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Guinée : Alpha Condé de retour à Conakry sur ordre de Doumbouya

Soigné à Abu Dhabi depuis janvier, Alpha Condé a regagné Conakry vendredi soir à la demande des « plus hautes autorités guinéennes ». L’ancien président ne souhaitait pas rentrer en Guinée.

Mis à jour le 9 avril 2022 à 09:21

 

Alpha Condé à Berlin, en novembre 2019 © Bernd Von Jutrczenka/ZUMA Press/ZUMA/REA

 

Alpha Condé est rentré à Conakry ce vendredi 8 avril, à 18h45 heure locale. Il avait quitté la Guinée le 17 janvier dernier, pour aller se faire soigner aux Émirats arabes unis. Ce séjour, qui devait initialement durer un mois, sous réserve d’avis médical contraire, avait été prolongé de plusieurs semaines.

Le retour de l’ancien président, renversé par le colonel Mamadi Doumbouya le 5 septembre dernier, met un terme aux rumeurs qui couraient ces dernières semaines en Guinée, selon lesquelles les raisons de santé invoquées pour laisser partir Alpha Condé n’étaient qu’un alibi pour lui permettre d’entamer un exil doré à l’étranger. Il intervient au lendemain du placement sous mandat de dépôt d’Ibrahima Kassory Fofana, l’ex-chef du gouvernement qui venait d’être porté à la tête du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel), et de trois anciens ministres, tous soupçonnés de corruption.

Brazzaville était prêt à l’accueillir

Ce retour, Alpha Condé ne l’a pas souhaité dans les délais qui lui ont été imposés. Convoqué au ministère émirati des Affaires étrangères vendredi matin, il s’est vu signifier la fin de son séjour à Abu Dhabi. Surpris, il a alerté ses proches, en quête d’une destination autre que la Guinée. Selon nos informations, le Congo était déjà prêt à l’accueillir, n’eût été l’opposition des Émiratis. Au lendemain du coup d’État, Denis Sassou Nguessou avait déjà offert de l’accueillir à Brazzaville, mais Alpha Condé avait préféré décliner l’invitation.

Aux membres de la toute première mission de la Cedeao dépêchée à Conakry, le lendemain du putsch, il avait assuré vouloir rester en Guinée. À l’époque, il « se faisait l’illusion d’être encore au pouvoir », avance un membre de son entourage. Sept mois après, il a dû se rendre à l’évidence.

Pendant son séjour à Abu Dhabi, ses « hôtes » l’ont soumis à une étroite surveillance. Alpha Condé était privé de ses téléphones et vivait vingt-quatre heures sur vingt-quatre sous la garde des services de sécurité locaux. Les Émirats n’ont voulu accorder à Alpha Condé ni l’asile ni la permission de choisir une autre destination que Conakry.

Un retour exigé par Mamadi Doumbouya ?

Le 21 mars, Morissanda Kouyaté, le ministre guinéen des Affaires étrangères, a été reçu par Mohamed al-Shamsi, son homologue émirati, à Abu Dhabi. Dans un courrier qu’il lui a adressé deux jours plus tard, consulté par Jeune Afrique, le chef de la diplomatie guinéenne a détaillé le contenu de leurs échanges.

Après avoir remercié les autorités émiraties pour avoir « transporté, hébergé et soigné » l’ancien président, Morissanda Kouyaté leur a « clairement indiqué que les récents agissements d’Alpha Condé [étaient] une réelle menace pour la paix et la stabilité en Guinée et qu’ils [violaient] les termes de la lettre d’engagement signée par la Cedeao, ainsi que l’esprit de l’action humanitaire que le président de la transition a volontairement prise en sa faveur ». Une allusion à la fuite d’une lettre manuscrite et d’un enregistrement audio à travers lesquels l’ancien chef de l’État se prononçait sur la situation du pays et de son parti.

Le ministre guinéen des Affaires étrangères avait alors informé son homologue que « les plus hautes autorités guinéennes  demand[aient] que l’ancien président soit rendu à la partie guinéenne dans les meilleurs délais ».

Retour du dispositif sécuritaire à Landréah

Selon un proche de l’ancien président, Alpha Condé a posé ses valises dès vendredi soir à son domicile de Dixinn Landréah « où le dispositif sécuritaire a été remis en place ». Dans cette résidence qu’il occupait avant son départ, il retrouve son épouse, Djénè Kaba Condé, qui séjournait en France pour des raisons médicales et qui est rentrée à Conakry fin février.

Alpha Condé libre constituait-il un trop grand risque pour la tranquillité des nouveaux maîtres du pays ? Mamadi Doumbouya souhaite visiblement garder son prédécesseur sous contrôle strict.

Assassinat de Sankara : l’ex-président Blaise Compaoré condamné à la perpétuité

Le verdict est tombé dans le procès des assassins de l’ancien président burkinabè. L’ex-président Compaoré, absent du procès, a été condamné à la perpétuité. De même que Gilbert Diendéré et Hyacinthe Kafando.

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 6 avril 2022 à 12:55

 

Thomas Sankara, en 1986. © Pascal Maitre/JA

 

Blaise Compaoré, en exil depuis 2014 en Côte d’Ivoire, a été condamné mercredi par contumace à la prison à perpétuité pour sa participation à l’assassinat de son prédécesseur Thomas Sankara, tué avec douze de ses compagnons lors d’un coup d’État en 1987. Le tribunal militaire de Ouagadougou a également condamné à la perpétuité le commandant de sa garde Hyacinthe Kafando, en fuite depuis 2016, et le général Gilbert Diendéré, un des chefs de l’armée lors du putsch de 1987.

Grands absents

L’énoncé du verdict est intervenue au terme d’un long procès démarré en octobre dernier devant le tribunal militaire de Ouagadougou. Le jour de la première audience, le 11 octobre, douze des quatorze accusés étaient présents, dont le général Gilbert Diendéré, 61 ans, un des principaux chefs de l’armée lors du putsch de 1987. Tous doivent répondre des chefs d’inculpation suivants : « complicité d’assassinat », « assassinat », « recel de cadavres » et « attentat à la sûreté de l’État ».

Le principal accusé, l’ancien président Blaise Compaoré, porté au pouvoir par ce putsch et ami proche de Sankara, est absent, ses avocats ayant dénoncé « un simulacre de procès » devant « un tribunal d’exception ». Soupçonné d’être le commanditaire de l’assassinat de Sankara – ce qu’il a toujours nié -, il a été chassé du pouvoir en 2014 par la rue et vit depuis en Côte d’Ivoire. Le parquet militaire a requis 30 ans de prison contre lui.

Trente ans ont également été requis contre l’autre grand absent, l’adjudant-chef Hyacinthe Kafando, ancien commandant de la garde de Compaoré, en fuite depuis 2016 et soupçonné d’avoir mené le commando qui a assassiné Thomas Sankara et ses compagnons.

L’écrasante majorité des accusés présents plaide non coupable, dont le général Diendéré qui risque une peine de 20 ans de prison, durée de celle qu’il purge actuellement pour une tentative de coup d’État en 2015. Les prévenus racontent une tentative d’arrestation de Sankara qui a « mal tourné », à la suite de divergences avec Blaise Compaoré « sur la marche de la révolution« .

Complot international

D’anciens collaborateurs du président tué lèvent le voile sur les relations tendues entre Blaise Compaoré et Thomas Sankara et sur l’existence d’un « complot international » ourdi contre un leader progressiste qui voulait bouleverser l’ordre du monde et éradiquer la pauvreté dans son pays. « Le drame du 15 octobre 1987 est arrivé sous la pression de certains chefs d’État, tels que Félix Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire », témoigne Abdoul Salam Kaboré, ministre des Sports de Sankara.

C’EST LA CRÉATION D’UN PARTI POLITIQUE UNIQUE QUI A MIS LE FEU AUX POUDRES

Entendu en visioconférence depuis la France, ancienne puissance coloniale au Burkina, Moussa Diallo, aide de camp du président assassiné, assure que les événements d’octobre 1987 « ont été prémédités » et que le président Houphouët Boigny, grand ami de la France, était « au centre de ce complot ».

Houphouët Boigny avait dit à Thomas Sankara : « Il faut que vous changiez, si vous ne changez pas, nous allons vous changer », selon Serge Théophile Balima, ancien directeur de la télévision burkinabè.

« Blaise Compaoré voulait le pouvoir. C’est la création d’un parti politique unique qui a mis le feu aux poudres » car Compaoré « ne voulait pas de l’unification des organisations du Comité national de la révolution (CNR) », a expliqué aux enquêteurs Valère Somé, politologue burkinabè dont la déposition a été lue au procès. Selon un commandant militaire, Blaise Sanou, « celui qui était accro au pouvoir, c’était Blaise Compaoré ». « C’est également à cause (de cette soif) du pouvoir qu’il a voulu modifier la constitution après 27 ans de règne », ce qui a provoqué sa chute en 2014.

Coup d’État

Le procès a été interrompu à plusieurs reprises à la suite du coup d’État du 24 janvier mené par le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba qui a renversé le président élu Roch Marc Christian Kaboré. L’une de ces interruptions a été motivée par un requête des avocats de la défense auprès du Conseil constitutionnel qui a investi Damiba le 16 février. Ils estiment qu’on ne peut pas condamner des accusés pour « attentat à la sûreté de l’État » alors que le coup d’État est en lui-même une telle atteinte. Une requête rejetée par le Conseil constitutionnel.

À la Une: la feuille de route de la transition au Burkina Faso

 

Hier lundi, note Le Pays  à Ouagadougou, « le Premier ministre, Albert Ouédraogo, a présenté aux députés la feuille de route du gouvernement de la Transition. »

Un discours qui fait écho à celui prononcé vendredi dernier par le président Damiba, le chef de la junte au pouvoir.

Alors, « place aux actes maintenant ! », lance le quotidien ouagalais. « Les priorités actuelles du pays sont connues. Ce sont l’insécurité, le retour au bercail des déplacés internes, la crise alimentaire et la réinsertion des éléments terroristes qui ont accepté de déposer les armes. Sur le plan sécuritaire, précise Le Paysle président Damiba a donné rendez-vous aux Burkinabè dans cinq mois pour un premier bilan. Cependant, il n’a pas décliné les moyens à mettre en œuvre pour atteindre ces résultats. Il en est de même pour les autres points prioritaires. Il revenait donc au Premier ministre d’être plus explicite pour rassurer les Burkinabè. Celui a détaillé quelques moyens que le gouvernement entend mettre en œuvre sur le plan de la lutte contre l’insécurité. Il s’agit de nouer des partenariats stratégiques et de les diversifier en profitant des atouts spécifiques de chaque partenaire. » Et Le Pays de s’interroger : « un éventuel partenariat avec la Russie que certains Burkinabè à l’exemple du Mali appellent de tous leurs vœux ? Avec la Chine, la Turquie, Israël et tous les pays qui peuvent apporter leur concours ? Autant de questions légitimes qui sont pour l’instant, sans réponse. » 

Multiples urgences…

WakatSéra accorde aux nouvelles autorités burkinabé le bénéfice du doute… « Si l’examen de passage a été concluant à l’oral, le plus dur reste à faire pour le Premier ministre, Albert Ouédraogo, et son gouvernement. Il urge de transformer les paroles en actes, pour desserrer l’étau autour des Burkinabè, pris entre le marteau du terrorisme et l’enclume de la difficile conjoncture économique découlant de la pandémie du Covid-19. Le chantier ne sera pas loin des sept travaux d’Hercule, surtout dans ce contexte où la transition burkinabè, sœur cadette de ses ainées du Mali et de la Guinée, sera très scrutée par la communauté internationale, notamment la CEDEAO qui a, tout de même, promis son accompagnement au Burkina. »

Révolution copernicienne

« Courage, Albert-Sisyphe ! », renchérit le quotidien Aujourd’hui. En effet : « récupérer les zones infestées par les terroristes et faire revenir les 1 million 800.000 déplacés internes dans leurs villages. (…) Refonder l’Etat, avec une recentralisation sur des valeurs cardinales notamment sur une gouvernance vertueuse, une neutralité de l’Administration son efficacité, bref, remettre la méritocratie au centre de l’Administration publique, en la dépolitisant. »

Qui plus est, poursuit Aujourd’hui, la Transition veut « régenter le jeu politique, avec une réglementation des partis, le financement et le plafonnement des dépenses publiques, le tout pour parvenir à un basculement vers une 5e République. Rien que ce chantier de la refondation pourrait prendre les 36 mois de la Transition. »

Et Aujourd’hui de s’exclamer : « c’est une véritable révolution copernicienne que veulent accomplir les nouvelles autorités. Ça fait beaucoup pour une Transition dans un pays où plusieurs pans du territoire sont occupés par des terroristes. »

La RDC sous la menace de la « bombe F »

À la Une également, les inquiétudes alimentaires au Congo démocratique… « Conséquences de la guerre en Ukraine : la RDC menacé par la bombe F », lance Le Nouvel Observateur à Kinshasa. F comme famine… En effet, précise le journal, « on devrait assister dans les semaines prochaines à une hausse vertigineuse des prix des denrées alimentaires et du carburant à travers le pays, conséquence directe de la hausse du trafic de transport et de rareté des produits tels que les céréales et le pétrole… en provenance de l’Ukraine et de la Russie. Du coup, le problème d’insécurité alimentaire, du reste chronique en RDC, risque de s’accroître. »

Déjà, note encore Le Nouvel Observateur, « le prix du gaz est passé de 20.000 francs, soit 10 dollars à 27.000 franc soit 18 dollars ; le sac de farine de blé est passé de 46 à 60 dollars. »

Alors pour désamorcer cette bombe F, pointe le bi-hebdo, il faut « relancer la production agricole locale, manioc et maïs notamment comme substituts à la farine de blé, et organiser un pont aérien agricole pour permettre le transport des produits alimentaires de première nécessité de nos localités vers les grands centres de consommations tels que Kinshasa, Matadi, Lubumbashi, Kananga, Kisangani ou Goma. »

Mali : Emmanuel Macron et Assimi Goïta, chronique d’un divorce fracassant

Mis à jour le 4 avril 2022 à 15:59
 


Emmanuel Macron et Assimi Goïta. © Montage JA ; Habib Kouyate/Xinhua/MaxPPP ; François Grivelet pour JA.


« L’Afrique selon Macron » (7/7). Entre le chef de l’État français et la junte malienne, les relations ont d’abord été plutôt prometteuses. Emmanuel Macron et Assimi Goïta devaient se rencontrer le 20 décembre à Bamako mais la visite a été annulée, consacrant la rupture entre les deux pays.

Ce devait être un voyage symbolique. Avec une image forte : la première rencontre entre le colonel Assimi Goïta et Emmanuel Macron, à Bamako. Histoire de rappeler que, malgré les nombreuses tensions des derniers mois, la France et le Mali demeuraient bel et bien partenaires. Mais la poignée de main n’aura finalement jamais lieu et, quelques semaines plus tard, la rupture entre les deux pays sera définitivement consommée.

Officiellement, ce déplacement présidentiel au Mali, prévu le 20 décembre, a dû être annulé à la dernière minute en raison du contexte sanitaire en France. Selon l’Élysée, il aurait été délicat pour le président de quitter le pays en pleine quatrième vague de l’épidémie de Covid-19.

En réalité, les autorités françaises et maliennes, en guerre larvée depuis des semaines, n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur le format de cette visite. Dans Bamako converti aux discours antifrançais, nul doute que le risque de voir Emmanuel Macron se faire chahuter par les Maliens a aussi compté dans la décision finale. Le président français est en pleine campagne pour sa réélection et de telles images auraient fait mauvais genre.

LES RESPONSABLES FRANÇAIS PESTAIENT CONTRE L’INCAPACITÉ D’IBK À RAMENER LA SÉCURITÉ ET LA STABILITÉ DANS SON PAYS

Comment en est-on arrivé à ce scénario dans une capitale où, il y a moins de dix ans, l’ancien président français François Hollande était accueilli en libérateur par des dizaines de milliers de personnes ?

Des débuts sans accroc

Entre la junte malienne et Macron, l’histoire avait pourtant plutôt bien commencé. Le 18 août 2020, quand une bande de colonels fait tomber le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta sous les vivats de la rue bamakoise, l’Élysée ne voit pas forcément ce putsch d’un mauvais œil. Voilà des années que les responsables français pestaient contre l’incapacité d’IBK à ramener un semblant de sécurité et de stabilité dans son pays. Cette rupture peut constituer un nouveau départ.

Les premiers mois de la transition se déroulent sans accroc majeur. Un mois après le coup d’État, les putschistes du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) remettent comme prévu le pouvoir à des civils, tout en gardant des places de choix au cœur du pouvoir.

Sur le plan militaire, l’arrivée des colonels à la tête du Mali se fait sentir. Les Forces armées maliennes (Fama) retrouvent de l’entrain et de la vigueur au combat. De quoi réjouir les soldats français déployés à leurs côtés. « Les relations de travail entre le commandement de Barkhane et l’état-major malien étaient excellentes », se rappelle un haut responsable français.

Puis la machine va progressivement se gripper. Assimi Goïta et les colonels ne cachent pas leur idéologie souverainiste ni leur volonté de diversifier leurs partenariats. Y compris avec la Russie, grande rivale de la France sur le continent. En mai 2021, la transition est sur un fil.

Le président Bah N’Daw et son Premier ministre, Moctar Ouane, veulent se débarrasser des colonels Sadio Camara et Modibo Koné, respectivement ministres de la Défense et de la Sécurité, dont ils n’apprécient guère l’influence grandissante. Mais les officiers dégainent les premiers.

LES COLONELS ONT BASCULÉ DANS UNE ATTITUDE PARANOÏAQUE TEINTÉE DE NATIONALISME EXACERBÉ

Le 24 mai, un nouveau gouvernement excluant les deux putschistes est dévoilé. Mais immédiatement N’Daw et Ouane sont arrêtés et conduits à Kati. Le Mali connaît son deuxième coup de force en neuf mois. Un « coup dans le coup inacceptable » pour Emmanuel Macron, qui marque le début de la fin des bonnes relations entre la France et le Mali.

« Ce deuxième putsch est le fruit d’un psychodrame interne. Les colonels avaient une vision complotiste de la situation, ils étaient convaincus que nous étions à la manœuvre derrière Bah N’Daw pour obtenir leur éviction, estime une source élyséenne. À partir de là, ils ont basculé dans une attitude paranoïaque teintée de nationalisme exacerbé. Nous n’avons jamais retrouvé de chemins de convergence. »

C’est désormais un fossé qui oppose la junte malienne et les dirigeants français. L’escalade verbale et diplomatique ne fait qu’aller crescendo. Le 25 septembre 2021, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, accuse la France « d’abandon en plein vol » après l’annonce par Paris d’un réajustement en profondeur de son dispositif militaire au Sahel. Réponse cinglante de Macron : « C’est une honte et cela déshonore ce qui n’est même pas un gouvernement. »

La ligne rouge russe

En parallèle, les services de renseignement français suivent attentivement le déploiement de la nébuleuse russe Wagner au Mali. Cette société privée dirigée par Evgueni Prigojine, un oligarque proche de Vladimir Poutine, a déjà envoyé ses mercenaires en Libye, au Soudan, et surtout en Centrafrique. Pour Paris, son arrivée au Mali constitue une « ligne rouge », incompatible avec la présence de soldats français dans le pays.

Or, depuis le mois d’août, plusieurs cadres de Wagner se sont succédé à Bamako pour préparer l’arrivée de leurs hommes et explorer le potentiel extractif de mines d’or. Parmi eux, Sergeï Laktionov, géologue qui a déjà opéré pour le groupe en Centrafrique, Alexander Maltsev, commandant militaire de la base centrafricaine de Bria, ou encore Ivan Maslov, ancien des forces spéciales de la marine russe et chef opérationnel de Wagner au Mali.

Au début de décembre, la venue des mercenaires de Vladimir Poutine ne fait plus de doute. Une base a été construite le long de l’aéroport de Bamako pour accueillir les premiers contingents. Le 23 décembre, un communiqué conjoint de la France et de ses partenaires européens condamne, pour la première fois, leur déploiement au Mali. Cette fois, la fameuse « ligne rouge » est franchie. Mais les Français ont beau montrer les muscles, ils ne réagissent pas pour autant, du moins pas tout de suite.

LES AUTORITÉS MALIENNES EXPULSENT L’AMBASSADEUR DE FRANCE, UNE PREMIÈRE DANS L’HISTOIRE ENTRE LES DEUX PAYS

Côté malien, Assimi Goïta, son ministre de la Défense, Sadio Camara, et les autres colonels de la junte poursuivent leur stratégie de rupture. Fin janvier, ils réclament au gouvernement danois de rappeler « immédiatement » ses forces spéciales participant à la task force européenne Takuba, au motif que leur déploiement se serait fait « sans le consentement » de Bamako. Nouvelle colère française et nouvelle passe d’armes entre les ministres des deux pays.

Jean-Yves Le Drian accuse notamment la junte d’être « illégitime » et de prendre des « mesures irresponsables ». En réponse, les autorités maliennes expulsent Joël Meyer, l’ambassadeur de France, le 3 février. Une première dans l’histoire entre les deux pays.

Sur le terrain, les mercenaires de Wagner, eux, ont commencé leurs opérations aux côtés des Fama. Ils sont essentiellement présents dans le centre du Mali. Certains sont dans le Nord, où, ironie de l’histoire, 150 d’entre eux ont pris leurs quartiers dans l’ancienne base française à Tombouctou, quittée quelques mois plus tôt par les militaires de la force Barkhane. La situation devient politiquement et militairement intenable. Pour Emmanuel Macron, plus question que les soldats français restent au Mali dans ces conditions.

Nouveau logiciel

Le 17 février, le chef de l’État annonce le départ de ses troupes du pays après un dîner à l’Élysée avec ses partenaires européens et africains engagés au Sahel. « Nous ne pouvons pas rester engagés militairement aux côtés d’autorités dont nous ne partageons ni la stratégie ni les objectifs cachés, justifie-t-il. Le choix que nous faisons est avant tout lié au fait que la transition malienne a décidé de ne pas faire le travail de sécurisation de son propre pays et qu’elle a préféré embaucher des mercenaires pour protéger ses propres intérêts plutôt que de lutter contre le terrorisme. »

LA MÉSENTENTE AVEC LA JUNTE N’A-T-ELLE PAS ÉTÉ UN PRÉTEXTE POUR SE DÉSENGAGER D’UNE GUERRE DEVENUE BOURBIER ?

Pour la France, ainsi se terminent neuf années d’un coûteux – tant sur le plan humain que financier – engagement militaire au Mali. Pour quel bilan ? Macron, qui a hérité de cette situation en arrivant au pouvoir, en 2017, récuse « totalement » le terme d’échec. Difficile, pourtant, de constater autre chose.

Certes, des chefs jihadistes de premier plan ont été éliminés. Mais leurs groupes n’ont cessé de recruter, de se renforcer et d’étendre leur influence, jusqu’à menacer désormais les pays côtiers. L’insécurité, un temps concentrée entre les frontières maliennes, a gagné le Burkina Faso et le Niger voisins. Et dans cette poudrière sahélienne, alors que les coups d’État sont applaudis, le sentiment antifrançais ne cesse de gagner du terrain. La mésentente avec la junte n’a-t-elle pas finalement fourni un prétexte au président français pour se désengager d’une guerre devenue bourbier ?

Car, en réalité, cela faisait des mois, voire des années, qu’Emmanuel Macron et ses conseillers réfléchissaient à la meilleure manière de mettre fin à l’opération Barkhane. « Il aurait fallu s’y pencher plus tôt. Mais une forme de conservatisme collectif nous a fait perdre du temps et il a fallu faire mûrir ce changement de logiciel », reconnaît une source élyséenne qui pointe également les réticences de certains chefs d’État sahéliens qui, comme Ibrahim Boubacar Keïta, Roch Marc Christian Kaboré ou Idriss Déby Itno, disaient à leur homologue français de « ne surtout toucher à rien ».

Moins de terrain

À Paris, le plan initial était de mettre progressivement en place un modèle d’intervention plus souple, en collaboration avec les partenaires européens et tous les pays de la région, y compris le Mali. Un nouveau dispositif va bien être mis sur pied, mais pour l’instant sans Bamako. Dans les grandes lignes, le but est d’être moins sur le terrain, avec des empreintes militaires plus légères mais mieux coordonnées avec les forces locales. Le tout avec les pays de la région qui en feront clairement la demande.

« Les grosses opex [opération extérieure] comme Barkhane ne sont plus tenables, analyse-t-on dans l’entourage de Macron. Les opinions publiques, africaines comme françaises, ne les comprennent pas et ne les acceptent plus. La fin de Barkhane est l’un des derniers actes forts du quinquennat, qui s’inscrit dans notre volonté de renouveler le logiciel franco-africain dans tous les domaines. » Reste à savoir si ce logiciel peut, encore, être réinitialisé entre la France et le Mali.