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Côte d’Ivoire : la réorganisation du dispositif militaire français au Sahel s’accélère

Par  - à Abidjan
Mis à jour le 11 février 2022 à 09:48
 

 

Le général Thierry Burkhard (à droite), chef d’état-major des armées françaises, est accueilli par le général Kouame Julien, chef d’état-major des armées de Côte d’Ivoire, le 7 février 2022. © SIA KAMBOU/AFP

 

Le chef d’état-major français a effectué, les 7 et 8 février, une visite en Côte d’Ivoire. Un déplacement hautement symbolique alors que les tensions entre Paris et Bamako pourraient entraîner le départ des soldats français présents au Mali depuis 2013.

S'il n’est pas encore officiellement acté, le départ des forces françaises engagées au Mali semble inéluctable. Il pourrait être annoncé prochainement, peut-être même avant le sommet réunissant les dirigeants de l’Union européenne et de l’Union africaine (UA) qui se tiendra les 17 et 18 février.

Malgré la fin annoncée de l’opération Barkhane, sur fond de tensions diplomatiques, la France entend conserver une présence significative dans la bande sahélo-saharienne. Le Niger doit ainsi devenir le nouveau centre de gravité des opérations antiterroristes. La ministre des Armées, Florence Parly, était d’ailleurs à Niamey, centre des opérations aériennes de l’armée française de la région, début février.

Réorganisation

« Le combat contre le terrorisme se poursuivra au Sahel, avec l’accord des autres pays de la région et en soutien des pays du golfe de Guinée », a récemment assuré le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian. Si rien n’est encore finalisé, une partie du dispositif pourrait être ainsi redéployée dans certains pays côtiers, comme la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

Membre de l’Initiative d’Accra, un mécanisme de collaboration sécuritaire rassemblant le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana et le Togo, Abidjan devrait jouer un rôle central dans cette reconfiguration. Les 7 et 8 février, le chef d’état-major français, Thierry Burkhard, y a effectué une visite hautement symbolique. Il a rencontré son homologue ivoirien, le général Lassina Doumbia, le ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, visité l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) de Jacqueville, l’école militaire préparatoire de Bingerville, et rendu visite aux forces française basées en Côte d’Ivoire (FFCI).

Quelques jours plus tôt, c’est Djimé Adoum, haut représentant de la Coalition pour le Sahel, qui s’était rendu à Abidjan pour évoquer avec le ministre ivoirien de la Défense la situation au Burkina Faso et la coordination entre le G5 Sahel et l’Initiative d’Accra.

Sentiment anti-français

« La visite du général Burkhard entre dans le cadre du processus de consultations que nous menons avec nos partenaires africains et européens pour repenser le dispositif », explique une source diplomatique française.

ABIDJAN SERA AMENÉ À JOUER UN RÔLE NOUVEAU

Depuis plusieurs jours, Florence Parly multiplie les réunions bilatérales avec ses homologues concernés. Selon nos sources, Emmanuel Macron s’est, de son côté, entretenu en visioconférence le 9 février avec plusieurs chefs d’État ouest-africains (l’Ivoirien Alassane Ouattara, le Sénégalais Macky Sall, le Nigérien Mohamed Bazoum et le Mauritanien Mohammed Ould Ghazouani).

« Comme NouakchottNiamey ou même Ouagadougou, Abidjan sera amené à jouer un rôle nouveau qu’il nous faut encore préciser. Mais le défi est de préserver les opinions publiques. Il faut que la volonté affichée vienne des pays africains sinon on risque de favoriser la montée du sentiment anti-français », poursuit notre source.

Lors de la visite du chef d’état-major français, ses interlocuteurs ivoiriens se sont dit prêts à intensifier leur participation à la lutte anti-terroriste. « On sait que l’on va devoir en faire plus et on compte sur Paris pour nous aider en matériel, transport et armement », précise un officiel ivoirien.

« Sous-marin »

La présence militaire française en Côte d’Ivoire se fond dans l’histoire du pays. Créé en 1978, le 43e bataillon d’infanterie de marine (43e BIMa) est l’ancêtre du 43e régiment d’infanterie coloniale (43e RIC) et du 43e régiment d’infanterie de marine (43e RIMa). Officiellement dissous en 2009, il fait aujourd’hui partie des Forces françaises en Côte d’Ivoire (FFCI).

À Abidjan, cette base militaire située à Port-Bouët, une commune d’Abidjan, fait désormais partie du paysage. Souvent comparé par les officiers français à un « un sous-marin » capable « de se déployer dans toute l’Afrique de l’Ouest en fonction des besoins », le camp FFCI, accueille 950 soldats, dont 84% sont en mission de courte durée (quatre mois), contre 500 en 2016. Sa capacité d’accueil est bien plus importante.

LA FRANCE SOUHAITE INTENSIFIER SA COOPÉRATION MILITAIRE AVEC LA CÔTE D’IVOIRE

Les FFCI sont régulièrement mobilisées pour acheminer équipements et marchandises débarquées au port d’Abidjan jusqu’aux bases de l’opération Barkhane, au Niger ou au Mali, faisant de la Côte d’Ivoire une base logistique pour l’opération Barkhane.

Le port d’Abidjan sera-t-il également mis à contribution en cas de retrait français au Mali ? Si un pont aérien est déjà prévu, l’état-major devra aussi rapatrier du matériel par voie terrestre. Problème, un convoi logistique parti d’Abidjan vers le Niger avait été bloqué au Burkina Faso pendant plusieurs semaines, fin novembre 2021, par des manifestants. « Face au risque d’un trajet mouvementé, la France préfèrera peut-être un transit via le Niger puis le Bénin vers le port de Cotonou », analyse un expert militaire français.

Étroite coopération

Au-delà des aspects logistiques, la France souhaite intensifier sa coopération militaire avec la Côte d’Ivoire, dont la frontière avec le Burkina est la cible de groupes jihadistes. À l’heure actuelle, une dizaine de coopérants sont présents au ministère de la Défense, à l’état-major des armées ou dans les écoles militaires ivoiriennes. Les autorités françaises sont aussi à l’origine de la naissance d’une école spécialisée dans la lutte contre le terrorisme, l’AILCT, inaugurée le 10 juin par le Premier ministre Patrick Achi et le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.

Le projet n’est pas encore totalement achevé, mais l’académie dispense plusieurs stages, en collaboration avec les ministères ivoiriens et français de la Défense, de l’Intérieur et de la Justice. L’AILCT comptera également un institut de recherches stratégiques sur le terrorisme afin de développer les travaux de chercheurs sur le sujet et promouvoir davantage qu’une approche « sécuritaire ».

Égypte: sur les traces d'Agatha Christie, entre réalité et fiction

 

Le film Mort sur le Nil sort ce mercredi 9 février au cinéma. Le réalisateur Kenneth Branagh signe un deuxième volet des aventures d’Hercule Poirot, cette fois-ci en Haute-Égypte, entre Louxor et Assouan. Reportage sur les traces d’Agatha Christie, auteure de l'œuvre originale.

De notre envoyé spécial à Assouan,

Des arcades andalouses, une terrasse dominant le Nil, un air de Belle Époque flotte dans l’air. Nous sommes au Old Cataract, joyau architectural de la fin du XIXe siècle. Le tsar Nicolas II, Winston Churchill, François Mitterrand… Depuis plus d’un siècle, les grands de ce monde aiment à se prélasser dans cet hôtel mythique d’Assouan, non loin de la frontière soudanaise. 

C’est ici que se déroule le début de Mort sur le Nil, le célèbre roman d’Agatha Christie. La romancière britannique y a séjourné en 1934. Mahmoud Sathi, le maître d’hôtel, raconte : « Hercule Poirot rencontre ses clients et ses amis, ici sur cette terrasse parce qu’après, ils vont partir pour voir le bateau Karnak, qui est nommé maintenant Sudan depuis ici. Donc on voit le port qui appartient à l’hôtel. »

Car c’est bien sûr le Karnak que se déroule l’intrigue principale, création romancée du Sudan. Un bateau vapeur grand luxe, propriété du roi Farouk, dont Agatha Christie a tiré le décor de son roman. Hercule Poirot et le lecteur y découvriront le corps sans vie de la richissime Linnet Ridgeway.
 

Égypte éternelle

Mais Amir Attia, le propriétaire du bateau, nous rassure : « Haha, jamais de mort sur le Sudan. Le seul mort était dans le livre d’Agatha Christie. C'est toujours le bonheur qu’il y a sur le Sudan, toujours la joie. Jamais de mort ! »

Totalement retapé, le Sudan fonctionne toujours à la vapeur. Ici tout n’est que boiseries noires, cuivres et lumière tamisée. Une invitation au voyage exceptionnelle pour Linda, une Américaine en vacances qui occupe la bien nommée « cabine Agatha Christie ». « C’est comme vivre dans le passé. C’est incroyable d’être aussi relaxée et de profiter autant. Le service, les serveurs, leurs uniformes d’époque… C’est comme être dans le film Mort sur le Nil », s’émerveille la touriste.

À la frontière de la réalité de la fiction, Mort sur le Nil raconte cette Égypte éternelle sur les écrans à partir du 9 février.

Sommet de l’UA : en coulisses, avec les chefs d’État

Par Jeune Afrique
Mis à jour le 8 février 2022 à 16:29
 

 

Faustin-Archange Touadéra et Abdoulaye Diop, en marge du sommet de l’UA, le 7 février. © GDongobada/Twitter

En marge du programme officiel, les grand-messes de l’Union africaine (UA) sont souvent le théâtre d’un intense lobbying. À Addis-Abeba, les 5 et 6 février, les réunions informelles se sont multipliées.

Mikhaïl Bogdanov, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, a profité de sa présence à Addis-Abeba pour pousser la candidature de Moscou à l’Exposition universelle de 2030. Il a ainsi multiplié les entretiens avec les chefs d’État : Ismaïl Omar Guelleh (Djibouti), Denis Sassou Nguesso (Congo), Faustin-Archange Touadéra (Centrafrique), Emmerson Mnangagwa (Zimbabwe), Mohamed Abdullahi Mohamed, dit « Farmajo » (Somalie), et Mohammed el-Menfi (président du Conseil présidentiel libyen).

Il a également évoqué ce sujet avec le ministre des Affaires étrangères égyptien, Sameh Choukri, dépêché sur place par Abdel Fattah al-Sissi. Le maréchal-président assistait quant à lui à l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, en présence notamment de Vladimir Poutine.

Coopération CPI-Afrique

Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) depuis juin 2021, Karim Khan n’avait pas encore fait connaissance avec les présidents du continent. Également invité par l’UA, il a pu se présenter et discuter coopération avec Félix Tshisekedi (RDC), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) et Mohamed Bazoum (Niger) – qu’il a notamment sondé sur la possibilité de juger les jihadistes devant la CPI. Il a également échangé avec Faustin-Archange Touadéra, alors que plusieurs dossiers d’ex-membres de la Séléka sont en cours de traitement à La Haye et que celui de Joseph Kony (toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt international) et de la LRA (Armée de résistance du Seigneur), dont la base arrière se situe en partie en Centrafrique, refait surface.

Karim Khan s’est entretenu par ailleurs avec le Premier ministre tchadien, Albert Pahimi Padacké, ainsi qu’avec le ministre rwandais des Affaires étrangères, Vincent Biruta, et son homologue sud-africaine, Naledi Pandor.

Zlecaf et infrastructures

À Addis-Abeba, les présidents africains ont quant à eux plaidé en faveur de leurs propres dossiers. Mohamed Bazoum a obtenu la tenue au Niger, du 20 au 25 novembre 2022, d’un sommet extraordinaire des chefs d’État africains sur l’industrialisation et la diversification économique. L’idée est aussi de rentabiliser les infrastructures de Niamey (Radisson Blu Hôtel et Centre international de conférences Mahatma Gandhi) que gère l’Agence nationale de l’économie des conférences, dirigée par le ministre conseiller à la présidence Mohamed Saidil Moctar. En vue d’organiser cet évènement, le président nigérien a échangé à Addis-Abeba avec les représentants de plusieurs organisations :  Vera Songwe, la secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique et Ibrahim Mayaki, le directeur exécutif du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).

Dans cette optique, Bazoum compte aussi sur la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), dont il a rencontré le secrétaire général, Wamkele Mene, à Niamey. Présent en tant qu’invité et président de sa fondation, Mahamadou Issoufou a d’ailleurs présenté un rapport sur l’état d’avancement de ce dossier, qui fut son sujet de prédilection à la fin de son mandat.

En parallèle de ses rencontres bilatérales avec ses homologues (Alassane Ouattara, Félix Tshisekedi…), Denis Sassou Nguesso a avancé ses pions en faveur du développement des infrastructures sous-régionales. Il en a notamment discuté avec Gilberto Verissimo, le président de la Commission de la CEEAC.

Transitions en quête de soutiens

Enfin, les représentants des transitions africaines ont tenté d’obtenir des soutiens. Albert Pahimi Padacké a ainsi veillé à rassurer les sceptiques et à expliquer le report au 10 mai du dialogue national, initialement prévu le 15 février. Il a réaffirmé que le président Mahamat Idriss Déby respecterait bien le calendrier pour l’organisation de la présidentielle.

Alors que le Mali a été lourdement sanctionné par la Cedeao, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, s’est bien sûr entretenu avec Shirley Ayorkor Botchwey, la cheffe de la diplomatie du Ghana – son président, Nana Akufo-Addo, préside l’organisation sous-régionale – mais aussi avec le Rwandais Vincent Biruta. Alors que Faure Essozimna Gnassingbé et Assimi Goïta entretiennent de très bonnes relations, il a échangé avec son homologue togolais, Robert Dussey. Enfin, Faustin Archange Touadéra a tenu à lui exprimer sa « solidarité ». Comme une preuve d’union sur le front russe.

Sénégal: une marée humaine reçoit les Lions de la Téranga après leur triomphe à la CAN

Les Lions de la Téranga de retour au Sénégal, lundi 7 février, au lendemain de leur victoire à la Coupe d'Afrique des Nations, face aux Égyptiens dimanche.

Les joueurs ont été accueillis par une véritable marée humaine à Dakar, lors d’une journée décrétée fériée par le président Macky Sall. Après de longues heures d'attente, les supporters ont pu les voir brandir la coupe en fin de journée, du haut d'un bus qui a sillonné la capitale une bonne partie de la nuit.

Avec notre correspondante à Dakar, Théa Ollivier

Chaque membre de la famille a son maillot de l’équipe nationale et les couleurs du sénégal peintes sur les joues : Adja Ndiaye est arrivée vers midi avec ses enfants et elle est ravie d’avoir pu apercevoir ses joueurs préférés. « Oui, je les ai vus avec la coupe ! C’était fatigant au début, mais là, ça vaut la peine, parce qu’on voit la coupe en direct et ça fait vraiment plaisir, et nous félicitons tous les joueurs d’avoir mouillé le maillot pour nous apporter la coupe », dit-elle.

Même s’il y a eu quelques échauffourées entre les supporters qui ont attendu des heures au soleil et les forces de l’ordre devant l’aéroport de Dakar, l’ambiance était plutôt à la fête. Léon Bass, lui, est arrivé à 8 heures du matin depuis Thiès, une ville à 70 kilomètres de Dakar :

« Il y a beaucoup de monde, là, avec les motos et les voitures. Vraiment c’est la joie, on est super contents, parce qu’on n’a pas reçu ce trophée depuis 1960. C’est le bonheur total : j’ai vu mon grand-père, mon père et ma mère pleurer de joie. Vraiment c’est beau. »

Reportage à Dakar de Babacar Fall.

Des milliers de Sénégalais sont sortis dans les rues, marchant parfois près de 30km

En groupes, des jeunes courent pour rejoindre la foule qui accompagne le bus des Lions. Malick Maniang est venu depuis les Parcelles assanies, un quartier périphérique de la capitale : « Je suis fier d’être Sénégalais ! J’habite au Sénégal, j’ai étudié au Sénégal, je vis pour le Sénégal. Je suis venu pour les voir ! »

Les supporters ont chaudement accueilli les Lions de la Téranga à leur retour de la CAN 2022

À l’arrivée des joueurs, le président Macky Sall les a chaudement félicités, avec un mot pour les joueurs, mais aussi pour leur entraîneur, Aliou Cissé. Mardi 8 février, dans l’après-midi, le président va recevoir les joueurs au Palais de la République pour recevoir l’Ordre national du Lion.

Le président sénégal Macky Sall a chaudement félicité les joueurs de l'équipe sénégalaise

 À lire aussi : CAN 2022: dix moments clés qui ont conduit au sacre du Sénégal

Burkina Faso : Roch Marc Christian Kaboré, un président lassé du pouvoi

Mis à jour le 7 février 2022 à 14:10
 

 

Roch Marc Christian Kaboré à Ouagadougou, le 15 décembre 2021 © Sophie Garcia/Hans Lucas

 

Usé par une situation sécuritaire qui le débordait, l’ancien chef de l’État a tenté en vain d’inverser la tendance. Avant d’être finalement emporté, le 24 janvier, par un putsch que beaucoup pressentaient.

Il n’imaginait pas finir ainsi, reclus dans une grande villa de Ouaga 2000. Il n’imaginait pas non plus que l’on oserait un jour mitrailler son convoi. Lors de cette nuit du 23 janvier durant laquelle tout a basculé, quatre gendarmes qui assuraient sa protection ont été grièvement blessés. L’un d’eux a même perdu l’usage de ses jambes. Que ce serait-il passé s’il avait été à bord de ce convoi ? Et surtout, qu’a-t-il fait pour que des militaires osent une telle transgression ? Ces questions, Roch Marc Christian Kaboré continue à se les poser.

Sa chute a été aussi rapide que brutale, mais sans doute l’ancien président éprouve-t-il une forme de soulagement. Celui, d’abord, d’avoir évité un bain de sang. Durant les 24 heures qui ont sonné le glas de son pouvoir, il a tout fait pour l’empêcher. Dans l’après-midi du 23 janvier, en opposant une fin de non-recevoir aux chefs militaires qui lui proposaient d’aller mater les putschistes. Puis, le 24 à la mi-journée, en acceptant de démissionner pour prévenir un affrontement entre ces derniers et sa garde rapprochée.

« Il n’en dormait plus la nuit »

Peut-être, aussi, une forme de soulagement d’en avoir fini avec la mission quasi-impossible qui lui incombait en tant que chef d’un État en train de sombrer. Car les membres de son premier cercle sont unanimes : ces derniers mois, Kaboré était fatigué, lassé, un peu à bout. « Il donnait parfois l’impression d’être dépité, presque pressé que tout ça se termine », glisse un de ses confidents. « Il était affecté par la situation sécuritaire. Il traversait des moments graves, avec des morts tous les jours et des centaines de milliers de déplacés. Forcément, tout cela lui pesait énormément », ajoute un autre. À l’en croire, Kaboré « n’en dormait plus la nuit ».

TOUT LE MONDE VOYAIT BIEN QUE QUELQUE CHOSE N’ALLAIT PAS. CELA SAUTAIT AUX YEUX

Au fil des mois à Kosyam, son imposante carrure avait fondue et son visage s’était émacié. Il avait certes suivi un régime alimentaire pour se maintenir en forme, mais beaucoup voyait dans cette importante perte de poids le signe d’un stress intense. ‘Tout le monde voyait bien que quelque chose n’allait pas, estime un de ses anciens ministres. Cela sautait aux yeux. » Pudique, l’intéressé encaissait sans se plaindre.

Pas grand-chose n’allait au Burkina Faso et Kaboré le savait. Ses innombrables interlocuteurs l’alertaient sans cesse sur tel ou tel problème. Y compris d’ailleurs sur les rivalités entre l’armée et la gendarmerie. Beaucoup de militaires estimaient qu’il avait trop d’égards pour la gendarmerie, laquelle avait la réputation de lui être fidèle. Depuis qu’il en avait fait l’influent directeur de l’Agence nationale des renseignements (ANR), son ancien aide de camp, le colonel de gendarmerie François Ouédraogo, était aussi la cible de nombreuses critiques au sein de l’armée.

Kaboré n’ignorait rien non plus des risques de coup d’État qui le guettaient. À la fin de l’année dernière, un officier en lequel il avait pleine confiance l’avait même mis en garde : « M. le Président, si vous ne limogez pas le général Gilbert Ouédraogo [le chef d’état-major général des armées] et le colonel François Ouédraogo, vous serez renversé par un putsch dès le mois de janvier. » Kaboré n’avait rien fait.

Certains surveillait de près les « boys », ces jeunes officiers qui avaient fait échouer le putsch du général Diendéré en 2015 et qui, depuis, ne cachaient pas leur exaspération croissante face au délitement du pays. Mais le président leur faisait confiance. C’est pourtant d’une partie d’entre eux, avec à leur tête le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, que viendra le coup fatidique le 23 janvier.

 

Des partisans de la junte brandissent un portrait du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, à Ouagadougou, le 25 janvier.

 

Des partisans de la junte brandissent un portrait du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, à Ouagadougou, le 25 janvier. © AP Photo/Sophie Garcia

Inquiétude cachée

Jusqu’au bout, Roch Marc Christian Kaboré a dissimulé son inquiétude. L’homme était réputé pour son sang-froid – ses proches aimaient répéter qu’il était « zen ». Hors de question donc de changer ses habitudes. Le président continuait à dormir toutes les nuits chez lui, à son domicile du quartier de la Patte d’Oie. Le matin, aux environs de 8h, il prenait la direction de Kosyam à bord d’un petit convoi. Un véhicule de sécurité devant, un derrière, et lui au milieu, dans son 4X4 Lexus blindé, toujours installé sur le siège passager. La plupart du temps, avant de rentrer chez lui, il terminait ses journées à la villa ministérielle, sorte de second bureau proche du palais où il avait l’habitude de recevoir.

C’EST UN BON CHEF DE PAIX, PAS UN BON CHEF DE GUERRE

Ces derniers mois, il consacrait la quasi-totalité de son temps aux questions de défense et de sécurité. Il ne faisait plus que ça, ou presque. Un comble pour ce banquier qui, avant d’arriver au pouvoir, n’avait que peu d’appétences pour les sujets militaires et sécuritaires. Il lui a pourtant fallu s’y mettre dès sa prise de fonction, avec l’attentat du Cappuccino, en janvier 2016. « Il a dû changer de logiciel et se transformer en chef de guerre », indique un de ses anciens collaborateurs.

Un défi de taille qu’il n’aura que partiellement réussi. Affable, Kaboré a toujours préféré le consensus au conflit. Des qualités certaines pour faire de la politique, peut-être moins pour mener bataille. « C’est un bon chef de paix, pas un bon chef de guerre », avaient l’habitude de commenter les diplomates en poste à Ouagadougou.

Coups tordus

Quelqu’un d’autre aurait-il fait mieux ? Peut-être, mais pas sûr non plus. Vu la situation sécuritaire dont il a hérité – un pays assailli par les groupes jihadistes, une armée (très) faible, le tout après la chute d’un régime qui a perduré 27 ans –, beaucoup auraient sans doute connu les mêmes tourments.

Avec le recul, nombreux sont ceux qui estiment que la perte de Salif Diallo, dès 2017, a été un vrai coup dur pour Roch Marc Christian Kaboré. L’ancien président de l’Assemblée nationale, sorte de « Machiavel » burkinabè capable de monter les coups les plus tordus, était un pilier du régime. Il n’a jamais été remplacé. « Il a probablement manqué un barbousard de sa trempe au président, admet un de ses proches. Quelqu’un qui n’hésitait pas à faire des coups bas pour atteindre ses objectifs. »

COMMENT VOULEZ-VOUS QUE JE PRENNE DES VACANCES DANS CETTE SITUATION ?

Difficile, en revanche, d’enlever à Kaboré un certain volontarisme, voire une certaine ardeur à la tâche. Rien à voir avec feu Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), dont la propension au travail était raillée par beaucoup. L’ancien chef de l’État recevait beaucoup, se couchait tard et dormait peu. Quatre ou cinq heures par nuit. En six ans à la présidence, ses jours de congés se comptaient sur les doigts de la main. Ses proches s’en inquiétaient, l’encourageant à souffler un peu. « Son épouse [Sika Kaboré] s’inquiétait pour lui. Elle lui disait qu’il fallait qu’il se repose. Il lui répondait “Oui, je vais le faire” mais il ne le faisait pas », glisse un proche du couple. Et quand c’était au tour de ses collaborateurs de lui suggérer une coupure, la réponse était plus cinglante : « Comment voulez-vous que je prenne des vacances dans cette situation ? »

Erreurs et retards à l’allumage

Des erreurs, Kaboré en a aussi commises. La plupart de ceux qui l’ont côtoyé ou qui ont travaillé avec lui sont unanimes : son premier pêché fut son incapacité à trancher. Coupable d’avoir trop tergiversé alors que la situation nécessitait de prendre des décisions rapides. Des retards à l’allumage, qui lui ont valu d’être surnommé le « président diesel » par ses compatriotes. « Et encore, même quand il se mettait à rouler, son allure était irrégulière, reconnait un de ses proches. Quand il découvrait que quelque chose ne tournait pas rond, il disait souvent à ses collaborateurs : “Réglez-moi cette question !” Mais sans toujours assurer le suivi derrière. »

Parmi les problèmes récurrents qui pollueront son mandat et lui attireront une défiance de la population : des affaires de corruption ou de mal gouvernance qu’il a mis trop de temps à solder – quand il le faisait. Lesquelles prenaient parfois un tour personnel lorsqu’elles concernaient ses proches, comme son ami d’enfance et ex-ministre de la Défense, Jean-Claude Bouda, ou son directeur de cabinet, Seydou Zagré.

En matière de défense et de sécurité, Kaboré a aussi tâtonné. Trop, selon ses détracteurs. Plusieurs ministres de la Défense et plusieurs chefs militaires essayés en six ans. Le tout sans toujours maintenir de cohérence au sein de la chaîne de commandement. Ainsi, ces derniers mois, il avait procédé à des remplacements à la tête de différents états-majors, mais sans toucher aux chefs opérationnels. Certains questionnaient aussi son refus de faire davantage appel à des alliés extérieurs, en particulier français.

« Une de ses erreurs a peut-être été d’avoir trop suivi le dogmatisme de certains haut-gradés, comme le général Oumarou Sadou [chef d’état-major général des armées entre 2017 et 2019], qui ne voulaient pas en entendre parler au nom de la souveraineté nationale. Il aurait dû taper du poing sur la table et leur imposer ses choix », lâche un de ses intimes.

L’incendie d’Inata

Le recours aux milices d’auto-défense Koglweogo puis la création des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) ont aussi été largement décriés, car accusés d’attiser les conflits intercommunautaires. Le 5 juin 2021, le massacre de Solhan, lors duquel plus de 160 civils assassinés, traumatisera tout le pays et marquera le début de la fin. Puis viendra l’attaque d’Inata, le 14 novembre dernier, dans laquelle périront 53 personnes dont 49 gendarmes, soit la pire jamais subie par l’armée burkinabè. Une saignée qui a vite tourné au scandale. Les soldats de la garnison n’étaient en effet plus approvisionnés en vivres depuis quinze jours et étaient obligés de chasser pour se nourrir. Le tout à cause de détournements tout le long de la chaîne de commandement. De quoi susciter l’indignation générale et braquer, encore un peu plus, les militaires déployés en première ligne.

PROFONDÉMENT ATTACHÉ À SA TERRE, IL N’AURAIT AUCUNE INTENTION DE QUITTER LE BURKINA FASO

Selon son entourage, Roch Marc Christian Kaboré aurait découvert la situation en même temps que tout le monde et en aurait été « profondément choqué ». « Même s’il n’était peut-être pas informé du cas précis d’Inata, il ne pouvait ignorer ces problèmes plus larges de détournements et de ravitaillement au sein de l’armée. Tout le monde savait », indique un ancien membre de l’exécutif. Sanctions individuelles contre plusieurs responsables militaires, commande d’une enquête interne qu’il fera reprendre car jugée insuffisante… L’ex-président tente d’éteindre l’incendie d’Inata, en vain. Ce drame précipitera sa chute, deux mois plus tard.

Une fois qu’il aura quitté sa résidence surveillée, comme le réclame la Cedeao, Kaboré entend rentrer chez lui, à Ouagadougou. Profondément attaché à sa terre, il n’aurait aucune intention de quitter le Burkina Faso, qu’il s’efforçait de rejoindre dès que possible une fois ses obligations remplies à l’étranger. Aura-t-il le choix ? Comme ses pairs déchus, son sort est désormais lié à la bonne volonté de ses tombeurs en treillis.