Dialogue interreligieux

« Lorsque nous travaillons pour les âmes, nous ne pouvons user que de persuasion et d'amour... Nous ne pouvons rien faire tant que nous n'avons pas persuadé les gens autour de nous qu'ils sont aimés... » (Cardinal Lavigerie, 1885)

« Nous croyons qu'en toute religion il y a une secrète présence de Dieu, des semences du Verbe qui reflètent un rayon de sa lumière... » (Chapitre 1967)

« Nous célébrons et partageons cette vie avec Dieu lorsque nous allons à la rencontre des cultures et des religions... nous réjouissant de la foi vivante de ces croyants et les rejoignant dans leur quête de la Vérité, cette Vérité qui nous rend tous libres. » (Chapitre 1998)

Missionnaires, nous sommes appelés à faire les premiers pas pour rencontrer les personnes, qu'elles que soient leurs convictions, leur religion.

Au Burkina Faso, cette réalité se traduit surtout dans la rencontre respectueuse et évangélique avec les adeptes des religions traditionnelles et avec les musulmans.

Dans cette rubrique, nous étudierons divers aspects de ces religions, particulièrement de l'islam.

Iran : l’islam instrumentalisé à des fins répressives

Analyse 

Alors que des religieux de Qom appellent à accélérer la cadence des exécutions « effectuées au nom de l’islam », d’autres figures chiites font entendre leur voix pour contester l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques.

  • Tooba Moshiri, correspondance particulière à Téhéran (Iran), 
Iran : l’islam instrumentalisé à des fins répressives
 
Certains religieux de Qom, la capitale religieuse de l’Iran, appellent à procéder à des « exécutions exemplaires ». Ici devant la mosquée Hasan Al Askari, le 31 mai 2023.ARASH KHAMOOSHI/POLARIS/STARFACE

Sur les 25 manifestants iraniens arrêtés dans le cadre du vaste mouvement contestataire et condamnés à mort, au moins sept manifestants ont déjà été exécutés. Un rythme que certains religieux de Qom, la capitale religieuse de l’Iran, en soutien au pouvoir, estiment trop lent. Après l’une de ces exécutions, l’association des enseignants du séminaire de Qom a ainsi publié une déclaration pour appeler à mettre fin à la « clémence et à l’indulgence islamiques » envers les manifestants et à accélérer la cadence. Et l’instance de réclamer des mesures « encore plus décisives » en procédant à des « exécutions exemplaires » d’autres manifestants, qu’elle qualifie de « combattants et de corrompus ».

Pour étouffer le mouvement de révolte « Femmes, vie, liberté », le régime iranien a intensifié les mises à mort, après des arrestations massives de militants syndicaux, de membres de la société civile et d’activistes politiques condamnés à de lourdes et longues peines. Une manière pour le pouvoir de réduire le peuple iranien au silence et de le forcer à battre en retraite.

Pour Sara Karimkhani, experte juridique, dans de nombreuses affaires, les juges privent les accusés du droit de choisir leur propre avocat et prononcent des verdicts sévères en toute impunité. « Plus de la moitié des citoyens iraniens exécutés en 2022 l’ont été après le début des manifestations de Femmes, vie, liberté et au cours des trois derniers mois de l’année, ce qui représente une augmentation de 75 % du nombre d’exécutions par rapport à 2021. Cela montre bien que la République islamique utilise les exécutions comme un “outil politique”. »

Assurer la survie du système islamique

L’Association des enseignants du séminaire de Qom considère qu’il s’agit de la seule peine proportionnelle pour les manifestants qui ont agi contre la République islamique. Pour de nombreux citoyens, les religieux de Qom cherchent à instiller la peur et la terreur parmi la population en approuvant la répression et la violence généralisées afin d’assurer la survie du système islamique.

Reza Mousavi est l’un des fidèles qui prient quotidiennement dans une mosquée de l’est de Téhéran. Cheveux blancs et barbe blanche, il affirme que ses enfants ont participé aux manifestations de ces derniers mois, mais la crainte qu’ils finissent exécutés pour avoir réclamé plus de droits lui pèse lourdement. « Il n’est pas juste d’exécuter les jeunes de ce pays au nom de l’islam et de forcer leurs familles à les pleurer, estime-t-il. Ce comportement sert-il de leçon au reste de la population ? Je crois que les actions hostiles ne font qu’engendrer plus de haine, et cette haine accumulée débordera d’une manière qui n’est pas bénéfique pour le pouvoir en place. »

Reza Mousavi ne cache pas son dégoût à l’égard de ces religieux qui soutiennent de tels verdicts et les considèrent comme liés à l’islam, déclarant : « Tant que de lourdes peines seront associées à l’islam, les jeunes se détourneront de la religion. C’est la pire forme de propagande pour un pouvoir qui porte le suffixe “islamique” dans son nom. »

Des exécutions effectuées au nom de l’islam

Molavi Abdolhamid, le chef sunnite de la prière du vendredi à Zahedan, est l’un des religieux qui réprouvent les peines de mort prononcées à l’encontre des manifestants. Dans l’un de ses récents discours, il a critiqué la nouvelle vague d’exécutions, en particulier celle de citoyens baloutches. Selon les agences de presse locales du Baloutchistan, au cours du seul mois d’avril, plus de 20 Baloutches ont été exécutés en Iran. Un grand nombre de ces exécutions ont eu lieu sans que les familles n’en soient informées et sans que la procédure judiciaire ne soit achevée.

Pour Molavi Abdolhamid, la République islamique tue, au lieu de créer des emplois et d’assurer l’éducation des jeunes. « Ces exécutions sont effectuées au nom de l’islam », mais « c’est le résultat d’une vision particulière de la religion, et je dis aux gens que ces exécutions par la République islamique n’ont aucun lien avec la religion de l’islam ».

--------

350 Iraniens exécutés depuis janvier

Selon les dernières statistiques de l’ONG Iran Human Rights, 353 personnes ont été exécutées en Iran pour la seule année 2023, dont six femmes. La République islamique a exécuté 7 338 personnes depuis 2010.

Le premier manifestant à être exécuté, le 8 décembre 2022, s’appelait Mohsen Shekari. Il était accusé d’avoir bloqué une rue et d’avoir blessé un membre des bassidjis. Quatre jours plus tard, Majid Reza Rahnavard, un autre manifestant de Mashhad, était à son tour exécuté publiquement.

En 2022, la province du Sistan-et-Baloutchistan a le taux d’exécution le plus élevé du pays, avec 39 mises à mort pour un million d’habitants.

Été 2023 : le guide des vacances spirituelles

Dossier 

À l’approche de l’été, La Croix recense des propositions spirituelles variées pour nourrir ce temps de repos.

  • Dossier réalisé par Clémence Houdaille, 
Été 2023 : le guide des vacances spirituelles
 
Vacances sur les chemins de Compostelle.DENIS MEYER/DENIS MEYER

L’été approche. Avec lui vient, lorsqu’on a la chance de pouvoir en prendre, le temps des vacances. « Celui qui est entré dans son repos s’est reposé lui aussi de son travail, comme Dieu s’est reposé du sien. Empressons-nous donc d’entrer dans ce repos-là », invite la Lettre aux Hébreux (4, 10-11). Après la frénésie de l’année, qui culmine souvent par un mois de juin chargé en échéances de tous ordres, la nécessité d’une pause se fait sentir, d’autant plus que les derniers mois ont pu être alourdis par l’inquiétude devant l’inflation, les tensions sociales et sociétales. Dans ce contexte, comment occuper ce temps de la manière la plus ressourçante possible ?

Le moment spirituel fort de l’été, pour près de 30 000 jeunes Français, ce sera les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) qui se dérouleront au Portugal, grandes retrouvailles avec ce rassemblement après l’interruption due au Covid. Mais en dehors de ce grand rendez-vous, les propositions ne manquent pas.

À La Croix, ce sont plus de 100 journalistes qui travaillent à fournir une information de qualité précise et vérifiée.

 

La Croix en a recensé une quarantaine, pour tous les âges, et pour des goûts et attentes variés. Camps, randonnées, formations, art, temps de réflexion en université d’été, découverte de la Bible : chacun, qu’il soit seul ou en famille, peut trouver de quoi nourrir son été et engranger les forces pour poursuivre sa route. « Car ainsi a parlé le Seigneur, l’Éternel, le Saint d’Israël : C’est dans la tranquillité et le repos que sera votre salut, c’est dans le calme et la confiance que sera votre force » (Isaïe 30, 15).

Été 2023 : 7 idées de vacances spirituelles à passer en famille

→ Été 2023 : 6 idées de vacances spirituelles pour les jeunes

→ Été 2023 : 6 idées de vacances spirituelles au grand air

→ Été 2023 : 7 idées de vacances spirituelles pour se former

→ Été 2023 : 6 idées de vacances spirituelles pour lire la Bible

→ Été 2023 : 5 idées originales pour des vacances spirituelles

→ ET AUSSI : Retraite spirituelle en France : le top 10 des plus beaux lieux

 

Au Mali, la religion est aussi source de paix

Souvent tenue pour responsable des violences, la religion a mauvaise presse dans les régions en proie à des conflits. Mais elle rassemble aussi, selon Habibou Bako et Rachel Forster, de l’ONG Search for Common Ground.  

Mis à jour le 30 juin 2023 à 14:59
 
 paix
 
 
 
Des fonctionnaires électoraux commencent à compter les bulletins de vote lors du référendum sur la Constitution, à Bamako, le 18 juin 2023. © OUSMANE MAKAVELI/AFPhtt
 
 

Selon des résultats officiels délivrés par l’autorité électorale, les Maliens ont approuvé par 97 % des voix le projet de nouvelle Constitution soumis à référendum le 18 juin dernier. Cette consultation – la première depuis la prise de pouvoir d’Assimi Goïta en août 2020 – consacre la rupture avec l’ancien régime et, surtout, cristallise le clivage de la société malienne autour de la question de la laïcité.

Tradition de tolérance

Plusieurs camps sont apparus durant le débat qui a précédé le référendum. D’une part, des acteurs religieux tels que la Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique au Mali (Limama), qui ont rejeté la nouvelle Constitution d’entrée de jeu, considérant que le mot «laïcité» ne devait pas y figurer, ce concept n’étant pas adapté à un pays qui se caractérise par une forte majorité religieuse : plus de 90 % des Maliens sont musulmans.

D’autre part, certains partisans de la laïcité, qui ont offert un « oui » conditionnel à cette Constitution. Ils ont notamment demandé une contextualisation du concept adapté à l’histoire et à la culture du Mali, fondée sur une tradition de tolérance interreligieuse que même la dernière décennie d’insécurité et d’extrémisme violent n’est pas parvenue à altérer.

À LIREAu Mali, des imams s’opposent à la laïcité dans la Constitution

Les représentants de minorités religieuses – chrétiennes ou autres – sont également inquiets à l’idée de voir émerger un État qui ne prendrait en compte que les sensibilités musulmanes dans sa définition de la religion. D’autres font remarquer que même la suppression de la laïcité ne résoudrait pas les divisions, car il faudrait ensuite décider quelle tendance musulmane primerait sur l’autre.

À LIREProjet de Constitution au Mali : cinq questions pour comprendre les enjeux du référendum

Pour l’ONG internationale Search for Common Ground – présente au Mali, elle s’emploie notamment à  « transformer la façon dont le monde traitent les conflits en s’éloignant des approches de confrontation et en ⌈privilégiant⌋ les solutions coopératives » – , ce que le débat démontre, c’est le rôle essentiel que joue la religion dans la société malienne, son lien avec les conflits, mais aussi la perception qu’en ont les habitants. Le Mali n’est d’ailleurs pas une exception : quand on sait que, selon le Pew Research Center, six des sept milliards de personnes dans le monde s’identifient en tant que membres d’une communauté religieuse, la religion peut difficilement être séparée du conflit. Lorsque les communautés en conflit sentent que leur identité profonde est attaquée, elles se replient sur elles-mêmes, deviennent hostiles à l’autre et risquent de justifier les violations des droits humains ou des actes violents.

Contrer la désinformation

Au Mali, comme dans d’autres pays en proie aux violences, la religion est présentée de manière simpliste comme la source de celles-ci. Mais notre expérience nous prouve que la religion peut aussi être fédératrice : elle ne fait pas que diviser, elle rassemble aussi. C’est pourquoi, avec nos partenaires de l’Initiative conjointe pour une action religieuse stratégique (Jisra), un consortium d’organisations musulmanes, chrétiennes et laïques, nous nous sommes mis au défi de réunir ces acteurs aux opinions diverses et variées pour mieux appréhender les enjeux du débat sur la laïcité. À Mopti, un forum de la jeunesse a réuni plus de 140 participants – c’était la première expérience interreligieuse pour nombre d’entre eux – afin, entre autres, de discuter des définitions de la laïcité et de contrer la mésinformation et la désinformation circulant à son sujet.

À LIREEn Afrique de l’Ouest, duel entre le Maroc et l’Arabie saoudite sur le front de la diplomatie religieuse

Ces initiatives de coopération entre les religions ne datent pas d’hier. Bien avant le référendum du 18 juin, les acteurs religieux jouaient déjà des rôles de médiateurs et de protecteurs de la cohésion sociale dans leur communauté. Demandez à un Malien ce qu’a fait « l’imam de Gao », par exemple – ce titre désigne non pas l’imam de la plus grande mosquée de la ville, mais plutôt Alpha Oumar, un autre imam connu dans sa communauté comme un homme moral (et donc de confiance) et dont l’éloquence lui permet de résoudre divers conflits. Il est notamment réputé pour avoir mené une médiation entre deux groupes ethniques qui s’étaient enfermés dans un cycle de violences et de rétributions jusqu’à son intervention avec d’autres leaders religieux.

Une réalité incontournable

La religion est une réalité incontournable au Mali. Après le référendum et après le débat sur la laïcité, elle continuera de jouer un rôle essentiel dans l’évolution du pays. Alors que les forces internationales – de l’Union européenne à la Mission de maintien de la paix des Nations unies (Minusma) – se trouvent obligées de réévaluer leur approche des questions sécuritaires au Mali et au Sahel, le moment semble propice pour s’orienter vers une approche qui mobilise tous les membres de la société malienne. Les acteurs religieux peuvent utiliser leur influence et leur crédibilité pour encourager leurs communautés respectives à travailler pour la paix et la réconciliation. Mais pour cela, ils ont besoin de soutien – que ce soit de la part d’autres acteurs de la société civile, des autorités nationales, ou des acteurs internationaux impliqués dans le contexte malien actuel.

Islam et diplomatie religieuse : Sénégal, Mali, Niger… Le duel entre le Maroc et l’Arabie saoudite

Pour Rabat, l’islam du « juste milieu » est vecteur de soft power sur le continent. De nombreux outils ont été mis en place pour le promouvoir. Mais il doit faire face à la concurrence des pétrodollars wahhabites.

Mis à jour le 27 juin 2023 à 10:21
 

 imams

 

Des étudiants subsahariens à l’Institut Mohammed-VI de formation des imams, à Rabat. © FADEL SENNA / AFP)

 

Le 27 mars 2015, le roi Mohammed VI inaugurait l’Institut Mohammed-VI de formation des imams dans le quartier-campus universitaire de Madinat Al Irfane, à Rabat. Dans la foulée, le 13 juillet de la même année, était créée à la Qaraouiyine de Fès, considérée comme l’une des plus anciennes universités du monde, la Fondation Mohammed-VI des oulémas africains – consacrée à l’édiction de fatwas notamment –, qui compte 150 membres, dont 17 femmes, provenant de 31 pays africains.

À LIREMaroc – Dix réalisations phares : soft power religieux (3/10)

Deux instruments mis en place au lendemain des attentats du 13-Novembre en France, revendiqués par Daech, et censés porter la diplomatie religieuse du Maroc et son « islam du juste milieu », véritable instrument de soft power du royaume en Afrique.

Ses objectifs : accompagner la « reconquête » marocaine de l’espace politique, sécuritaire et économique du continent, renforcer la légitimité religieuse et le leadership de Mohammed VI, mais également contrer la pénétration wahhabite et lutter contre le radicalisme (et le terrorisme) au Sahel.

Sa légitimité ? Le Maroc, considéré comme un modèle de stabilité par ses voisins continentaux, partage une identité religieuse et spirituelle avec les pays d’Afrique de l’Ouest : le rite malékite, d’inspiration soufie, ancré dans un contexte africain. Surtout, Fès est la capitale de la confrérie soufie Tidjaniya, qui rassemble 200 millions de fidèles sur le continent et dans le monde.

Former à la prévention

Huit ans plus tard, il est très difficile de mesurer l’impact de cette politique sur le continent, notamment les statistiques de l’Institut de formation. « Encore faudrait-il interroger l’ensemble des anciens étudiants, et réaliser des études pays par pays. On sait en revanche qu’il a beaucoup de succès et qu’il y a une liste d’attente », souligne Farid El Asri, docteur en anthropologie et enseignant à l’Université internationale de Rabat.

À la fin de l’année 2022, « 2 798 imams ont été diplômés de l’Institut Mohammed-VI. Dix pays africains sont concernés (majoritairement d’Afrique de l’Ouest) : le Sénégal, le Mali, le Gabon, le Nigeria, le Niger, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Conakry, le Tchad, la Gambie et la Tunisie », détaille cependant Salim Hmimnat, chercheur à l’Institut des études africaines, rattaché à l’Université Mohammed-V de Rabat.

À ce jour, la Libye, la Tanzanie, la Mauritanie et la Somalie ont également manifesté leur intérêt ou sont déjà en train de négocier des accords, afin de participer à ce programme au cours des prochaines années.

Si tous les étudiants ont bénéficié d’une prise en charge intégrale une fois à Rabat (billets d’avion aller-retour, bourse mensuelle de 200 euros, hébergement, soins médicaux), tous ne sont pas devenus imams une fois de retour dans leur pays d’origine.

« L’institut forme les imams sans aucune promesse de pratiquer le métier au moment du retour, explique Farid El Asri. Ces diplômés sont sélectionnés localement par le biais des confréries et des institutions du pays. La plupart du temps, ils s’inscrivent sur une liste d’attente et se voient proposer ou non un poste. Voilà pourquoi, en plus de suivre la formation des imams, le royaume leur fournit souvent les outils pour apprendre un autre métier [électricien, couturier…]. Finalement, l’institut forme à la fonction pour avoir des acteurs de la prévention in situ. Ainsi, ils peuvent très bien gagner leur vie en pratiquant une autre profession, mais faire de la prévention en ligne par exemple. »

À LIREMaroc-Sénégal : un axe contre l’extrémisme religieux

L’autre levier très concret de cette diplomatie religieuse, c’est l’édition et la diffusion de corans de « l’islam du juste milieu » – ouvert aux débats, avec une approche rationaliste – sur tout le continent. En 2021, la Fondation Mohammed-VI pour l’édition du Saint Coran – créée en 2010 – a imprimé 500 000 corans, pour un budget avoisinant 22 millions de dirhams (plus de 2 millions d’euros). « En Afrique de l’Ouest, la version du Coran warch – la plus répandue au Maghreb et sur le continent – a progressivement commencé à être remplacée par la version hafs du Moyen-Orient. Voilà pourquoi le Maroc a décidé d’intervenir », abonde Farid El Asri.

Plusieurs puissances régionales utilisent l’islam en Afrique pour servir leurs intérêts hégémoniques. Parmi les candidats les plus redoutables (pour l’instant surtout dans la corne de l’Afrique) : la Turquie et le Qatar – deux soutiens des Frères musulmans – « qui s’appuient sur ce courant pour infiltrer la société, principalement à travers les domaines caritatif et éducatif, et asseoir leur domination politique, économique et géopolitique », estime Joseph Boniface Camara, chercheur à l’Université de Bourgogne, dans un article intitulé « La religion ? Nouvel outil du néo-colonialisme en Afrique » (Persée, 2021).

Le wahhabisme progresse au Mali, au Niger, au Nigeria…

Mais il y aussi l’Arabie saoudite, berceau du wahhabisme, qui est en réalité la concurrente numéro un du royaume en matière religieuse. D’autant que son influence a pénétré plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest : Mali, Gambie, Niger et Nigeria. Son crédo ? Imposer sa vision théologique littéraliste et combattre les autres lectures de l’islam. Or, fait intéressant, « si l’influence politique et religieuse de l’Arabie saoudite sur le continent semble importante, le royaume wahhabite ne jouit pas d’un poids réel sur le plan économique […]. Ses investissements restent modestes comparés à ceux des Émirats, de la Turquie et du Qatar. Elle investit en revanche davantage dans les pays du Maghreb », précise Joseph Boniface Camara.

En plus du pèlerinage à La Mecque, de ses instances pan-islamiques – Organisation de la coopération islamique (OCI), Banque islamique de développement (BID), Unesco islamique… –, de ses myriades d’ONG, de sa propagande médiatique et numérique, qui bénéficie de relais locaux, l’Arabie saoudite attire de nombreux étudiants subsahariens (17 000 en 2021, contre plus de 19 000 pour le Maroc).

Construction de mosquées

Farid El Asri parle même d’un « Erasmus wahhabite », avec des conditions d’accueil particulièrement favorables (bourses, couverture médicale, logements, universités ultra-modernes), qui a d’ailleurs inspiré Rabat, mais également l’Université Al-Azhar du Caire. Seulement voilà, l’Arabie saoudite et les pays du Golfe peuvent s’appuyer sur leurs pétrodollars pour financer leur volonté d’hégémonie, « ce qui représente le challenge numéro un face aux ambitions du Maroc d’accroître son influence spirituelle en Afrique de l’Ouest ».

À LIREMohammed VI fustige le « radicalisme » religieux et « l’intolérance »

Et parce qu’une influence doit être visible, l’Arabie saoudite finance la construction et la rénovation de mosquées et autres complexes religieux. Au début des années 1980, le roi Fayçal a construit « la plus grande mosquée d’Afrique de l’Ouest » à Conakry, en Guinée (13 000 places), ainsi qu’une grande mosquée à N’Djamena, au Tchad, rénovée en 2022. En 2017, elle a signé un chèque de 3 millions de dollars au profit du gouvernement ivoirien afin d’achever la Mosquée du Plateau, à Abidjan.

Plus récemment, le Maroc, lui, a investi 13 millions de dollars pour construire la grande mosquée d’Abidjan, dont les travaux ne sont pas encore terminés. Entre 2021 et 2022, le royaume a également débloqué une première enveloppe de 900 000 euros pour rénover la Mosquée Mohammed-VI à Yamoussoukro, puis une seconde d’environ 11 millions d’euros afin de construire la Mosquée Mohammed-VI à Conakry, en Guinée. Optimiste, Farid El Asri estime que l’impact du wahhabisme en Afrique « n’est qu’un vernis qui ne résistera pas à la charge des héritages culturels des populations maghrébines et subsahariennes ». Pourtant, le jihadisme continue de sévir au Sahel…

Au Mali, l’imam Dicko défie ouvertement Goïta et son projet de Constitution

L’influent leader religieux est farouchement opposé au projet de nouvelle loi fondamentale soumis à référendum le 18 juin dernier. Désormais, il ne retient plus ses coups contre les colonels au pouvoir.

Mis à jour le 22 juin 2023 à 13:15

 

dicko

 

L’imam Dicko à Bamako, le 10 juin 2021. Mahmoud Dicko (Mali), Imam, lors de l’interview au nouveau centre qui porte également son nom, le 10 juin 2021 à Bamako © Nicolas Réméné pour JA

 

Son discours est toujours plus offensif contre la junte d’Assimi Goïta. Le 16 juin, l’imam Mahmoud Dicko, tout de blanc vêtu, la tête couverte d’un chèche immaculé, réunissait ses partisans au Palais de la culture de Bamako pour les appeler à voter « non » au projet de nouvelle Constitution, soumis à référendum deux jours plus tard.

À LIRERéférendum constitutionnel au Mali : des pour, des contre, et des « ni oui ni non »

« Je ne collabore jamais avec des gens qui ont confisqué la révolution du peuple, et qui sont en train de bâillonner ce même peuple (…) Oui ou non, c’est une fuite en avant. [Le règne des militaires] est déjà terminé (…) Je préfère mourir que de vivre traître »,  a notamment déclaré l’influent imam de Badalabougou.

Rejet judiciaire

Comme de nombreux autres leaders religieux, l’ancien président du Haut conseil islamique du Mali (HCIM) est opposé au projet de nouvelle loi fondamentale qui consacre le principe de laïcité de l’État. Plus largement, il est désormais l’un des plus farouches détracteurs des autorités de transition.

« De quel état de droit [parle-t-on] dans un pays où la justice est mise au service des militaires pour emprisonner les gens ? » questionnait-il, le 16 juin. Un peu plus tôt dans la journée, cette même justice venait de rejeter les recours déposés au nom de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) afin d’empêcher la tenue du référendum constitutionnel.

La double requête, déposée début juin auprès de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle – par, entre autres, le magistrat Mohamed Cherif KonéIssa Kaou N’Djim, président du parti Appel citoyen pour la réussite de la transition (ACRT) et Youssouf Diawara, coordinateur de la CMAS – visait trois décrets sur les commissions de rédaction de la Constitution et la convocation du collège électoral.

Retour en force

« Juridiquement, les autorités de la transition, y compris le président, n’ont ni la qualité ni la compétence pour lancer ce projet de Constitution », explique Youssouf Diawara. Mais, alors que les requêtes se basaient sur la Constitution, la justice s’est, elle, « basée sur la loi électorale » pour rendre son avis défavorable, poursuit-il.

À LIREAu Mali, des associations font front commun contre la laïcité dans la Constitution

L’imam Dicko, qui s’était fait plutôt discret depuis que son cortège a essuyé des tirs de gaz lacrymogènes des forces de l’ordre en janvier, revient sur le devant de la scène politique ces dernières semaines, appelant ses compatriotes à « faire front commun pour barrer la route au projet de Constitution ».

Front uni contre le référendum

Le 14 juin, il participait à la création du Front uni contre le référendum, une coalition composée de « partis politiques, de regroupements politiques, d’organisations de la société civile et de personnalités indépendantes engagés dans la défense des droits du peuple malien ».

Au sein de ce front, outre la CMAS : le Parena, le parti de Tiébilé Dramé, Daba Diawara, président du Rassemblement démocratique africain-Mali (RIM-Mali), Housseini Amion Guindo, président de la Convergence démocratique pour le Mali (Codem), Badara Alou Sacko, président du Forum de la société civile, Aboubacar Soumaré, président du Mouvement Mali debout, ou encore la Convention nationale pour une Afrique solidaire (CNAS).

Un scrutin « illégal et illégitime »

Dans un point presse organisé le 20 juin au siège de l’appel du 20 février, le Front uni contre le référendum a dénoncé la décision de la Cour constitutionnelle et « les nombreuses irrégularités qui ont entaché le référendum ». Il conteste également le chiffre de 38 % de participation annoncé par l’Autorité indépendante de gestion des élections (Aige), qu’il qualifie d’ »incompétente », et appelle la communauté internationale, les organisations de défense des droits de l’homme et « toutes les personnes éprises de justice et de liberté à condamner ce référendum illégal et illégitime ».

À LIREAu Mali, l’imam Dicko, l’éternel opposant ?

Pour Youssouf Diawara, le combat contre le projet de Constitution ne fait que commencer. « Quand les résultats seront officiels, le Front uni contre le référendum utilisera tous les moyens légaux à sa disposition pour les faire annuler », affirme-t-il, ajoutant que les membres doivent se réunir en fin de semaine « pour décider de la suite et si besoin, organiser des manifestations pour se faire entendre ». Entre Dicko et les colonels, le bras de fer ne fait probablement que commencer.