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Ethiopie: le bilan du massacre commis dans l’ouest du pays passe à 207 morts

                              Des militaires éthiopiens sur le route menant à la frontière avec le Tigré. (Photo d'illustration)

                                   Des militaires éthiopiens sur le route menant à la frontière avec le Tigré. (Photo d'illustration)
 AP
Texte par :RFISuivre
2 mn

En Éthiopie, le bilan de l'attaque menée mercredi 23 décembre par des hommes armés dans la région du Benishangul-Gumuz, dans l'ouest du pays, est passé à 207 morts, selon la Commission éthiopienne des droits de l'homme.

Les humanitaires avaient fait état jusque-là d'une centaine de morts, victimes de l'attaque survenue dans la région du Benishangul-Gumuz, peuplée essentiellement de communautés oromo et amhara. Des inconnus ont débarqué à l'aube dans le village de Bekoji où ils ont brûlé des maisons et abattu des habitants.

Plus de 48 heures après cette attaque meurtrière, les humanitaires continuent un long travail d'identification des victimes. Selon la Commission éthiopienne des droits de l'homme, la majorité des personnes tuées sont des hommes (133). Cet organisme indépendant, rattaché au gouvernement, parle d'un total de 207 morts. Selon un décompte de la Croix-Rouge, il y en aurait 222.

Dans un tel contexte, ces organisations lancent un appel pour une aide humanitaire en urgence. En effet, selon la Commission éthiopienne des droits de l'homme, cette attaque a poussé de nombreux habitants à fuir leurs villages. Près de 10 000 personnes affluent ainsi vers la ville de Bulen, principale localité de cette zone. Mais la ville est submergée, car elle accueille déjà des milliers de personnes déplacées.

De leur côté, les autorités poursuivent leur opération de sécurisation. L'armée éthiopienne est toujours déployée dans la région et affirme avoir neutralisé 42 personnes, sans donner plus de détails sur leur identité, ni sur les circonstances de cette intervention.

La Mauritanie renégocie une plus-value sur la concession du port de Nouakchott

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Le port de Nouakchott, avant le début des travaux.

Le port de Nouakchott, avant le début des travaux. © Lee Gottemi pour JA

 

Face au risque d’une annulation du contrat signé sous l’ancienne présidence, l’exploitant de l’infrastructure a revu à la hausse de plusieurs centaines de millions de dollars les recettes prévues pour le gouvernement.

Après trois mois de rudes négociations, la Mauritanie et la société Arise Mauritania ont signé fin novembre un avenant au contrat de concession du 19 septembre 2018 confiant pour trente ans à cette société la construction et l’exploitation du nouveau port à conteneurs et à hydrocarbures de Nouakchott.

En effet, la Commission d’enquête parlementaire (CEP) chargée d’étudier la gestion de la décennie de présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz (2009-2019) avait publié, le 26 juillet dernier, un rapport dans lequel elle avait mis en cause la validité de cette concession en raison de l’octroi à Arise « d’avantages fiscaux préjudiciables à la Mauritanie ».

Doute sérieux quant à la pertinence du choix

Liberté tarifaire incontrôlée et « circuits administratifs accélérés et bâclés » lui faisaient dire que ces « circonstances exceptionnelles jettent un doute sérieux sur la pertinence du choix de ce projet et sur l’importance des retombées financières pour le pays ». 

La CEP demandait « de réfléchir à l’éventualité d’une renégociation de cette convention ou de son annulation pure et simple ».

Pour les actionnaires d’Arise (notamment le fonds français Meridiam, le singapourien Olam et le danois Moller-Maersk) qui avaient débuté les travaux d’un chantier estimé à 390 millions de dollars, la menace était sérieuse.

Corriger les contrats « viciés »

Le gouvernement était déterminé à réaliser l’exigence du nouveau président Mohamed Ould Ghazouani de corriger les contrats “viciés” signés sous son prédécesseur, tandis que le port autonome de Nouakchott dit de l’Amitié (PANPA) supportait mal de se voir retirer certaines de ses prérogatives régaliennes et que les professionnels portuaires mauritaniens dénonçaient vigoureusement ce qu’ils estimaient être leur éviction par Arise.

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LES TARIFS PRATIQUÉS PAR ARISE SERONT ABAISSÉS PAR RAPPORT AU CONTRAT INITIAL

Seuls à s’exprimer publiquement sur l’avenant, le ministre de l’Équipement et des Transports, Mohamedou Ahmedou M’Heimid, et le directeur du PANPA, Sid’Ahmed Ould Raïss, se sont félicité des améliorations apportées au contrat initial, lors d’une conférence de presse le 9 décembre.

Si leurs propos ne permettaient pas de se faire une idée extrêmement précise des gains obtenus par la partie mauritanienne sur ce dossier très technique, ceux-ci sont incontestables.

200 millions de dollars de recettes supplémentaires

La Mauritanie devrait obtenir 200 millions de dollars de recettes supplémentaires sur la durée de la concession. Les tarifs pratiqués par Arise seront abaissés par rapport au contrat initial pour au moins cinq ans ; leur hausse future sera discutée avec les pouvoirs publics. 

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LA CAPACITÉ DE CONTENEURS EVP DEVRAIT ÊTRE MULTIPLIÉE PAR QUATRE

L’exclusivité reconnue à Arise sur l’extension du port à conteneurs et à hydrocarbures sera fonction du trafic. Les autres opérateurs mauritaniens continueront à utiliser le terminal à conteneurs existant ainsi que le terminal pour le vrac. 

Le Port autonome sera l’unique interlocuteur d’Arise ; il conservera ses prérogatives et ses recettes. Arise s’engage à embaucher un pourcentage croissant de personnels mauritaniens.

L’extension du port devrait porter sa capacité de 160 000 conteneurs EVP (équivalents vingt pieds) à 600 000. La campagne de recrutement des personnels commencera au début de 2021. L’ouvrage devrait entrer en service au cours du dernier trimestre de 2021.

Bénin : les leçons d’une résilience face au géant nigérian

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Mis à jour le 23 décembre 2020 à 11h17
Au poste frontière de Seme, entre le Bénin et le Nigeria, en octobre 2018.

 Au poste frontière de Seme, entre le Bénin et le Nigeria, en octobre 2018. © PIUS UTOMI EKPEI/AFP


Après seize mois de blocus, Abuja a rouvert ses frontières avec le Bénin et trois autres pays (Cameroun, Niger et Tchad). Et contrairement aux prévisions l’économie béninoise a su faire preuve d’une certaine résistance. Explications.

Soulagement et ferveur. La réouverture des frontières entre le Nigeria et le Bénin a été accueillie par les populations frontalières de Sèmè-Kraké (Bénin) dans la liesse populaire. Nombreux sont les Béninois qui ont symboliquement traversé la frontière « juste pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’un canular ».

En août 2019, à ce poste même poste frontalier,  des milliers de camions remplis de marchandises furent bloqués, laissant de nombreux commerçants à leur détresse. Désormais, le soulagement se lit sur tous les visages et la ferveur a repris ses droits.

« Enfin ! Les affaires vont reprendre», salue Hamed, un conducteur de taxi-moto qui va pouvoir reprendre son job de transport de marchandises entre les deux pays. « Les fêtes seront belles », entrevoit joyeusement Kadidjath habituée à ravitailler des clients de Lagos en produits vivriers.

Satisfecit des autorités

Les autorités béninoises ont profité de la levée du blocus imposé par le grand voisin de l’est pour mettre en exergue la capacité de résistance de l’économie béninoise. « Nous avons résisté et notre économie a montré sa résilience…», a défendu le ministre porte-parole du gouvernement béninois, Alain Orounla, à l’annonce de la décision du Nigeria de rouvrir les frontières avec ses voisins dont le Bénin.

« Les prédictions de disette et de famine » lancées contre le Bénin n’ont pas fonctionné parce que « un travail extraordinaire a été fait…», a justifié le ministre.

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UN COUP DUR À L’ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DU BÉNIN ET UNE RELATIVE RÉSILIENCE

Dans les faits, selon la Banque mondiale, la fermeture des frontières nigérianes a porté « un coup dur à l’activité économique du Bénin ». Celle-ci « s’est décélérée à 6,4 % en 2019, contre 6,7 % en 2018, soit un taux de croissance du PIB par habitant de 3,5 % », a noté la Banque tout en reconnaissant « une relative résilience ». Comment l’expliquer ?

Rétrécissement des échanges

Pour le ministre béninois en charge de l’économie et des finances, Romuald Wadagni, « le Bénin a fait beaucoup d’efforts », ces dernières années, pour « moderniser ses services douaniers » et « intensifier la lutte contre la fraude douanière » de sorte que « la contrebande n’a pas d’influence sur les chiffres de l’économie béninoise ».

Selon un cadre du ministère en charge de l’Économie « les échanges officiels entre les deux pays ont connu un rétrécissement » mais « les caisses de l’État n’ont pas souffert outre mesure de l’arrêt officiel des activités de contrebande ».

En septembre, la direction générale des douanes du Bénin a annoncé qu’« au titre des huit premiers mois de l’année, 219,170 milliards de francs CFA ont été mobilisés, soit un taux de réalisation de 75 % par rapport aux prévisions initiales, alors que le FMI dans sa revue créditait le Bénin d’au plus 60 % »

Les recettes fiscales internes dépassent les recettes douanières

Bruno Amoussou, vieux briscard de la politique béninoise et actuel président de l’Union progressiste soutenant l’action du président Patrice Talon, se souvient de la fermeture des frontières nigérianes, en avril 1984, sous le même président Muhammadu Buhari.

À Tokyo, en août 2019. Les présidents béninois et nigérian.

 À Tokyo, en août 2019. Les présidents béninois et nigérian. © Présidence du Bénin

 

Il trouve que les impacts sur l’économie béninoise étaient plus sévères dans les années 80 qu’aujourd’hui en raison, selon lui, « des réformes ayant entrainé une modification de la structure de l’économie béninoise » comme par exemple « l’augmentation des recettes fiscales internes qui rapportent autant de ressources aux caisses de l’État que les recettes douanières ».

En effet, selon la note trimestrielle de conjoncture, publiée par la direction générale des affaires économiques du ministère de l’Économie et des Finances en avril 2020, « les recettes fiscales douanières au quatrième trimestre 2019, donc après la fermeture des frontières, s’élèvent à 89,28 milliards de francs CFA tandis que les recettes fiscales des impôts sont de 155,47 milliards de F CFA ».

Le riz de la discorde

Mais en fait, comme le reconnaissent la plupart des acteurs, la contrebande n’a jamais cessé entre les deux pays. Selon l’économiste Idelphonse Salou : « le Bénin et le Nigeria partagent plus de 700 km de frontière dont une centaine est officiellement contrôlée. Le reste est essentiellement poreux. Aujourd’hui, les deux États n’ont pas les moyens de faire une surveillance susceptible de donner un coup d’arrêt à la contrebande ».

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NOTRE GRAND VOISIN DE L’EST DOIT DÉSORMAIS FAIRE PREUVE D’HUMILITÉ

À l’exemple du riz : massivement importé par les commerçants béninois à partir des pays asiatiques, il est vendu bien moins cher au Nigeria et concurrence farouchement la production locale du riz.

Ce riz n’a jamais disparu des circuits de la contrebande. Depuis 2019, son prix a augmenté sur le marché nigérian à l’instar de la plupart des denrées de base. Le mois dernier, le taux d’inflation a atteint près de 15 % au Nigeria, son plus haut niveau ces trois dernières années.

Une preuve que le Nigeria a également subi de plein fouet les conséquences de sa propre mesure protectionniste. Pour Idelphonse Salou, « notre grand voisin de l’est doit désormais faire preuve d’humilité et comprendre que c’est ensemble avec ses voisins et non de façon unilatérale que des solutions durables peuvent être trouvées au problème de la contrebande ».

[Tribune] Dakar, ville « occidentée »

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Par  Ousseynou Nar Guèye

Éditorialiste sénégalais, fondateur du site Tract.sn

Des bateaux de pêche échoués sur la plage de Dakar, au Sénégal, le 30 juillet 2020.

Des bateaux de pêche échoués sur la plage de Dakar, au Sénégal, le 30 juillet 2020. © Sylvain Cherkaoui/AP/SIPA

 

Dakar tient en deux aspects, « l’occidenté » et l’imprévisibilité, qui font de la capitale sénégalaise une ville attachante.

«Occidenté ». Mot-valise combinant « occidentalisé » et « accidenté ». C’est le qualificatif que donne à Dakar le dramaturge, écrivain et acteur culturel sénégalais, feu Oumar Ndao, auteur du beau livre Dakar, l’ineffable, qui vient d’être réédité en poche*. La capitale sénégalaise, partie continentale de l’Afrique la plus avancée dans l’océan Atlantique, est en effet à l’ouest. Et parfois, « complètement à l’ouest ».

Dakar tient finalement en deux aspects : « l’occidenté » et l’imprévisibilité. D’abord, « l’occidenté ». Ces situations cocasses où les oripeaux architecturaux coloniaux, les tentatives de remises en ordre et de mises au pas, héritées d’une administration calquée sur celle de l’Europe, entrent en collision avec l’exubérance autochtone et ses protubérances « rurbaines ». Ainsi, les perspectives rectilignes qui témoignent d’un vrai plan d’urbanisme du centre-ville, de la Médina attenante et des quartiers (Sicap, Mermoz, HLM) créés dans les années 1960 et 1970 par le président-poète Léopold Sédar Senghor ont vite fait de céder le pas aux ruelles en oblique et chaussées à dos d’âne non conventionnelles des nouveaux quartiers.

Résistance par l’inertie

Dans la ville « moderne », des quartiers qui se désignent eux-mêmes comme des « villages traditionnels » font de la résistance, avec une grande force d’inertie. Dakar n’a pas été « fondée » en 1857, comme le prétend l’histoire officielle. Les villages des « Lébous », cette branche des Wolofs qui parlent une langue aux tournures typiques avec un vocabulaire spécifique très vaste, étaient déjà là depuis des siècles. Les Lébous, qui ont majoritairement rallié la confrérie musulmane layène, ont leur « grand Serigne de Dakar », qui leur tient lieu de roi coutumier.

Les Layènes, dont le fondateur est considéré comme une réincarnation africaine et musulmane de Jésus, sont entre autres à Cambérène [proche banlieue de Dakar]. Là-bas, ils font bloc contre la connexion de deux bouts d’autoroute par un pont déjà construit, qui se trouve pile devant le mausolée du fils aîné et premier khalife du Mahdi fondateur. Et le pont trône là, sur la plage, incongru comme une chèvre perchée sur un poteau électrique.

À Ngor, sur la corniche à Soumbédioune ou à Ouakam, ou encore à Yoff, leurs « villages », il n’est pas rare que les Lébous organisent sur la plage une séance d’exorcisme pour « désenvoûter » une personne neurasthénique : le ndeup, avec battements de tam-tam, immolation d’un bœuf et bain de la personne « possédée » avec le sang du bovin.

L’inattendu

L’imprévisibilité de Dakar, c’est une horde de « Baye Fall » (disciples mourides) qui s’invite dans les embouteillages. Tunique jusqu’aux genoux, sarouel patchwork et rastas, ils formulent pour vous des prières ferventes, avec un sourire radieux, alors que vous ne pouvez rien leur donner. Effarement garanti aussi devant l’affabilité exagérée de nombre de Dakarois qui, lorsque vous leur demandez votre chemin, vous l’indiquent, quand bien même ils ne savent pas.

Et parfois, s’ils sont en groupe, ils finiront par se disputer pour décider qui aura le droit de vous donner le bon itinéraire. Vous tentez de les calmer, et vous vous faites illico remettre à votre place. Impondérables de Dakar, quand des administrations sont censément ouvertes, mais vous y découvrez que le préposé a fermé son guichet en raison d’un décès familial ou parce qu’il a décidé d’aller voir ce jour-là ce parent au cas où il serait sur le point de trépasser.

Imprédictibilité avec des rues où soudain une tente barre le chemin parce qu’il y a un baptême ou un mariage : vous étiez pourtant passé par là deux heures plus tôt. L’inattendu encore : des nouveaux commerces, bars ou restaurants, dont on apprend la cessation d’activité le jour où on avait décidé d’en être un client.

Ce sont là quelques-uns des côtés contrastés qui font de Dakar une ville où l’on ne sait pas de quoi notre journée sera faite, ce qui la rend d’autant plus attachante, y compris pour ses visiteurs, vite devenus de vrais Boys Dakar. L’expression unisexe qui désigne ceux qui ont la capitale sénégalaise dans la peau.

*Dakar, l’ineffable, de Oumar Ndao, éditions Vives Voix, janvier 2011, réédité au format poche en septembre 2020.

Adama Coulibaly : « En Côte d’Ivoire, le recul de la pauvreté est une réalité »

| Par 
Mis à jour le 15 décembre 2020 à 19h04
Le ministre de l’Economie et des Finances ivoirien, Adama Coulibaly, en septembre 2019.

Le ministre de l’Economie et des Finances ivoirien, Adama Coulibaly, en septembre 2019. © @RciMef

 

Le ministre de l’Économie et des Finances ivoirien met en avant les réformes menées en 2020 pour limiter l’impact du Covid, et table sur un fort rebond économique en 2021.

« Il faut être factuel », rappelle Adama Coulibaly. Ministre de l’Économie et des Finances de la Côte d’Ivoire depuis septembre 2019, l’ancien enseignant-chercheur en économie a été actif pendant de nombreuses années dans les équipes du PNUD et l‘appui aux populations vulnérables, conservant de cette double expérience une forte inclination pour les données chiffrées et un intérêt pour les questions sociales.

À la mi-décembre, trois semaines après le retour remarqué d’Abidjan sur le marché de la dette internationale, c’est un Adama Coulibaly affable mais résolu qui, entre deux réunions, s’est plié à notre exercice de questions-réponses. De l’épidémie du Covid-19 (impact, scénarios de reprise, vaccins) à l’état réel de la situation sociale en Côte d’Ivoire, en passant par la réforme du franc CFA, le grand argentier de l’économie ivoirienne est revenu en détail sur les dossiers économiques les plus pressants de l’actualité.

Jeune Afrique : Le gouvernement ivoirien a levé, à la fin de novembre, 1 milliard d’euros sur le marché financier international. Était-ce le moment pour revenir sur le marché des eurobond ?

Adama Coulibaly : La Côte d’Ivoire est le premier pays africain à avoir réussi une telle mobilisation de ressources dans le contexte du Covid-19. Nous avons pu mobiliser un large spectre d’investisseurs, avec pour résultat un « book » [carnet de commandes] de 5,1 milliards d’euros, ce qui est une première pour la Côte d’Ivoire depuis le premier eurobond du pays, émis en 2014.

Cette opération est également inédite au niveau des taux, avec un rendement de 5 %, soit le plus bas pour la Côte d’Ivoire sur le marché international des capitaux et le plus bas pour un pays d’Afrique subsaharienne hormis l’Afrique du Sud.

Comment avez-vous organisé la promotion de cette levée de fonds, vu les restrictions de déplacements liées au Covid-19 ?
D’ordinaire, l’émission d’eurobond requiert effectivement la réalisation d’un prospectus et de « roadshows », de tournée de présentation aux investisseurs de place financière en place financière, mettant en avant les atouts du pays, les réformes, la capacité à rembourser l’ emprunt.

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C’EST GRÂCE AU PRÉSIDENT OUATTARA QUE NOUS AVONS PU OBTENIR ET CONSERVER LA CONFIANCE DES MARCHÉS

Nous avons travaillé cette fois via des téléconférences et des conférences téléphoniques – en plus de la circulation du prospectus – avec des investisseurs à Londres et aux États-Unis.

Que voulaient-ils savoir ? Que leur avez-vous dit pour les convaincre ?

Ce sont les fondamentaux économiques, les réformes de grande ampleur que nous avons menées et la vision et l’orientation du président Ouattara qui ont permis d’obtenir et de conserver la confiance des marchés.

Nous avons mené des réformes à la fois macroéconomiques et sectorielles. Nous avons par exemple assaini et développé le secteur financier, en réduisant le portefeuille de l’État, avec le désengagement de nos participations minoritaires et la restructuration des banques détenues majoritairement par l’État. Nous avons aussi impulsé le développement de nouveaux produits comme le crédit-bail et avons créé l’équivalent de la CDC française avec la Caisse des dépôts et consignations de Côte d’Ivoire.

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LE PAYS N’A PAS ÉTÉ ÉPARGNÉ PAR LA CRISE

Nous avons aussi sécurisé et facilité l’accès des investisseurs, notamment à l’intérieur du pays, mais aussi quant au classement Doing Business. Pour nous, le secteur privé est important, car c’est lui qui doit porter la croissance économique. Et pour que les entrepreneurs jouent pleinement leur rôle, nous avons fait énormément de réformes, avec la création d’un tribunal de commerce qui rassure les investisseurs, délivrant des jugements délivrés en 90 jours, et un guichet unique pour la création d’entreprises en 48h et même en ligne, avec l’ensemble des administrations concernées en un point unique. S’y ajoutent les réformes sectorielles dans l’énergie et l’agriculture notamment.

Vous avez évoqué le “contexte du Covid-19”. Justement qu’en est-il en Côte d’Ivoire ?

Le pays n’a pas été épargné par la crise. À la fin de 2019, nous tablions sur une croissance de 7,2 % en 2020. En mars, cette projection a été révisée à la baisse à 3,6 %, en tenant compte de l’impact de la crise, avec la fermeture des établissements commerciaux, les barrières sanitaires imposées, le couvre-feu instauré autour du Grand-Abidjan, qui a été isolé du reste du pays en raison des premiers cas de Covid-19 constatés qui étaient des cas importés. Il a fallu ensuite prendre en compte le fait que certains secteurs (tourisme, restauration, hôtellerie…) étaient significativement atteints, aggravant ainsi le ralentissement économique.

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L’ÉCONOMIE IVOIRIENNE A DES FONDAMENTAUX SOLIDES

Par ailleurs, un plan de riposte sanitaire a été mis en œuvre pour dépister, isoler et traiter les personnes affectées, qui ont pu être rapatriées et prises en charge, ce qui a permis de contenir l’épidémie.

Nos experts, en coordination avec les équipes du FMI, ont réévalué les projections de croissance, avec un taux ramené à +1,8 % pour l’année 2020. Cela étant, il faut noter que le ralentissement économique est estimé à -4,4 % pour cette année à l’échelle mondiale, et à -3 % en Afrique. Dans la zone Uemoa, la croissance ne devrait être que de 0,9 %. Par comparaison, l’économie ivoirienne a fait preuve de résilience, grâce aux réformes engagées depuis 2012, qui lui ont donné des fondamentaux solides.

Et en ce qui concerne l’appui aux entreprises ? Sait-on où en sont les plans de soutien annoncés par le gouvernement ?

Un plan de soutien économique, social et sanitaire a été engagé pour maintenir l’activité économique et l’emploi et permettre la reprise. Un fonds de 100 milliards de F CFA (150 millions d’euros] a été mis en place pour les grandes entreprises, un autre de 150 milliards de F CFA est dédié aux PME, un autre de 100 milliards de F CFA pour l’appui au secteur informel et un plan de solidarité de 170 milliards de F CFA pour les populations les plus vulnérables.

Les programmes dédiés aux grandes entreprises et au PME visent à amoindrir l’impact de la crise sur les problèmes de trésorerie afin d’aider ces structures à maintenir une activité suffisante. Cela a contribué à éviter une croissance négative cette année. Soixante-huit (68) grandes entreprises et 440 PME ont jusqu’ici déjà bénéficié de cet appui.

Ont-ils été totalement déboursés ?

Le déboursement est en cours, une partie de ces ressources couvre l’année 2020, une autre doit être déployée en 2021.

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NOUS ANTICIPONS UNE CROISSANCE DE 6,5 % EN 2021

Parallèlement, le gouvernement réfléchit à la transformation de ces fonds de soutien en fonds de relance, comme cela est le cas au Sénégal et en France en ce moment.

Parlons du volet sanitaire de la crise. Quels sont les derniers chiffres sur la situation en Côte d’Ivoire ?

Il faut noter que le taux de létalité du Covid-19 en Côte d’Ivoire est de l’ordre de 0,6 %, soit moins que le diabète et l’hypertension. Le pays a enregistré 132 décès – des pertes humaines évidemment regrettables – mais pour plus de 21 000 personnes atteintes du Covid-19 qui ont été traitées et guéries !

Quelles dispositions ont été prises pour la mise à disposition des vaccins ?

Des discussions sont en cours dans le cadre de l’alliance Gavi et de l’initiative COVAX, qui prévoit 20 % de vaccins mis à disposition gratuitement pour les pays africains.

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SANS CROISSANCE, RIEN NE PEUT SE FAIRE

Nous construisons en ce moment une chaîne de froid – ces vaccins doivent être conservés à une température de -70° – qui permettra l’accès au vaccin de 5 millions de personnes en Côte d’Ivoire.

Quelles sont les projections pour la reprise économique en Côte d’Ivoire ?

Nous pouvons anticiper un rebond de l’activité en 2021, avec une croissance de 6,5 % selon nos estimations, agréées par le FMI.

Un commentaire récurrent au sujet des chiffres de la croissance en Côte d’Ivoire concerne son caractère “inclusif”. Comprenez-vous ces critiques ?

Il faut être factuel. Le taux de pauvreté en Côte d’ivoire est passé de 55 % en 2011 à 39 % en 2019. C’est une réalité et il est extrêmement important de le noter. Ce sont les chiffres officiels produits avec des institutions crédibles. Certains répètent “la croissance ne se mange pas”. Peut-être, mais la pauvreté ne se partage pas non plus. Sans croissance, rien ne peut se faire. Il faut créer de la richesse, c’est la condition préalable pour pouvoir aider les populations vulnérables.

Au demeurant, vous pouvez vous rendre compte à travers le pays des efforts importants réalisés sur les questions sociales, avec les hôpitaux construits ou la gratuité de l’école pour tous de 6 à 16 ans. Ce n’est pas rien ! Et la couverture maladie universelle, grâce à laquelle 2,4 millions de personnes ont été enrôlées et bénéficient d’une couverture de leurs besoins. S’y ajoutent les efforts en termes d’électrification, d’accès à l’eau potable et la mise à disposition de vivres pour les cantines scolaires. Il n’y a aucune contestation possible ici : le gouvernement est soucieux du bien-être de nos populations.

Revenons à la question de la dette des pays africains, sur laquelle des pays comme le Sénégal et le Bénin ont pris des positions contraires (pour/contre les annulations de dette). La Côte d’Ivoire a paru en retrait sur ce débat…

Notre position est claire : nous avons adhéré à l’initiative du G20 sur [le moratoire sur] la dette publique, mais avons informé nos créanciers privés que nous continuerons d’honorer nos engagements vis-à-vis d’eux. Il s’agit donc d’une participation claire à ce processus adossée à une communication tout aussi claire vis-à-vis des bailleurs privés. Il s’agit de ne pas affecter notre accès aux marchés de capitaux et cela a été compris. L’agence Moody’s a mis la note de la Côte d’Ivoire sous observation pendant trois mois [de juin à août 2020], puis a levé cette observation, confirmant la note “Ba3” du pays avec des perspectives stables. tandis que Fitch note le pays “B+” avec des perspectives positives. Nos efforts ont permis de conserver la confiance de nos partenaires.

Le débat sur la dette des pays africains revient souvent sur le devant de la scène. Plusieurs économistes jugent que son coût est excessif. Partagez-vous cet avis ?

Le coût de la dette dépend de la notation et du risque-pays. Le taux de 5 % obtenu par la Côte d’Ivoire en novembre est celui auquel certains pays mieux notés doivent s’endetter.

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NOUS SOMMES SOUCIEUX DE PRÉSERVER LE POUVOIR D’ACHAT DES POPULATIONS

Quoi qu’il en soit, sur le fond, l’évaluation des risques-pays est primordiale et fait l’objet de discussions, car nous payons parfois des taux plus élevés que nécessaire en raison d’une mauvaise appréciation des risques que nous courons, alors que nous sommes aussi crédibles que d’autres et respectons nos engagements vis-à-vis des prêteurs. Nous travaillons avec les agences de notation sur ces questions.

Autre débat récurrent : le franc CFA. Que répondez-vous à ceux qui disent que la réforme lancée à la fin de 2019 aurait pu aller plus loin ?

Plus loin, c’est-à-dire ? Dans quelle direction précisément ?

Vers l’élimination de la parité avec l’euro par exemple ?

La réforme décidée en décembre 2019 découle de la volonté des pays de la Cedeao et de l’Uemoa d’aller vers une monnaie commune, en accord avec nos partenaires français. Les décisions de décembre 2019 sont importantes : le changement de nom, l’arrêt de la centralisation des réserves et le retrait de la France des instances de décision. La parité et la garantie de convertibilité ont été conservées.

Nous sommes soucieux de préserver le pouvoir d’achat des populations. Dans la zone Uemoa, le taux d’inflation est inférieur à 3 %, contre des taux à deux chiffres chez des voisins que je ne nommerai pas.

C’est pourquoi cette phase intérimaire est importante. S’il faut aller plus loin, ce sera quand l’ensemble de la Cedeao arrivera à l’éco et qu’il faudra discuter des autres ajustements de la monnaie commune. Le calendrier de transition a été chamboulé, en effet, par la crise du Covid et nos experts travaillent sur un nouveau calendrier, mais des avancées importantes sont déjà faites – tant au niveau du nom que de la banque centrale commune –, qui seront communiquées en temps opportun.