT PIÉTINÉS

« Il dégageait une assurance et une sérénité qui lui ont valu estime et compréhension, commente un haut-cadre malien. Au lendemain du renversement d’IBK, cette figure calme et en apparence désintéressée a fini par convaincre les dirigeants ouest-africains. Ils ont décidé de donner sa chance à ce colonel dont personne ne connaissait le nom avant la matinée du 18 août 2020. C’est cela qui peut expliquer la flexibilité des chefs d’État après le premier putsch. »

Le Sénégalais Macky Sall et ses pairs s’abstiennent de sanctionner un pays plongé dans un gouffre économique et une instabilité sécuritaire inédite depuis 2012. Leur but : installer un président et un Premier ministre civil et veiller à ce qu’une élection présidentielle soit organisée dans les mois suivant le début de la transition. Une stratégie naïve ? « Dès le départ, ils auraient dû imposer des sanctions – notamment économiques – au Mali pour éviter que la transition ne s’éternise. Un an plus tard, on réalise que Goïta a dupé la Cedeao, qui est aujourd’hui considérablement affaiblie par sa gestion de la crise malienne », observe un ancien ministre des Affaires étrangères de la sous-région.

Car le 24 mai 2021, un second coup d’État va faire voler en éclat la charte de la transition et les promesses faites par Goïta lors d’une réunion extraordinaire de la Cedeao, en septembre 2020. Aujourd’hui, un militaire est au pouvoir à Bamako, le délai de 18 mois ne va pas être tenu et les élections ne seront pas organisées, comme prévu, le 27 février 2022.

Les menaces brandies par la Cedeao semblent incapables de faire fléchir les nouveaux maîtres de Koulouba et de masquer l’échec politique de l’organisation. La ligne rouge a été franchie depuis longtemps, et la crise est ouverte. Le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, va jusqu’à dénoncer des « ingérences extérieures dans le travail de la Cedeao », pointant du doigt la France.

Un médiateur contesté

Le cas guinéen ne permettra pas non plus à l’organisation de camoufler ses insuffisances. Le clan de colonels putschistes qui se forme en Afrique de l’Ouest n’est pas dupe. Observateur aguerri de la situation malienne, Mamadi Doumbouya veille à ce que la Cedeao fasse la différence entre son pays et le Mali.

Le premier bras de fer entre lui et ses pairs apparaît au début du mois de novembre, quand le lieutenant-colonel refuse la nomination de Mohamed Ibn Chambas comme médiateur de la Cedeao en Guinée.

Très apprécié des chefs d’État avec lesquels il s’entend bien, ce diplomate ghanéen habitué des dossiers politiques brûlants n’a pas les faveurs de Doumbouya. Bien qu’il ait été proposé, voire imposé, par le président Nana Akufo-Addo en tant qu’envoyé spécial pour négocier avec le Comité national de rassemblement pour le développement (CNRD), Doumbouya a fait savoir que sa présence n’était pas nécessaire. « En désignant Chambas, la Cedeao n’a pas consulté la Guinée, comme le veut l’usage. Nous aurions pu trouver un consensus si tel avait été le cas », explique un membre du gouvernement à Conakry.

LA PROXIMITÉ DE MOHAMED IBN CHAMBAS AVEC LES CHEFS D’ÉTAT DE LA ZONE DÉRANGE BEAUCOUP

« Auprès des mouvements d’opposition de la région, Chambas est étiqueté comme ayant peu de crédit pour mener le dialogue avec une transition, indique un politique bien informé de la sous-région. En 2016 déjà, lorsqu’il était intervenu au Niger en tant que représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, l’opposition nigérienne l’avait jugé peu crédible. Ce fut aussi le cas au Togo, quelques années plus tôt. Il y a aussi sa proximité avec les chefs d’État de la zone qui dérange beaucoup. »

À Conakry, Chambas suscite également la méfiance. Le Ghanéen y a laissé l’image d’une Cedeao incapable de se positionner sur le changement de Constitution opéré par Alpha Condé pour obtenir un troisième mandat. Les allers et retours de Chambas en tant que médiateur n’ont pas sorti le pays du statu quo dans lequel il se trouvait. Mais aurait-il pu négocier seul ?

« Le fichier électoral était tellement corrompu que les chefs d’État ont demandé à Alpha de décaler le scrutin. Il a refusé, et l’organisation a retiré tous ses observateurs, relate un Guinéen qui connaît bien l’organisation. La Cedeao manque d’instruments juridiques pour ce genre de situation. À part de petits moyens tièdes et beaucoup de missions, les dirigeants ne peuvent pas faire grand-chose pour empêcher les dérives. »

Vers une crise ouverte ?

En Guinée en tout cas, la junte reste – pour l’instant – soutenue par l’opposition, qui refuse des élections « à l’emporte-pièce ». « Cette transition est un ouf de soulagement pour nous, confie l’ancien ministre Amadou Bah Oury », qui critique une Cedeao « défaillante » qui « ferait mieux de se remettre en question » Les autres partenaires restent quant à eux prudents, préférant s’en remettre aux décisions de la communauté ouest-africaine. « La Cedeao demande plus de clarté sur le chronogramme, et nous nous alignons », répond, prudent, le président du Conseil européen Charles Michel. Avant d’avouer que « l’absence de visibilité sur le calendrier rend les choses très difficiles ».

À Conakry, on préfère surtout jouer la carte de l’apaisement. « Nous ne sommes pas dans l’esprit d’une rébellion ou d’une confrontation, assure le ministre des Affaires étrangères,Morissanda Kouyaté. La Cedeao, c’est notre maison-mère ! Aucun d’entre nous n’a intérêt à aller au clash. »

LA CEDEAO A DEMANDÉ UNE TRANSITION COURTE, ET LA JUNTE SE DIRIGE VERS QUELQUE CHOSE DE TRÈS DIFFÉRENT

En Guinée, la junte s’est bien choisie un « VRP » : le technocrate Mohamed Béavogui, nommé Premier ministre, a été chargé de négocier avec ses voisins. « Un adulte qui empêche les enfants de casser la vaisselle », avait ironisé un responsable politique malien lors de sa nomination. Mais début décembre, les militaires guinéens ont désavoué les engagements pris par Béavogui, qui avait assuré que le Conseil national de transition (CNT) serait constitué avant la fin de l’année 2021. Sujet sur laquelle la junte refuse de s’engager.

« À quoi bon discuter ? Ce sont les actes qui comptent, balaie un membre du gouvernement de transition. Nous avons adopté une charte, formé un gouvernement 100 % civil… Tout le monde est crispé, mais nous n’avons rien à cacher. Lorsque le CNT sera mis en place, la durée de la transition sera fixée. » « La Cedeao a demandé une transition courte, et à Conakry la junte se dirige vers quelque chose de très différent, alerte cependant un responsable politique guinéen. Certains parlent ici d’années de transition. On va vers une crise ouverte. »

Le Tchad fait le pari de la transformation dans la filière bétail

 

L’élevage contribue à plus d’un tiers du PNB tchadien. Environ 40% de la population vit de cette activité. Cependant, les autorités souhaitent mieux valoriser la filière de la viande. Pour cela, elles font notamment le pari de la transformation.

Des abattoirs et complexes sont en cours de construction, notamment à Moundou et à Djermaya. « C’est d’abord la volonté politique des hautes autorités, explique Haroun Moussa, secrétaire général du ministère tchadien de l’Élevage. Et incontestablement, quand ce sont les hautes autorités qui portent ce genre de projet, moi, je crois que c’est une question de court et moyen terme. C’est pour améliorer les conditions de vie des populations mais aussi pour améliorer les recettes de l’État. »

L’un des plus gros défis concerne sans doute l’électrification de ces sites et le respect de la chaîne du froid. « Toutes les dispositions sont prises, assure Haroun Moussa. On ne peut pas se hasarder dans un tel projet sans cerner cette question de l’électricité. Quand on est dans le domaine de la transformation de la conservation, cela ne peut passer que par là. Et là, il y a des options. Il y a même une double stratégie. Par exemple, pour le Sud, il y a le branchement de l’électricité mais aussi le branchement suivant la production de l’électricité par le biogaz. » 

Conseiller et préparer les éleveurs à mieux produire

Mais des inquiétudes entourent encore ce changement de cap. « L’idée de transformer les abattoirs reste une utopie, affirme Ahmat Adoum Aboulfathi, secrétaire général des organisations professionnelles des pasteurs et acteurs de la filière bétail au Tchad. Ce n’est pas l’animal qu’on élève en brousse qui sera accepté directement dans l’abattoir. Il y aura beaucoup d’autres critères. Il faut préparer les éleveurs à mieux produire les animaux qui seront destinés spécialement pour les abattoirs. »

Une autre pratique de l’élevage est nécessaire. C’est ce que voudrait Mohamad Abdallah Goroumy, le directeur technique du Projet régional d'Appui au Pastoralisme au Sahel à N'Djaména.

« C’est surtout un changement de mentalité qu’il faut à ce niveau pour que cela réponde de plus en plus à une logique économique, souligne-t-il. 3 000 têtes de moutons, ça n’obéit à aucune logique économique. Si un tiers du bétail, ce sont des mâles, ça veut dire qu’ils sont gardés inutilement. Il faut conseiller les gens pour qu’ils puissent entrer dans une logique économique de garder le nombre minimum de têtes qui permettent la reproduction et donc de pouvoir, à l’échelle d’une année, couvrir un besoin clair et que cela puisse leur permettre de rentrer dans leurs fonds. »

Aujourd’hui, le Tchad exporte son bétail sur pied vers le Nigéria, le Soudan et la Libye. Les autorités convoitent désormais de nouveaux marchés comme l’Angola, et se prennent à rêver du marché européen.