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Présidentielle en Guinée : entre bataille de chiffres et violences post-électorales

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Mis à jour le 22 octobre 2020 à 10h24
A Conakry, des violences ont éclaté entre les partisans de l’opposant Cellou Dalein Diallo et la police, le 21 octobre 2020.

A Conakry, des violences ont éclaté entre les partisans de l’opposant Cellou Dalein Diallo et la police, le 21 octobre 2020. © Sadak Souici/AP/SIPA

Des violences ont été observées à Conakry et dans plusieurs régions du pays, ce mercredi. La commission électorale pourrait diffuser les résultats complets du scrutin vendredi « au plus tard », tandis que l’opposant Cellou Dalein Diallo se déclare d’ores et déjà victorieux.

Le bras de fer se durcit entre Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé. Après avoir proclamé la victoire de son candidat au lendemain du scrutin du 18 octobre, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG, opposition) a annoncé, ce mercredi, la publication des résultats compilés par ses représentants.

Dans une stratégie prévisible, l’adversaire du président sortant a devancé la Commission électorale nationale indépendante (CENI), seule habilitée à diffuser les résultats du scrutin, proclamant dès lundi sa victoire à l’issue du premier tour, « malgré de graves anomalies » dans la tenue des opérations de vote.

La Ceni a, quant à elle, commencé à publier mardi soir des résultats partiels. Selon les chiffres qu’elle a publiés, le président sortant, Alpha Condé, arrive en tête dans les quatre préfectures dont les chiffres ont déjà été compilés, à savoir Matoto (49,13 %), Matam (51,39 %), Kaloum (51,87 %) et Boffa (56,69 %).

Des chiffres rejetés par le parti de Cellou Dalein Diallo, qui se base sur des résultats compilés par ses propres représentants, déployés dans l’ensemble des 15 000 bureaux de vote. « Et pourquoi pas, c’est une tradition en Guinée ! Alpha Condé avait fait la même chose en 2010 », justifie à JA le directeur de la communication de l’UFDG, Ousmane Gaoual.

« Nos délégués ont pris en photo ou saisi manuellement les résultats des procès-verbaux et les ont fait remonter, a-t-il par ailleurs expliqué lors d’une conférence de presse. C’est sur ces chiffres que nous nous sommes fondés pour annoncer notre victoire, qui ne souffre aucune contestation. »

« La seule région administrative qui a systématiquement refusé de nous remettre les procès-verbaux, c’est Kankan [fief du Rassemblement du peuple de Guinée, le parti d’Alpha Condé] », a-t-il néanmoins précisé, ajoutant que cela n’était pas de nature à remettre en cause la victoire de Cellou Dalein Diallo.

Résultats complets attendus vendredi

Une déclaration unilatérale, jugée « nulle et de nul effet » par la CENI. « Leurs résultats sont basés sur des chiffres envoyés par SMS, souligne le vice-président de l’institution, Bakary Mansaré. Nous ne pouvons pas les certifier. » Il rappelle que le travail de centralisation des résultats est effectué par la commission nationale de totalisation des votes, au sein de laquelle siègent notamment les commissaires de la CENI et un représentant de chaque candidat à l’élection présidentielle.

Selon lui, la commission électorale devrait publier dès ce mercredi soir des résultats concernant « au minimum » dix autres préfectures, sur les 38 que comptent le pays. « Le processus est rapide », assure Bakary Mansaré, qui ajoute que les résultats complets devrait être publiés « au plus tard vendredi ».

« La Ceni doit publier les procès-verbaux des résultats qu’elle annonce, insiste Ousmane Gaoual, afin de rassurer les Guinéens et la communauté internationale ».

Déployée dans 147 bureaux de vote sur l’ensemble du territoire, la mission d’observation électorale de l’Union africaine (UA) affirmait ce mardi que « malgré quelques dysfonctionnements, la clôture et le dépouillement du scrutin se sont déroulés de manière satisfaisante ».

Les 25 observateurs de l’UA ont toutefois relevé la « représentation inégale des candidats en lice » dans les bureaux de vote et souligné que certains membres des bureaux de vote n’avaient pas « scrupuleusement respecté les procédures de dépouillement telles que prévues par la loi ». La mission estime toutefois que le scrutin s’est globalement déroulé dans « la transparence, le calme et la sérénité ».

Violences

L’annonce des résultats partiels par la Ceni a toutefois été suivie d’une crispation du climat à Conakry et dans d’autres régions du pays, où des heurts entre manifestants et forces de l’ordre ont été observés. L’UFDG estime à neuf le nombre d’individus tués depuis mardi, dont deux membres des forces de l’ordre.

Dans un communiqué publié mercredi, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) évoque une « situation chaotique ». Il dénonce la mort « par balles » de son coordinateur dans la capitale et annonce des « actions décisives » à venir.

Selon le ministre de la Sécurité, Albert Damantang Camara, des barricades ont été érigées dans plusieurs quartiers de Conakry dans la journée. Des tirs ont été entendus dans plusieurs quartiers de la ville.

Des heurts ont également éclaté dans les préfectures de Kissidougou et de Coyah « entre militants de l’UFDG et ceux d’autres formations politiques, notamment du RPG Arc-en-ciel », a fait savoir le ministre dans un communiqué. Il évoque également des « attaques ciblées à l’intérieur du pays, dans les quartiers de la haute banlieue de Conakry et contre les sièges des partis de la mouvance présidentielle et les domiciles des militants de ces partis. »

Le bilan est de dix morts sur l’ensemble du territoire selon le gouvernement, qui évoque une « stratégie du chaos orchestrée pour remettre en cause le scrutin » et lance un appel « au calme et à la retenue ».

Cellou Dalein Diallo a, quant à lui, affirmé être « séquestré » chez lui depuis un jour, en raison de présence massive de forces de police devant son domicile.

Discret depuis le scrutin du 18 octobre, Alpha Condé s’est, lui, exprimé sur la situation dans un appel à la nation. « Je réitère mon appel, à tous, au calme et à la sérénité, en attendant l’issue du processus électoral en cours dans notre pays. Bien sûr qu’il y aura un vainqueur, mais, ce n’est pas pour autant que la démocratie sera menacée ou que la paix sociale devient impossible », a déclaré le président sortant.

Présidentielle en Guinée : les électeurs ont voté en masse et dans le calme

| Par - à Conakry
Mis à jour le 19 octobre 2020 à 14h04
Des civils et des soldats font la queue pour voter à Conakry, à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle, le 18 octobre 2020.

 Des civils et des soldats font la queue pour voter à Conakry, à l'occasion du premier tour de l'élection présidentielle, le 18 octobre 2020. © Sadak Souici/AP/Sipa

Plus de 5 millions d’électeurs guinéens étaient appelés aux urnes dimanche pour choisir leur président. Hormis quelques incidents mineurs, le vote s’est déroulé dans le calme.

Des fortes averses sont tombées ce dimanche 18 octobre, jour de scrutin, à Conakry, la capitale guinéenne. Ce qui n’a pas empêché les électeurs de sortir en nombre pour se rendre aux urnes.

Diallo Mamadou Aaraf, superviseur au compte du Conseil national des organisations de la société civile (CNOSC) – qui a déployé un total de 800 observateurs à travers Conakry et des milliers d’autres sur le reste du territoire – , a été l’un des premiers électeurs à accomplir son devoir civique dans le bureau de vote de Bellevue-Marché, il était 7h40 GMT. « Je constate que le vote se passe bien ici, et qu’il y a un réel engouement des électeurs. Le matériel électoral, les membres du bureau de vote et les délégués des partis politiques sont au complet, expliquait-il dans la matinée. Je n’ai noté aucune anomalie. » 

Les Guinéens sont appelés aux urnes pour le premier tour de la présidentielle, le 18 octobre 2020.
Les Guinéens sont appelés aux urnes pour le premier tour de la présidentielle, le 18 octobre 2020. © Diawo Barry pour JA

« J’ai voté pour le changement et contre l’ethnocentrisme », glisse pour sa part Baba Bangoura en sortant d’un bureau de vote de Camayenne, en proche banlieue de Conakry. S’il refuse de dévoiler à qui est allé sa voix, il affirme : « Je veux que le prochain président soit ouvert, qu’il rassemble tout le monde. »

À l’école primaire de Coléah Lansébounyi, un centre qui regroupe un total de huit bureaux de vote dont chacun compte 500 électeurs inscrits en moyenne, a lui aussi connu une grande affluence. Les appels de Sidya Touré, de l’Union des forces républicaines (UFR), qui soutenait les appels au boycott, n’ont visiblement pas été entendus dans ce quartier de la commune de Matam, pourtant habituellement acquise à l’UFR.

Diallo Thierno Ibrahima, membre de l’un des huit bureaux de vote, se félicitait à la mi-journée de n’avoir enregistré aucune fausse note. « Il y a une grande affluence depuis l’ouverture du bureau de vote à 7h30 et les opérations de vote se déroulent dans la discipline. Il n’y a aucune anomalie », a-t-il confié.

Alpha Condé souhaite une « élection libre »

Dans le centre-ville de Kaloum, où se situe la présidence et la plupart des départements ministériels, les électeurs c’est aussi la discipline qui a prévalu dans les bureaux de vote. C’est dans cette commune de Conakry, à quelques pas du palais présidentiel Sékhoutouréya, dans le quartier de Boulbinet, qu’a voté Alpha Condé, candidat à un troisième mandat.

Le président sortant, Alpha Condé, vote à Conakry, le 18 octobre 2020.
Le président sortant, Alpha Condé, vote à Conakry, le 18 octobre 2020. © Sadak Souici/AP/Sipa

« Mon souhait est que l’élection soit libre, démocratique, transparente et que tout se passe dans la paix et la tranquillité », a déclaré le président sortant après avoir glissé son bulletin dans l’urne.

« Nous allons faire en sorte que soient sécurisés tous les bureaux de vote. La Guinée ne peut pas se développer sans la paix, la sécurité et l’unité », a-t-il poursuivi, avant d’interpeller ses adversaires : « Nous appelons tous les candidats à éviter la violence. Si certains veulent perturber, je pense que l’opinion nationale et internationale sera largement informée. Nous, nous souhaitons que le peuple de Guinée puisse exprimer librement son choix, sans aucune interférence ».

Confiant, Cellou Dalein Diallo appelle ses partisans à la retenue

Son principal opposant, le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Cellou Dalein Diallo, a voté peu avant midi à Dixinn, non loin de son domicile, accompagné de son épouse Halimatou Dalein Diallo.

L'opposant Cellou Dalein Diallo vote à Conakry, le 18 octobre 2020.
L'opposant Cellou Dalein Diallo vote à Conakry, le 18 octobre 2020. © Sadak Souici/AP/Sipa

Au sortir du bureau de vote, l’opposant s’est exprimé face à la presse. « Je vote avec beaucoup de confiance, compte tenu de l’accueil chaleureux qu’a bénéficié ma délégation durant la campagne électorale à l’intérieur du pays, surtout lors de mon retour à Conakry, a jugé Cellou Dalein Diallo lors d’une courte allocution. La population est déterminée à provoquer l’alternance en ma faveur. Il n’y a pas de doute, même dans le camp d’en face, quant à ma victoire ».

Il a assuré n’avoir noté aucun incident d’envergure, mais a toutefois affirmé que les représentants de l’UFDG n’ont pas pu accéder à plusieurs bureaux de vote à Kankan et à Kouroussa. « Je lance un appel à tous mes partisans à la retenue et à la responsabilité afin que ce scrutin se passe dans les meilleures conditions, a insisté Cellou Dalein Diallo. Je ne souhaite pas que des violences viennent perturber le scrutin et compromettre dans une certaine mesure ma victoire. »

Des incidents mineurs

Dans une déclaration publiée en début d’après-midi, le ministère de la Sécurité et de la protection civile a pour sa part relevé quelques incidents mineurs au cours de la journée, notamment l’attaque d’un véhicule de l’Unité spéciale de sécurisation des élections (Ussel) dans la Commune de Matoto. L’un des assaillants a été interpelé. Le communiqué évoque également des tirs entendus dans la matinée dans le quartier de Hamdallaye, à Ratoma, l’une des cinq communes de Conakry. Il s’agirait de tirs de sommation de la police face à « un groupe de bandits ».   

Le Conseil national des organisations de la société civile a pour sa part dénombré quelques anomalies à l’intérieur du pays, pointant notamment le fait que des représentants des partis des candidats en lice n’avaient pas été admis dans plusieurs bureaux de vote dans les villes de Koundara, Siguiri ou encore Nzérékoré.

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PROCLAMER LES RÉSULTATS AVANT LA CENI, C’EST CRÉER LES CONDITIONS D’UNE SITUATION QU’ON NE PEUT PAS CONTRÔLER

Des électeurs se sont aussi plaints par endroit de n’avoir pas obtenu leurs cartes en temps et en heure. Ce fut le cas de Makalé Camara, l’une des deux femmes candidates à cette présidentielle, qui n’a pas pu voter : la présidente du Front pour l’alliance nationale (FAN) s’est en effet présentée dans son bureau de vote avec une ancienne carte.

« J’ai appelé le président de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante, ndlr) pour lui expliqué que l’on m’avait empêché de voter, n’ayant pas ma nouvelle carte d’électeur. Il m’a dit que je fais partie des personnes radiées du fichier électoral », explique Makalé Camara. « Je lui ai répondu qu’ils n’ont pas radié la bonne personne, puisqu’il y a des mineurs et des gens sans documents qui sont dans ce fichier. »

Des résultats connus dans plusieurs jours

À l’issue de la journée de vote, une fois les opérations de dépouillement terminées dans les bureaux de vote, les procès-verbaux de résultats sont centralisés dans les Commissions administratives de centralisation des votes (CACV). La loi électorale guinéenne prévoit ensuite que les résultats soient proclamés dans un délai de 72 heures à compter du dernier procès-verbal réceptionné.

Dimanche soir, lors d’un point presse à la primature, le Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, qui est également le directeur de campagne d’Alpha Condé, a appelé les candidats et les états-majors des partis à se conformer à cette règle. « Proclamer les résultats avant la Ceni, c’est créer les conditions d’une situation qu’on ne peut pas contrôler », a-t-il mis en garde.

Présidentielle en Guinée: deux campagnes, deux styles pour les favoris

Supporter de l'opposition, à Conakry, en Guinée, le 14 octobre 2020 (image d'illustration).
Supporter de l'opposition, à Conakry, en Guinée, le 14 octobre 2020 (image d'illustration). JOHN WESSELS / AFP
Texte par :RFISuivre
4 mn

Alors qu’approche l’élection présidentielle guinéenne du 18 octobre, les douze candidats continuent de battre campagne, à l’image des deux favoris, le président sortant Alpha Condé et son principal opposant Cellou Dalein Diallo.

Douze candidats et chacun a sa méthode. Exemple en Haute-Guinée, fief du président sortant Alpha Condé. Là-bas, ses militants ont mené pour l’essentiel des campagnes de proximité.

Alpha Kabinet Camara entre dans chaque concession du quartier Dalako, rapporte notre envoyée spéciale à KankanBineta Diagne. Ce militant du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) veut d’abord savoir si les habitants ont retiré leur carte d’électeur.

►À lire aussi : Présidentielle en Guinée : un match entre deux hommes

Puis Alpha Camara déplie un modèle de bulletin de vote et indique comment choisir son candidat. Pas un mot sur le programme du parti. Les échanges sont plutôt brefs. « On leur conseille d’aller voter et de voter de façon utile, d’essayer d’éviter le bulletin nul, de ne pas déchirer. On veut que chacun vote normalement. », explique-t-il.

À quelques encablures, Doumboya Nasso Condé prépare des sachets de jus de bouye qu’elle vend tant bien que mal au marché : sans électricité, elle perd énormément de produits. Malgré cela, cette mère de famille reste une inconditionnelle du parti au pouvoir. « Le problème du courant, Alpha Condé a promis à la Guinée et à Kankan de le régler. Mais quand on est président, on ne peut pas tout réaliser, concède-t-elle. Donc on est quand même derrière lui. »

Le directoire de campagne du RPG affirme avoir déployé près de 500 rabatteurs dans la région de Kankan. Selon ses estimations, une grande majorité des cartes d’électeurs a déjà été retirées, à quelques jours du scrutin. 

Déferlante verte et blanche à Conakry

Des militants à perte de vue. À Conakry, les militants de Cellou Dalein Diallo ont envahi les rues jeudi, à trois jours du scrutin de dimanche. Le principal opposant a fait son retour dans la capitale au terme de sa tournée dans l’intérieur du pays. Pour marquer l’événement, il a décidé de traverser la capitale, drainant une foule impressionnante.

 

Depuis le carrefour de Sangoyah, en haute banlieue de Conakry, la foule est verte et blanche, les couleurs de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), très jeune aussi, avec une attente en particulier : l’emploi, souligne notre correspondant à Conakry. « Il va créer l’emploi des jeunes et régler beaucoup de problèmes. Il va ordonner la Guinée ! » s’enthousiasme Mamadou Saliou Barry, militant UFDG.

« Il doit faire beaucoup de choses pour les jeunes contre la migration, il doit créer beaucoup d’entreprises pour que la Guinée marche », attend Kadiatou Diallo, militante UFDG. Du toit ouvrant de son véhicule, le président de l’UFDG désigne la montre à son poignet : « Il est temps », c’est son slogan.

►À écouter aussi : Présidentielle en Guinée : sur la route des promesses

Ses militants dénoncent le bilan de l’actuel président, candidat pour un troisième mandat. « Le peuple est divisé. Il y a la dégradation de la nature, les routes sont dégradées, le pays est sale, la capitale est sale », se désole un militant. « C’est l’homme de la situation, il doit gérer », y croit une militante.

Cellou Dalein Diallo n’arrivera que tard dans la soirée à son domicile, sans faire de discours. Un meeting du RPG, le parti au pouvoir, est prévu ce vendredi à Conakry.

OMC : qui sont les soutiens africains de Ngozi Okonjo-Iweala ?

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Mis à jour le 16 octobre 2020 à 17h40

Ngozi Okonjo-Iweala, alors ministre de l'Économie et des Finances. Au Forum sur le partenariat entre l'Afrique et la France à Bercy le 06 février 2015.

Ngozi Okonjo-Iweala, alors ministre de l'Économie et des Finances. Au Forum sur le partenariat entre l'Afrique et la France
à Bercy le 06 février 2015. © Bruno Levy pour JA

Si la Nigériane peut compter depuis la première heure sur l’appui de son président, Muhammadu Buhari, pour décrocher la direction de l’Organisation mondiale du commerce, elle a dû attendre le 15 octobre pour avoir la bénédiction de l’Union africaine.

Plus de quatre mois après le démarrage du processus de désignation du prochain directeur-général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Union africaine (UA) a enfin apporté, le 15 octobre, son soutien officiel à Ngozi Okonjo-Iweala, finaliste face à la Sud-coréenne Yoo Myung-hee, pour succéder au Brésilien Roberto Azevedo, démissionnaire en mai.

Jusqu’alors, l’organisation panafricaine s’était refusée à prendre position, même si son président en exercice, le Sud-Africain Cyril Ramaphosa, avait déjà annoncé supporter à titre personnel la candidature de la Nigériane début septembre.

À cette époque, et contrairement au souhait affirmé dès juillet 2019 par l’UA de se ranger derrière une candidature unique, trois Africains étaient encore en lice. L’Égyptien Abdel Hamid Mamdouh a dû quitter la course dès le 18 septembre, suivi le 8 octobre par la Kényane Amina Mohamed, recalée au deuxième round.

Le Nigeria en première ligne

Le long mode de sélection mis en place par l’OMC a donc, au final, facilité la tâche de l’UA qui semble avoir laissé Genève choisir pour elle.

Le communiqué publié le 15 octobre par la Délégation permanente de l’UA en Suisse est une bonne nouvelle supplémentaire pour l’ancienne ministre des Finances du Nigéria qui, à quelques semaines d’un résultat attendu pour être révélé entre le 27 octobre et le 7 novembre, peut compter sur de nombreux soutiens, en Afrique et en dehors.

Son tout premier supporter reste le président nigérianMuhammadu Buhari, qui a lui-même convaincu, dès le mois de juin, Ngozi Okonjo-Iweala de se lancer dans la course. Il a rapidement été suivi par l’ensemble du personnel politique du pays, ainsi que par les patrons nigérians regroupés au sein d’Organised Private Sector of Nigeria (OPSN), derrière le premier d’entre eux, le milliardaire Aliko Dangote.

Cedeao, UE…

L’ex-présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf a déclaré sa flamme en juillet, pratiquement en même temps que l’ensemble des pays membres de la Cedeao, avant que l’organisation ne s’exprime à son tour, en septembre.

Hors d’Afrique, la Nigériane a reçu au fil des semaines les soutiens de l’Union européenne ainsi que de plusieurs anciens chefs de gouvernement, dans la foulée de l’Anglais Gordon Brown ou de la Néo-zélandaise Helen Clark, également ex-administratrice du Pnud de 2009 à 2017.

Ngozi Okonjo-Iweala vient également de recevoir le soutien des 79 pays-membres de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP), par la voix de son secrétaire-général, l’Angolais Georges Rebelo Pinto Chikoti. Suffisant peut-être pour devancer sa rivale à l’heure des comptes.

Franc CFA : ce qu’il faut retenir du rapport offensif du Sénat français

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Mis à jour le 15 octobre 2020 à 16h55
Franc CFA

Des montants versés par Paris aux Banques centrales africaines aux limites des réformes annoncées à la fin de 2019, la Chambre haute française a publié une étude décomplexée sur la « réalité » du système CFA. L’analyse de Jeune Afrique.

Enregistré fin septembre à la présidence de la Chambre haute, le rapport d’information codirigé par les sénateurs Nathalie Goulet (Union centriste, Orne) et Victorin Lurel (Parti socialiste, Guadeloupe) vise à « dresser un véritable état des lieux et un bilan de la zone Franc ».

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LES SÉNATEURS CONTESTENT LES « CARICATURES »

Sans partager le constat sans nuance de leur collègue Gérard Longuet (Les Républicains, Meuse), pour qui « le franc CFA souffre de sa dénomination, mais, pour le reste, il est parfait », la parlementaire centriste et son homologue socialiste dressent un bilan particulièrement positif quant aux vertus du système monétaire.

S’ils relèvent plusieurs points d’incertitude concernant la situation actuelle et le futur de la zone Franc, ils contestent les « caricatures » et s’étonnent du « décalage entre ce qui n’est finalement qu’une petite ligne du budget en France » et « ce sujet énorme et très symbolique en Afrique ». Cela suffira-t-il à convaincre les contempteurs du franc CFA ? Pas sûr.

Plus de 100 millions d’euros versés aux Banques centrales de la zone Franc

« Non, l’obligation de détenir une partie des réserves sur un compte d’opérations auprès du Trésor ne constitue pas une taxe sur les pays de la zone Franc et ne sert pas à financer la dette française au détriment du développement des économies locales ». Tel est le premier des dix « constats » au cœur du rapport Goulet-Lurel [PDF], censé répondre à l’une des critiques récurrentes faites aux accords monétaires entre Paris et les pays africains de la zone CFA.

Les deux sénateurs rappellent que ces sommes déposées au Trésor demeurent « librement accessibles » aux autorités monétaires de la BCEAO, de la BEAC et de la Banque centrale des Comores (BCC).

Le niveau d’obligation de dépôts des avoirs extérieurs est loin de faire consensus

Par ailleurs, ces derniers relèvent que ces placements sont rémunérés à des taux supérieurs aux cours en vigueur sur les marchés européens (0,75 % pour la BCEAO et la BEAC, 2,5 % pour la BCC contre « -0,40 % voire –0,50 % » pour des placements similaires).

Ainsi, Paris aurait versé « versé 54,8 millions d’euros aux Banques centrales africaines de la zone Franc en 2018 et 62,6 millions d’euros en 2019 », relève le rapport sénatorial.

Il faut cependant noter, comme le concèdent les auteurs du rapport, que le niveau d’obligation de dépôts des avoirs extérieurs est loin de faire consensus. Le taux de dépôt obligatoire de 50 % pour la BCEAO (auquel est censé mettre fin la réforme Ouattara-Macron de décembre 2019) et la BEAC (65 % pour les Comores) pourrait être ramené à 30 % ou 20 % selon des propositions d’économistes cités dans le rapport du Sénat.

Des nombreuses « vertus » du système…

Dans leur étude, les sénateurs français reviennent longuement sur les « vertus » du système CFA, d’ailleurs abondamment mises en avant par d’autres défenseurs de cette monnaie. Ces dernières iraient ainsi de la stabilité des prix (nécessaire pour empêcher les spirales inflationnistes) à la garantie de convertibilité (une protection selon eux contre la « spéculation monétaire »).

Les sénateurs contestent ardemment la notion de « tutelle » qu’exerceraient les autorités françaises sur les institutions monétaires africaines, rappelant que Paris n’était pas représenté au sein des instances politiques. Et estiment, enfin, qu’il n’existe aucun lien démontré entre le régime du franc CFA et le rythme de développement et de croissance des pays africains de la zone.

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IL FAUT RECONNAÎTRE QUE LA FRANCE A PERDU LA BATAILLE DE L’IMAGE

Le rapport souligne les nombreux manquements accumulés par les autorités françaises au fil des années quant à l’importance que le débat autour du franc CFA prenait en Afrique. Parmi les suggestions ignorées : les recommandations émises par la BCEAO dans la foulée de la dévaluation de 1994, afin de moderniser des accords de coopération monétaires qui n’avaient pas été actualisés depuis les années 1970.

« Il faut reconnaître que la France a perdu la bataille de l’image et que l’affirmation de la dimension identitaire s’effectue à ses dépens », a affirmé Victorin Lurel, durant l’examen du rapport, le 30 septembre, par la Commission des Finances.

Et de ses zones d’ombre

Pour les auteurs du rapport, il est nécessaire dès lors pour les représentants français de ne pas « répéter cette erreur sur la réforme » annoncée fin 2020 et qui doit encore être approuvée par le Parlement français.

Pour autant, les sénateurs n’ont pas manqué de soulever plusieurs zones d’ombre.

Parmi elles : le sort du franc CFA en Afrique centrale. Ils recommandent ainsi d’engager « une réflexion sur les bénéfices économiques que pourrait apporter un découplage des taux de parité du franc CFA d’Afrique de l’Ouest et du franc CFA d’Afrique centrale avec l’euro ». En effet, selon leur analyse, ces deux monnaies « ne sont pas librement convertibles entre elles mais leur parité est identique, alors même que les caractéristiques économiques de ces deux zones monétaires sont différentes ».

Une analyse encore trop franco-française

Les travaux de plusieurs économistes et chercheurs africains ont été cités dans le rapport de la Commission des finances. Parmi eux : Ahmadou Aly Mbaye de l’Université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar et Désiré Avom de l’Université Avom de Dschang (Cameroun). Pour autant, des treize personnalités auditionnées (dont l’ex-directeur du FMI, Dominique Strauss-Kahn) par les sénateurs français, une seule a occupé des fonctions importantes sur le continent : l’économiste togolais Kako Nubukpo.

Au demeurant, hormis les Italiens Mario Giro (ancien vice-ministre des Affaires étrangères) et Massimo Amato (économiste à l’Université Bocconi de Milan), les autres personnes entendues pour ce rapport appartiennent aux sphères académiques et financières (Banque de France et direction générale du Trésor) françaises.

Si les restrictions imposées par le Covid-19 ont sans doute perturbé le travail des parlementaires français, une place plus large accordée aux voix africaines aurait peut-être permis d’éviter certaines appréciations imprécises concernant la réalité de la contestation du franc CFA.

« Dans l’appréciation des mouvements de contestation, les rapporteurs appellent en outre à la prudence : bien que les manifestations soient très médiatisées, il ne faut pas en surévaluer l’importance. Elles ne rassemblent souvent pas plus de quelques centaines de personnes, dans des secteurs très localisés (cercles d’activistes, grandes villes) », affirment les auteurs de l’étude parlementaire.

Si la contestation du système monétaire CFA n’avait concerné qu’une poignée d’activistes « très localisés », le Sénat aurait-il vraiment consacré un rapport à cette monnaie ?