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Mali : Coulibaly et Sanogo en guerre pour l’URD et l’héritage de Soumaïla Cissé

Mis à jour le 24 janvier 2022 à 12:18
 

 

Salikou Sanogo et Guagnon Coulibaly s’affrontent pour prendre le leadership de l’URD de feu Soumaïla Cissé. © Montage JA / Photos : URD Mali

 

Un an après le décès de l’opposant Soumaïla Cissé, son parti est fragilisé par des querelles intestines entre Gouagnon Coulibaly et Salikou Sanogo. En filigrane : la question de l’investiture pour la présidentielle.

Au sein de l’Union pour la république et la démocratie (URD), la guerre est ouverte entre Gouagnon Coulibaly, 60 ans, ancien député de Kati et ancien directeur de campagne de feu Soumaila Cissé, décédé le 25 décembre dernier, et Salikou Sanogo, 78 ans, ancien professeur de physique qui a dirigé le ministère de l’Éducation sous Amadou Toumani Touré et qui assure, en tant que vice-président du parti, l’intérim de Cissé. Une rivalité relancée le 16 janvier par un congrès extraordinaire organisé par certains cadres, avec pour seul point à l’ordre du jour la désignation d’un nouveau président. Si c’est Gouagnon Coulibaly qui a finalement été porté à la tête du parti, Salikou Sanogo et une partie des membres de l’URD ne reconnaissent pas les résultats de ce qu’ils considèrent comme un non-évènement.

Résultats contestés

« L’intérim de Salikou Sanogo ne suffit plus à répondre aux défis actuels », estime Racine Thiam, vice-président chargé de la communication et très présent depuis quelques jours dans les médias. Pointant le manque de leadership du premier vice-président, il souligne que « l’URD est un parti qui focalise les attentes » et « a besoin d’un leadership affirmé ». Selon lui il était « loisible à Salikou Sanogo de chercher le poste de président […]. Il a préféré boycotter et entrer en résistance pour que le parti ne fonctionne pas ».

Racine Thiam défend un « congrès démocratique, tenu devant huissier » avec les deux tiers du bureau exécutif national et mené par Coulibaly Kadiatou Samaké, troisième vice-présidente. Cette dernière fait partie, aux côtés de Mamadou Hawa Gassama, Abdoul Wahab Berthé, Beffon Cissé et Amadou Cissé, d’une longue liste de cadres de l’URD qui réclament depuis quelques mois un congrès extraordinaire pour remplacer Soumaïla Cissé, allant jusqu’à se réunir en novembre au sein d’un « Collectif pour la sauvegarde de l’URD ».

SALIKOU SANOGO PORTE L’AFFAIRE DEVANT LA JUSTICE, ESPÉRANT OBTENIR UNE ANNULATION DES RÉSULTATS

Salikou Sanogo considère quant à lui que la question de la succession de Soumaïla Cissé est déjà réglée. « C’est le premier vice-président qui remplace le président en cas de vacances. Nous avons condamné ce congrès car il est l’œuvre d’un groupe de personnes qui ont fait dissidence. C’est du fractionnisme », assure-t-il à Jeune Afrique. Il confirme par ailleurs avoir porté l’affaire devant la justice, espérant obtenir une annulation des décisions du congrès. Samedi 23 janvier, devant la presse, il a reproché à ses adversaires de vouloir « casser le parti pour leurs ambitions personnelles » avant de rappeler qu’il ne fait qu’appliquer les textes de la formation.

Saisi également par les organisateurs de ce congrès de la discorde, le juge du tribunal de la commune V de Bamako a rejeté leur demande de retirer à Salikou Sanogo tout droit d’agir en justice au nom du parti… C’est donc sur le fond que le dossier sera jugé.

Sortie des flancs de l’Alliance démocratique au Mali–Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ) à la suite, déjà, de querelles internes, l’URD va-t-elle connaître le même sort et succomber au syndrome de la division ? Longtemps, Salikou Sanogo, dont le leadership est aujourd’hui remis en cause, a été présenté comme la soupape de sécurité. « Un facteur de stabilité et de diversité, », expliquait à Jeune Afrique en mars 2021 Alexis Kalambry, fin observateur de la scène politique malienne, prévenant que « si on le pousse vers la sortie, le parti risque de se morceler ».

Boubou Cissé et la présidentielle

Boubou Cisse, en avril 2019, lorsqu’il était Premier ministre d’IBK.

 

Boubou Cisse, en avril 2019, lorsqu’il était Premier ministre d’IBK. © Vincent FOURNIER/JA

 

Au-delà de cette querelle de leadership, qui tient désormais de la guerre des tranchées, se joue en fait la question du candidat qui sera investi par l’URD lors de l’élection présidentielle, dont la date n’a toujours pas été fixée. Salikou Sanogo juge ainsi être victime d’« une cabale qui, depuis le décès de Soumaïla Cissé, veut faire un hold-up sur le parti ». Dans sa ligne de mire : les personnalités qui ont rejoint les rangs du parti après cette disparition, et en premier lieu Boubou Cissé, l’ancien Premier ministre d’IBK, qui a pris sa carte en juin dernier.

L’ARRIVÉE DU DERNIER PREMIER MINISTRE D’IBK A PROFONDÉMENT CHANGÉ LA DONNE AU SEIN DU PARTI DE FEU SOUMAÏLA CISSÉ

Dans la bataille pour obtenir l’investiture de l’URD, l’ancien ministre de l’Économie, Mamadou Igor Diarra, ne cache pas ses ambitions. L’avocat Demba Traoré – que Salikou Sanogo est accusé de soutenir –, Madou Diallo ou encore Abdoul Wahab Berthé sont également dans les starting blocks. Mais c’est la personnalité de Boubou Cissé qui cristallise le plus les oppositions internes. L’arrivée de cet ancien économiste pour la Banque mondiale, plusieurs fois ministre (Industrie, Mines, Économie et Finances) et dernier Premier ministre d’IBK, a profondément changé la donne au sein du parti de feu Soumaïla Cissé. Accusé par nombre de ses détracteurs de vouloir mener une « OPA » sur l’URD, il ne cesse de multiplier les manœuvres pour décrocher l’investiture du parti, dont le candidat est arrivé en seconde position lors des deux dernières présidentielles.

Boubou Cissé bénéficierait du soutien de Sékou Abdoul Quadri Cissé, ancien député de Djenné, dont il est le neveu, mais aussi, et surtout, de celui de Gouagnon Coulibaly et d’autres cadres du parti. Beaucoup voient donc dans l’arrivée de Coulibaly à la tête de l’URD une manœuvre de l’économiste pour obtenir gain de cause quand l’heure de l’investiture viendra.

Pour l’heure, le nouveau président du parti se garde bien de la moindre déclaration prêtant le flanc à ces critiques, mais n’en attaque pas moins son adversaire, Salikou Sanogo. « URD is back », a-t-il déclaré après son élection, avant de dénoncer la gouvernance « chaotique et engluée dans l’immobilisme » de son prédécesseur et de promettre de faire de la formation « un parti qui pèse de tout son poids dans le débat public ». Pas un mot, en revanche, sur Boubou Cissé. Du moins en public.

Mamadou Igor Diarra sur les rangs

« La question de la candidature n’est pas à l’ordre du jour, nous n’avons cessé de le dire. [Les partisans de Salikou Sanogo] ont voulu ramener le débat à ce niveau, ce n’est pas notre cas, se défend Racine Thiam. L’URD devait avoir un président. L’ensemble des cadres du parti conviennent qu’il nous fallait un leadership consensuel et le jeu démocratique devait se dérouler à l’intérieur du parti ». « Ce n’est pas le président de parti qui choisit le candidat, mais le bureau exécutif national, s’insurge Salikou Sanogo. Je le dis et je le répète : je ne roule pour personne. C’est un faux débat. »

Quoi qu’il en soit, à en croire plusieurs cadres du parti, la perspective d’une investiture de Boubou Cissé s’éloignerait à mesure que ce dernier prolonge son séjour hors du pays. En cas d’empêchement, Mamadou Igor Diarra pourrait tenir la corde, d’autant qu’il pourrait alors profiter du ralliement des soutiens actuels du dernier Premier ministre d’IBK. Candidat à la présidentielle de 2018, ce banquier de 55 ans, plusieurs fois ministre (Énergie et Eau, Mines, Économie et Finances), a d’ailleurs envoyé les cadres du parti qui lui sont proches participer au congrès controversé, selon Racine Thiam. Un nouveau sujet de discorde en perspective ?

Côte d’Ivoire : au PDCI, Guikahué tente de garder les manettes

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 21 janvier 2022 à 17:20
 

 

Henri Konan Bedie et le secrétaire du PDCI Maurice Kakou Guikahue lors d’un rassemblement du PDCI, le 19 octobre 2019, à Yamoussoukro © SIA KAMBOU/AFP

 

Affaibli par de récentes décisions d’Henri Konan Bédié au sein du PDCI, le secrétaire exécutif, Maurice Kakou Guikahué, compte bien ne pas se laisser faire.

Jeudi 13 janvier 2022. Le siège du PDCI à Cocody est plein à craquer. Élus, délégués et militants ont répondu présents à l’invitation du secrétaire exécutif en chef, Maurice Kakou Guikahué. Quelle annonce compte-t-il faire ? La fébrilité est palpable alors que depuis des semaines, une bataille sourde oppose différents camps et que le secrétaire exécutif semble désavoué. Jusque là tout-puissant, Maurice Kakou Guikahué a vu ses prérogatives réparties entre plusieurs autres cadres du parti, après une vague de nomination opérée par le président du PDCI, Henri Konan Bédié.

Dans ce contexte, la tenue de cette réunion est étonnante. Niamkey Koffi, nommé mi-novembre secrétaire exécutif chargé de l’encadrement des membres des grands conseils régionaux et par ailleurs coordonnateur général des élections au PDCI, aurait dû avoir son mot à dire dans son organisation. Pire, Georges Philippe Ezaley, nouveau secrétaire exécutif en chef adjoint, chargé des sections, des délégations départementales, communales et des relations avec les partis politiques nationaux, aurait dû être consulté. Enfin, les présidents de groupes parlementaires sont habituellement associés, ce qui n’a pas été le cas.

Nouvelle donne

Tous se sont néanmoins réunis au siège du parti pour écouter les propos de Guikahué. Le secrétaire exécutif prend la parole et exhorte d’abord les participants à venir en aide aux militants afin qu’ils obtiennent leurs cartes d’identité, pour qu’ils puissent voter pour les prochaines élections. « Comment nous organiser pour tirer profit des instruments que le gouvernement a mis à la disposition des populations dans le cadre de l’identification des Ivoiriennes et des Ivoiriens ? Cette question est primordiale pour tout parti politique dont l’objectif est la conquête du pouvoir d’État », insiste-t-il. « La dernière réunion a été houleuse, rapporte un membre du secrétariat exécutif. Chacun se plaignait de Guikahué, qui a été par moment acculé mais s’est bien défendu. Les gens peuvent le critiquer mais en attendant c’est lui qui gère le parti au quotidien », rapporte un membre du secrétariat exécutif.

Il saisit également l’occasion pour faire le point des ses récentes activités, dont une tournée à San Pédro et expliquer sa vision de sa nouvelle mission. « Le Secrétariat exécutif consacrera dorénavant plus d’énergie sur l’étendue du territoire national et à l’extérieur du pays pour renforcer la présence du parti auprès des couches sociales dans toutes leurs diversités », annonce Guikahué. Tout malentendu a-t-il été dissipé ? Pas si sûr. Cette tournée pourrait avoir des répercussions sur celle en cours de préparation de Georges Philippe Ezaley, qui a lui aussi annoncé vouloir aller à la rencontre des délégations et recueillir leurs préoccupations dans les semaines à venir. La réticence de Guikahué de se voir flanquer un adjoint a été perçue comme une défiance dans l’entourage du président. Mais lors d’une cérémonie d’installation du secrétariat exécutif réaménagé le 9 décembre dernier qui a pris des allures de serment d’allégeance à Henri Konan Bédié, Guikahué avait semblé accepter la nouvelle donne.

GUIKAHUÉ A LONGTEMPS ÉTÉ PRÉSENTÉ COMME LE NUMÉRO DEUX DU PARTI

Nommé à l’issue du congrès de 2013, Maurice Kakou Guikahué est un collaborateur de longue date avec Henri Konan Bédié. Au fil des années, les deux hommes ont tissé une relation de confiance. Ancien ministre de la Santé sous Bédié jusqu’au coup d’État en 1999, Guikahué a longtemps été présenté comme le numéro deux du parti. S’il a été maintenu à son poste malgré les réaménagements en cours, le secrétaire exécutif a progressivement perdu des prérogatives qui le rendaient très influent.

Marginalisé

En réalité, depuis sa sortie de prison en décembre 2020 et son hospitalisation en Côte d’Ivoire et en France, Guikahué n’a plus retrouvé sa place de choix auprès de Bédié. Le 10 avril, à l’occasion du lancement des célébrations du 75e anniversaire du PDCI, Bédié avait annoncé sa volonté de moderniser le parti, de renforcer la démocratie interne, de faire une place aux jeunes et de capitaliser sur les ressources internes. Les transformations qu’il a effectuées dans ce sens ont permis de répartir les responsabilités. « Ce n’est ni une sanction, ni une injustice, il est normal que des changements s’opèrent, confie un membre du parti. On n’exerce pas des fonctions viagères. »

« Il y a quelque chose qui est de l’ordre du conflit de compétences dans la séquence que nous vivons, alors que tout est clair et que les rôles sont définis », estime un cadre du parti. « La réforme donne un nouveau souffle au parti dans la dynamique du congrès. Mais il y a un défaut de pédagogie sur le nouvel attelage », ajoute-t-il.

UNE GUERRE DE POSITIONNEMENT SE JOUE

Mais cette réforme, même si elle ne vise personne comme l’assurent les proches de l’ancien président, fait des mécontents. Jusqu’alors, c’est le chef du secrétariat exécutif qui proposait au président les délégués à nommer, ce qui octroie un certain pouvoir. Ceux-ci avaient des compétences qui s’étendaient aux questions électorales. « Dans la pratique, les délégués qui ont été cooptés par Guikahué sont pour la plupart ses soutiens », glisse un observateur du parti. Guikahué était également chargé du grand conseil régional constitué de près de 8 000 cadres politiques ventilés au sein des régions et délégations. Mais avec le nouveau dispositif, cela est appelé à évoluer. Les délégués étant désormais placés sous la tutelle de Georges Philippe Ezaley et les questions électorales, prises en charge par Niamkey Koffi. « Avec cette réforme du parti, Bédié a dissout les prérogatives entre différentes personnes qui ne se parlent pas. Résultat, tout le monde se neutralise », poursuit le membre du secrétariat exécutif.

Confusion

Certains membres du parti sont agacés par l’attitude du secrétaire exécutif et lui reprochent d’entretenir la confusion. « Sa stratégie ne marchera pas car les personnes concernées sont vigilantes. Nous savons ce que nous faisons. Ceux qui sont nommés sont en train d’effectuer un travail préparatoire avant d’attaquer le terrain. C’est le président qui les a désignés et ils lui rendent compte régulièrement. Chacun est à sa place et fait son travail. L’avenir nous dira qui essaye de survivre », tacle un autre cadre du parti.

Mais pour Guikahué, ce sont les textes mêmes du parti qui lui permettent d’entreprendre ces actions. Depuis la mise en place de la nouvelle organisation, Guikahué a entrepris une offensive sur le terrain et dans les médias, notamment dans le Nouveau Réveil, proche du parti, et dit préparer le congrès prévu en 2022. Pourtant, celui-ci est préparé par le bureau politique, fait observer un membre du parti. Un cadre du PDCI s’interroge : « Il apparaît clairement que Bédié ne fait plus autant confiance à son secrétaire exécutif. Mais alors, pourquoi ne le révoque-t-il pas ? »

Une guerre de positionnement se joue, et en l’absence d’un rappel à l’ordre d’Henri Konan Bédié, la confusion règne toujours. Mais le message de Guikahué est clair : il faudra compter avec lui pour le futur du PDCI.

Le Mali à la recherche d’alliés dans la sous-région

Mis à jour le 19 janvier 2022 à 13:21
 

 

Assimi Goïta à Accra, au Ghana, le 15 septembre 2020. © CHRISTIAN THOMPSON/EPA-EFE/MAXPPP

 

Cette semaine, une délégation de la junte malienne a entamé une tournée de « remerciements » en Guinée, en Mauritanie et en Algérie. Une offensive diplomatique – et économique – auprès des pays qui continuent de soutenir Bamako.

C’est une importante délégation malienne qui s’est lancée dans cette tournée qui a débuté lundi 17 janvier à Conakry. Elle était conduite par Abdoulaye Diop, le ministre des Affaires étrangères, accompagné de plusieurs membres du gouvernement (du Transport, de l’Administration territoriale, de l’Économie) et de membres du Conseil national de la transition. La délégation s’est rendue au palais Mohammed V, où elle a été reçue par le président de la transition guinéenne, Mamadi Doumbouya.

Une tournée de « remerciements » et de « reconnaissance » qui répond à l’objectif malien de renforcer les – rares – soutiens officiels dont Bamako bénéficie dans la région face au régime de sanctions très lourdes mis en place par la Cedeao le 9 janvier dernier. Des sanctions jugées « illégitimes, illégales et inhumaines » par le Premier ministre de la transition Choguel Maïga. Exclue des instances de la communauté régionale depuis le coup d’État du 15 septembre, la Guinée de Mamadi Doumbouya a refusé d’appliquer le blocus, en « conformité avec sa vision panafricaniste ». Les frontières entre les deux pays restent donc ouvertes.

Contourner le blocus

Le soutien du colonel guinéen à son homologue malien Assimi Goïta, qu’il a côtoyé en 2008, lors de Flintlock, un exercice militaire de l’armée américaine, n’apparaît pas uniquement comme un geste solidaire à un « pays frère ». Comme Assimi Goïta, Mamadi Doumbouya est soumis à une pression intense de ses homologues ouest-africains, qui s’impatientent alors qu’il ne s’est toujours pas prononcé sur la durée de la transition en Guinée. Jusque-là soumis à un régime léger de sanctions, Conakry n’est pas à l’abri de voir se durcir le traitement qui lui est réservé, et Mamadi Doumbouya le sait.

Le Mali, menacé par l’asphyxie économique, l’inflation et la pénurie, s’est empressé de saisir la main tendue par son voisin guinéen. Conakry, mis au ban de la communauté régionale, représente une opportunité vitale pour le Mali qui ne dispose pas de façade maritime, pour continuer à commercer, via son port.

L’objectif affiché de la mission était donc de discuter des moyens de « faciliter la libre circulation des personnes et des biens » et de « redynamiser les différents cadres de coopération » entre les deux pays. Avant les sanctions, près de 70 % du trafic malien passait par le Sénégal, de loin premier partenaire commercial de Bamako, et 20 % par la Côte d’Ivoire. La Guinée, elle, représente seulement 2 à 3 % du fret malien, soit quelques milliards de F CFA : un chiffre que le président de la chambre de commerce du Mali, Youssouf Bathily, espère voir passer à 15 ou 20 %… Si l’état des routes s’améliore.

À BAMAKO, L’OPINION RESTE FORTEMENT MOBILISÉE DERRIÈRE LES AUTORITÉS DE TRANSITION

« L’avantage du port de Conakry est d’être le plus proche de Bamako. Après la réalisation d’une nouvelle route, il sera à 700 km de la capitale malienne, contre 1200, 1400, voire même 2000 km pour les autres ports de la sous-région. D’ici à quelques années, la Guinée pourrait devenir notre deuxième ou notre premier partenaire commercial », veut croire Youssouf Bathily qui s’exprimait lundi 17 janvier devant la télévision d’État, la RTG.

 

Solidarités réciproques

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La délégation malienne en visite en Guinée, janvier 2022. © DR

 

une partie de la classe politique malienne a critiqué la junte, jugée « responsable » des sanctions de la Cedeao, l’opinion reste fortement mobilisée derrière les autorités de transition, comme l’atteste la mobilisation massive des Bamakois vendredi 14 janvier à l’appel du gouvernement. De nombreuses marques de soutien ont également afflué de toute la sous-région de la part de responsables politiques ou de personnalités influentes, mêlant critiques des sanctions et discours, parfois virulents, contre la Cedeao et la France.

Dans l’opinion guinéenne, où des premiers signes de frustration sont récemment apparus au sein de la classe politique, la décision de défier – encore une fois – la Cedeao semble avoir été bien reçue. Le CNRD a d’ailleurs rappelé l’importance d’exprimer une « solidarité réciproque » entre Conakry et Bamako, « particulièrement en cette période de transition ».

La délégation malienne a ensuite poursuivi sa tournée dans les pays limitrophes les plus susceptibles de s’allier à la junte. Elle s’est rendue lundi soir en Mauritanie, où elle a été reçue par le président Mohammed Ould Ghazouani. Objectif : s’assurer du soutien de Nouakchott en ces temps de crise. Comme à Conakry, la délégation a visité le port de la capitale.

Pour la dernière étape de son périple, la mission s’est rendue à Alger, moins de deux semaines après l’audience accordée le 6 janvier au président Abdelmadjid Tebboune à Abdoulaye Diop. Président du comité de suivi de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, le pays tente d’adopter une posture équilibrée. Mais ses responsables ne cachent néanmoins pas leur inquiétude vis-à-vis d’une possible arrivée du groupe Wagner dans la sous-région.

Alger avait ainsi incité les responsables maliens à adopter une « attitude responsable et constructive » et s’était prononcé pour une période de transition d’une durée ferme de douze à seize mois, jugée « raisonnable et justifiable »… tout en avertissant des « risques graves » que représentent les sanctions. La Cedeao, quant à elle, s’est exprimée publiquement pour la dernière fois le 16 janvier dans un tweet lapidaire : « La Cedeao reste disponible pour accompagner le Mali pour le retour à l’ordre constitutionnel à travers des élections crédibles dans un délai raisonnable et réaliste. »

À la Une: accalmie au Mali…

 

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Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, le 13 décembre 2017. LUDOVIC MARIN / AFP

 

Un répit dans la partie de bras-de-fer diplomatique entre le Mali et la Cédéao. La disparition dimanche de l’ex-président IBK a sonné comme un armistice. D’après Jeune Afrique, « les obsèques nationales d’Ibrahim Boubacar Keïta se tiendront vendredi dans la capitale malienne. Un deuil national de trois jours, avec drapeaux en berne sur les édifices publics, est envisagé par le gouvernement. » Mais, souligne le site panafricain, « reste une question épineuse, toujours pas tranchée : comment faire pour que les membres de la famille résidant à l’étranger et les chefs d’État (ou anciens dirigeants) puissent assister aux obsèques alors que les frontières terrestres et aériennes du Mali sont fermées depuis les sanctions de la Cédéao ? Des discussions sont en cours, croit savoir JApour décider d’éventuelles exemptions. »

Besoin de souffler…

En tout cas, souligne Aujourd’hui à Ouagadougou, « la Transition malienne, au ban de l’organisation sous-régionale et de la Communauté internationale et dont la dernière démonstration de force de vendredi dernier a marqué les esprits, la transition malienne a aussi besoin de souffler un tant soit peu et de décompresser. Cet événement malheureux (de la disparition d’IBK) vient donc lui donner l’opportunité de rassembler les Maliens de tous bords autour de l’homme qui vient de tirer sa révérence. À n’en point douter, poursuit Aujourd’hui, ces funérailles nationales projetées par les autorités maliennes pourraient constituer un véritable ferment de réconciliation nationale et d’apaisement entre les forces vives du Mali. Au-delà des délégations étrangères qui rallieront Bamako pour les obsèques de l’ex-locataire du palais de Koulouba, c’est le Mali tout entier qui a besoin de taire ses divergences et de penser à la survie de la nation.  

Résister ?

Reste que le débat se poursuit au sein de la presse malienne : quelle attitude adopter au lendemain des sanctions imposées par la Cédéao ?

Certains médias continuent de fustiger l’organisation ouest-africaine et appellent à la résistance. À l’instar de Delta Tribune : « le rouleau compresseur de la Cédéao s’est mis en marche contre notre Patrie le Mali. Le maitre d’ouvrage peut se targuer d’avoir réussi pour le moment à fédérer ses valets pour empêcher la marche historique d’un peuple vers la libération. La question de retour à la normalité avec l’organisation des élections dans les délais n’est que subterfuge. Comment organiser des élections dans un pays dont l’existence est sérieusement menacée par la présence de forces d’invasion ? »

Le site Alternance, toujours au Mali, est encore plus explicite : « après avoir poussé ses gouverneurs que sont les présidents de la Cédéao et de l’UEMOA à asphyxier de façon sauvage et inhumaine le Mali, en lui imposant des sanctions économiques, la France ne cache plus ses intentions malsaines d’étrangler le peuple malien, dont le tort de ses autorités a été simplement leur refus de se soumettre aux désidératas de Macron, voire de ses diktats. »

Dialoguer ?

Non, rétorque Le Pouce, autre publication malienne, « mettons balle à terre ! (…) Depuis un certain temps, le ton monte non seulement entre Maliens, mais aussi avec certains partenaires de l’extérieur faisant courir le véritable risque d’un isolement total après les sanctions internationales prises contre le Mali. Il est impératif d’ouvrir la voie du dialogue, affirme Le Pouce, et ne pas laisser la situation s’envenimer davantage. (…) Ce dialogue doit s’instaurer d’abord sur le plan national car il est clair que tous les Maliens ne soufflent pas dans la même trompette en ce qui concerne la durée de la transition et la façon avec laquelle le pays est en train d’être dirigé. Ensuite, ce dialogue doit s’ouvrir avec les pays de l’extérieur sur la base d’un langage véridique. »

La France : partir ou rester ?

Enfin pour ce qui concerne la France, cette question, posée par Le Point Afrique : « rester ou partir ? (…) L’option d’un retrait n’est naturellement pas aisée, relève Le Point Afrique, alors que la dernière ligne droite de la campagne présidentielle est en vue, que la présidence française de l’Union européenne a placé la relation entre l’Afrique et l’Europe parmi ses priorités et que les relations entre la junte en place au pouvoir au Mali et le gouvernement français sont de plus en plus exécrables. (…) Engagée militairement depuis 2012 dans la lutte anti-jihadiste au Mali au prix de 52 morts et de plusieurs milliards d’euros, Paris a choisi de temporiser en faisant valoir que les Russes n’agissaient pas pour l’heure dans la même zone du Mali que les Français. La France et ses partenaires européens comptent rester au Mali, "mais pas à n’importe quel prix", a prudemment déclaré, vendredi, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian. Le président Emmanuel Macron devrait évoquer le sujet demain mercredi lors de ses vœux aux armées. »

Peut-on encore croire en l’Union africaine ?

Mis à jour le 16 janvier 2022 à 17:52
 
Yann Gwet
 

Par Yann Gwet

Essayiste camerounais. Diplômé de Sciences Po Paris, il vit et travaille au Rwanda.

 

 

Fresque murale située dans l’Africa Hall, au siège de l’UA, à Addis-Abeba, représentant les trente-deux pères fondateurs de l’OUA. © Ethiopie. Addis Abeba. Siège de l’OUA. Africa Hall. Fresque murale des Portraits des trente-deux présidents africains, pères fondateurs de l’O.U.A, Organisation de l’Unité Africaine, sur une fresque géante, oeuvre des peintres éthiopiens Assefa et Sereke Yemane. Cette fresque tapisse un mur de la salle de l’Africa Hall, devenu siège de l’OUA en mai 1963. Addis-Abeba, Ethiopie. © Vincent FOURNIER/JA

 

Confrontée à des turbulences politiques et à une crise sanitaire, l’UA peine à faire entendre sa voix. Il est temps qu’elle fasse sa mue et qu’elle devienne « une machine politique », comme l’a été son ancêtre l’OUA.

Pour ceux qui croyaient encore dans les vertus de l’Union africaine (UA), l’année écoulée aura été révélatrice de l’impuissance de cette organisation chargée, selon ses propres termes, de travailler à l’avènement « d’une Afrique intégrée, prospère et pacifique, dirigée par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène internationale ».

Riche en crises en tout genre, l’année 2021 aura prolongé une année 2020 à peine moins turbulente. Tchad, Mali, Guinée, Soudan, Éthiopie, vaccins contre le Covid-19… À chaque fois, l’UA, selon ses détracteurs, « joue petit bras » quand elle ne se montre pas hésitante, absente, inaudible, confuse. La cause est entendue : elle a, selon l’expression consacrée, « un problème de crédibilité ».

L’UA SEMBLE S’ENORGUEILLIR DE SA DÉFÉRENCE À L’ENDROIT DES ÉTATS ET DE LEURS REPRÉSENTANTS

Est-ce vraiment le cas ? On a souvent le réflexe de comparer l’UA à sa consœur européenne, que l’on entend et voit beaucoup. À tel point que l’omnipotence supposée d’une Union européenne perçue comme empiétant sur les prérogatives des États – et donc sur la souveraineté des peuples européens – alimente depuis des décennies un euroscepticisme dont l’équivalent est inimaginable de ce côté-ci de la Méditerranée, où l’Union africaine semble s’enorgueillir de sa déférence à l’endroit des États et de leurs représentants – qu’ils soient légitimes ou non.

Désaccords, rivalités…

Mais notre institution panafricaine a une histoire particulière. Son ancêtre, l’Organisation de l’unité africaine (OUA), est né dans le contexte des indépendances, à une époque où des peuples africains, soudés par l’épreuve de l’oppression, aspiraient à la liberté, à l’indépendance et à une solidarité qui avait permis d’accélérer le cours de l’Histoire. Cette Histoire, justement, dictait alors les objectifs de l’OUA : panafricanisme, socialisme, unité. Celle-ci devait simplement surfer sur la vague.

Près de six décennies plus tard, le monde a bien changé. Les pères de l’OUA ont disparu, et avec eux leur souffle révolutionnaire. Les pays du continent sont techniquement indépendants. Bousculé par de nouveaux acteurs qui ont en commun avec l’Afrique l’expérience de l’humiliation, de l’asservissement et de l’avilissement, ainsi qu’un profond désir de revanche, l’Occident impérialiste parle aujourd’hui le langage de la coopération, de l’aide, d’un destin partagé.

FINI L’IDÉALISME DES ANNÉES 1960. CHAQUE ÉTAT A DES INTÉRÊTS, QU’IL DÉFEND AVEC UN RÉALISME ASSUMÉ

Hier, nos leaders étaient des socialistes zélés. Aujourd’hui, convertis à la religion du marché, ils communient devant une zone de libre-échange continentale que le président de la Commission, Moussa Faki Mahamat, dans le discours qu’il a prononcé à l’occasion de la treizième session extraordinaire de la Conférence, a dit accueillir comme un « enfant longtemps attendu ».

Avec le recul, l’on comprend que cette conversion progressive à la religion du marché reflétait des changements structurels dans la nature des relations entre États africains. Fini l’idéalisme des années 1960. Chaque État a des intérêts politiques, économiques, géopolitiques, qu’il défend avec un réalisme assumé. Désaccords, tensions, rivalités relèvent désormais davantage de la norme que de l’exception. Enfin, si hier la principale menace qui pesait sur nos pays était l’impérialisme, aujourd’hui, les défis sont aussi multiples que complexes : terrorisme, changement climatique, pandémies…

 

Un clone ?

Or, si la transition entre l’Organisation de l’unité africaine et l’Union africaine témoignait de la prise de conscience que, précisément, l’Histoire avait fait un bond en avant et imposait des réalités nouvelles, qui appelaient une redéfinition de la mission de l’institution panafricaine, l’OUA n’a jamais fait sa mue. Tout se passe comme si elle avait donné naissance à son clone.

L’UA continue d’autant plus de mettre les mots de l’OUA sur une réalité post-OUA qu’elle n’a pas les moyens de ses ambitions. Les moyens financiers, d’abord. Les problèmes de l’UA en la matière sont connus. Ils constituent l’un des volets de la réforme institutionnelle qu’engage le président Kagame et qui vise à réaliser la mue de l’OUA. Sans ressources « adéquates, fiables et prévisibles pour mettre en œuvre ses programmes », il ne fait aucun doute que l’UA serait cantonnée au seul ministère de la Parole, utile pour sensibiliser les opinions publiques, mais dérisoire pour « changer le cours des événements ».

TENUE EN LAISSE, CORSETÉE, L’UA PEINE À ÉPOUSER LES ENJEUX DE SON ÉPOQUE

Les moyens politiques, ensuite, dans la mesure où l’UA a été conçue comme une organisation technocratique chargée de mettre en musique la vision des leaders africains réunis au sein de « la Conférence des chefs d’État et de gouvernement », organe suprême qui « définit les politiques de l’Union africaine, fixe ses priorités, adopte son programme annuel et assure le contrôle de la mise en œuvre de ses politiques et décisions ».

Accessoirement, la « Conférence » élit le président de la Commission, qui a donc tout intérêt à se montrer accommodant envers ses électeurs. Ainsi, en toute logique, le visage que présente la Commission n’est jamais que le reflet des choix, décisions, compromissions, renoncements de ses patrons, logés au sein de la Conférence. À ceux-ci, la charge de l’orientation politique de l’UA ; à la Commission, la responsabilité de l’administration.

Le problème de crédibilité de l’UA est par conséquent la manifestation d’un problème plus fondamental d’identité. L’UA peine à épouser les enjeux de son époque. Elle est, par ailleurs, tenue en laisse, corsetée par une direction qui a peu intérêt à ce qu’elle soit une machine politique. Le changement, comme toujours, passera par l’avènement d’une masse critique de leaders africains conscients du fait que seule une UA profondément réformée pourra aider l’Afrique à répondre aux défis d’un XXIe siècle qui s’annonce impitoyable. La balle est donc dans le camp des peuples…