Présidentielle au Sénégal : Karim Wade cultive le mystère

Huit ans après avoir été investi par le PDS, Karim Wade viendra-t-il battre campagne au Sénégal ? Dans son entourage, le mutisme reste de rigueur.

Mis à jour le 7 septembre 2023 à 10:32
 
 
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Des militants de l’opposition brandissent une grande photo de Karim Wade lors d une marche a Dakar, le 29 novembre 2018. Des militants de l’opposition montent, le 29 novembre 2018, une grande photo de Karim Wade lors d une marche a Dakar.Une marche de l opposition senegalaise a reuni a Dakar plusieurs milliers de personnes reclamant une election presidentielle transparente, a moins de trois mois du premier tour que le sortant Macky Sall espere remporter. Exigeons des elections transparentes, pouvait-on lire sur des banderoles portees par des manifestants, lors de la marche qui s’est déroulée près du centre-ville de Dakar, sur environ 1,5 km © Seyllou/AFP

 

 

La fin de non-recevoir est laconique : « Bonjour. Non merci. Cdt. » Sollicitée par texto, le 1er septembre, la députée Nafissatou Diallo, en charge de la communication au Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition), ne souhaite pas s’exprimer dans le cadre d’un article portant sur la situation du parti à l’approche de l’ouverture de la campagne de recueil des parrainages citoyens en vue de l’élection présidentielle prévue le 25 février 2024.

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L’histoire ne dit pas si cet accueil glacial est réservé à Jeune Afrique ou si le PDS a fait vœu de silence à un moment où, pourtant, sa parole est plus attendue que jamais.

Troisième force

Les législatives de juillet 2022 l’ont confirmé, s’il en était besoin : avec 14,46 % des suffrages exprimés et 24 députés siégeant à l’Assemblée nationale, la coalition Wallu Sénégal – dont le PDS est le pilier­– se classait alors en troisième position derrière la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY, 82 députés) et l’autre grande coalition de l’opposition, Yewwi Askan Wi (56 députés), réunissant les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) d’Ousmane Sonko et Taxawu Sénégal, le « parti des maires de Dakar », Khalifa Sall (de 2009 à 2018) et Barthélémy Dias (depuis janvier 2022).

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Un an plus tard, l’état des forces en présence semble avoir ouvert un boulevard aux « frères » et aux « sœurs » de ce parti historiquement étiqueté « libéral ». Les procédures judiciaires en cascade contre Ousmane Sonko, déjà condamné par contumace pour corruption de la jeunesse en juin puis placé en détention provisoire dans une nouvelle affaire en juillet, rendent en effet sa candidature hautement improbable. Le PDS, dont la base électorale reste solide même si le parti d’Abdoulaye Wade a perdu en influence depuis que ce dernier a quitté le pouvoir, en 2012, sera-t-il l’outsider du prochain scrutin ?

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Contrairement à BBY, où le nom du candidat désigné par Macky Sall pour tenter de lui succéder au Palais de la République en février prochain n’est pas encore connu, le PDS a depuis longtemps choisi le sien. Depuis le 21 mars 2015, Karim Wade est en effet le candidat désigné par le PDS, quelques jours avant sa condamnation – prévisible, au vu du déroulement du procès – à six années d’emprisonnement pour enrichissement illicite.

Détenu politique

Un choix qui semble avoir été dicté, à l’origine, par le souci de conforter le statut de « détenu politique » attribué à Karim Wade par l’état-major et les militants du PDS durant sa longue incarcération. Inculpé puis condamné pour enrichissement illicite dans une affaire pourtant très fragile, qui n’a cessé depuis de s’effriter hors des frontières sénégalaises, l’ancien « ministre du Ciel et de la Terre » aura passé trois ans et deux mois derrière les barreaux de la prison de Rebeuss, à Dakar.

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« Sa désignation comme candidat du PDS à la présidentielle de 2019 a été un moment fondateur et fédérateur, se souvient un ancien cadre de premier plan du parti libéral, aujourd’hui en rupture de ban. Il s’agissait de marquer symboliquement ce moment où le régime de Macky Sall cherchait à discréditer à tout prix notre parti ainsi que le président Wade, en s’efforçant de disqualifier ses enfants. »

À l’époque, la sœur de Karim Wade, Sindiély, avait été quant à elle épinglée dans un rapport de l’Inspection générale de l’État pour des détournements présumés lors de l’édition 2010 du Festival mondial des arts nègres (Fesman), dont elle était la déléguée générale adjointe. Dans son cas, il n’y a toutefois pas eu de suites judiciaires.

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À en croire la même source, « la désignation de Karim Wade comme candidat ne relevait pas tant d’un choix personnel de sa part que d’un choix collectif du PDS, qui entendait ainsi apporter une réponse politique à un procès politique ». Une stratégie, qui, selon cet ancien responsable du parti d’Abdoulaye Wade, « a très bien marché ».

Exil au Qatar

Fin 2018, lorsque s’ouvre la campagne de l’élection présidentielle qui verra Macky Sall être réélu dans un fauteuil dès le premier tour, Karim Wade a depuis longtemps recouvré la liberté. Il réside au Qatar mais sa candidature à distance sera stoppée net avant même qu’il ne remette le pied au Sénégal. Le 13 janvier 2019, celle-ci est invalidée par les sept sages à quelques jours du premier tour.

Ceux-ci considéraient en effet que, sa condamnation passée pour enrichissement illicite ne lui permettant pas d’être inscrit sur les listes électorales, cette incapacité rendait de facto sa candidature irrecevable. Un obstacle qui est désormais définitivement levé du fait de l’ancienneté de sa condamnation et de la réforme du code électoral adoptée en juillet, à l’issue du récent dialogue national – auquel le PDS a pris part.

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Cinq ans après, une interrogation, et non des moindres, est néanmoins identique : pourquoi Karim Wade demeure-t-il en exil à 10 000 km de la capitale sénégalaise alors que d’autres candidats ont déjà commencé depuis plusieurs mois à battre campagne, au Sénégal comme dans la diaspora ?

« Sa candidature sera officialisée lors d’un congrès du PDS dont la date reste à déterminer, indique-t-on ‘off the record’ dans son entourage. Le parti dispose d’un socle électoral solide et d’un ancrage dans tout le pays ; ses instances se sont considérablement renouvelées au cours des dernières années, et encore récemment, avec un rajeunissement des équipes. »

POUR LA PRÉSIDENTIELLE DE 2000, ABDOULAYE WADE N’ÉTAIT RENTRÉ AU SÉNÉGAL QUE DEUX MOIS AVANT LE PREMIER TOUR.

Autour de Karim Wade, dont les communiqués officiels, diffusés via WhatsApp, sont rares, les éléments de langage ont été maintes fois ressassés. Mais pour obtenir une réponse aux deux questions principales posées par sa candidature, il faudra attendre encore. Quand se décidera-t-il à se confronter aux médias, fût-ce depuis Doha ? Et surtout, quand mettra-t-il un terme aux rumeurs annonçant à intervalles réguliers un come-back qui n’a jamais eu lieu jusqu’ici pour annoncer enfin officiellement la date de son retour au Sénégal ?

De cela, on ne saura rien pour le moment. « Il reviendra au Sénégal, c’est certain, assure une source, sans s’avancer davantage sur le calendrier de cette prophétie. Mais il y a différentes manières de faire campagne. Rappelez-vous qu’avant l’élection présidentielle de février et mars 2000, où il avait battu Abdou Diouf, Abdoulaye Wade n’était rentré au Sénégal que deux mois avant le premier tour », retrace notre interlocuteur.

« En temps voulu »

Sollicité par SMS, Karim Wade n’a pas donné suite. De sa campagne, on ne saura donc rien de concret dans l’immédiat. « Vous verrez en temps voulu, élude notre source. Il prépare son retour depuis plusieurs années et le parti est en train de s’organiser pour ça. »

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Quant à la vie au Qatar du candidat du PDS, elle demeure elle aussi nimbée de mystère. Tout au plus croit-on savoir que Karim Wade appartient à une équipe chargée de conseiller l’émirat en matière d’investissements. Il serait ainsi devenu un interlocuteur privilégié dans le cadre des investissements réalisés dans plusieurs pays d’Afrique par le fonds souverain qatari.

Un homme de l’ombre introduit dans plusieurs capitales à travers le continent indique à Jeune Afrique que l’intéressé aurait des échanges réguliers avec le président Macky Sall. En vertu d’un mystérieux « protocole de Doha », qui n’a jamais été éclairci, ni par le PDS ni par l’entourage présidentiel, Karim Wade se serait engagé en 2016 – par médiateurs qataris interposés – à ne pas perturber la présidence du successeur d’Abdoulaye Wade au Palais de la République, entre-temps réélu dès le premier tour pour un mandat de cinq ans, ce qui impliquait qu’il se tienne à distance du pays et limite ses interventions sur les réseaux sociaux au strict minimum.

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La retraite annoncée de l’actuel chef de l’État, qui interviendra au plus tard en mars prochain, délie-t-elle Karim Wade de ce serment informel souvent évoqué mais jamais confirmé explicitement ?

« Dans une campagne présidentielle, quel que soit le parti, on a rarement affaire à un candidat idéal, analyse notre ancien cadre du PDS. Il s’agit le plus souvent d’un candidat de circonstance, dont les chances de succès dépendent en partie de son aptitude à se laisser façonner afin d’incarner un recours susceptible de convaincre les électeurs. » S’il a depuis longtemps quitté les rangs du PDS, notre interlocuteur estime toutefois qu’en 2015, « la candidature de Karim Wade représentait une belle perspective ». Et laisse à penser, même s’il ne le dit pas explicitement, que cette option resterait porteuse, à moins de six mois de l’échéance.

À la condition toutefois que l’intéressé se décide enfin à cesser de jouer l’arlésienne.