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Avec les bus électriques, Meridiam se renforce au Sénégal

Mis à jour le 23 mars 2022 à 14:28
 

 

Le metrobus de Dakar. © Cetud

 

Le spécialiste du financement d’infrastructures, dirigé par Thierry Déau, et déjà présent dans l’énergie au Sénégal, décroche le contrat de mise en œuvre du réseau de bus électriques pour désengorger Dakar.

Menées depuis plusieurs mois, les négociations ont abouti cette semaine. Meridiam, société française spécialisée dans le financement d’infrastructures dirigée par Thierry Déau, a annoncé le 21 mars la signature d’un contrat de concession pour le projet de Bus Rapid Transit (BRT ou « bus rapide sur voies réservées ») de Dakar.

Le contrat, qui prévoit l’exploitation et la maintenance de l’ensemble du réseau dans la capitale sénégalaise pendant quinze ans, représente un investissement de 135 millions de dollars (environ 123 millions d’euros), mis en œuvre avec deux partenaires, Keolis, filiale de la SNCF, et le Fonds souverain d’investissements stratégiques du Sénégal (Fonsis). La flotte sera composée de bus électriques pour une mise en service prévue à l’été 2023.

« Le BRT améliorera substantiellement les conditions de déplacement dans l’agglomération dakaroise qui compte actuellement 3,5 millions d’habitants et qui devrait en avoir 5 millions en 2030″, déclarait en 2017 Mansour Elimane Kane, alors ministre de l’Infrastructure, du Transport terrestre et du Désenclavement du Sénégal (aujourd’hui ambassadeur du Sénégal à Washington).

Ce projet, dont les travaux ont été lancés en 2019, s’inscrit dans la stratégie globale de mobilité urbaine durable de l’agglomération dakaroise, pilotée par le Conseil exécutif des transports urbains de Dakar (Cetud). Alternative propre au réseau de bus diesel existant, une flotte initiale de 121 bus 100 % électrique (via des batteries) circulera tous les jours sur 18,3 km de voies réservées et aménagées pour le BRT. Plus de 300 000 personnes emprunteront chaque jour ce réseau qui desservira quatorze communes et vingt-trois stations.

Un TER déjà en service

Pour les Dakarois, l’impact le plus visible doit être la réduction de moitié de la durée des trajets dans les transports publics pendant les heures de pointe, entre la préfecture de Guédiawaye, au nord de Dakar, et la gare routière de Petersen, dans le centre de la ville. Une liaison qui doit passer de plus de quatre-vingt-dix minutes à quarante-cinq minutes, annonce Meridiam. Les coûts de transport en ville doivent être réduits grâce à la mise en place d’une politique tarifaire adaptée, comprenant notamment des tarifs sociaux pour les personnes éligibles telles que définies par l’État sénégalais.

Enfin, selon des projections des promoteurs du projet, l’accès plus rapide et simplifié à de nombreux services améliorera le quotidien des habitants : 60 % de la population aura accès en moins de trente minutes à, au moins, un marché supplémentaire : 47 % à une université supplémentaire, 62 % à une pharmacie de plus et 25 % à un hôpital supplémentaire.

LES EMBOUTEILLAGES COÛTENT OFFICIELLEMENT À LA VILLE 152 MILLIONS D’EUROS PAR AN

Le BRT vient en complément du train express régional (TER) circulant entre Dakar et sa banlieue, dont un premier tronçon a été inauguré en décembre. Plus de 110 000 voyageurs devraient ainsi utiliser le TER au début de sa mise en service, un chiffre qui pourrait presque doubler d’ici à 2025. Sur près de 38 kilomètres, le TER va desservir treize gares et arrêts entre la banlieue de Dakar et la nouvelle ville de Diamniadio.

Les deux systèmes de transports BRT et TER, complémentaires avec des lignes de rabattement, visent à désengorger Dakar, qui concentre sur 0,3 % du territoire le cinquième des 17 millions de Sénégalais et la quasi-totalité des activités économiques du pays. Les embouteillages coûtent officiellement à la ville 152 millions d’euros par an.

Aïssa Maïga: au Niger, «le mode de vie des nomades entravé par la question de l’eau»

nomades 

Dakar accueille à partir de ce lundi 21 mars le 9e forum mondial de l’eau. Ce rendez-vous sera l’occasion de débattre de thèmes comme la sécurité dans l’accès à l’eau, l’assainissement, ou l’importance de l’eau dans le développement rural. Ces derniers mois, un documentaire - Marcher sur l’eau, réalisé par la comédienne Aïssa Maïga- a illustré à quel point les difficultés d’accès à l’eau pesaient sur les communautés villageoises. Le film, tourné pendant plusieurs mois dans un village du Niger, Tatiste dans la région de Tahoua, donne la parole à ses habitants. Aïssa Maïga est notre invitée Afrique.

RFI : Ce qui frappe quand on découvre avec vous le village de Tatiste, c’est de voir à quel point ce village est victime dans son quotidien du changement climatique. « Notre monde a subi un bouleversement, les temps qu’on connaissait sont révolus », explique d’entrée de jeu le chef de village Biguel Boulessey.

Aïssa Maïga : Tout à fait. C’est une des choses qui m’a vraiment frappé, c’est l’idée que le réchauffement climatique a complètement transformé le rythme des pluies, et donc l’accès à l’eau en une ou deux générations. Le mode de vie d’une population nomade, les Peuls Wodaabe, se retrouvent absolument entravés avec la question de l’eau qui est entêtante et avec une sédentarisation forcée qui ne permet pas non plus de faire face à tous les problèmes liés au manque d’eau.

Très concrètement explique le chef de village, il n’y a plus autant de marigots qu’avant, maintenant il ne reste plus que l’eau des puits, et le puits est vraiment un lieu essentiel…

Oui, le puits est l’endroit où se réunissent des centaines de personnes tous les jours, et c’est également l’endroit où on peut puiser cette eau avec l’aide des ânes qui sont attachés à trois ou quatre, en plus de la force humaine, pour soulever l’eau. Elle est tellement profondément enfouie que c’est vraiment une épreuve de force, et il arrive aussi que les hommes, qui sont en état de le faire, restent toute la journée au puits. Non pas parce qu’ils ont besoin de le faire pour eux, mais parce qu’il y a tout au long de la journée certaines femmes qui ne sont pas accompagnées d’hommes, des enfants qui viennent là qui sont sans adultes. Et il y a une solidarité qui s’organise autour du puits parce que sans cette solidarité-là les gens ne s’en sortent pas tout simplement. 

On en arrive à une conséquence très concrète des problèmes d’accès à l’eau visible dans votre documentaire, c’est que la recherche de l’eau c’est une activité qui prend du temps, beaucoup de temps…

Oui, c’est chronophage, et on le ressent dans la vie des enfants également. Dans un village comme Tatiste, il y a une école. Les parents se mobilisent pour que leurs enfants soient scolarisés, mais quand dans une journée, les parents vont au puits et qu’ensuite le père doit aller s’occuper du bétail et que la mère elle doit s’occuper du repas, il arrive évidemment qu’on demande aux enfants de prendre le relai. Donc ces enfants qui sont dans ces salles de classe sont amenés au cours de la matinée, ou au cours de l’après-midi, à devoir quitter la classe pour participer à la corvée familiale. Et donc vous pouvez imaginer ce que ça donne dans une classe, c’est une déperdition d’énergie qui est absolument faramineuse et c’est un absentéisme forcé.

Les enfants donc quittent la salle de cours, mais les adultes aussi sont amenés à s’éloigner de plus en plus du village. L’un des habitants de Tatiste l’explique d’ailleurs dans votre caméra, « le manque d’eau en a fait partir beaucoup c’est pourquoi nous sommes si peu nombreux à Tatiste ».

Alors, c’est toute la structure familiale qui explose en raison du manque d’eau. Pour sauver le cheptel, les hommes vont partir seuls, sans leur famille parce que pour trouver des terres sur lesquelles il y a de quoi nourrir les bêtes, il faut aller de plus en plus loin. Et les mères, les femmes, partent dans les capitales des pays voisins, elles partent en petits groupes, elles essayent de ne pas voyager seules, et elles atteignent la capitale du Nigeria, du Togo, du Benin, ou ailleurs pour faire des petits boulots. Dans ce contexte, les enfants, les jeunes restent au village et il n’est absolument pas rare qu’une jeune fille soit à la tête de sa famille comme c’est le cas de Houlaye dans le film qui doit s’occuper de sa fratrie en l’absence de ses parents. Et ça, c’est quelque chose qu’on n’imagine pas forcément que le réchauffement climatique et le manque d’eau qu’il génère dans certains endroits a ce genre de conséquences sur la structure familiale et sur l’existence quotidienne de ces familles.

Côte d’Ivoire : le Dycoco Comedy Club, un tremplin pour le rire nouvelle génération

Mis à jour le 21 mars 2022 à 17:02
 

 

Le Dycoco Comedy Club, inauguré fin 2020 à Cocody.

 

Inauguré il y a un peu plus d’un an à Cocody, au nord d’Abidjan, ce temple de l’humour compte révéler les talents locaux et exporter ses jeunes poulains à l’international.

Dans la commune de Cocody, la jeunesse ivoirienne s’est longtemps donné rendez-vous au Bao, lieu de vie alternatif sans prétention proposant spectacles d’humour, soirées slam et concerts à géométrie variable. À la nuit tombée, la façade, aujourd’hui complètement rénovée, se révèle désormais à la lueur des lettres en néons du Dycoco Comedy Club. Une enseigne surmontée d’un cocotier lumineux déployant ses feuilles sur la rambarde d’un immense roof top.

Ce soir de début mars, alors que le Marché des arts du spectacle d’Abidjan (Masa) bat son plein, les spectateurs ont tout de même répondu présent. Le très jeune public d’alors a laissé place à une population de trentenaires, en grande majorité ivoirienne, prête à débourser de l’argent pour un spectacle et à s’endimancher pour l’occasion.

Avec trois tarifs différents – allant de 5000 F CFA (7 euros) pour les étudiants, à 10 000 F CFA (15 euros) pour le carré or, en passant par 8000 F CFA (12 euros) pour la moitié des billets –, chacun y trouve son compte. À l’intérieur, une petite salle de 1000 places assises accueille la scène éclairée de spots roses, au-dessus de laquelle trône fièrement le nom Dycoco.

Le mot-clé : modernité

À quelques jours du 8 mars, les dix humoristes ont rôdé leur show pour un plateau spécial Journée internationale des droits des femmes. Le duo d’animateurs s’est grimé pour l’occasion, à coup de robes à froufrous, de perruques afro et de rouge à lèvres, se revendiquant avec esprit du pronom « iel ». Une entrée en matière qui s’aventure sur le terrain de la confusion des genres. Il fallait oser. Le public rit sans retenue. Le premier tandem d’humoristes femmes – l’une en boubou traditionnel et l’autre perchée sur des talons de 12 cm, une tenue plus sexy confectionnée à partir du même tissu wax que sa camarade sur le dos – se lance ensuite dans une réjouissante querelle des anciennes et des modernes.

La modernité, voilà sans doute le terme qui définit le mieux le Dycoco Comedy Club. Un nouveau temple de l’humour autofinancé et piloté par Thomas Furrer, fils de Grégoire Furrer, à l’origine du Montreux Comedy Festival – rendez-vous du rire qui a lieu chaque année en Suisse, depuis 1990. Installé depuis six ans à Abidjan, le jeune Français décrit cette scène ivoirienne comme résolument tournée vers la nouvelle génération d’humoristes. « On pense que l’Afrique est un terrain vierge rempli de jeunes talents », résume-t-il.

Organisé autour d’une troupe de dix comédiens formée sur place, le club mise sur la rigueur – avec des shows qui commencent, dans la mesure du possible, à l’heure – et sur le professionnalisme. « Nous recrutons une nouvelle génération très connectée, ayant un œil neuf, qui s’est formée à l’extérieur et qui est familière de la culture du stand-up », précise Clément Michels, 28 ans, directeur artistique de l’espace et ancien gérant du volet humour au Bao. Objectif de l’écurie : codifier la scène humoristique locale, jusqu’à présent « enfermée dans l’improvisation et l’autodérision », estiment les deux partenaires.

L’AGENDA EST SERRÉ POUR LES JEUNES POULAINS DE LA TROUPE, TOUS SALARIÉS ET CONTRACTUALISÉS

Avec deux séances de coaching par semaine, une séquence d’écriture hebdomadaire pour la préparation d’un spectacle collectif, un one man show à préparer pour chacun et des master class, l’agenda est serré pour les jeunes poulains de la troupe, tous salariés et contractualisés.

Humoriste, un vrai métier

Professionnaliser le secteur de l’humour, tel est le défi que s’est fixé le gérant. « En Côte d’Ivoire, être humoriste n’est pas perçu comme un métier, observe-t-il. Au début, les artistes ne comprenaient pas le principe de jouer de manière répétée. Or se confronter très régulièrement au public est essentiel ». C’est pourquoi différents styles d’expressions sont proposés dans ce lieu de rodage un peu unique en son genre.

Après un lancement avec une ouverture chaque soir de la semaine, l’équipe a dû s’adapter à la dynamique d’Abidjan, et propose désormais de trois à quatre spectacles hebdomadaires, du mercredi au samedi. « Nous voulons que l’Afrique s’approprie les codes du stand-up. Il faut donc que nos artistes apprennent sur le terrain et travaillent pour pouvoir ensuite s’exporter à l’international, sous notre bannière. L’ancienne génération ne comprend pas cela », juge le jeune patron, qui ne cache pas son esprit critique envers le Gondwana club initié par une star du rire, le Nigérien Mamane. « Il y a des grands noms de la scène qui animent encore des mariages et refont les mêmes vannes depuis des années », pointe Thomas Furrer. Son équipe, elle, s’appuie sur deux axes : les comédiens à l’humour très ivoirien – destinés à briller dans leur pays – et les autres, qui ont le potentiel de s’internationaliser.

CRÉER UN PATRIMOINE HUMORISTIQUE, TELLE EST L’AMBITION DU DYCOCO

C’est le cas du gamin d’Abobo connu sous le sobriquet de « Clentélex » – de son vrai nom Niamké André Wandan –, 25 ans, qui a déjà conquis le public suisse en participant au festival de Montreux, mais aussi le public français en montant sur la scène de six comedy clubs parisiens, avant de se rendre au Festival Lillarious, à Lille, en février dernier, dans le cadre des Pépites de l’humour francophone. Pour celui qui suit en parallèle des études à l’Isaac (Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle d’Abidjan), il y a un triptyque gagnant à respecter : « un contexte, une mise en suspens et une chute. »

« Clentélex a réussi à conserver sa vision d’Ivoirien tout en parvenant à la rendre exportable, car s’il y a bien quelque chose de commun à toutes les scènes qu’il a foulées, c’est la francophonie », précise Thomas Furrer. « J’ai adapté le style stand-up aux réalités ivoiriennes, témoigne de son côté la jeune pousse du rire. Auteur d’un film documentaire au titre bien senti – J’irai faire rire les Blancs. Le Voyage de Clentélex, d’Abidjan à Montreux –, il précise, ironique : « J’utilise le nouchi et un langage relâché, tout en mêlant absurde et philosophie liés à l’observation de notre monde vulnérable. Ces thèmes parlent à tout le monde, même si je les aborde à la “façon stand-up abobolais” ».

Créer un patrimoine humoristique, telle est l’ambition du Dycoco, qui mobilise une équipe pour la captation de ses spectacles. Un bon réflexe acquis grâce à l’expérience du Montreux Comedy Festival, dont les spectacles sont filmés depuis 1995. Le défi des contenus et la numérisation des shows passera également, à terme, par le lancement d’un studio de création de mini-séries taillées pour les différents réseaux sociaux comme Youtube et TikTok. En attendant, le Dycoco lance la deuxième édition de son festival, à l’occasion de la semaine de la francophonie, pour un grand gala d’humour et autres rendez-vous avec des artistes venus de toute l’Afrique francophone, d’Europe et du Canada, qui se tiendra du 20 au 26 mars.

Côte d'Ivoire: «Prenez vos feuilles», une appli d'aide scolaire du CM1 à la terminale

 

« Prenez vos feuilles » est l’appli qui vient de remporter le concours Challenge App Afrique de RFI et France 24. Il s’agit d’une application qui permet aux élèves de réviser leurs cours et de se tester en vue des examens. Dans un pays où l’enseignement est parfois critiqué et où certains établissements comptent jusqu'à plus de 100 élèves par classe, cette appli peut apparaître comme une solution pratique.

Avec notre correspondant à Abidjan, Pierre Pinto

En Côte d’Ivoire, l’an dernier, moins de 30% des candidats ont été admis au bac. Un taux relativement faible qui n’est pas nouveau et qui a inspiré Christelle Hien-Kouamé, 38 ans, qui s’est appuyée sur sa propre expérience.

« J’étais du collège au lycée au lycée municipal de Yopougon, le nombre d’élèves était assez élevé donc on était obligé de récupérer des devoirs avec des grands frères du quartier ou dans des annales photocopiées pour être sûr d’être au niveau. Et je pense que ça continue toujours, cette quête de ressources et de devoirs pour s’autoévaluer. C’est un peu tout cela qu’on a compilé dans l’application d’aujourd’hui. »

Ainsi est née il y a quelques mois « Prenez vos feuilles », appli de révision scolaire et de préparation aux examens destinée aux élèves du CM1 à la terminale, dans toutes les matières. Mais aussi aux parents qui peuvent suivre l’évolution de leurs enfants.

« L’application comporte des résumés des leçons de tout le programme scolaire, des quizz relatifs à tous ces résumés de leçons, des devoirs de classe, des examens blancs et examens nationaux précédents. On pense que le marché est porteur, parce que nous couvrons aujourd’hui 1,3 million d’élèves en Côte d’Ivoire, qui sont entre le CM1 et la terminale. Chaque année, il y a plus de 300 000 élèves qui passent les examens. »

Si l’appli est gratuite, l’accès aux corrigés est payant : 10 000 francs par an pour l’ensemble des matières et des devoirs. Eneza, l’entreprise qui la développe, compte une douzaine de salariés, ainsi qu’une trentaine d’enseignants correcteurs. Elle espère atteindre rapidement 30 000 abonnés pour être rentable.

À écouter : Challenge App Afrique 2021: l’Ivoirienne Christelle Hien Kouame remporte la sixième édition

Guinée : quelle place pour l’ex-opposition dans la transition ?

Par  - Envoyée spéciale à Conakry
Mis à jour le 14 mars 2022 à 17:26
 

 

De g. à d. : Cellou Dalein Diallo, le président de l’UFDG, et Sidya Touré, celui de l’UFR. © ISSOUF SANOGO/AFP

 

Ravis de voir Alpha Condé évincé, ils avaient été les premiers à applaudir le putsch de Mamadi Doumbouya. Six mois plus tard, l’enthousiasme des principaux détracteurs du président déchu semble douché.

Leur déclaration est intitulée « numéro 001 », comme si d’autres étaient susceptibles de suivre bientôt. Le 9 mars, cinquante-huit partis politiques guinéens ont dénoncé d’une seule voix la manière « unilatérale » dont la junte conduit la transition. Fustigeant un « manque d’inclusivité et de justice », ils accusent les militaires de « s’écarte[r] des règles et des principes de l’État de droit ».

Les leaders de ces partis n’hésitent pas à faire valoir leurs revendications : la mise en place d’un cadre de dialogue, la publication de la composition du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) et l’envoi d’un médiateur de la Cedeao à Conakry – celui qui avait été proposé par l’organisation régionale, le Ghanéen Ibn Chambas, avait été refusé par Mamadi Doumbouya.

Surtout, comme il l’avait fait en 2019-2020, le Front national de défense de la Constitution (FNDC, opposé au troisième mandat d’Alpha Condé) menace de reprendre les manifestations et lance un « appel au peuple ».

Mobiliser les foules

Les militaires ont-ils lieu de s’en inquiéter ? Lorsque, le 21 février, les membres du CNRD avaient reçu, au camp Samory Touré, le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Cellou Dalein Diallo, et le patron de l’Union des forces républicaines (UFR), Sidya Touré, ils avaient mis en garde les deux opposants. Si une manifestation venait à mal tourner, ils en seraient tenus pour responsables.

Les échanges avaient été vifs de part et d’autre, alors que les deux responsables politiques étaient sommés de restituer à l’État leurs maisons respectives, dans le cadre d’une opération plus large et de même nature. Une campagne conduite de manière « discriminatoire et violente », « en dehors de toute règle et procédure légales », écrivent les auteurs de la déclaration du 9 mars.

Cellou Dalein Diallo, et dans une moindre mesure Sidya Touré, a la capacité de mobiliser de larges foules. La junte le sait. Les échauffourées qui, à la fin de février, ont éclaté dans les quartiers acquis à ces deux personnalités, forcées de rendre les clés de leur domicile, sont-elles les prémices d’un affrontement direct entre les principaux opposants à Alpha Condé et ceux qui l’ont démis ?

Volonté « d’humiliation »

Au lendemain de la chute de son ennemi juré, Cellou Dalein Diallo, qui estime avoir été spolié de sa victoire à l’élection présidentielle de 2020, s’était réjoui de la prise de pouvoir du colonel Mamadi Doumbouya. « Je lui fais confiance, jusqu’à preuve du contraire », déclarait-il alors. Six mois plus tard, le chef de l’UFDG voit dans l’action entreprise par la junte pour récupérer son domicile familial une volonté de « l’humilier ». Il semble prêt à riposter. Le fera-t-il assez fort pour mettre la junte en difficulté ?

LE CNRD AURAIT MENACÉ CELLOU DALEIN DIALLO ET SIDYA TOURÉ DE LEUR RETIRER LEUR PASSEPORT

« Le jour où Cellou décidera de débrayer parce qu’on l’aura sorti de sa maison, qu’on annoncera une transition de quatre ans ou l’instauration d’une limite d’âge pour pouvoir briguer la présidence, chose impardonnable [à ses yeux], il ne va pas rigoler, avance un autre responsable politique. Son discours a totalement changé depuis le mois de février. Il est prêt à l’affrontement. La démographie [politique et ethnique] de Conakry lui permet de mettre le pouvoir en difficulté, voire de le pousser à l’erreur. Les militaires le savent, mais ils mesurent peut-être mal [ce risque]. »

Le CNRD semble pourtant toujours miser sur la bonne volonté des chefs de l’ex-opposition. « Il ne faut pas que l’opposition à Alpha Condé devienne une opposition au CNRD, déclare un proche du président de la transition. Nous ne nous laisserons pas influencer pour autant. Nous ferons toutes les réformes possibles, qu’un régime démocratique ne peut pas faire. »

Le CNRD aurait ainsi menacé Sidya Touré et Cellou Dalein Diallo de leur retirer leur passeport, comme ils les avaient retiré au lendemain du coup d’État aux cadres du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), le parti d’Alpha Condé.

Première note discordante

Certains responsables politiques avaient relevé très tôt le manque de concertation des militaires. En octobre 2021, Cellou Dalein Diallo avait déploré « l’absence de dialogue » et regretté d’être peu consulté par les autorités de la transition. La composition du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif, dont la mise en place a pris plus de temps que prévu en raison de désaccords liés à l’attribution des sièges, a été la première note discordante entre les militaires et la classe politique.

POUR LE PRÉSIDENT DU BLOC LIBÉRAL, UNE TRANSITION DE DEUX, VOIRE TROIS ANS, EST ACCEPTABLE

D’autres leaders continuent toutefois de juger la transition avec bienveillance. C’est le cas de Faya Millimouno, le président du Bloc libéral (BL), qui estime que la situation évolue « dans le bon sens ».

« Nous savons d’où nous sommes partis : avant le coup, nos frontières étaient fermées, des membres de partis qui avaient participé aux élections étaient emprisonnés, le pouvoir était concentré entre les mains du président… Le CNRD veut agir différemment et, dans le cadre de sa lutte anticorruption, passer l’ensemble des dossiers au peigne fin. Naturellement, cela crée des tensions, et certains peuvent avoir l’impression que l’on veut les écarter. »

À Conakry, des rumeurs font état de l’instauration d’une limite d’âge pour pouvoir briguer la présidence, ce qui exclurait de la course plusieurs caciques de l’opposition ou de l’ancien régime. Pour autant, le président du Bloc libéral a confiance dans la gestion des militaires et considère qu’une transition « d’au moins deux ans, voire trois », est acceptable. « Les partis font semblant de suivre la marche de la transition afin de tirer leur épingle du jeu, note un observateur. Ce manque d’unité de l’ex-opposition, avec un tel foisonnement de plateformes politiques, pourrait profiter à Mamadi Doumbouya. »