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Mali: la «tentative d’enlèvement» de l’opposant «Poulo» indigne ses alliés politiques

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Vue générale du marché central de Bamako, Mali (illustration). AFP - MICHELE CATTANI

Au Mali, Housseini Amion Guindo dit « Poulo » accuse les autorités de transition d’avoir tenté de le faire enlever. Au sein du Cadre d’échange qu'il préside et qui regroupe une grande majorité des principaux partis politiques maliens, l’inquiétude et la stupéfaction dominent.

Ancien ministre et président du Cadre d’échange des partis politiques et regroupements de partis politiques pour une transition réussie, qui s’oppose aux autorités sur, notamment, l’allongement de la durée de la transition, Housseini Amion Guindo a expliqué à RFI avoir reçu des informations sur une tentative d’enlèvement, ou plutôt d’arrestation extrajudiciaire, orchestrée par les plus hautes autorités.

Caché quelque part au Mali, il affirme détenir des preuves et promet de les rendre publiques prochainement. À ce stade, ni la présidence ni la primature n’ont souhaité réagir à ces accusations. Mais ses compagnons politiques n’ont pas tardé à faire part de leur consternation. « Si c’est avéré, c’est très grave », déplore Marimantia Diarra. S'il rappelle le peu d'éléments disponibles sur cette affaire à ce stade, le président de l'Adema fait part de sa « stupéfaction », de sa « déception », et appelle les autorités de transition à « éclairer l’opinion nationale et internationale pour comprendre ce qui se passe. »

« Acte odieux »

« C’est inquiétant ! »poursuit Moussa Mara, du parti Yelema« Housseini Amion Guindo affirme qu’il a des preuves : il faut qu’il les produise et qu’il porte plainte », pose l’ancien Premier ministre, qui souhaite qu’une enquête soit mise en place « pour connaître les éventuels commanditaires et les traduire en justice ». « S’en prendre à lui, conclut Moussa Mara, n’augure rien de bon pour les temps à venir. »

Abidina Karembe, du parti Asma, fait quant à lui part de son « indignation » face à « cet acte odieux », incompatible avec un État de droit. 

L'ancien ministre, vraisemblable futur candidat à la présidentielle, promet de bientôt réapparaitre publiquement « pour faire face ». « À qui profite tout cela ? » s’interroge enfin Abidina Karembe, qui demande lui aussi aux autorités de faire la lumière sur cet événement.  

C'est un événement qui reste assez sombre et assez flou. Cela nous inquiète

Cheick Oumar Diallo, porte-parole de la Plateforme Unis pour le Mali

Maghreb : pourquoi les islamistes ne réussissent pas à gouverner

Mis à jour le 14 novembre 2021 à 17:33
 
Mohamed Tozy
 

Par Mohamed Tozy

Professeur à Sciences Po Aix-en-Provence, auteur de « Monarchie et islam politique au Maroc », « L'État d'injustice au Maghreb » et « Tisser le temps politique au Maroc » (co-écrit avec Béatrice Hibou).

 

 

Abdelilah Benkirane, leader du Parti de la justice et du développement, en mars 2017. © FADEL SENNA/AFP

 

La débâcle électorale du PJD aux législatives marocaines pose à nouveau la question de la viabilité du projet politique des islamistes, dont les contradictions profitent à la fois aux salafistes et aux oulémas du pouvoir.

La retentissante défaite du Parti de la justice et du développement (PJD) marocain, le 8 septembre dernier, a été largement commentée, y compris par les islamistes eux-mêmes. De retour à la tête du parti à l’issue d’un congrès extraordinaire qui s’est tenu le 30 octobre, Abdelilah Benkirane n’a pas manqué de souligner la part de responsabilité du parti lui-même dans cette défaite, prenant le contre-pied de l’équipe dirigeante démissionnaire.

Cette dernière en avait fait une sorte d’énigme, laissant les portes ouvertes aux théories du complot de « l’État profond ». Le leader islamiste a, à juste titre, souligné l’importance qu’ont prise « les brouilles internes et le renoncement aux valeurs de l’islam et aux fondamentaux du militantisme islamiste, dont le désintéressement et l’abnégation ».

Incapacité à durer

Cette difficulté à interroger ce qu’il considère comme « les fondamentaux de l’islam politique » – y compris quand il convoque dans son argumentaire les échecs des partis frères égyptien, soudanais et tunisien – nous donne l’occasion de réfléchir à l’incapacité des mouvements politiques issus de la matrice frériste, ou de culture frériste partageant avec l’organisation le même référentiel doctrinal, à perdurer au pouvoir, une fois les élections gagnées et, au-delà, à leur incapacité à se transformer et à transformer leur environnement politique.

Cela ouvre aussi une réflexion sur leur vulnérabilité et sur leur difficulté à éviter d’être débordés par des concurrents issus parfois de leurs rangs, qui arrivent à leur disputer le référentiel religieux en occupant le créneau salafiste promu par un wahhabisme adossé à l’agenda anti-Printemps arabe de l’Arabie saoudite.

ILS ONT OUBLIÉ QUE L’ISLAM POLITIQUE COUVRE DES RÉALITÉS SOCIOLOGIQUES TRÈS DIFFÉRENTES

L’islam politique est un concept écran dont les usagers minimisent la complexité, oubliant que celui-ci couvre des réalités sociologiques très différentes, tantôt urbaines, tantôt rurales, et des ancrages doctrinaux très contrastés. Ce n’est plus le même islam politique quand on mobilise la production doctrinale d’un Frère musulman comme Hassan al-Banna ou d’un salafiste comme Albani, voire d’un wahhabite comme Ibn al-Baz.

Être attentif aux différences permet de mieux appréhender la proximité entre un Hezbollah chiite et le Hamas palestinien, et les incompatibilités entre les talibans sunnites et les Frères musulmans égyptiens. Traiter des mouvements religieux de culture frériste a un sens précis, qui ne renvoie pas à une relation organique, comme peut le supposer l’architecture organisationnelle des Frères quand elle évoque le tandhim au niveau international.

L’approche par la culture frériste permet de rendre compte d’un imaginaire partagé par différents mouvements nationaux et rend intelligible leur échec en situation de gouvernement. Elle permet d’appréhender la similitude de leur trajectoire dans leur rapport à la question du pouvoir et aux façons de gouverner la chose publique, leur vision de la démocratie uniquement dans sa dimension électorale et non dans son impact sur l’évolution de la norme et sur le statut de la vérité révélée.

« L’islam est la solution »

La culture frériste rend plus lisibles la manière de concevoir les politiques publiques et de gérer les rapports entre majorité et minorité parlementaires, de traiter les questions des libertés publiques et individuelles, ainsi que la frilosité vis-à-vis des hirak autant que les questions économiques d’enrichissement, d’inégalités et de justice sociale.

Diffusée dans le monde arabe et au-delà – notamment en Turquie et dans l’Asie sunnite dans un contexte de guerre froide et de lutte contre le communisme –, elle renvoie à trois composantes. D’abord, un savoir-faire organisationnel qui a permis d’agréger l’ingénierie du militantisme marxiste du début du XXe siècle et l’héritage confrérique propre au monde musulman. Les repères et les répertoires de l’agenda militant sont conformes aussi bien aux exigences de la clandestinité et de l’activisme de gauche qu’aux phases du parcours prophétique : prédication secrète, prédication publique, compagnonnage, exil…

Ensuite, une mémoire douloureuse ponctuée par des événements phares qui fournissent les ressources d’une exemplarité militante : assassinat de Hassan al-Bana, jihad en Palestine, trahison de Nasser, martyre de Sayyed Qotb.

Enfin, une littérature islamiste de vulgarisation, moderne et accessible aux nouveaux scolarisés de plus en plus nombreux dans un système éducatif en voie de massification. Les écrits de Sayyed Qotb, mais surtout de son frère Mohamed et de Cheikh Qaradawi, très différents de ceux des oulémas traditionnels, ont largement contribué à forger un socle idéologique solide qui a permis d’asseoir cette conviction devenu slogan puis programme : l’islam est la solution.

Hymne à l’individualisme

Cette culture qui renvoie plus à une fraternité des références qu’à celle des armes peut être appréhendée à travers cinq valeurs centrales, lesquelles conduisent à des postures conservatrices, antidémocratiques et conformes à ce que le credo néolibéral a de plus critiquable : un hymne à l’individualisme, moins d’État et un accommodement avec les inégalités que seule la charité peut atténuer.

LEUR CONCEPTION DU POUVOIR RENVOIE À LA DOMINATION, ET NON AU CONSENTEMENT OBTENU PAR LA PERSUASION

Il s’agit tout d’abord d’une conception du pouvoir comme le produit d’un rapport de force ou, pour utiliser un concept khaldounien, comme la résultante de la Ghalaba, qu’on peut traduire par domination, et non comme le fruit d’un consentement obtenu par la persuasion. Il s’agit ensuite du culte du secret (sirriya) et de l’importance que celui-ci occupe dans le déploiement de l’action. Il renvoie à une préférence pour la clandestinité et à l’opacité dans la conduite des affaires et les modes d’organisation.

La troisième valeur centrale normalise l’obéissance (at-ta‘a) et le respect de la hiérarchie quel que soit son fondement (âge, charisme, force). Il en découle une appétence pour les formes d’organisation pyramidale, un culte du guide suprême ou du zaïm et une certaine fascination pour l’organisation militaire. La quatrième valeur héritée des oulémas de l’ordre établi depuis le fondateur de la dynastie omeyyade est celle du respect des pouvoirs en place et l’opposition à toute fitna (discorde)même légitime, et l’obligation qui en découle de la réduire par la violence.

La dernière valeur a à voir avec le rapport à la vérité qui ne peut être qu’une, octroyée et descendante parce que révélée. Cette posture détermine un rapport particulier au pluralisme considéré comme un désordre et à l’altérité appréhendée dans une perspective binaire : dedans/dehors ; nous/eux ; civils/militaires ; pieux élus de Dieu/autres.

Proximité avec les franges salafistes

La prise du pouvoir par les urnes au lendemain des Printemps arabes a soumis les Frères musulmans à l’épreuve de la gestion de la chose publique, face notamment à la pluralité des intérêts et des compromis nécessaires.

En situation d’hégémonie, les partis de culture frériste n’ont pas pu ou su faire évoluer leur socle doctrinal et le contenu de leurs valeurs centrales. Au contraire, ils ont choisi la proximité des franges salafistes de la société. Ils ont pensé trouver dans le conservatisme de la société, entretenu depuis des générations par les nationalistes dans leur combat anti-occidental et relayé par les régimes en place, un environnement propice au développement d’un puritanisme très strict, leur projet de société visant à promouvoir un archétype du musulman moyen qui met la famille au centre du système social avec une redistribution des rôles plaçant le père au sommet de la hiérarchie et ne prévoyant qu’un seul statut de la femme, celui de mère procréatrice.

L’ENJEU POUR LES SALAFISTES EST DAVANTAGE LA CONVERSION DE LA SOCIÉTÉ QUE LA PRISE DE POUVOIR

Cette alliance a tourné à leur défaveur parce que l’enjeu pour les salafistes est davantage la conversion de la société que la prise de pouvoir. Les alliances avec des pouvoirs despotiques, militaires ou civils, ne les dérangeaient pas.

Les contradictions auxquelles sont confrontés les tenants de l’islam politique une fois au pouvoir ont profité aux salafistes et aux oulémas du pouvoir. C’est-à-dire à ceux qui prêchent la conformité totale entre le référentiel des ancêtres et leur pratique quotidienne. L’épreuve du politique autorise l’hypothèse de la fin d’un cycle de l’islam politique dominé par la culture frériste, mais n’autorise nullement l’hypothèse de l’avènement de sociétés libérées de l’emprise de la religion sur le champ politique.

Dans son dernier roman Ǧumhūriyyaẗ kaʾanna (جمهورية كأن), traduit en français sous le titre « J’ai couru vers le Nil », Alaa El Aswany met en scène le général Alouani pour décrire le fonctionnement complexe d’un dictateur, mélange subtile entre virtuosité religieuse, piété sincère conjuguée à une crainte avérée d’un Dieu omnipotent et capacité à pratiquer une violence extrême tout aussi sincère envers ses semblables. Tout nous pousse à y voir un lauréat autant de l’académie militaire égyptienne que de l’école des Frères.

Burkina Faso: la société civile exprime son ras-le-bol sur la situation sécuritaire

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Le 3 juillet 2021 une marche s'était déjà tenue à Ouagadougou pour protester contre l'insécurité engendrée par la présence jihadiste au Burkina Faso (image d'illustration). AFP - OLYMPIA DE MAISMONT

 

Avec notre correspondant à OuagadougouYaya Boudani

Réunie au sein du « Mouvement populaire sauvons le Burkina Faso », ces organisations de la société civile dénoncent l’abandon d’une partie des populations sous le diktat des groupes armés terroristes. Selon les responsables de ce mouvement, le pays s’effondre sous le diktat des groupes armés terroristes. Des écoles fermées, plus d’un million et demie de personnes déplacées, les forces de défense et de sécurité débordées par la situation, le Burkina Faso vit une sombre partie de son histoire.

Marcel Tankoano, président du directoire du « Mouvement populaire sauvons le Burkina Faso » : « Ceux qui nous défendent aujourd’hui sont totalement débordés par les ennemis, par ceux qui nous attaquent, les terroristes. Vous des communes où il n’y a plus de maires ou de préfets et les populations sont laissées à elles-mêmes. Comment ces dernières vont se débrouiller ? Est-on véritablement dans un État de droit ? » 

« On avait espoir que les choses allaient changer »

Les membres de ce mouvement populaire parmi lesquels le M21, le CAR et bien d’autres organisations ayant participé à l’insurrection populaire d’octobre 2014, espéraient un changement radical après la chute de Blaise Compaoré selon leur responsable. Ils menacent d’appeler à une désobéissance civile si la sécurité ne s’améliore pas dans les régions les plus touchées, foi de Marcel Tankoano. « Nous ne pouvons pas continuer dans cette gouvernance, ce n’est pas possible. Au moment où on chassait Blaise Compaoré, on avait espoir que les choses allaient changer. Je n’étais pas sorti pour faire partir Blaise Compaoré et venir vivre comme ça. Nous ne pouvons pas continuer à attendre. Nous sommes prêts à tout pour sauver les Burkinabè. »

Contrairement aux partis de l’opposition qui lancent un ultimatum d’un mois au président Roch Marc Christian Kaboré, ce « Mouvement populaire sauvons le Burkina Faso » ne donne aucun délai pour son appel à manifester suite à la dégradation de la situation sécuritaire.

 À lire aussi : Le Burkina Faso appelle à un «sursaut national» contre le jihadisme après deux jours d’attaques

Mali : Assimi Goïta pressé de toute part

Mis à jour le 10 novembre 2021 à 10:34


Assimi Goïta à Accra, au Ghana, le 15 septembre 2020. © CHRISTIAN THOMPSON/EPA-EFE/MAXPPP


Lundi 8 novembre, les autorités maliennes ont officialisé auprès de la Cedeao leur volonté de reporter les élections prévues le 27 février 2022. Désormais, Bamako va devoir faire avec les sanctions de l’organisation et le mécontentement d’une partie de la classe politique.

La ligne rouge avait été clairement tracée par la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), mais les autorités maliennes ont fini par la franchir. C’est à l’occasion du sommet extraordinaire des chefs d’État de l’organisation, le 7 novembre, que la junte dirigée par Assimi Goïta a annoncé officiellement ce que chacun savait déjà : son souhait de repousser les élections présidentielle et législatives prévues le 27 février 2022. Soit poursuivre la transition entamée à la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta au-delà de dix-huit mois.

Si Bamako s’est justifié en invoquant la situation sécuritaire, le président nigérien, Mohamed Bazoum, et son homologue sénégalais, Macky Sall, ont déclaré que le seul but de la junte était de « gagner du temps ». Lors de sa dernière visite à Bamako en octobre, le médiateur de la Cedeao au Mali et ancien président nigérian, Goodluck Jonathan, avait exhorté les autorités à rendre public un chronogramme clair d’ici à la fin du mois. En vain.

Face à ces manquements, le renforcement des sanctions de la Cedeao ne s’est pas fait attendre. Les dirigeants maliens et leurs familles ont désormais interdiction de voyager hors de la zone ouest-africaine et leurs avoirs financiers vont être gelés. Les membres du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif, sont aussi concernés par ces mesures coercitives. Selon toute vraisemblance, l’Union africaine et l’Union européenne vont emboîter le pas à l’organisation ouest-africaine.

Passage en force

Lundi 8 novembre au soir, le gouvernement malien est sorti de son silence. Dans un communiqué, Koulouba a annoncé prendre « acte du communiqué » des dirigeants de la Cedeao. Et a assuré « regretter les décisions prises lors de ce sommet qui ne tiennent pas suffisamment compte des aspirations profondes du peuple malien et des efforts déployés au quotidien par les autorités de la transition pour relever les défis multiformes auxquels le pays est confronté et pour une stabilité durable ».

Les partis politiques maliens, qui réclament depuis plusieurs mois déjà la tenue rapide de l’élection présidentielle, ont très vite dénoncé ce passage en force. « Nous sommes contre le report des scrutins. La lettre envoyée par les autorités maliennes à la Cedeao n’est pas issue d’une concertation nationale », lance, amer, Housseini Amion Guindo, le leader de la Convergence pour le développement du Mali (Codem).

Ce samedi 6 novembre, le Cadre d’échanges de partis et de regroupements de partis politiques pour une transition réussie, dont fait partie la Codem, a tenu un meeting au Palais de la culture à Bamako pour exprimer son rejet d’un éventuel report des élections et dénoncer la tenue des Assises nationales pour la refondation, qui participe, selon lui, à proroger la transition.

Le 16 septembre 2020, Assimi Goïta, qui était alors président du Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), s’était rendu à Accra accompagné d’Ismaël Wagué, porte-parole de la junte militaire, pour participer à un sommet extraordinaire de la Cedeao sur le Mali. Alors que la junte avait initialement proposé une durée de transition de trois ans, Goïta avait consenti à s’engager devant les dirigeants de l’organisation ouest-africaine à organiser l’élection présidentielle dans un délai de dix-huit mois et promis de placer un civil à la tête du pays.

Un an plus tard, rien de tout cela n’a été respecté. Le militaire à la retraite Bah N’Daw, qui avait été investi président le 25 septembre 2020, a été renversé en mai 2021 à la faveur d’un second coup d’État et la transition va s’éterniser.

Embobiner pour reporter

Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui a poussé le discret colonel Goïta à rompre son engagement ? Lui qui disait ne pas s’intéresser au pouvoir… Après le deuxième putsch, le 24 mai, les signes annonçant la prorogation se font de plus en plus clairs. Dès sa prise de fonctions, le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, fait ainsi de la création d’un organe unique de gestion des élections et de la mise en place des Assises nationales de la refondation des priorités.

CHOGUEL MAÏGA A RÉUSSI À EMBOBINER LE PRÉSIDENT GOÏTA, QUI A ACCEPTÉ DE METTRE EN PLACE CET ORGANE

Longtemps réclamé par une partie de la classe politique et de la société civile, le projet d’organe unique avait été abandonné par le premier gouvernement de transition dirigé par Moctar Ouane et par la plupart des formations. « Au cours de cette transition, les partis politiques ont eu un avis unanime sur cet organe unique. C’est un souhait pour tout le monde, mais au regard du délai qui reste à la transition, il est impossible de le mettre en place, souligne Me Kassoum Tapo, ancien garde des Sceaux d’Ibrahim Boubacar Keïta. L’idéal aurait été de reporter sa mise en place et de laisser les futures autorités s’en charger. Mais Choguel Maïga a réussi à embobiner le président Goïta, qui a accepté de mettre en place cet organe », accuse-t-il.

Les contours de cet organe unique sont actuellement étudiés dans le cadre de discussions relatives à l’avant-projet de loi électorale. Des travaux cependant boycottés par une grande partie de la classe politique. Cet organe, qui devrait porter le nom d’ »Autorité indépendante de gestion des élections », va se substituer au triumvirat classique : la Commission électorale indépendante (Ceni), chargée de superviser le scrutin, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MADT), qui l’organisait jusqu’alors, et la Délégation générale aux élections (DGE), chargée du fichier électoral. Cette autorité sera composée de neuf membres choisis sur la base de leurs « compétences ». Elle aura aussi pour mission de proclamer les résultats définitifs de la présidentielle, un rôle auparavant endossé par la Cour constitutionnelle.

« L’organe unique permet d’éviter de tomber dans les contestations électorales », défend un membre du cabinet du ministre de la Refondation qui participe à son élaboration. À Bamako, les membres du gouvernement ont encore en tête le fiasco électoral des législatives de 2020, à l’origine de la crise qui a vu chuter IBK. Sommé par la Cedeao de présenter un nouveau chronogramme d’ici le début du mois de décembre, le gouvernement malien doit fixer un nouveau délai, mais lequel ? Cet exercice sera des plus difficiles tant les chantiers ouverts par les autorités à moins de six mois de la fin réglementaire de la transition sont grands.

Nouveau calendrier

Pour Djiguiba Keïta, secrétaire général du Parti pour la renaissance nationale (Parena), le gouvernement de transition, dont il pointe « l’incurie », doit « réunir les acteurs [concernés], ne serait-ce que pendant deux jours, pour proposer un nouveau calendrier ». « Si l’on peut mener les assises nationales dans les communes du Mali, on peut aussi organiser des élections. Il faut un nouvel agenda, qui respecte la date du 27 février 2022 », ajoute-t-il.

« La mise en place de l’organe unique contraint à réviser la Constitution du 12 janvier 1992. Cela permettra d’acter le transfert de compétences. Dans l’actuelle Constitution, les résultats définitifs sont proclamés par la Cour constitutionnelle et c’est aussi elle qui est habilitée à gérer les contentieux électoraux, explique Ibrahima Sangho, qui dirige la Synergie 22 des Organisations de la société civile du Mali. Si le gouvernement poursuit cette loi, elle va être votée au niveau du CNT, et tant qu’il n’y aura pas de révision constitutionnelle, la Cour va la rejeter. Il faut un minimum de six mois pour organiser les élections », déplore-t-il.

Outre la mise en place de l’organe unique, le gouvernement qui a promis de conduire des « élections libres et transparentes » a fait face à une faible mobilisation lors de la dernière campagne de révision ordinaire du fichier électoral qui s’est tenue du 1er au 31 octobre. Sur toute l’étendue du territoire national, seulement 23 000 personnes se sont déplacées, a regretté le ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation. Coincés entre les attentes de la Cedeao et celles d’un front qui se dresse contre tout éventuel report des élections, Assimi Goïta et son Premier ministre devront faire preuve de consensus pour ne pas s’isoler davantage.

Face-à-face : Air Sénégal-Air Côte d’Ivoire, duel dans un ciel agité

Mis à jour le 10 novembre 2021 à 12:45
 

 

Air Sénégal et Air Côte d’Ivoire se livrent une âpre bataille pour le leadership régional. © Éric Pajaud/CC BY-SA 3.0 ; Brendon Attard

Les deux compagnies ouest-africaines subissent la reprise chaotique du trafic aérien. Abidjan domine encore par son envergure économique, mais Dakar se montre toujours plus ambitieux.

Sans surprise, les chiffres ne sont pas bons pour les deux sociétés, comme ils ne sont pas bons pour le secteur aérien tout entier. « Le chiffre d’affaires est passé de 96 milliards de F CFA (146,5 millions d’euros) en 2019 à 45,7 milliards F CFA en 2020 », décrivait ainsi Laurent Loukou, directeur général d’Air Côte d’Ivoire, en février 2021.

Ibrahima Kane, directeur général d’Air Sénégal, décrivait lui une perte de 25 % du chiffre d’affaires en 2020 – celui-ci s’élevait à 49 milliards de F CFA en 2019. La faute à une fermeture globale de l’espace aérien sénégalais longue de plus de trois mois.

Dynamique : Air Côte d’Ivoire est encore devant

Née en 2019, la compagnie dakaroise arguait face à la crise d’une plus grande agilité financière, avec seulement un tiers de charges fixes, comme le rappelait l’an passé Ibrahima Kane à Jeune Afrique.

Air Côte d’Ivoire, de son côté, chasse la rentabilité depuis sa création en 2012. Le transporteur ivoirien s’endette notamment auprès d’Air France, chargé de la maintenance de sa flotte. Mais cela ne l’empêche pas de continuer à s’appuyer sur son hub à l’aéroport international Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan.

AIR CÔTE D’IVOIRE S’EN SORTIRA GRÂCE À L’AIDE DE L’ÉTAT

Air Sénégal opère ainsi presque autant de dessertes – 21 destinations dont 18 hors du Sénégal, contre 28 destinations et 18 internationales pour sa concurrente –, mais Air Côte d’Ivoire opère plus de vols. Conséquence sur le nombre de passagers : Air Sénégal en transportait 495 000 en 2019, avant la crise, contre 761 000 pour la compagnie ivoirienne.

Aides publiques : les États mobilisés

Les deux gouvernements sont au chevet de leurs champions nationaux. Air Sénégal s’assoit sur le matelas de cash offert par Macky Sall, à travers un fonds de résilience de 45 milliards F CFA. Non seulement le gouvernement a mené à bien son augmentation de capital, prenant 49 % du pavillon, mais il a aussi injecté de l’argent frais pour assurer à sa jeune compagnie une trésorerie durable. Air Sénégal est donc amplement soutenue par les fonds publics, et continue à chercher un partenaire stratégique privé.

JE N’AI PAS ENTENDU PARLER DE NÉGOCIATIONS AVEC QATAR AIRWAYS

Du côté d’Air Côte d’Ivoire, malgré la présence à son capital de la BOAD ou du fonds Goldenrod, l’État a lui aussi dû retrousser ses manches pour assurer le futur proche de la compagnie. Alassane Ouattara a décidé d’un plan quinquennal pour le secteur aérien en 2021, faisant notamment la part belle aux investissements. De quoi rassurer.

« Air Côte d’Ivoire s’en sortira grâce à l’aide de l’État, son budget pour 2021 est même plus important que prévu », confie ainsi un proche de la compagnie. Le gouvernement ambitionnerait aussi de faire entrer au capital un nouveau partenaire international, comme Qatar Airways, pour redresser les comptes. « Je n’ai pas entendu parler de négociations avec Qatar Airways », dément pour l’instant notre source à Air Côte d’Ivoire.

Long-courrier : Air Sénégal voit plus loin

C’est la grande nouveauté de cette rentrée dans le ciel ouest-africain : Air Sénégal a rallié en septembre les États-Unis, délivrant deux vols hebdomadaires pour New York et Washington. La concrétisation d’une expansion repoussée plusieurs fois du fait de la pandémie. En 2020, c’est Genève et Milan, notamment, avec lesquelles la connexion avait été établie

AIR SÉNÉGAL A PÉRENNISÉ LES DESSERTES VERS LIBREVILLE ET DOUALA

Une concrétisation qui fait écho – pour le moment – à l’échec d’Air Côte d’Ivoire sur ce même segment du long-courrier, plus rentable que le trafic intrarégional. Objectif revendiqué, le long-courrier a été mis entre parenthèses, et la compagnie ne dessert New York que par un partage de codes avec Ethiopian. Un partage par ailleurs pas encore réalisé avec Air France, alors que la compagnie française détient 10% de son capital.

Sur le continent, son développement principal devait se faire en Afrique du Sud, avec des liaisons jusqu’à Johannesburg. Mais l’émergence du variant Beta a retardé ce décollage vers le Sud. Il est aujourd’hui reporté à la fin de l’année.

Pour sa part, sur le volet régional, Air Sénégal a décoché ses flèches en direction de Freetown, en Sierra Leone, et a surtout pérennisé les dessertes vers Libreville et Douala. Créés grâce aux accords Open Sky pendant la pandémie, et en remplacement temporaire de la ligne transatlantique, ces vols vers le Gabon et le Cameroun ont augmenté l’emprise de la jeune société sur la sous-région.

Élargissement des flottes

Les deux firmes vont se doter de nouveaux avions. Mais, là encore, les ambitions ne sont pas identiques. Air Sénégal a reçu en leasing deux avions Airbus A321, portant sa flotte à neuf appareils. Et attend désormais sa prochaine commande, à hauteur de 732 millions d’euros, de huit avions moyen-courriers A220-300, censés arrivés entre la fin de 2021 et 2024.

Air Côte d’Ivoire ne devrait donc pas conserver son léger avantage de taille (le groupe dispose actuellement de dix avions), boosté par l’achat récent d’un A320neo, un Airbus de nouvelle génération. La commande passée auprès de l’avionneur européen en 2017 comprenait 5cinq A320, remplacés par ces nouveaux avions moins gourmands en carburant. Le tout pour une facture de 222 millions d’euros.