Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

France: Laïcité : comment les enfants la perçoivent-ils? |The Conversation

Comme après les attentats de Charlie Hebdo, l’assassinat de Samuel Paty a suscité son lot de propositions pour renforcer l’enseignement de la laïcité à l’école : le président du groupe « Les Républicains » à l’Assemblée nationale, Damien Abad, a notamment réclamé l’instauration de « cours sur les valeurs de la République et la laïcité », sanctionnés par une épreuve obligatoire au brevet des collèges, ainsi qu’une « épreuve de laïcité dans le concours d’enseignant ».

Dans l’ensemble, les enfants semblent avoir une conception assez stricte de la laïcité. Shutterstock

Charles MercierUniversité de Bordeaux

Mais qu’en est-il vraiment des connaissances des enfants sur ce principe républicain qui garantit la neutralité de l’État et des agents en matière de convictions religieuses ?

Une notion bien identifiée

Une enquête menée à Bordeaux au printemps 2017 montre que les écoliers sont loin d’être muets sur la laïcité. Sur les 160 élèves de CM1 et de CM2 qui y ont participé, 81 % ont été capables de répondre à une partie au moins du questionnaire, alors même qu’il avait été convenu avec les enseignants que la notion ne serait pas abordée en classe avant l’enquête.

Contrairement à ce qu’on pourrait supposer spontanément, ce ne sont pas les élèves issus d’établissements favorisés et homogènes sur le plan culturel qui ont obtenu le meilleur score : les classes des écoles en situation de mixité sociale et ethnique étaient sur la première marche du podium, comme si la diversité de l’environnement scolaire fournissait des ressources pour écrire sur la laïcité.

D’un point de vue qualitatif, les élèves de l’école privilégiée ont davantage réussi à formuler une définition experte du concept, mais ceux des autres écoles ont fourni des exemples plus nombreux, plus concrets, et davantage ancrés dans un vécu personnel.

On rejoint ici une observation faite par Annick Percheron, alors qu’elle s’intéressait à la socialisation politique des enfants des milieux populaires : il n’étaient pas en retard par rapport aux enfants des milieux aisés car ils faisaient l’expérience directe des faits politiques et sociaux dans leur quotidien.

Une source d’interdits plus que de libertés

Si l’on s’intéresse aux contenus attribués à la laïcité, il est frappant de constater que les jeunes enquêtés conçoivent la laïcité comme une source d’interdictions davantage que comme un dispositif qui garantit des droits. « On n’a pas le droit » est l’expression qui revient le plus souvent sous leur plume.

Très majoritairement, les élèves s’appliquent à eux-mêmes, dans le cadre scolaire et parfois même dans l’ensemble de l’espace public, l’impératif de neutralité. Ignorant, sauf exception, la distinction opérée par la loi du 15 mars 2004 entre signes religieux discrets (autorisés) et signes ostensibles (interdits), ils considèrent que la laïcité implique l’absence de tout accessoire religieux dans l’enceinte de l’école : « on n’a pas le droit de montrer des signes qui pourraient faire penser les gens qu’on a une religion. »

Concernant la parole et les mots, les répondants sont unanimes à considérer que toute propagande est à proscrire (« Pour moi, la laïcité est l’interdiction de dire que sa religion est la meilleure et que les autres sont nuls »), mais sont partagés sur l’idée qu’on puisse converser, sans prosélytisme, de religion à l’école. Un quart des élèves répond négativement, un autre quart positivement tandis que la moitié restante élabore une casuistique fine en fonction :

  • des lieux : « On peut pas trop en parler dans la cour, mais en classe on peut » ;
  • des personnes : « tu peux parler de ta religion à tes amis ou à des gens à qui tu peux faire confiance » ;
  • des circonstances : « des fois oui, des fois non parce que ça peut blessé des personnes mais des fois oui pour mieux connaître la personne ».

Il semble que, dans leur grande majorité, les élèves aient intégré ce que Stéphanie Hennette-Vauchez et Vincent Valentin qualifient de « nouvelle laïcité », qui, depuis le début des années 2000, cherche à étendre l’obligation de neutralité convictionnelle à l’ensemble de la société et non plus seulement à l’État.

Si certains élèves associent la laïcité à une liberté, c’est la liberté de conscience qui est convoquée, et non la liberté d’expression : « Pour moi, la laïcité, ces de pouvoir croire ou ne pas croire en un dieu spécial mais de ne pas le montrer. »

Une appréciation positive

Parmi les 59 % des élèves qui ont répondu à la dernière question du formulaire qui leur demandait d’évaluer la laïcité, près de 90 % ont porté une appréciation positive ou plutôt positive, 8 % une appréciation négative ou plutôt négative et 2 % n’ont pas exprimé de jugement de valeur. L’adhésion s’exprime par des formules souvent enthousiastes.

On peut expliquer ces résultats par le conformisme des enfants, qui cherchent à s’affilier et à ne pas commettre d’impair par rapport aux préférences qu’ils ont pu repérer chez les adultes. La laïcité étant un des mots clés de l’école, ils savent qu’il s’agit d’un item auquel ils peuvent et doivent accorder leur confiance. https://www.youtube.com/embed/gXJ0qqtroQ8?wmode=transparent&start=0 Discussion sur la laïcité avec des élèves de CM2, en 2019, sur France 3 Provence-Alpes Côte d’Azur.

La moitié des réponses exprimées sont argumentées. Plusieurs considèrent que la laïcité permet d’aller vers ceux qui sont différents (« grâce à ça, on est amies »), et de préserver l’égalité et la liberté de conscience des « plus petits ».

Les élèves qui ont défini la laïcité comme l’absence de toute trace de religion à l’école mettent en avant ses effets positifs pour la paix civile, déclinant à l’échelle de la cour de récréation les arguments qui circulent dans le monde des adultes pour vanter les mérites de l’invisibilité des convictions : « on ne se tape pas, on ne dit pas de gros mots et on ne se moque pas de la religion de quelqu’un, je pense que c’est génial. »

La conception stricte de la laïcité semble correspondre à l’appétence enfantine pour l’ordre, les règles et les cadres rassurants. Il faut néanmoins relever que pour la minorité qui a porté une appréciation négative, tout en manifestant sa loyauté, cette laïcité neutralisante est peu utile : « Je pense que ça ne sert pas à grand-chose mais je respecte quand même sa et je me fiche que mes amis soient juifs ou catholiques. »

Une formation à consolider

Les résultats de cette enquête exploratoire suggèrent qu’arrivés en fin d’école élémentaire, les élèves, même quand ils n’ont pas eu de cours spécifique sur la laïcité, ont acquis des représentations sur la notion, par confrontation aux normes, et par imprégnation des mots qu’elle génère dans leur environnement scolaire, mais sans doute aussi familial et médiatique.

Les enfants apparaissent particulièrement perméables aux discours qui, depuis le début des années 2000, renégocient le sens du mot, le corrélant non plus à la liberté d’expression en matière de foi, mais à l’encadrement de la visibilité du religieux dans l’espace public.

L’idée d’une formation renforcée et systématisée des élèves, mais aussi des enseignants, qui souvent sont contraints à « bricoler » individuellement un discours légitimant ce qu’ils pensent être interdit à l’école, paraît dès lors pertinente. Elle permettrait de confronter les représentations issues des « nouveaux vocabulaires de la laïcité » au cadre juridique d’un dispositif plus libéral et inclusif qu’il n’y paraît.

Charles Mercier, Maître de conférences HDR en histoire contemporaine, Université de Bordeaux

This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.

[Tribune] De quoi « islamisme » est-il vraiment le nom ?

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Mis à jour le 04 janvier 2021 à 11h31



Par  Youssef Seddik

Youssef Seddik est philosophe et anthropologue. Il a publié de nombreux ouvrages dont les récits coraniques en bandes dessinées, Si le Coran m’était conté (Alef, 1990), Nous n’avons jamais lu le Coran (L’Aube, 2004) et Qui sont les Barbares ? (L’Aube, 2005). Il est également l’auteur d’une série documentaire sur le Prophète en cinq volets diffusée sur la chaîne française Arte en janvier 2002

Grande mosquée de Paris.

Grande mosquée de Paris. © Francois Mori/AP/SIPA

Pourquoi le suffixe « isme » ne poserait-il problème que lorsqu’il est accolé à « islam » ?

Que les langues, dont la langue française, dans le contexte qui nous occupe ici, se débrouillent ! Monsieur Macron, les maîtres du discours politique et le public « parlant » ont beau nuancer les connotations pour démontrer, à juste titre d’ailleurs, que « musulman » n’a rien à voir avec « islamiste », leur voix ne passe pas. D’abord pour des raisons évidentes qui relèvent de ces réflexes du langage et des conversations. Mais pourquoi le suffixe « isme », généralement suspect quand il marque de la teinte idéologique ou même irrationnelle un concept, laisserait-il « innocents » et neutres « judaïsme », « christianisme », « bouddhisme », « paganisme » et ne poserait problème que lorsqu’il est accolé à « islam » ?

La question est d’autant plus légitime que dans son acception actuelle, polémique et négative dans les langues européennes, « islamisme » signifiait seulement, et jusqu’à la fin du XIXe siècle, la religion fondée par le prophète Muhammad en Arabie au VIIe siècle. En témoigne cet ouvrage, plutôt élogieux, d’un Auguste Comte intitulé précisément De l’islamisme…

Une équivoque voulue

Mais il y a pis ; s’il est correct de désigner par le vocable qualificatif de « chrétien » un individu, un groupe, un pays, un objet ou un symbole, l’expression devient plus hésitante avec le judaïsme, et un objet quelconque ne saurait être qualifié de « juif », ni un concept ou doctrine, auquel cas on aurait recours à « judéen » ou « judaïque ». Pour les choses et les gens d’islam, les caprices sournois de l’usager francophone nous font sombrer dans la confusion dangereuse. Le substantif et adjectif « musulman » n’indique ou ne qualifie que des individus ou groupes se reconnaissant de la foi de l’islam, et il est donc impropre de dire « musulman » d’un ouvrage, d’une architecture ou d’un sentiment. Il faudra glisser vers l’adjectif « islamique » pour parler de l’Alhambra, un recueil de Rûmî ou de la détresse d’un fidèle empêché de prier sur l’esplanade de la Mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem. Là, l’amalgame entre « islamique » et « islamiste » devient « normal », comme si on suivait, sans le savoir, la juste logique de l’usage qu’en faisaient au XIXe siècle Auguste Comte et ses contemporains !

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CETTE ÉQUIVOQUE VOULUE ET ENTRETENUE PROVOQUE MOULT DÉGÂTS DANS LES CONSCIENCES

Mais cette équivoque voulue et entretenue provoque moult dégâts dans les consciences, les attitudes et les réactions face au voisin musulman, le brave citoyen français ou le résident, désormais frappé d’une sorte d’étoile jaune mentale cousue sur la peau « quand il ne fait que se diriger vers son lieu de culte ».

Nuance perverse

Pour que les Français lambda et de bonne foi me comprennent, j’évoquerais cette tueuse confusion dans l’espace public de mon pays très majoritairement musulman, la Tunisie. Lors des premières élections démocratiques – après l’abolition du régime de Ben Ali le 14 janvier 2011 –, le mouvement Ennahdha n’avait gagné que parce qu’il usait lourdement de ce qualificatif d’« islamiste » (islâmî en arabe, par vicieuse opposition à muslim, musulman). L’électrice et l’électeur, au fond de l’isoloir, éludaient cette perverse nuance entre les deux vocables et se contentaient de cet algèbre primaire qui leur disait que le non-musulman (ou non-islamiste, quelle peut être la différence ?) ne saurait être le bon candidat, tout juste un athée, un communiste et donc un vil renégat !

Neuf ans après, l’érosion du mouvement Ennahdha est patente. Une véritable dégringolade… Pour deux raisons profondes au moins. Sa gestion désastreuse du pouvoir conféré à ses leaders par les urnes, le goût du lucre et l’enrichissement suspect de ses militants et chefs. Vaines furent leurs tentatives de se dire pour un régime civil, de dissocier, comme ils disent, la politique et la da’wa (propagande religieuse ou prosélytisme). Personne ne prend plus Ennahdha, comme au début de la révolution, pour des Craignants-Dieu !

L’autre raison de leur affaissement nous ramène à notre sujet sémantique : l’irruption ou l’éruption d’une dame dont l’arme-maîtresse est sans doute le maniement efficace d’un discours ordonné et terriblement « boxeur ». Abir Moussi, jadis militante auprès de Ben Ali, aujourd’hui chef d’un parti d’une quinzaine de députés à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), ne prononce jamais le mot « islamiste » ou « islamisme » pour s’adresser aux représentants d’Ennahdha, mais plutôt, et toujours, celui, hautement péjoratif chez les Tunisiens, de Ikhwan (les Frères). Diaboliquement efficace ! Son parti dépasse, et de loin, dans les sondages celui, si solidement bâti il y a cinquante ans, par Rached Ghannouchi

Journée internationale de la Fraternité humaine|Zenit

« La presse arabe souligne la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, lors de sa soixante-quinzième session, déclarant la date de l’anniversaire de la signature du Document sur la Fraternité humaine, le 4 février, « Journée internationale de la Fraternité humaine » », indique, depuis Rome, le blog Il Sismografo, ce mardi 22 décembre 2020.[…]

L’Assemblée générale des Nations unies a informé les États membres des efforts de l’imam Ahmed al-Tayyeb, cheikh d’al-Azhar, et du pape François, pour « promouvoir le dialogue entre les religions et les cultures, qui a abouti à la signature de ce document historique »..[…]

Les religions, relève l’ONU, « sensibilisent aux valeurs communes de tous les êtres humains et créent un environnement propice à la paix et à la compréhension entre tous et à tous les niveaux, local, national, régional et mondial ».

« Pour sa part, le conseiller Mohamed Abdel Salam, secrétaire général du Haut Comité pour la Fraternité humaine, a exprimé sa joie face à cette décision historique, qui représente une reconnaissance internationale des efforts d’al-Tayyeb et du pape François et un soutien aux efforts déployés par le Haut Comité pour la Fraternité humaine », fait observer la même source.

Notons que la déclaration a également été signée ensuite par des représentants du judaïsme et des représentants d’autres religions.

Traduction de l’italien par Hélène Ginabat

Lire l’article complet: ONU: une «Journée internationale de la Fraternité humaine» fixée au 4 février, Anita Bourdin, Zenit, 22.12.20

Boualem Sansal : « Il n’y a plus assez d’intellectuels libres pour faire renaître l’islam »

| Par 
L’écrivain algérien Boualem Sansal à Paris, en octobre 2013.

L'écrivain algérien Boualem Sansal à Paris, en octobre 2013. © Vincent Fournier/JA

Dans « Abraham », son neuvième roman, Boualem Sansal imagine un nouveau prophète chargé d’apaiser les maux de l’humanité, et tisse une histoire qui résonne fortement avec l’actualité. Entretien.

Faut-il encore présenter Boualem Sansal ? Depuis son entrée fracassante dans l’univers de la littérature francophone en 1999 avec son premier roman, Le serment des barbares, l’écrivain algérien, ancien ingénieur venu sur le tard à l’écriture, n’a cessé de cumuler les succès avec des ouvrages exigeants et originaux.

En 2015, son 2084, la fin du monde, adaptation très personnelle sous forme de dystopie du célèbre 1984 d’Orwell, a même été un véritable best-seller en France comme dans le monde. Il lui a permis d’obtenir le prestigieux Grand prix de l’Académie française.

Pourfendeur régulier, dans ses essais comme dans plusieurs de ses livres de fiction, de l’idéologie et des agissements des islamistes, amoureux de son pays et critique féroce de son évolution et de son régime, il surprend à nouveau avec le sujet peu banal de son neuvième roman. Dans Abraham ou la cinquième alliance, il raconte en effet qu’un habitant de l’ancienne Mésopotamie considère que son fils Abram, qui ne porte évidemment pas ce prénom par hasard, est une réincarnation du patriarche Abraham et est appelé à devenir un nouveau prophète.

« Abraham ou la cinquième alliance », de Boualem Sansal, Gallimard, 288 pages, 21 euros

Celui-ci devra annoncer une « cinquième alliance » avec Dieu, après celles qu’ont autrefois conclues Abraham, Moïse, Jésus et bien sûr Mohammed, afin d’apaiser les maux de l’humanité. Ce qui entraine le « héros » du livre, accompagné de sa famille et de ses disciples, à refaire à l’identique, 4000 ans après, le périple d’Abraham à travers le Moyen-Orient. Il parcourt alors des territoires en pleine effervescence, puisque tout se passe il y a une centaine d’années, au moment de la Première guerre mondiale, de l’effondrement de l’empire ottoman et du califat ainsi que de la venue de colonisateurs occidentaux déterminés à asseoir leur domination sur toute la région.

Évoquant donc la Genèse, le livre prend souvent la forme d’un conte philosophique. Notamment quand le père d’Abram puis lui-même discutent à la manière socratique avec ceux qui les suivent dans leur « aventure » vers la Terre promise. Mais l’ouvrage, s’il est sérieux, n’est jamais ennuyeux et peut se lire d’une traite. D’autant que ce qu’il raconte résonne fortement avec ce qui se passe de nos jours, en Orient comme en Occident et, bien sûr, en Algérie.

Jeune Afrique : Abraham est un livre très ambitieux puisqu’il couvre nombre de champs : historique, géopolitique, religieux, philosophique… Même pas peur ?

Boualem Sansal : Quand je suis parti pour raconter cette histoire, je pensais que ce ne serait pas trop difficile. Puis, après avoir écrit 10 ou 15 pages, je me suis dit que l’entreprise allait me prendre 10 ou 15 ans vu l’ampleur du sujet. Mais heureusement, grâce notamment à la pandémie qui m’a interdit de bouger, de voyager à l’étranger, j’ai pu me mettre à travailler 10 à 15 heures par jour sans interruption. Et j’ai constaté que j’avançais bien, que ma mémoire sur ce sujet qui me passionnait depuis longtemps, depuis une bonne trentaine d’années en fait, fonctionnait bien.

Pourquoi avoir situé cette histoire il y un siècle et au Moyen-Orient ?

L’idée était de ressusciter dans un roman cet Abraham, à l’origine du monothéisme, que nous connaissons tous. Où ? Ma première idée fut de situer le récit dans une banlieue autour de Paris. Mais c’est au Moyen-Orient que cela s’est passé, alors autant respecter l’histoire.

Ensuite quand ? Là encore, ma première idée, celle de retenir la période actuelle, ne fut pas la bonne. En continuant à me documenter sur le personnage d’Abraham, j’ai constaté qu’à son époque, il y avait un contexte politique, des guerres d’empires opposant les Hittites, les Égyptiens, les Babyloniens, les Assyriens ou les Perses. Le mieux était donc de choisir une période pendant laquelle s’étaient déroulées des guerres d’empires au Moyen-Orient. La seule que j’ai trouvée se situe autour de la Première guerre mondiale, avec les empires ottoman, austro-hongrois, anglais, français, allemand qui intervenaient tous dans le conflit.

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NOUS RESSENTONS TOUS QUE LE CHRISTIANISME, LE JUDAÏSME ET L’ISLAM SONT EN ÉCHEC »

J’avais mon théâtre, et quel théâtre ! Les guerres d’empires, ce ne sont pas comme les guerres entre nations, entre royaumes. Un roi est un petit personnage, une sorte de directeur ou de chef d’entreprise, alors qu’un empereur domine plusieurs peuples, une immense région. Avec des préoccupations à la fois politiques, culturelles, linguistiques, économiques. Les empires ont toujours un rapport à la colonisation, ils ont une vision planétaire, qui dépasse leur temps, qui se veut millénaire.

Ne restait plus qu’à trouver le ton, et le ton biblique s’est imposé. Avec un prophète parcourant des territoires, discutant avec ses disciples. Il n’y avait plus qu’à se mettre au travail.

Créer une nouvelle religion, comme vous le faites dans ce roman, ce n’est pas une petite entreprise ! En quoi était-ce nécessaire ?

Nous ressentons tous, je crois, que les trois religions monothéistes sont en échec. Pour le christianisme, le déclin a commencé avec le schisme protestant, il s’est accéléré avec les Lumières, l’idée de la laïcité, la montée de l’athéisme, la modernité à laquelle il n’a pu s’adapter. Le judaïsme, pour sa part, n’est en fait jamais sorti de son petit univers, entre hébreux, et, contrairement au sionisme, il n’a pas vraiment d’histoire à grande échelle.

Et puis il y a l’islam. Quand il arrive, c’est « la » nouvelle grande religion, qui veut conquérir le monde. C’est bien parti, on a vu se développer la belle civilisation arabo-musulmane. Sur cette lancée, le monde islamique aurait pu devenir la première puissance mondiale.

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L’ISLAM A REPRIS DE LA VIGUEUR AVEC LES PÉTRODOLLARS, LA GUERRE ET LA POLITIQUE POLITICIENNE »

Mais au sortir du Moyen-Âge, c’est l’Europe qui a pris cette place, ce sont les nations européennes qui ont récupéré l’héritage arabe, hindou, etc. Elles ont dominé la planète, aussi bien l’Asie que l’Amérique et le Moyen-Orient. L’islam est entré en sommeil, chassé de l’Espagne, de la Chine, de partout. Et est arrivé la chute de l’empire ottoman, la fin du califat, la colonisation. L’islam, c’est la charia plus le calife. Les deux ont disparu avec la destitution du calife et l’arrivée d’Atatürk.

Et s’est donc ajouté la colonisation. Ne restait alors plus de l’islam que des gestes sans spiritualité, sans signification, un service minimum assurant le lien social. S’il a repris ensuite de la vigueur, ce n’est pas par la voie spirituelle, par la conquête des âmes, mais par les pétrodollars, par la guerre, par la politique politicienne grâce à l’entrisme dans le jeu politique.

Et ce qu’on nous propose, comme j’ai voulu le montrer dans mon livre 2084, c’est un univers orwellien. Il n’y a plus assez d’intellectuels libres représentant une masse critique afin de faire renaître la spiritualité, une dynamique, un souffle prophétique dans l’islam.

Alors, est-ce que le monothéisme est mort ? Non, l’idée de Dieu n’est pas morte, elle est toujours là, mais en jachère. C’était donc tentant de se dire : Abraham nous a donné la genèse, Moïse les tables de la loi, Jésus les Évangiles, Mahomet le Coran, maintenant repartons de zéro dans un roman avec un nouveau prophète. Ou plutôt avec un nouvel Abraham, puisque celui-ci, un juste, un pur, n’a pas créé de religion mais a été un messager, transmettant l’idée du monothéisme.

Imaginer un nouveau prophète, même dans un roman, n’est-ce pas blasphématoire ?

Je me suis posé la question. Mais d’abord, des nouveaux prophètes, même si ce sont souvent des fous, il y en a tout le temps, ce n’est pas si rare en réalité. Et puis si aux yeux des salafistes, c’est blasphématoire, je ne vois pas pourquoi on leur laisserait le droit de décréter ce qu’on doit considérer comme tel. On a notre petite liberté ! Cela ne m’a pas arrêté longtemps.

Vous avez écrit une bonne partie du livre en Algérie pendant le grand mouvement de protestation contre le régime, le Hirak. Ce qui se passait dans la rue vous a-t-il inspiré ?

J’avais commencé à écrire, ma réflexion sur le sujet étant achevée, pendant l’été qui a précédé le début du Hirak. La conséquence de ce mouvement a surtout été de suspendre mon travail pendant un temps. Je n’ai plus du tout avancé en février et en mars 2019 car j’étais en plein dans le mouvement, je participais aux marches, à tout ce qu’il y avait autour.

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J’AI CESSÉ DE CROIRE AU HIRAK. PLUS LE TEMPS PASSE, PLUS IL SERA DIFFICILE DE LE FAIRE REPARTIR »

Et puis j’ai complètement arrêté, j’ai cessé de croire au Hirak avant même la fin de mars, pensant que cela n’irait pas loin puisque les manifestants étaient incapables de s’organiser. Ils venaient tous les vendredi, une journée où l’on ne travaille pas, et ils passaient deux heures dans une ambiance amicale, festive. D’autant que la police, alors, laissait faire. C’était quoi, de la politique ou du rêve ?

Les gens pensaient qu’ils allaient faire tomber le régime, mais pour cela il faut des stratégies. Or ceux qui manifestaient étaient très divisés, il y avait des islamistes, des nationalistes arabes, des modernistes, des laïcs, des Kabyles… Impossible d’avoir une ligne directrice, une base de négociation. Des personnalités appréciées ont parlé d’une plateforme, mais cela n’a pas été loin.

Ce n’est donc pas l’élection d’Abdelmadjid Tebboune ou la survenue de la pandémie qui ont mis fin au mouvement ?

Le mouvement a continué après l’élection de Tebboune. Quant à la pandémie, les gens ont mis longtemps à voir que cela concernait l’Algérie et pas seulement l’Asie puis surtout l’Europe. Ils pensaient volontiers que l’on assistait à une manœuvre des services pour décourager les protestations.

Le pouvoir, en fin de compte, n’a laissé se dérouler le mouvement que tant que cela l’arrangeait, ou plutôt tant que cela servait la lutte des clans. Celle de ceux qui voulaient faire tomber le clan Bouteflika, de ceux qui voulaient faire tomber le clan du général Gaïd Salah, etc. Des luttes de clans comme celles qui existent depuis toujours en Algérie, au sein de l’armée et des services secrets.

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JE REFUSE DE VIVRE COMME UN ÉMIGRÉ OU UN RÉFUGIÉ POLITIQUE »

Certes, à un moment, l’idée de la désobéissance civile a été lancée, et elle aurait pu inquiéter le pouvoir. Mais là aussi, ce n’est pas allé loin, cela ne s’est pas concrétisé. Et les gens se sont fatigués, au bout de dizaines et de dizaines de vendredis. D’autant que les autorités ont déclaré qu’il était irresponsable de poursuivre le mouvement et que les arrestations se sont multipliées.

N’y-a-t-il alors aucun espoir de voir le régime changer ?

En tout cas, pas grâce à la façon dont s’est déroulé le Hirak. Le mouvement reprendra peut-être sous une autre forme, qui sait ? Mais plus le temps passe, plus ce sera difficile. Et ce qu’on peut craindre pour l’instant, surtout avec la situation économique qui va rester dramatique, c’est que reprenne ce dont on a l’expérience depuis toujours en Algérie, des émeutes ici ou là en permanence.

Si la situation est aussi désespérée, pourquoi restez-vous en Algérie, où vous êtes mal considéré par beaucoup, à commencer par le pouvoir ?

Parce que, de toute façon, je refuse de vivre comme un émigré ou un réfugié politique. Le pays ne marche pas, mais je suis un citoyen, avec un passeport et une carte d’identité. Si je suis menacé, au moins je le suis dans mon pays. S’il le faut, j’irai me cacher quelque part dans le Sahara.

Noël et … les dames d’en face |Témoignage du P. Raphaël Deillon

Le dialogue interreligieux dans la vie est né bien avant que naissent les associations pour lui donner sens et le développer. En ces temps de Noël, je vous offre ce magnifique mais véridique conte de Noël.

Je vous le raconte comme il me l’a été rapporté par deux Pères Blancs aujourd’hui auprès de Dieu. Ceci dit pour respecter leur droit d’auteur jusque dans la vraie Vie que le Sauveur du monde a ouvert à tous ceux et celles qui ont cherché à vivre une vie droite et à la vivre avec les autres…

L’histoire se passe à la messe de minuit dans une petite église en Tunisie où les chrétiens du lieu s’étaient rassemblés pour fêter le Prince de la Paix et de l’Amour.

« Il était une fois, et cela prend des allures de conte, près de la frontière algérienne, en Tunisie, un village qui s’appelait Sbeïtla, dans les environs de Kasserine. Il y avait de belles mines de quartz. Mais elles étaient – hélas en cela elles imitaient les hommes du lieu – ­pauvres. Il y avait en ces temps-là quelques chrétiens semés dans les environs, pour le­ver la pâte. Mais très souvent la farine, l’eau et la chaleur humaine manquaient, pour lever la pâte.

Le Bon Dieu se contentait de se faire adorer. C’est dans ce pays-là, une nuit de Noël, que le Bon Dieu voulut montrer aux bien-pensants l’étoile qui sauve: la charité. Il y avait un confessionnal que l’on avait épousseté pour la circonstance. Sans vouloir être critique, les chrétiens des « fêtes obligatoires » étaient trop sûrs d’eux-mêmes pour commettre des péchés. N’était pas considéré comme péché de ne pas payer les ouvriers à leur juste mesure. Il y avait heureusement cependant des exceptions, des gens droits qui étaient déjà passés au troisième âge.

La messe de minuit commençait par un tonitruant « Minuit, chrétiens » à réveiller quelques âmes endormies sur le fatras des soucis quotidiens. Le célébrant que j’étais en cette nuit bénie tentait de toutes ses forces d’appeler la grâce de Noël dans les cœurs, une grâce qui risquait de ne se réveiller, pour certains, qu’au moment de la mort car la grâce est un mystère aussi grand que Dieu.

L’ambiance de fête, la joie de Noël, les odeurs animales du bœuf et des moutons étaient entrées dans le lieu avec les humains – pas tous des saints – mais Jésus est venu pour les pécheurs. Le souvenir des « Trois messes basses » d’Alphonse Daudet hantait les narines. Ils seraient vite pardonnés par l’offrande de Noël et des cadeaux pour le Père venu rappeler à Noël la charité de Jésus.

Je raccourcis, car il y aurait tant de bonnes pensées à ajouter. La messe finie, le curé est entré à la sacristie enlever ses ornements, serrer quelques mains sur le pas de la porte. Les autos sont parties, disparaissant en direction de leur taudis, maison ou villa, selon l’ordre de grandeur… Le curé restait seul… Il y avait encore quelques étoiles qui clamaient la joie de Noël.

Je me suis mis à genoux pour dire merci, seul avec Jésus pour lui dire mon dénuement, ma richesse, ma joie et mes détresses les mêlant au cri des pauvres, des sans-Dieu et de ceux qui le cherchent.

Mais voilà que dans ma prière, je suis dérangé: on frappe à la porte, la porte de l’église…

Deux personnes, voilées de blanc, apparaissent, portant chacune dans leurs mains quelque chose couvert d’une serviette blanche. Mon frère, nous savons que, pour vous, les chrétiens, Noël c’est une grande fête; nous nous permettons de vous offrir un peu de couscous; il est tout chaud. Bonne fête, frère ! »

Les dames d’en face, celles qui iront plus vite que nous au paradis, les dames en voile blanc, aussi discrètes que le petit Jésus dans la crèche, repartaient sur la pointe des pieds. »

(En mémoire de Maurice Leiggener et Gallus Fideck, Pères Blancs, fervents partisans d’un dialogue dans la vie).

Raphaël Deillon