Justice et Paix

" Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de ces peuples l'honneur, la liberté, la dignité. " (Cardinal Lavigerie, Conférence sur l'esclavage africain, Rome, église du Gesù)

 

NOS ENGAGEMENTS POUR LA JUSTICE T LA PAIX
S'EXPRIMENT DE DIFFÉRENTES MANIÈRES :

En vivant proches des pauvres, partageant leur vie.
Dans les lieux de fractures sociales où la dignité n'est pas respectée.
Dans les communautés de base où chaque personne est responsable et travaille pour le bien commun.
Dans les forums internationaux pour que les décisions prises ne laissent personne en marge.

Dans cette rubrique, nous aborderons différents engagements des Missionnaires d'Afrique, en particulier notre présence auprès des enfants de la rue à Ouagadougou et la défense du monde paysan.

 

À la Une: Paris et Bamako au bord de la rupture…

« Ce n’est plus une brouille, ce sont les signes annonciateurs d’un divorce, s’exclament Les Dernières Nouvelles d’Alsace. Après une semaine d’invectives et de piques entre Paris et Bamako, la décision hier d’expulsion de l’ambassadeur de France par la junte malienne, au pouvoir depuis 2020, n’est qu’une demi-surprise. »

Pour le quotidien alsacien, « le rejet de Paris est aujourd’hui tel que la rupture est proche. D’autant que la Russie attise les braises et offre une solution de repli à ces régimes autoritaires qu’elle encourage, en grande partie parce qu’ils rejettent cette démocratie dont Poutine ne veut pas chez lui. Et puis aussi parce qu’elle a trouvé là le moyen de peser encore un peu plus dans les affaires du monde. On ne peut ainsi comprendre la radicalisation de la junte malienne si on n’inclut pas dans le jeu Moscou, qui déploie déjà mercenaires et militaires sur le terrain. Prêt à devenir le nouveau parrain de ce monde en recomposition. »

La montée en puissance de Wagner

En effet, « le rôle de la Russie est loin d’être négligeable, pointe La Charente Libre. Déjà actif en Syrie, en Libye et en Centrafrique, le groupe de paramilitaires Wagner fondé par un proche de Poutine ne cesse depuis décembre dernier de monter en puissance au Mali avec près d’un millier d’hommes déjà sur le terrain. Le dernier coup d’État militaire au Burkina Faso fragilise encore un dispositif français dans une Afrique de l’Ouest nourrie par des bataillons de trolls et d’activistes anti-français. Aujourd’hui encore un retrait total du Sahel qui laisserait le champ libre aux juntes, à Wagner et aux djihadistes semble hors de propos. Jusqu’à la faillite annoncée de Takuba ou une nouvelle irresponsabilité malienne qui ne laisserait d’autre choix que partir ? » 

Vers une « bascule » ?

« Partir ou rester ? Pour Paris, la question ne se pose pas tout à fait en ces termes, estime pour sa part Le Figaro. Alors qu’al-Qaïda et les groupes djihadistes font toujours peser une menace directe sur les intérêts français dans la région, l’engagement français au Sahel va se poursuivre. Mais le modèle d’intervention actuel, qui a atteint ses limites car il est jugé trop visible et trop intrusif par les pays africains, va être adapté. Nouvelle phase dans la dégradation des relations, l’expulsion de l’ambassadeur va sans doute contraindre la France, qui a déjà quitté ses trois bases les plus au nord, à hâter 'la bascule', c’est-à-dire la transformation de Barkhane en un modèle plus léger, pour poursuivre la lutte antiterroriste dans la région. »

Le scandale des maisons de retraite Orpea

À la Une, également, cette question : comment être sûr qu’il sera bien traité ? Question récurrente, question angoissante lorsque les familles se voient dans l’obligation de placer en maison de retraite un parent proche. Question à la Une de La Croix. Une semaine après la publication du livre choc, Les Fossoyeurs, qui révèle des pratiques indignes au sein du groupe Orpea, l’un des leaders mondiaux des maisons de retraites privées, les familles sont désemparées, relève le quotidien catholique : « les révélations sur les cadences intenables, les mauvais soins ou les économies sur le matériel rendent encore plus difficile la décision de confier leur proche. »

« Ce mardi, pointe Libération, le directeur général France d’Orpea, Jean-Christophe Romersi, sera reçu par la secrétaire d’État chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, pour des explications préliminaires. Ce sont en réalité les actionnaires qu’il faudrait cibler, estime le journal, entre autres en coupant court à la discrimination des établissements publics de ce marché fort lucratif : les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes à but lucratif ne représentent que 20% des 7.500 maisons de retraite recensées sur le territoire, mais ils engrangent 100% des bénéfices. C’est ainsi que les principaux acteurs privés du secteur ont dégagé près de 330 millions d’euros de bénéfice net l’an dernier. Face à la demande croissante, ils ont profité de la décentralisation de la tutelle sur leurs établissements, et d’une niche fiscale créée en 2009 sous Nicolas Sarkozy, permettant de classifier les investissements dans des chambres d’Ehpad privés comme un produit de défiscalisation. Il est temps, conclut Libération, de mettre un terme à cette bassesse. Vieillir n’est pas un choix ; ne rien faire face à la maltraitance de tant de nos ainés le serait. »

Mali: quel avenir pour la force antiterroriste Takuba ?

 

Après le départ du contingent danois, annoncé jeudi 27 janvier, sur instance des autorités maliennes de transition, et après l’escalade verbale de ces derniers jours entre les dirigeants maliens, français et européens, quel avenir pour cette force antiterroriste Takuba ? 

Une réunion a eu lieu vendredi matin rassemblant par visioconférence les ministres de la Défense et des Armées des pays contributeurs de Takuba. L’ordre du jour peut se résumer par cette simple question : comment continuer dans ces conditions ?

Alors aucune annonce, pas même de communiqué, à l’issue de cette réunion, mais selon un conseiller de la ministre française des Armées, Florence Parly, il s’agissait de poursuivre le cycle de concertation initié ces derniers jours. Une dizaine d’échanges téléphoniques bilatéraux puis cette réunion donc, qui a rassemblé la quinzaine de pays qui participent à cette force européenne : la France, qui en est le leader, le Danemark, qui vient de rapatrier ses soldats, mais aussi l’Estonie, la République tchèque, l’Italie, la Belgique et d'autres.

La force Takuba, ce sont environ 800 hommes, à ce jour, essentiellement des forces spéciales envoyées par ces pays européens dans la zone des trois frontières, Mali-Burkina-Niger, où sévissent notamment le Groupe État islamique et le GSIM lié à al-Qaïda. 

Un contexte qui se tend

À ce stade, le ministère des Armées explique que la position commune est de poursuivre la lutte antiterroriste au Sahel. Mais sous quelle forme ? Le dispositif actuel, articulé autour de la force française Barkhane, peut-il être maintenu ? C’est la réflexion en cours et l’idée était ce matin de recueillir les positions de chaque pays contributeur en vue d’une décision collective.

Ces derniers jours, un niveau de tension jamais égalé a été atteint. Cela fait déjà des mois que les dirigeants français et maliens s’échangent des amabilités, mais à présent d’autres pays sont impliqués. Le Mali veut revoir ses accords de coopération militaire avec la France, des propositions d’amendements ont été soumis au Quai d’Orsay, le 31 décembre.

À présent, c’est avec l’ensemble des pays impliqués dans Takuba que le Mali veut passer de nouveaux accords bilatéraux. C’est d’ailleurs le nœud de l’épisode du contingent danois. Lundi, les autorités maliennes de transition ont affirmé que les forces spéciales danoises avaient débarqué à Ménaka, dans le nord du Mali, sans leur consentement. Il en a découlé un jeu de communiqués successifs, du Mali, du Danemark, de l’ensemble des pays contributeurs de Takuba : la conclusion, c’est que l’invitation initiale du gouvernement malien ne suffit plus, que le statut des forces déployées au sein de Takuba, le même que celui de la force Barkhane, ne suffit plus non plus.

Une escalade verbale qui continue

L’objectif de Bamako est en fait de reprendre la main sur la présence militaire étrangère sur son sol, de mieux contrôler « qui fait quoi ». C’est une question de souveraineté nationale. Un principe que les alliés militaires du Mali ne contestent pas, mais l’épisode en question est vécu comme une provocation et même comme une humiliation : le ministre des Affaires étrangères du Danemark a dit « nous ne sommes pas les bienvenus au Mali, nous ne l’acceptons pas ».

Et il a décidé de faire rentrer au pays des soldats qui venaient à peine d’arriver, et qui devaient contribuer à la lutte contre les groupes terroristes. La veille, le Premier ministre malien Choguel Maïga avait posé la question, dans les médias maliens : « ne sont-ils pas là pour préparer quelque chose dans notre pays » ? Après quoi le chef de la diplomatie danoise a dénoncé « le jeu sale » des autorités maliennes…

Il y a aussi eu, bien sûr, les propos de Jean-Yves le Drian sur « la fuite en avant d’une junte illégitime qui refuse le suffrage universel ». Et la réponse de son homologue malien Abdoulaye Diop, qui dénonce des propos « inacceptables [...] emprunts de mépris », et demande que la France « respecte le Mali en tant que pays ». Donc l’escalade verbale se poursuit.

Les autorités nient toujours la présence du groupe Wagner

Le Mali est aussi engagé dans un bras de fer avec les pays ouest-africains de la Cédéao sur l’organisation de ses élections. Tout cela sur fond de polémique autour de la présence de mercenaires russes du groupe Wagner au Mali. Les pays occidentaux affirment qu’ils sont plusieurs centaines déjà déployés au Mali. Bamako dément catégoriquement et dénonce une campagne de dénigrement du Mali.

Officiellement, que ce soit les Maliens, les Français, les Européens, tout le monde assure vouloir maintenir le dialogue et la coopération, notamment en matière de lutte antiterroriste. Mais tout le monde s’invective, et finalement, c'est un peu à qui se sent le plus offensé par l’autre.

Dans ces conditions, une réadaptation des dispositifs, pour le dire pudiquement, semble inéluctable. Mais laquelle, et dans quelles conditions, c’est tout ce qui est en train de se jouer en ce moment.

Après le coup d'État, la Cédéao suspend le Burkina Faso de ses instances

 

Après le coup d’État de lundi au Burkina Faso, les chefs d’État de la Cédéao se sont réunis ce vendredi en sommet extraordinaire. L’organisation a suspendu le pays de ses instances, demandé la libération du président Kaboré ainsi que des autres responsables arrêtés.  

Comme pour le Mali et la Guinée, le Burkina Faso est à son tour suspendu de toutes les instances de la Cédéao. Une sorte de passage obligé de l’organisation sous-régionale après tout coup d'État, qui veut toutefois rester « prudente et ne pas se précipiter », confie un participant au sommet.

« Il s'agit d'une rupture de l'ordre constitutionnel et dans ce cas de figure, nous avons notre protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance », indique Jean-Claude Kassi Brou, le président de la commission de la Cédéao. Ce protocole, rappelle-t-il, comprend trois dispositions majeures : toute accession au pouvoir doit se faire par des élections démocratiques ; toute prise de pouvoir antidémocratique est interdite ; l'armée est apolitique et républicaine.

Privilégier le dialogue

En suspendant le Burkina Faso de toutes ses instances, la Cédéao assure le service minimum. Pas de sanctions économiques ou ciblées pour l'instant donc, même si la question a été débattue durant le sommet. Selon un participant, certains pays souhaitent en effet que le principe de sanctions plus fermes soit inscrit noir sur blanc dans la charte de la Cédéao, en cas de renversement des institutions par la force.

La Cédéao a donc choisi de privilégier le dialogue. Ce samedi, des chefs d'état-major se rendront à Ouagadougou pour entamer le dialogue avec la junte. « Les putschistes ont justifié leur action par le niveau d'insécurité, nos officiers auront donc aussi pour mission d'évaluer la situation du pays », indique une bonne source. S'ensuivra l'arrivée d'une mission politique lundi avec une délégation de ministres ouest-africains attendue à Ouagadougou. Le résultat de ces deux déplacements de hauts niveaux sera étudié lors d’un nouveau sommet extraordinaire de la Cédéao, qui se tiendra jeudi à Accra.

L'organisation sous-régionale va aussi chercher à éclaircir des zones d'ombre. Notamment évaluer le degré de ralliement des forces armées au putsch. « On sait que certains se sont ralliés aux mutins en traînant les pieds », confie un observateur.

►À écouter aussi : Témoins d'actu - Afrique de l'Ouest : pourquoi tant de coups d'État militaires ?

Les pays de la sous-région se veulent ainsi prudents et préfèrent ne pas griller les étapes. « L’organisation veut d’abord bien évaluer la situation, utiliser toute une panoplie d’autres mesures avant de prendre davantage de sanctions », confie un observateur. Bref, se donner quelques jours avant de choisir la main tendue ou le bras de fer.

Nous sommes à un virage capital de notre histoire où nous pouvons pour une fois élever ce changement.

Arouna Louré (Copa-BF): « Nous proposons une coalition entre militaires et civils»

Sanctions contre le Mali : la Cédéao tente de se justifier

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Manifestation place de l'Indépendance à Bamako, Mali, janvier 2022. Michele Cattani AFP/Archivos

 

Ce jeudi 27 janvier 2022, l’organisation sous-régionale a publié une longue note technique sur le Mali. Depuis qu’elle a imposé des sanctions économiques et financières au Mali, il y a presque trois semaines, la Cédéao essuie énormément de critiques.

Il y a eu ces manifestations monstres dans le pays, il y a deux semaines, mais aussi beaucoup de solidarité exprimée par les sociétés civiles des pays voisins d’Afrique de l’Ouest. Du coup, avec cette note, la Cédéao tente de se justifier.

« La Cédéao demande seulement aux autorités de la transition militaire de permettre aux Maliens de choisir eux-mêmes leurs dirigeants. » L’organisation sous-régionale tente de briser son image de club de chefs d’État et de prouver que c’est bien le respect de la volonté du peuple qu’elle essaie de défendre, en prônant l’organisation d’« élections démocratiques ».

Revenant en détail sur son accompagnement de la transition au Mali, la Cédéao rappelle avoir dès le premier coup d’État d’août 2020 engagé le dialogue avec les « autorités militaires » et accepté leur projet de mettre en place une transition civile de 18 mois

« Plus qu’un mandat présidentiel constitutionnel » 

« Malheureusement », déplore la Cédéao, avec le « nouveau coup d’État de mai dernier, les objectifs des nouvelles Autorités de la Transition Militaire ont radicalement changé », « celles-ci ne faisant plus du respect du calendrier électoral une priorité ». 

La Cédéao indique que la prolongation de la transition de cinq ans, puis de quatre ans, faite au début du mois par Bamako équivaudrait à « une durée totale de la transition de cinq ans et demi », « plus qu’un un mandat présidentiel constitutionnel normal au Mali et dans la Région ». 

Prétexte 

Les réformes que souhaitent mettre en place les autorités de transition sont qualifiées de « prétexte » : « les réformes sont nécessaires et indispensables », reconnait la Cédéao, mais « leur mise en œuvre participe d’un processus continu et permanent, conduit par les gouvernements successifs ». « Elles ne peuvent donc pas être un préalable pour l’organisation des élections. » Certaines d’entre elles nécessitent enfin, selon l’organisation ouest-africaine, d’« être engagées par des gouvernements légitimes issus d’un scrutin traduisant la volonté du peuple. » 

La sécurité « ne saurait être un argument » 

Bamako justifie également la prolongation de la transition par le contexte sécuritaire dégradé dans le pays, tout en mettant en avant les récents succès des forces nationales dans la lutte antiterroriste. Là encore, la Cédéao tente d’argumenter : « Le Niger, le Burkina Faso et le Nigeria, trois autres pays subissant des attaques terroristes, organisent régulièrement des élections », note l’organisation, qui estime que le contexte sécuritaire « ne saurait être un argument pour ne pas aller aux élections ».

« Cette posture des Autorités de la Transition Militaire laisse clairement entrevoir une volonté de se maintenir au pouvoir pendant une durée de plus de cinq ans », estime encore la Cédéao, qui regrette le peuple malien soit ainsi privé de « son droit légitime à désigner démocratiquement, de manière libre et transparente, ses dirigeants ». 

Sanctions 

Quant aux sanctions imposées au Mali, la Cédéao rappelle qu’elles peuvent être « allégées, voire supprimées » dès que les autorités de transition auront montré des avancées sur l’organisation des élections. « Les exceptions faites pour les produits de base et de grande consommation visent à épargner les populations », répète l’organisation ouest-africaine. 

Rien de neuf donc, mais une tentative inhabituelle et presque désespérée de regagner une opinion publique de plus en plus hostile.

Exclusif – Burkina Faso : l’histoire secrète du coup d’État fatal à Kaboré

Mis à jour le 27 janvier 2022 à 09:11
 

 

Roch Marc Christian Kaboré, le jour du premier Conseil des ministres du nouveau gouvernement mené par Lassina Zerbo, à Ouagadougou, le 15 décembre 2021. © Sophie Garcia / Hans Lucas / via AFP

 

Six ans après son élection, Roch Marc Christian Kaboré a été renversé en quelques heures, dimanche 23 janvier, par des militaires. JA vous livre le récit exclusif de ces heures qui ont vu le lieutenant-colonel Damiba s’emparer du pouvoir.

Il n’ignorait rien de la défiance d’une partie de l’armée à son égard. Ni des bruits, de plus en plus insistants, de coup d’État en gestation. Alors, quand le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré a été alerté, dimanche 23 janvier, à l’aube, que des tirs résonnaient au camp Sangoulé Lamizana, peut-être s’est-il dit qu’après le Malien Ibrahim Boubacar Keïta et le Guinéen Alpha Condé, son tour était venu.

Assez rapidement, la thèse d’une « simple mutinerie » est pourtant relayée par son entourage. Officiellement, ces tirs seraient ceux de soldats aux revendications multiples : plus de moyens et d’effectifs, plus de considération de la part des autorités politiques… tout sauf le départ de leur président. En réalité, le putsch tant redouté a bien débuté.

Damiba et ses hommes sous pression

Mûrement réfléchi et planifié, il est l’œuvre de jeunes officiers, parmi lesquels le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandoaga Damiba, commandant de la 3e région militaire, la plus grande du Burkina Faso, passablement remontés contre la gestion de la crise sécuritaire qui mine leur pays. Le 10 janvier, l’arrestation du lieutenant-colonel Zoungrana, qui était dans la promotion suivant celle de Damiba au Prytanée militaire de Kadiogo, accusé d’avoir voulu perpétrer un coup d’État, ne fera qu’accélérer les choses.

NOUS AVONS ENTAMÉ DES DISCUSSIONS AVEC LES MUTINS ET NOUS ESPÉRONS UN DÉNOUEMENT FAVORABLE

Plus que jamais, Damiba et ses camarades officiers se sentent sous pression. Ils étaient déjà en colère à cause de la mise à l’écart de certains des leurs, comme le lieutenant-colonel William Combary, le commandant du groupement mobile de Ouagadougou, après la crise d’Inata. La rumeur évoquant une liste de soldats, surnommés les « boys », que le pouvoir chercherait à écarter met le feu aux poudres. « Ironie de l’histoire, le prochain dans le viseur était le lieutenant-colonel Damiba », assure une source militaire.

Dans le plus grand secret, la décision est donc prise de passer à l’action. Dans la nuit du samedi 22 au dimanche 23 janvier, des éléments des unités Cobra (des forces spéciales de l’armée de terre) basées à Kamboinsé, en banlieue nord de Ouagadougou, prennent la direction du camp Sangoulé Lamizana. Ils y désarment la sentinelle et prennent rapidement le contrôle des lieux. En parallèle, des officiers de l’armée de l’air entrent dans la danse à la base aérienne qui jouxte l’aéroport de la capitale. Au régiment d’artillerie de Kaya aussi, des complices se révoltent.

KABORÉ MULTIPLIE LES COUPS DE FIL À SES HOMOLOGUES ÉTRANGERS : ALASSANE OUATTARA, MACKY SALL, MOHAMED BAZOUM, MAIS AUSSI EMMANUEL MACRON…

Ultimes tentatives de négociations

Pour le régime, l’alerte est (très) sérieuse. Au lieu d’aller à la messe avec son épouse puis de rester en famille chez lui, dans le quartier de la Patte-d’Oie, comme il en a l’habitude, le président passe son dimanche calfeutré dans la villa ministérielle proche du palais de Kosyam qui lui sert de second bureau. Il y multiplie les coups de fil. À certains ministres et hommes politiques. À des officiers. À ses homologues étrangers. Alassane Ouattara, Macky Sall, Mohamed Bazoum, mais aussi Emmanuel Macron.

Auprès de tous, il se veut rassurant : « Nous essayons de gérer la situation. Nous avons entamé des discussions avec les mutins et nous espérons un dénouement favorable. » Des tentatives de négociations ont lieu avec les putschistes, qui réclament la démission du gouvernement et la tête de plusieurs chefs de l’armée. Elles ne donnent rien.

En ville, la situation semble vaguement revenir à la normale. Les tirs deviennent de plus en plus sporadiques. Aucun mouvement de foule particulier n’est signalé. En milieu d’après-midi, vers 16h, le huitième de finale que jouent au Cameroun les Étalons lors de la Coupe d’Afrique des Nations constitue une sorte de trêve, donnant l’illusion d’un éphémère retour au calme. Malgré la pression croissante, le chef de l’État affiche une sérénité de façade et tente de rassurer comme il peut. Alors que les militaires sont en train de le menacer, il écrit deux tweets. L’un pour encourager les Étalons avant le coup d’envoi, l’autre pour les féliciter une fois leur qualification acquise.

Violente attaque

Après le match, Kaboré libère une partie de son protocole. La nuit est tombée. Un couvre-feu est décrété à 20h par le gouvernement. Ceux qu’on présentait encore dans la matinée comme des « mutins » passent à l’offensive. « Les négociations étaient une manière de gagner du temps. Nous voulions attendre la soirée pour passer à l’action », raconte l’un d’eux. Des putschistes commencent par encercler le palais de Kosyam. Ils passent les différents check-points sans grande difficulté – sans que soit pour l’instant établi formellement l’existence de complicités au sein du Groupement de sécurité et de protection républicaine (GSPR, composé de militaires, gendarmes et policiers), chargé de protéger la présidence. Ils cherchent le chef de l’État dans tout le secteur, font le tour des villas ministérielles avoisinantes.

 

soldats

 

Des putschistes près du siège de la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB), à Ouagadougou, le 24 janvier. © Vincent Bado/REUTERS

 

Kaboré est introuvable. Au même moment, d’autres soldats qui se sont ralliés à Damiba encerclent le domicile privé du président. Sa garde rapprochée décide de faire diversion en tentant de forcer le passage avec un convoi de véhicules. Deux 4×4 blindés sont criblés de balles. L’attaque est violente. Deux gendarmes de la sécurité présidentielle sont gravement blessés. L’un d’eux perd un doigt. « C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de morts. Cela pose question quant aux intentions des assaillants vis-à-vis du président et des membres de sa sécurité. Voulaient-ils des survivants ? », s’interroge une source sécuritaire.

Le chef de l’État, lui, parvient à être exfiltré par sa sécurité. Où est-il allé se réfugier ? Les mutins ont perdu sa trace. Certains évoquent une mise à l’abri au camp Paspanga, celui de la gendarmerie, en centre-ville. Mais c’est dans la base de l’Escadron de sécurité et d’intervention (ESI) de la gendarmerie, une unité spéciale dédiée à la protection des personnalités, située dans le quartier de Karpala, que Kaboré se cache.

Militaires contre gendarmes

Depuis qu’ils sont passés à l’acte, les putschistes se méfient de la réaction de la gendarmerie, réputée fidèle à Kaboré et que certains militaires lui reprochent de trop choyer. Au sein du GSPR, ce sont d’ailleurs des gendarmes qui composent sa sécurité rapprochée. Quant à l’Agence nationale du renseignement (ANR), elle est dirigée par un gendarme, un intime du chef de l’État, qui a longtemps été son aide de camp : le colonel François Ouédraogo.

SIGNE DES CRAINTES DES PUTSCHISTES VIS À VIS DES GENDARMES, DES HÉLICOPTÈRES SURVOLENT LE CAMP PASPANGA UNE BONNE PARTIE DE LA NUIT

Ces dernières semaines, ce personnage discret cristallisait les tensions au sein de l’armée, notamment parce qu’il souhaitait que son corps d’origine quitte le giron de l’état-major pour être placé directement sous la tutelle du ministre de la Défense. Dans la soirée, sa villa de fonction, à Ouaga 2000, est mitraillée par les putschistes.

Signe des craintes des putschistes vis à vis des gendarmes, des hélicoptères survolent le camp Paspanga une bonne partie de la nuit pour surveiller leurs éventuels mouvements. En coulisses, les tractations entre militaires ont démarré. Objectif du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandoaga Damiba : s’assurer que la gendarmerie ne s’opposera pas à la réussite du putsch.

14 hommes à la télévision

Lundi matin, l’affaire semble pliée. Le rapport de force a bien basculé en faveur des putschistes. La quasi-totalité de l’armée les a ralliés. Ils contrôlent le palais, les points stratégiques de Ouaga et ont positionné des blindés autour de la télévision nationale en vue de l’annonce de leur prise de pouvoir. Toujours en « lieu sûr » et sous la protection de sa sécurité rapprochée, selon ses proches, Roch Marc Christian Kaboré tente jusqu’au bout d’inverser la tendance. Peine perdue.

Il échange encore avec des homologues, dont Mohamed Bazoum. Des pistes de départ à l’étranger sont évoquées. Selon une source française haut placée, aucune extradition menée par Paris n’a été envisagée. « Kaboré ne nous a pas demandé d’aide, la question ne s’est donc pas posée », assure-t-elle. Le cardinal Philippe Ouédraogo, habitué des médiations lors des différentes crises qui ont secoué le Burkina Faso ces dernières années, est sollicité.

L’heure tourne. La confusion règne. Personne ne sait exactement ce qui se passe, ni où se trouve le président. La pression des putschistes est de plus en plus forte sur les derniers gendarmes qui l’entourent. Certains craignent un dénouement sanglant. Kaboré veut tout faire pour l’éviter. Après avoir obtenu des garanties de la part de Damiba pour lui et ses proches, en présence du cardinal Ouédraogo, il se résigne à quitter le pouvoir et signe sa lettre de démission. Le chef de l’État déchu est discrètement remis aux putschistes. Cette fois, le coup est bel et bien consommé.

QUATORZE HOMMES EN UNIFORMES SUR UN PLATEAU TV, REMAKE D’UNE SCÈNE DEVENUE BANALE EN AFRIQUE DE L’OUEST

Aux environs de 17h30, la RTB diffuse l’édition spéciale annoncée depuis des heures. À l’écran, les Burkinabè découvrent quatorze hommes en uniformes sur le plateau, remake d’une scène devenue banale en Afrique de l’Ouest ces dernières années. Le lieutenant-colonel Damiba n’est pas présent, c’est le capitaine  Sidaoré Kader Ouédraogo qui prend la parole. « Au regard de la dégradation de la situation sécuritaire et de l’incapacité manifeste du pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré à unir les Burkinabè pour faire face efficacement à la situation et suite à l’exaspération des différentes couches sociales de la nation, le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) a décidé d’assumer ses responsabilités devant l’Histoire. Le mouvement, qui regroupe toutes les composantes de forces de défense et de sécurité, a ainsi décidé de mettre fin au pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré ce 24 janvier 2022. »

De son côté, le désormais ex-président a été transféré dans une des villas ministérielles de Ouaga 2000. Il y est notamment accompagné par son médecin personnel, le docteur Évariste Dabiré. Selon un de ses intimes, il est bien traité, en bonne santé et a pu communiquer par téléphone avec plusieurs de ses proches. Son épouse, Sika Kaboré, qui avait été mise en sécurité depuis dimanche, a pu le rejoindre. Ce week-end, le couple devait célébrer le mariage de sa fille à Ouagadougou. Chez les Kaboré, la fête n’aura finalement pas lieu.