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Tchad : comment Idriss Déby Itno tente d’imposer
des législatives avant début 2020

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Une nouvelle commission a été mise en place mardi 24 septembre au sein du Cadre national du dialogue politique. Son objectif : réviser le code électoral tchadien et favoriser une tenue des législatives avant début 2020.

Une commission de « relecture du code électorale » a été mise en place, mardi 24 septembre au sein du Cadre national du dialogue politique (CNDP). Elle disposera, selon la décision portant sa création, de dix jours pour déposer son rapport auprès du président du CNDP, qui le transmettra à son tour à la présidence.

La commission est composée de sept membres du CNDP : trois de la majorité, trois de l’opposition, et un président, en la personne d’Ali Abel Kram, leader du parti Caméléon, membre de la majorité présidentielle. Ce nouvel organisme, temporaire, a pour mission de proposer des dispositions pour organiser au plus vite les élections législatives.

Bras-de-fer à N’Djamena

La date des législatives est au centre des débats depuis plusieurs mois. Idriss Déby Itno a en effet annoncé vouloir la tenue du scrutin au plus tard en janvier 2020. Mais plusieurs partis de la majorité, ainsi que les formations de l’opposition, voient d’un mauvais œil l’organisation de législatives à cette date – et en profitent au passage pour fustiger l’ingérence du chef de l’État dans les affaires du CNDP.

Dans un communiqué, le parti pour les libertés et le développement (PLD) a ainsi accusé Idriss Déby Itno d’avoir « fait voler en éclat tout esprit de consensus avec la classe politique ». Les détracteurs d’une organisation « accélérée » estiment qu’un report raisonnable est nécessaire afin d’organiser le scrutin dans de bonnes conditions. Beaucoup évoquent même comme souhaitable un glissement vers 2021, ce qui permettrait de coupler les législatives et la présidentielle.

Amicales pressions

Mais le président Déby Itno est, pour le moment, resté ferme. Il a rejeté la semaine dernière deux projets de calendrier électoral – transmis par Kodi Mahamat Bam, le président de la Commission nationale électorale indépendante (Ceni) -, qui proposaient des élections en avril ou novembre 2020. Le chef de l’État avait répondu, le 16 septembre via son directeur de cabinet civil, Abdoulaye Sabre Fadoul, que cela ne correspondait pas à « ses engagements ».

Déby Itno a reçu cette année d’amicales pressions diplomatiques l’enjoignant de respecter ses promesses de calendrier électoral. En mai, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait notamment insisté auprès de lui, lors des obsèques du frère du président, pour que les législatives se tiennent à la fin de 2019. Un nouveau long report serait mal perçue : l’élection des députés est constamment reportée depuis 2015.

Niger: l’opposition manifeste
contre le nouveau code électoral et la Céni

La marche de l'opposition contre le nouveau code électoral, à Niamey, le 28 septembre 2019.
© BOUREIMA HAMA / AFP

Des milliers de manifestants de l’opposition sont descendus dans la rue hier, samedi 28 septembre, dans la capitale, Niamey. Ils contestent le nouveau code électoral et remettent en cause la Commission électorale nationale indépendante (Céni) qui n’est pas selon eux consensuelle. Une véritable crise ouverte au moment où la Céni se prépare à lancer l'enrôlement des électeurs dès ce 1er octobre.

Une « Céni taillée sur mesure » et où aucun des leurs ne figurent, disent les opposants.Tout au long du parcours qui les mène à la place de la Concertation, située devant l'Assemblée nationale, les militants de l’opposition, avec à leur tête Mahamane Ousmane, ont brandi des pancartes hostiles à la Céni et au code électoral. En s’adressant à la foule, Mahamane Ousmane s’est interrogé : « Comment penser organiser des élections transparentes et justes avec un code électoral non consensuel et non intrusif ? »

À lire aussi: Niger: le nouveau code électoral adopté en l’absence de l’opposition

L’autre aile de Lumana Fa était présente à la manifestation. Son président Soumana Sanda entend maintenir la pression sur le pouvoir de Niamey : « Ce sera des manifestations qui ne vont pas s’arrêter jusqu’à ce que nous arrivions à contraindre le pouvoir en place et qui permettra à l’ensemble des Nigériens, en tout cas qui le souhaitent, d’être candidats aux prochaines élections ».

« Ça pose problème »

Le parti Amen Amine de Ladan Tchiana signe son retour dans l’opposition. Son parti ne reculera pas, selon l'un des militants : « On ne va jamais reculer. Le code électoral, on bannit ça carrément ».

Même son de cloche pour le parti de Ibrahim Yacouba, le Mouvement des patriotes du Niger (MPN). Une Céni sur mesure ne passera pas, selon l’un de ses membres : « Mais si vraiment, c’est taillé sur mesure, ça pose problème ».

Burkina Faso : entre sanctions de cadres et démissions,
le CDP en ordre dispersé

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Le parti de l’ancien président Blaise Compaoré, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), traverse une crise interne, illustrée par les sanctions prises à l’encontre de plusieurs cadres soutenant la candidature à la présidentielle de Kadré Désiré Ouédraogo, dont la démission du parti a été officialisée le 23 septembre.

La nouvelle a été accueillie comme une grande victoire au siège du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Le 21 septembre, le parti de l’ancien président Blaise Compaoré a été autorisé par la justice à organiser un congrès extraordinaire. Assigné en justice par un groupe de frondeurs qui demandait sa suspension, le parti a finalement obtenu gain de cause.

Dès le lendemain, devant des militants à Ouagadougou, Eddie Komboïgo, président du CDP, déclarait : « Si nous pouvons nous réunir ici ce matin, c’est parce que la vérité a triomphé hier au Palais de justice. Refusant tout dialogue, les frondeurs ont multiplié des sorties médiatiques dans le but de ternir notre image et de porter atteinte à la cohésion de notre parti. Ce qu’ils veulent en réalité, c’est la liquidation pure et simple du parti. »

Bras de fer

Derrière ces bisbilles internes, se cache un bras de fer entre deux camps pour l’investiture de leur candidat à la tête du parti. Depuis plusieurs mois, les partisans de Kadré Désiré Ouédraogo et ceux d’Eddie Komboïgo s’affrontent dans une guerre fratricide pour l’investiture à la présidentielle. Ancien Premier ministre et ancien président de la Cedeao, Kadré Désiré Ouédraogo avait déclaré sa candidature en février 2019, avant les primaires du CDP.

Ce sont surtout ses partisans qui avaient saisi la justice pour empêcher l’organisation de ce congrès. Pour cause, cette rencontre avait pour objectif de réformer certains articles des statuts et règlements intérieurs de la formation. La première modification, qui opposait les deux camps, était la suppression de la disposition des statuts du parti qui instaure la limitation des membres du bureau politique national à 600 personnes.

Il fallait donc adapter nos textes aux réalités

« Cette disposition a engendré beaucoup de difficultés », explique Achille Tapsoba, premier vice-président du CDP. « Sont membres du bureau politique national tous les anciens ministres, députés, maires, etc., les membres statutaires, en plus des nouveaux, ce qui nous amenait à plus de 1000 personnes. Il fallait donc adapter nos textes aux réalités. » Mais les opposants à cette réforme estiment que ce nombre élevé constitue un réservoir de voix pour Eddie Komboïgo en cas de primaires.

Exclusions et démissions

Pour l’analyste politique Siaka Coulibaly, ces difficultés surviennent car « le CDP était un parti-État ». En effet, le parti de Blaise Compaoré « expérimente, maintenant qu’il n’est plus au pouvoir, les dispositions de désignation d’un candidat ».

Mais entre les deux camps, le divorce est désormais consommé. Kadré Désiré Ouédraogo qui a lancé a lancé le Mouvement Agir ensemble début septembre, a annoncé sa démission du CDP dans un courrier adressé au président du parti le 23 septembre.

La veille, lors du congrès extraordinaire du parti, 27 cadres et militants du parti ont été suspendus pour 12 mois ou exclus. Parmi eux, l’ancien maire de Bobo Dioulasso Salia Sanou, le député Rasmané Daniel Ouédraogo et l’ancien deuxième vice-président du parti, Léonce Koné. Tous avaient soutenu la candidature de Kadré Désiré Ouédraogo. Suspendu pour une durée de 12 mois, l’ancien ministre de la Justice Boureima Badini a également déposé sa démission le 23 septembre.

Sanctionner pour sauver le CDP

« Cette décision d’exclure certaines personnes prouve qu’il y a eu une sorte de consensus autour d’Eddie Komboïgo », ajoute Siaka Coulibaly. « Tout départ du bureau est une perte, car nous perdons des cadres. Mais quand ceux-ci deviennent des facteurs de déstabilisation du parti, mieux vaut se débarrasser d’eux que de bloquer toutes les activités », explique pour sa part Achille Tapsoba.

Le premier vice-président du CDP se veut rassurant quant aux conséquences de ces départs : « Sur le terrain, l’impact ne sera pas grand. Dans leurs fiefs électoraux, ces personnalités n’ont plus de grande capacité de mobilisation ».

Ces décisions d’exclure et de suspendre plusieurs membres ont été prises plusieurs mois avant les législatives de 2020, donnant ainsi au parti une certaine latitude pour préparer des candidats dans les zones d’influence des cadres sanctionnés.

Comment résoudre la crise ?

De leur côté, les partisans de l’ancien président de la Cedeao continuent de mener leurs activités et se disent « fidèles à Blaise Compaoré ». Le 20 septembre, ils ont procédé à une activité de reboisement du champ de l’ancien président à Ziniaré, à quelques kilomètres de Ouagadougou.

« En arriver à des exclusions au lieu de tenter de discuter démontre qu’il y a un sérieux problème de leadership dans le parti », confie l’une des personnalités sanctionnées. « Nous allons nous concerter pour décider de la marche à suivre dans les jours à venir », a-t-il ajouté.

Pour Siaka Coulibaly, la solution à la crise que traverse le CDP pourrait venir d’une médiation extérieure. « Le CDP étant désormais membre de l’opposition, le CFOP (chef de file de l’opposition) pourrait se saisir du dossier et mettre les différents protagonistes autour d’une même table. L’autre possibilité pourrait être une intervention de Blaise Compaoré. »

Côte d’Ivoire – Henri Konan Bédié : « Redevenir président ?
Ce serait une revanche »

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Une rencontre avec Laurent Gbagbo en juillet, une autre avec Guillaume Soro en septembre… À un an de l’élection, le Sphinx assume les jeux d’alliances et sa rupture consommée avec le RHDP.

Son secret ? Un peu de gymnastique, un bon kiné, pas d’alcool et, de temps en temps, un cigare cubain. À 85 ans, Henri Konan Bédié est en pleine forme. Lorsqu’il nous reçoit, le 10 septembre, dans son luxueux appartement parisien, l’ancien président jubile. À un an de la présidentielle, il vient de rencontrer Guillaume Soro et se délecte encore de cet aller-retour effectué à la fin de juillet à Bruxelles, où il est allé rendre visite à Laurent Gbagbo. Qu’importe si ces deux éléphants sont d’historiques adversaires. Au grand jeu du poker menteur ivoirien, tous les coups sont permis.

Son nouvel allié ne sera pas maître de son destin pendant encore de longs mois, condamné au silence et à résider loin d’Abid­jan depuis que la procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a fait appel de son acquittement, le 16 septembre. Voilà donc Henri Konan Bédié à la tête de la fronde anti-Ouattara.

Après quinze années d’un mariage de raison, le chef du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) a mis fin à leur union et a retrouvé toute son acrimonie contre le chef de l’État. « Cette rupture lui a redonné goût à la politique », confie l’un de ses proches. Vingt ans exactement après avoir été chassé du pouvoir par les militaires du général Gueï, il semble se prendre à rêver d’un retour au palais présidentiel. Plus qu’une revanche, ce serait une résurrection. Ne l’appelle-t-on pas le Sphinx ?

Jeune Afrique : Il y a un mois et demi, vous avez rendu visite à Laurent Gbagbo à Bruxelles. Depuis, le PDCI et le FPI [Front populaire ivoirien] ont réussi leur premier pari en organisant un grand meeting commun à Abidjan. Où en est votre alliance ?

Henri Konan Bédié : Ce que nous avons décidé à Bruxelles tient toujours. Le PDCI et le FPI travaillent désormais ensemble au sein d’une même plateforme politique.

Sur le plan idéologique, vos deux partis n’ont pas grand-chose en commun. Quelle forme cette alliance va-t-elle prendre ?

Ils sont socialistes et nous sommes libéraux, notre plateforme n’est donc ni idéologique ni rigide. C’est une entente pour travailler ensemble à des objectifs précis en vue de l’élection présidentielle de 2020.

Vous accorderez-vous sur un candidat commun ?

Non. Chaque parti aura son candidat. Mais au second tour, le mieux placé recevra le soutien de l’autre.

Lorsque vous l’avez vu le 29 juillet, comment se portait Laurent Gbagbo ?

Il allait très bien.

Allez-vous le revoir bientôt ?

Il n’est pas prévu que j’aille à Bruxelles dans l’immédiat. À vrai dire, je l’attends plutôt en Côte d’Ivoire.

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Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo (photos d'archives). © Photomontage: Vincent Fournier/Jeune Afrique / Peter Dejong/AP/SIPA

 

Au début de septembre, vous avez aussi revu l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro, à Paris. Fera-t-il partie de cette plateforme ?

J’ai de très bonnes relations avec Guillaume, nous avons la même vision, et les mouvements qui le soutiennent font partie de notre alliance.

Vous a-t-il dit s’il sera candidat ?

Nous n’en avons pas parlé.

S’il se présente, soutiendra-t-il au second tour celui d’entre vous qui sera le mieux placé ?

Exactement.

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Guillaume Soro, l’ancien président de l’Assemblée nationale ivoirienne. © Issam Zelji/TRUTHBIRD MEDIAS pour JA

 

Laurent Gbagbo a-t-il accepté de s’allier à Guillaume Soro ? Leurs relations ont de quoi être difficiles…

Pourquoi faudrait-il demander ­l’accord de Laurent Gbagbo ? Il y a d’un côté les mouvements politiques de Guillaume Soro, de l’autre le FPI, de Laurent Gbagbo. Chaque entité n’a pas à avoir l’accord de l’autre pour faire ceci ou cela.

Finalement, le mot d’ordre de cette plateforme, c’est « tout sauf Ouattara » ?

Elle n’est dirigée contre personne. Mais en effet, nous sommes un grand rassemblement d’opposition, et Alassane Ouattara n’en fait pas partie.

Lorsqu’il a commenté votre rencontre, le président ivoirien a dit : « Je sais ce que Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié pensent l’un de l’autre », sous-entendant que vous ne vous teniez pas en grande estime…

Il a des certitudes comme cela, il s’imagine savoir ce que pensent les gens. Alors souvent, quand il comprend qu’il s’est trompé, le réveil est brutal.

En politique, rien n’est définitif. Mais pour le moment, mon alliance avec Alassane Ouattara est rompue.

Concernant vos relations avec Laurent Gbagbo, il se trompe ?

Oui. Quand on a de telles certitudes, on s’expose à des déconvenues.

Votre rupture avec Alassane Ouattara est-elle définitive ?

En politique, rien n’est définitif. Mais pour le moment, notre alliance est rompue. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.

Y a-t-il encore des canaux de discussion entre vous deux ?

Très peu.

Vous ne vous parlez plus ?

Entre nous, il n’y a plus de dialogue. Mais de temps en temps, on se téléphone, comme quand il a perdu sa belle-fille, ou à l’occasion de la fête nationale.

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Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, le mercredi 8 août 2018. © DR / Présidence ivoirienne

 

Avant d’être alliés de 2005 à 2018, vous avez été de grands rivaux et vous le redevenez désormais. Les masques sont-ils tombés ?

Oui. Il n’a pas tenu les engagements qu’il avait pris envers moi dans le cadre de l’appel de Daoukro, il n’a pas respecté ses engagements pour l’alternance en 2020 !

Le candidat du PDCI pour 2020, ce n’est pas forcément Bédié !

Son entourage dit que vous lui avez demandé de soutenir votre propre candidature. Pour lui, c’est inacceptable…

Mais non ! Moi, c’est le PDCI, le PDCI c’est moi ! Je ne lui ai pas demandé de soutenir Bédié, mais de soutenir le candidat du PDCI. C’est ce qu’il n’a pas voulu faire.

Et le candidat du PDCI pour 2020, ce n’est pas Bédié ?

Ce n’est pas forcément Bédié !

Alassane Ouattara a dit qu’il procéderait prochainement à des modifications de la Constitution. Il pourrait notamment rétablir un âge limite pour se présenter à la magistrature suprême. Qu’en pensez-vous ?

Il y a de graves risques de tripatouillage, et nous combattrons ce projet.

Est-ce que cela pourrait être pour vous exclure de la course ?

On ne peut pas penser à sa place. Mais si j’étais lui, je ne ferais pas cela. La manœuvre serait trop flagrante.

Allez-vous vous présenter à la prochaine présidentielle ?

Vous le saurez au deuxième semestre de 2020, lorsque la convention d’investiture désignera le candidat du PDCI. Par le passé, j’ai été président de la République mais jamais je n’ai été candidat. On est toujours venu me chercher.

Mais en avez-vous envie ?

Si le parti vient me chercher, alors je verrai dans quel état physique et personnel je serai.

Redevenir président, serait-ce pour vous une revanche sur le coup d’État de 1999 qui vous a renversé ?

Oui, ce serait une revanche, mais il n’y aurait pas de vengeance. Ce serait me rendre justice.

Serait-ce aussi une revanche sur 2010 ? Considérez-vous toujours que vous auriez dû être au second tour ?

Tout à fait. Ce serait également un facteur de réconciliation.

Pourrait-il y avoir une élection avec Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié comme candidats en 2020 ?

Non, car contrairement à moi il n’a pas le droit de se présenter.

Un troisième mandat d’Alassane Ouattara ne serait pas acceptable, ni pour moi ni pour le pays

Alassane Ouattara dit que la Constitution lui permet de faire un troisième mandat…

S’il fait un tripatouillage, peut-être, mais pas en l’état.

Vous ne considérez pas que les compteurs ont été remis à zéro avec le vote de la nouvelle Loi fondamentale en 2016 ?

Non. La limite, c’est deux mandats, c’est écrit dans la Constitution. Un troisième mandat ne serait pas acceptable, ni pour moi ni pour le pays. S’il le fait, vous entendrez le tapage que cela fera.

Que répondez-vous aux Ivoiriens qui estiment que c’est toujours la même génération qui préside aux destinées du pays et qu’il faut laisser la place aux jeunes ?

Au PDCI, nous n’avons pas ce problème-là. Notre parti est dirigé à 60 % par des jeunes de moins de 45 ans, ils sont des centaines dans nos structures.

Mais c’est vous qui êtes aux commandes…

Je ne suis pas un patron autocrate, je gouverne avec eux.

Après votre rupture avec Alassane Ouattara, des cadres importants de votre parti, comme Patrick Achi ou Jeannot Ahoussou-Kouadio, ont rallié le RHDP. N’est-ce pas un coup dur ?

Non, pas du tout. Nous le voyons, il y a de très fortes attentes vis-à-vis du PDCI, la mobilisation est de plus en plus importante. Ces gens qui nous ont quittés n’ont pas emporté avec eux nos électeurs, ils n’ont même pas emmené les populations de leur village. Ils sont partis tout seuls.

Comprenez-vous leur choix ?

Je suppose qu’ils ont agi selon leurs intérêts. Pour les uns, conserver un poste, pour d’autres, parce qu’ils avaient été menacés par le pouvoir.

Certains d’entre eux étaient proches de vous. Vous êtes-vous senti trahi ?

C’est une trahison, mais je n’ai pas de ressentiment. Il y a longtemps que je suis en politique, ce ne sont pas les premiers traîtres que je croise. Ils ne peuvent ni m’affaiblir ni m’affecter outre mesure.

En juin, vous avez été accusé de faire ressurgir le discours sur l’ivoirité. Que répondez-vous ?

Il n’y a pas un seul mot d’ivoirité dans ce que j’ai dit. J’ai dit que les orpailleurs clandestins étaient des étrangers venus de pays voisins et qu’ils opéraient contre les intérêts du pays. Le plus grave, c’est qu’ils viennent armés. Même Alassane Ouattara a reconnu que l’orpaillage clandestin était un fléau pour la Côte d’Ivoire !

Vous avez aussi parlé d’invasion massive des étrangers et de leur enrôlement en vue des élections…

J’ai parlé de fraude sur la nationalité ivoirienne, c’est vrai. Il y a de fausses cartes d’identité qui ont été fabriquées à l’étranger. Des camions et des documents ont été saisis, tout cela a été prouvé par des enquêtes, mais leurs conclusions ont été rangées au fond d’un tiroir. Qu’a-t-on fait de ces faux ? Je ne sais pas, mais des responsables du RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, au pouvoir], comme Kobenan Kouassi Adjoumani, ont dit : « Au RHDP, nous n’avons pas peur d’enrôler des étrangers pour les élections. » Il a avoué. Il y a des inscriptions d’étrangers sur les listes électorales en vue des scrutins. C’est comme ça que le RHDP entend gagner en 2020, avec du bétail électoral.

Ce sont des imputations graves, vous les renouvelez donc ?

Oui. Quand une élue RHDP [Mariam Traoré, députée de Tengrela, dans le Nord] dit qu’elle ne souhaite pour rien au monde céder le pouvoir à des non-musulmans, c’est plus grave encore que l’ivoirité. Et cette élue n’a pas été sanctionnée.

Le climat politique en Côte d’Ivoire vous inquiète-t-il ?

Il est préoccupant. Regardez le dernier remaniement ministériel : on vient de composer un cénacle de 54 ministres [Premier ministre inclus]. Maintenant, il faut installer ces gens, leur donner quelques millions pour qu’ils se construisent une maison comme le veut la tradition, il faut qu’ils se constituent un cabinet, il faut leur trouver des locaux, des véhicules… Et tout cela pour faire main basse sur le budget de l’État et faire campagne pour leur patron.

Quel patron ? On évoque le nom du Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, comme candidat du RHDP pour 2020. Quel regard portez-vous sur son bilan ?

Ses performances ne sont pas terribles. Il a conduit le pays vers une économie en berne : la croissance ralentit, le chômage explose…

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Amadou Gon Coulibaly, le Premier ministre ivoirien, lors d'un meeting à Ferkessédougou le 26 juillet 2019. © DR / Amadou Gon Coulibaly

 

Les grandes institutions internationales applaudissent pourtant les performances de la Côte d’Ivoire, qui a l’un des meilleurs taux de croissance du continent…

Mais notre endettement n’a cessé d’augmenter.

Il n’y a pas d’âge limite en politique

Jusqu’à l’année dernière, votre parti était au pouvoir avec celui d’Alassane Ouattara. N’êtes-vous pas vous aussi comptable de ce bilan ?

Non, ces questions sont de la responsabilité du président de la République. Je nommais quelques personnes au gouvernement, c’est tout. Nous n’occupions même pas les postes clés.

Vous avez aujourd’hui 85 ans, vous dirigez votre parti depuis plus de vingt-cinq ans, vous avez déjà été président… Qu’est-ce qui vous anime encore ?

Il n’y a pas d’âge limite en politique. Tant que je suis en bonne santé, tant que le PDCI a besoin de moi, je dois le servir. Je ne cours pas après l’argent, je ne cours pas après les honneurs : je le fais par mission, comme un sacerdoce.


Laurent Gbagbo sur deux tableaux

Simple pacte de non-­agression, plateforme ou vraie coalition… La forme que doit prendre le rapprochement entre Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo n’est pas encore arrêtée. « Il ne peut pas y avoir d’alliance politique formelle à cause de la situation judiciaire de l’ancien président Gbagbo », explique-t-on dans les rangs du PDCI.

En réalité, selon plusieurs sources, la question n’a pas été discutée entre les deux hommes lors de leur rencontre, en juillet. « Gbagbo laisse parler Bédié, mais ce n’est pas pour autant qu’il est d’accord avec ce qui est dit, confie un conseiller du chef du FPI. Aujourd’hui, il a des intérêts communs avec le PDCI. Mais rien ne dit que ce sera encore le cas dans quelques mois. »

Gbagbo tente parallèlement d’instaurer un dialogue avec Alassane Ouattara. Il veut notamment préparer un éventuel retour une fois libéré des procédures de la CPI. À la mi-juillet, le secrétaire général du FPI, Assoa Adou, a rencontré Ibrahim Cissé Bacongo, ministre auprès du président chargé des Affaires politiques, sans que le dossier n’avance. « Bacongo n’était pas un bon signal », déplore-t-on dans le camp de Laurent Gbagbo. L’ancien président préférerait passer par l’entremise des ministres Marcel Amon-Tanoh ou Hamed Bakayoko, en qui il a confiance.

Le Niger se dote d’un pipeline pour exporter son pétrole via le Bénin

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À l'horizon 2022, le Niger espère quintupler ses capacités d'exportations d'hydrocarbures, grâce à un nouveau pipeline via Cotonou. Avec cet ouvrage, dont les travaux doivent démarrer en janvier prochain, Niamey entend renforcer sa place dans le cercle des pays producteurs de pétrole sur le continent. Les travaux vont débuter en janvier prochain.

Long de 1 982 km, dont 1 298 au Niger et 684 km au Bénin, l’oléoduc sera construit conjointement par la China National Petroleum Corporation (CNPC). Les travaux devront démarrer en janvier 2020, pour une mise en service du pipeline prévue en janvier 2022. La production sera destinée à l’export, via le port en eau profonde de Sèmè-Podji, au Bénin.

L’ouvrage permettra au Niger de multiplier par plus de cinq sa capacité d’exportation en la faisant passer de 20 000 aujourd’hui à 110 000 barils par jour. « Aujourd’hui, le 17 septembre 2019, est un grand jour pour le peuple nigérien. Nous venons en effet de lancer le plus grand projet de notre histoire depuis l’indépendance », a déclaré le président nigérien, Mahamadou Issoufou, en donnant le premier coup de pioche sur le site de Koulélé, situé à 90 km d’Agadem, dans la région de Diffa (Est du pays).

Un investissement de 4,5 milliards de dollars

Petit producteur de pétrole avec ses gisements dans le sud-est du pays depuis 2011, le Niger prépare son entrée dans la cour des grands producteurs d’or noir en Afrique de l’Ouest, derrière le Nigeria (plus gros producteur de la région, avec plus de 2 millions de barils/jour) et le Ghana (autour des 200 000 barils/jour).

L’infrastructure aura une capacité de transport de 4,5 millions de tonnes par an, soit 35 millions de barils. Huit stations de pompage doivent être construites, dont six au Niger et deux au Bénin. Le projet représente un investissement de 4,5 milliards de dollars américains (4 milliards d’euros).

Impact environnemental

En 2022, selon le président Mahamadou Issoufou, la croissance du Niger devrait s’établir à 12 %, soit six points de plus qu’aujourd’hui. D’après les projections, le pétrole, qui représentait en 2017 4 % du PIB, doit atteindre en 2025 et 24 % de la richesse nationale. Et rapporter environ 45 % des recettes fiscales (quelque 400 milliards de FCFA), contre 17 % en 2017.

Le projet doit entraîner la réalisation de plusieurs infrastructures routières et sociales dans les régions touchées par le pipeline. « J’ai demandé à la CNPC la réalisation de la route du pétrole qui va quitter la frontière avec la Libye pour venir à Dirkou-Bilma-Agadem jusqu’à N’Guigmi pour joindre la route Diffa-N’guigmi, à la frontière avec le Tchad », a assuré Mahamadou Issoufou.

En revanche, le projet ne sera pas sans impact environnemental. Les limites actuelles du site d’implantation des installations d’Agadez ont été repoussées en juin dernier par le gouvernement, et ce malgré une pétition lancée par l’organisation non gouvernementale Active Generation.