Vu au Sud - Vu du Sud

Sénégal : qui veut la peau du « capitaine Touré », le gendarme de l’affaire Sonko ?

Il avait été le premier à entendre Adji Sarr après le dépôt de sa plainte contre l’opposant Ousmane Sonko. Radié de son poste à la gendarmerie en juin 2021, Seydina Oumar Touré vient d’être limogé de l’institut privé où il venait d’être embauché.

Par  - à Dakar
Mis à jour le 16 avril 2022 à 10:11
 
 
 toure

 

Seydina Oumar Touré. © Facebook Seydina Oumar Touré

 

Sa reconversion fut rapide, et son limogeage éclair. Sitôt embauché comme professeur vacataire au sein du reconnu Institut africain de management (IAM) de Dakar, l’ex-capitaine de gendarmerie Seydina Oumar Touré vient d’être remercié. Il en a fait l’annonce sur sa page Facebook jeudi 14 avril, précisant qu’il avait appris la nouvelle dans la matinée.

« La direction de l’IAM a souhaité mettre un terme à notre collaboration pour des raisons que je préfère garder par respect pour cette grande école », a annoncé Seydina Oumar Touré. Il a également dénoncé des « pressions » qu’aurait subies l’institut privé. Basé dans le quartier huppé de Mermoz, l’IAM forme plusieurs milliers d’élèves aux métiers des ressources humaines, de l’audit, de l’immobilier et de la communication. D’autres antennes existent également dans le pays, au Burkina Faso et au Mali.

L’institut, fondé il y a vingt-sept ans par le député de l’opposition Moustapha Mamba Guirassy, est considéré comme l’une des principales business schools du pays et de la sous-région. L’homme politique, proche d’Ousmane Sonko, avec qui il chemine au sein de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi (YAW) est d’ailleurs cité dans sa publication Facebook par l’ancien capitaine, qui le remercie pour sa confiance.

Un dossier explosif

Lundi 11 avril, l’ancien capitaine avait annoncé le début de sa collaboration avec l’IAM en tant que professeur vacataire en sciences juridiques. Un « rêve d’enfant » pour cet homme qui venait tout juste de valider son master 2 en relations internationales à la faculté de droit de l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. Mais aussi une reconversion rapide pour celui qui avait été radié l’année dernière de sa fonction de cadre de la gendarmerie nationale sénégalaise par décret présidentiel après neuf ans de service.

Juste avant, le capitaine Touré officiait à la section de recherches de Colobane. Ce poste l’a conduit à mener l’enquête préliminaire de la gendarmerie concernant la plainte déposée le 5 février 2021 par Adji Sarr, qui accuse l’opposant Ousmane Sonko de l’avoir violée à plusieurs reprises dans le salon de massage dans lequel elle travaillait. C’est lui qui avait conduit les interrogatoires de la plaignante et des principaux témoins du dossier, avant de boucler son enquête trois jours plus tard.

Lorsque l’affaire devient publique, début février 2021, et que le procès-verbal des auditions commence à fuiter, le capitaine multiplie les sorties dans la presse. Il annonce aussi être suivi par des agents des renseignements sénégalais, évoque sa démission. Une prise de position peu appréciée par sa hiérarchie, qui dénonce ses « agissements et sorties médiatiques » et fait savoir qu’il manque depuis plusieurs jours à son poste.

CERTAINES PERSONNALITÉS DE MA HIÉRARCHIE SE SONT LIGUÉES AVEC DES HOMMES POLITIQUES, M’ONT SURVEILLÉ, M’ONT FAIT ÉCOUTER ET ONT PRÉFÉRÉ ME RADIER PLUTÔT QUE D’ACCEPTER MA DÉMISSION

« Cet officier, connu jusque-là pour sa bonne manière de servir, est en train de violer ses obligations militaires », informe alors la gendarmerie nationale. Dès le lendemain, le capitaine est conduit aux arrêts de rigueur et passe plusieurs semaines en détention, avant d’être radié le 14 juin 2021 pour « faute contre l’honneur, la probité et les devoirs généraux du militaire. »

« Dans leurs magouilles, à tort, certaines personnalités de ma hiérarchie se sont liguées avec des hommes politiques, m’ont surveillé, m’ont fait écouter et ont préféré me radier plutôt que d’accepter ma démission », déclarera-t-il plus tard. Son récent limogeage par l’IAM est-il lié à cette affaire ? C’est ce que semble croire Seydina Oumar Touré, qui n’a pas répondu aux sollicitations de Jeune Afrique.

Curieux timing

Une source au sein de l’IAM, qui réfute toute « pression » des autorités sénégalaises, explique que c’est sa publication initiale du 11 avril qui a entraîné son limogeage. « Nous avons préféré couper court à notre collaboration par mesure de prudence après sa communication sur les réseaux sociaux. Nous sommes une école de formation, et ne pouvons prendre le risque de créer un débat autour d’un simple module géré par un professeur vacataire. »

Dans un communiqué publié vendredi, le ministère de l’Enseignement supérieur reconnaît néanmoins s’être impliqué dans l’affaire. Le ministère insiste ainsi sur les « exigences de performance » des établissement privés, notamment en ce qui concerne le profil de leur personnel enseignant. « L’enseignement reste une vocation et non un refuge », tacle le ministère, qui conclut en évoquant sa « ferme décision » de veiller au profil et à la « probité » des enseignants.

Les autorités annoncent également avoir contacté la direction de l’établissement avant que celle-ci ne mette fin au contrat de son nouveau professeur. Une information confirmée par notre interlocuteur au sein de l’école, qui insiste sur l’indépendance de l’établissement. « Nous sommes une structure privée. Nous ne pouvons être soumis à aucune pression, sinon celle du marché. Nous ne pouvons prendre le risque d’une mauvaise publicité de ce genre, vis-à-vis de nos partenaires financiers ou de notre conseil d’administration. » À en croire notre interlocuteur, l’IAM a donc choisi de se protéger de toute possibilité de scandale en mettant immédiatement un terme à sa collaboration avec le vacataire, qui n’a pu dispenser que quelques heures de cours.

Le timing de ce limogeage interroge néanmoins, alors que Adji Sarr a été entendue ce jeudi 14 avril par le juge chargé du dossier, et confrontée à la gérante du salon de massage. « L’homme politique africain combat ses propres citoyens, dénonce quant à lui Seydina Oumar Touré. Où est la démocratie, la liberté, dans tout ça ? »

Dès le 14 avril, une cagnotte de soutien était lancée au bénéfice de l’ancien capitaine, « injustement radié de la fonction publique ». Sa rupture de contrat est qualifiée d’« énième forfaiture et énième injustice sociale » par les organisateurs de la cagnotte. Signe de la popularité de l’ancien enquêteur, le montant récolté s’élevait à plus de 30 millions de F CFA un jour seulement après sa création.

Burkina Faso : le russe Nordgold jette l’éponge à Taparko

Le producteur russe d’or invoque des « raisons de sécurité » pour justifier l’arrêt de ses activités à Taparko. La principale mine privée du pays est située dans le nord du Burkina, en proie à des violences djihadistes depuis 2015.

Par  - à Ouagadougou
Mis à jour le 12 avril 2022 à 18:11
 

 

mine

 

Des ouvriers marchent devant un stock de minerai d’or sur le site de la mine d’or de Taparko-Bouroum, dans le nord du Burkina Faso, le 11 mars 2009. © Katrina Manson/REUTERS

 

Les tensions semblent être arrivées à leur comble. Dans la soirée du 12 avril, la mine de Taparko, exploitée par le russe Nordgold, a annoncé dans une note d’information adressée au personnel, l’arrêt de ses activités pour « cas de force majeure ». Conséquence immédiate de cette décision : quelque 400 à 500 salariés, selon la direction du site aurifère situé à 200 km de la capitale dans le Namentenga, sont mis d’office au chômage technique. Des pourparlers doivent se tenir avec le ministère des Mines pour statuer sur leur sort.

Alors que Nordgold étudiait la possibilité d’investir plusieurs dizaines de milliards de F CFA pour développer une mine souterraine à Taparko, cette option se voit compromise par l’insécurité grandissante. « La situation sécuritaire au Burkina Faso se dégrade de jour en jour avec des conséquences négatives incalculables. Toute la zone autour de nos sites d’exploitation y compris la route Ouaga-Dori sont actuellement sous menace terroriste », précise le document signé par Alexandre Hagan Mensa, le directeur général de la Société des mines de Taparko (Somita).

Il ajoute : « Ces dernières semaines, l’accès au site est devenu pratiquement impossible. Cette situation met gravement en danger la vie du personnel sur les sites », d’après le responsable qui estime la société dans « une situation d’impossibilité absolue de poursuivre ses activités ».

Sécurisation des sites aurifères

Pour Rasmane Sawadogo, directeur De Nordgold au Burkina, « les sites de Bouroum, de Goengo et de Taparko sont régulièrement menacés par des hommes armés. Le personnel est stigmatisé et subit un fort niveau de stress lors des rotations. Au regard des risques élevés, la direction a donc décidé de préserver la sécurité des travailleurs en arrêtant les activités minières ». En effet, le 13 mars dernier, treize gendarmes ont péri dans une embuscade à Gorbalé près de Taparko, sur l’axe Kaya-Dori. La semaine suivante, vingt personnes trouvaient la mort dans l’attaque d’une mine d’or artisanale dans le nord du pays.

Pour faire face, certaines mines sont obligées d’héliporter leurs personnels sur site. Selon nos informations, le coût mensuel des rotations aériennes atteint près de 3 milliards de F CFA. Les groupes miniers actifs au Burkina Faso – Endeavour Mining, IamGold (Essakane), West African Resources ou encore Nordgold – en appellent au président de la transition, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, pour que la sécurisation des sites aurifères et la relance de l’exploration minière soient des priorités.

« Depuis plusieurs années, nous n’avons plus d’investissements dans l’exploration minière. Le Burkina, qui était pourtant l’un des pays les plus dynamiques de la région dans ce domaine, est aujourd’hui relégué au second plan. C’est un chantier prioritaire pour les nouvelles autorités », estime un responsable d’une société minière. Le climat d’insécurité a provoqué le gel des budgets alloués à l’exploration et, à l’inverse, une hausse des dépenses de sécurité (estimée à entre +10% et +25 % depuis 2016).

Deux autres projets miniers au Burkina

Pour calmer les tensions qui pèsent sur le secteur aurifère, les autorités misent sur l’Office national de sécurisation des sites miniers (Onasim). Créé en 2018, l’organisme public contrôlé par le ministère des Mines, devait déployer quelque 3 000 policiers et gendarmes sur le terrain, la sécurité des sites faisant partie de ses prérogatives. Aujourd’hui, ils sont à peine 500 personnes.

Interrogé sur les répercussions des sanctions occidentales appliquées à la Russie en riposte à la guerre en Ukraine, Nordgold réfute tout lien avec la fermeture de la mine de Taparko.

La Société des mines de Taparko, propriété de la compagnie minière russe Nordgold , a été l’un des premiers sites à produire de l’or dans le pays, inaugurant l’ère du boom minier actuel avec près de 17 gisements aurifères actifs (soit 241 000 onces d’or). Outre Taparko, Nordgold exploite la mine de Samtenga, sur le plateau central, et celle de Sabcé (Bissa Gold), dans le centre-nord du pays, et est aussi présent en Guinée.

Bénin: nouvelle attaque terroriste meurtrière dans le nord-ouest du pays

 

Le Bénin a été frappé, lundi 11 avril, une nouvelle fois par une attaque terroriste meurtrière dans le nord-ouest du pays. Le bilan est lourd : cinq soldats des forces de défense nationale sont décédés. Un soldat a été grièvement blessé, il est pris en charge dans un hôpital. 

Avec notre correspondant à Cotonou, Jean-Luc Aplogan

L’attaque a eu lieu à l’extrême nord-ouest du pays, à la frontière avec le Burkina Faso, selon des sources proches du dossier, dans la zone de la Pendjari où les groupes terroristes ont déjà sévi. 

Lundi, en milieu de matinée, ils ont attaqué à l’engin explosif improvisé. Une attaque doublée d’une embuscade, selon nos informations. 

Un convoi de ravitaillement a été pris dans ce piège mortel. Le bilan fait état de cinq militaires tués. Il s’agit de trois sous-officiers et deux soldats. Les dépouilles des soldats tués auraient été récupérées et, selon une source sécuritaire, l’armée béninoise tiendrait toujours ses positions sur le front.

Depuis l’attaque de février, c’est maintenant que les groupes armés terroristes refont parler d’eux. On apprend que dimanche, une patrouille de l’armée béninoise a découvert et neutralisé un engin explosif.

Mercredi dernier, le président béninois, Patrice Talon, a nommé un nouveau chef d’état-major général. Le général Fructueux Gbaguidi, 54 ans, va prendre le commandement de la troupe ce mardi. 

Niger: l'ancien ministre de l'Intérieur Cissé Ousmane Ibrahim placé en détention

 

Au Niger, l’ancien ministre de l’Intérieur Cissé Ousmane Ibrahim a été interpellé et écroué vendredi 8 avril. Il était accusé d’atteinte à la sûreté de l’État dans la tentative du coup d’État déjoué le 31 mars 2021, deux jours avant l’investiture du nouveau président Mohamed Bazoum. 

Avec notre notre correspondant à Niamey, Moussa Kaka

Cissé Ousmane Ibrahim est arrivé sous bonne escorte, vendredi soir, à la prison de civile de Birnin Ngaouré, située à une centaine de kilomètres de Niamey. En signant le mandat de dépôt, le juge d’instruction demande au surveillant de la prison de « détenir en dépôt, jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, le commissaire de police Cissé Ousmane Ibrahim ».

De source judiciaire, Cissé Ousmane Ibrahim est accusé de complot ayant pour but de porter atteinte à l’autorité ou à la sûreté de l’État dans la tentative du coup d’État déjoué le 31 mars 2021, soit deux jours avant l’investiture du nouveau président Mohamed Bazoum. Les articles 79 et 261 du code de justice militaire sont cités.

Il rejoint ainsi en prison le capitaine Sani Gourouza et le lieutenant Abdramane Mot qui, dans la nuit du 31 mars 2021, avaient pris le commandement d’un groupe de soldats pour s’attaquer au palais présidentiel. D'après des sources bien informées, le plan de la tentative du coup d’État a été monté depuis Ndjamena à l’ambassade nigérienne où se rendait un proche du ministre Cissé. Un plan revu et corrigé à Niamey à chaque fois que le diplomate rentrait au pays: prendre en étau le palais présidentiel à partir du ministère des Affaires étrangères et de la Corniche de Yantala bas ; renverser ainsi le président Issoufou Mahamadou et empêcher l’investiture du nouveau président élu Mohamed Bazoum. Dans quelques mois dit-on, tous seront jugés ai tribunal militaire.

Cissé Ousmane Ibrahim était ministre de l’Intérieur sous la transition du général Salou Djibo qui a renversé le président Mamadou Tandja. Il est ensuite devenu ambassadeur du Niger au Tchad, avant d’être débarqué, entendu par la justice et écroué.

Selon plusieurs sources, c’est surtout la dernière tentative de déstabilisation du régime de Niamey qui aurait précipité Ousmane Cissé en prison. Pendant que le président Mohamed Bazoum effectuait une visite d’État en Turquie, du 9 au 13 mars dernier, pour l’achat de matériel militaire de près de 200 milliards de francs CFA, les Services de renseignement ont déjoué une seconde tentative de coup d’État à Niamey. 

Niger – Mohamed Bazoum : quel chef de guerre pour un casse-tête sécuritaire ?

Redéploiement de Barkhane, arrivée de Wagner au Mali… Avec la nouvelle donne au Sahel, le président nigérien doit repenser sa stratégie. Et ménager une armée au sein de laquelle la grogne n’est jamais loin.

Mis à jour le 8 avril 2022 à 11:02

 

Mohamed Bazoum lors d’une visite de l’entreprise d’aviation Tusas, en Turquie, le 9 mars 2021. © Présidence du Niger

 

Il n’a jamais été le plus taiseux des hommes politiques. Dans les couloirs d’un hôtel ou d’un centre de conférences, Mohamed Bazoum a toujours aimé convaincre. Il est même arrivé à Mahamadou Issoufou, alors chef de l’État, de lui rappeler l’intérêt du silence en politique. L’ancien professeur de philosophie n’a pas changé. Devenu président, il estime qu’aucun interlocuteur ne saurait résister à ses arguments.

Le 25 février, au Centre de conférences Mahatma-Gandhi de Niamey, le Nigérien a invité les « cadres » de la nation. Sur les coups de huit heures du matin, élus, leaders religieux ou officiers de l’armée se pressent à l’entrée. Certains ceignent leur écharpe tricolore, d’autres passent un dernier coup de téléphone, les portables étant interdits à l’intérieur. Des technophiles dissimulent l’objet sous l’amplitude d’un boubou.

Mohamed Bazoum souhaite s’expliquer. Depuis peu, la France a officialisé le retrait de l’opération Barkhane du Mali. Le président Emmanuel Macron a commencé à évoquer un redéploiement, et le leader nigérien a annoncé qu’il était prêt à accueillir une partie des troupes (ainsi que celles, européennes, de l’opération Takuba) au sein de bases le long de la frontière avec le Mali. Depuis, il fait face à la gronde d’une partie de l’opposition qui l’accuse d’être devenu « le vassal de Paris ». Pendant près de deux heures, Mohamed Bazoum fait donc preuve de pédagogie. « Notre adversaire, explique-t-il, a des gens qui viennent d’Irak, de Syrie et de Libye […]. Il trouve des soutiens partout dans le monde. Nous ne pouvons pas nous priver de celui de nos partenaires. »

Aide européenne et matériel turc

Évoquant les « résultats » de Barkhane, notamment l’élimination des chefs jihadistes Mokhtar Ben Mokhtar, Abou Walid al-Sahraoui ou Abdelmalek Droukdel, le chef de l’État plaide pour une aide aérienne et terrestre qui devra être construite en concertation avec les états-majors européens et nigériens. « Si j’avais assez d’argent, j’achèterais plus d’hélicoptères […] mais ce n’est pas la réalité. Donc, si à côté de mes 12 000 militaires, je peux placer 400 à 700 Européens, je dois le faire. »

Dans combien de temps cette nouvelle donne sera-t-elle effective ? La mise en place devrait au bas mot prendre six mois, avant que le dispositif ne soit présenté par le gouvernement à l’Assemblée nationale pour un vote de confiance.

« Le retrait français du Mali prendra du temps, et les concertations devront déterminer les emplacements des futures bases, les modalités des forces conjointes, les méthodes de coopération… », explique une source sécuritaire. Cette coopération et l’installation de bases dans la région de Tillabéri doivent également s’accompagner d’un renfort matériel d’importance. Mohamed Bazoum a officialisé le lancement d’un programme de 200 milliards de F CFA (plus de 300 millions d’euros) comprenant l’achat d’avions, de drones et de blindés aux entreprises turques Turkish Aerospace Industries (Tusas), Baykar et Nurol, dont il a visité les installations le 11 mars.

Une classe politique épargnée par l’anti-occidentalisme

« Vu la majorité dont Bazoum dispose à l’Assemblée, il n’a pas à s’inquiéter pour le vote de confiance », glisse un député du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS, au pouvoir). « L’exercice n’est jamais anodin, tempère un conseiller du chef de l’État. Il peut y avoir des débats houleux. » Cependant, de l’avis de ses opposants comme de celui de ses soutiens, Mohamed Bazoum n’a pas à se soucier d’un risque de contagion de la classe politique par un sentiment anti-occidental. S’il surveille l’opinion et les réseaux sociaux, il sait qu’il n’y a « pas encore au Niger de leader tel que l’imam Dicko au Mali », selon les termes de l’un de ses proches.

LA VRAIE CIBLE DU DISCOURS, C’ÉTAIT LES MILITAIRES NIGÉRIENS

Mohamed Bazoum prend soin de tenir ses troupes et de prévenir toute propension à succomber aux sirènes anti-occidentales. Mais le discours du président avait-il une autre ambition ? « La vraie cible, c’était les militaires, confie un conseiller. On ne peut pas donner l’impression que l’on s’appuie sur les Européens parce que l’armée n’est pas capable de s’en sortir. » Réaffirmant sa « confiance » envers des forces armées qui font « face à l’adversité », leur commandant suprême s’est donc livré le 25 février à une opération de séduction, semblable à celle qui l’avait déjà mené à Baroua, dans une région du lac Tchad confrontée à l’État islamique en Afrique de l’Ouest.

« On voyait l’armée comme une ennemie »

« Le président sait qu’il faut ménager l’armée, au sein de laquelle la grogne n’est jamais loin », glisse-t-on dans son entourage. Depuis un peu plus de deux ans, une colère sourde a gagné certains au sein des forces nigériennes, à la suite de la publication d’un audit de l’inspection générale des armées sur les contrats du ministère de la Défense. Le rapport a mis au jour des malversations à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros. « Les détournements ont privé l’armée d’un matériel indispensable et ont coûté des vies sur le terrain. Forcément, pour apaiser les choses, il faut que des têtes tombent », explique une source sécuritaire. Une instruction est en cours.

KATAMBÉ AVAIT TAPÉ DU POING SUR LA TABLE ET PROMIS DES MESURES. LES GRADÉS VOIENT BIEN QUE CELA N’A PAS ÉTÉ SUIVI D’EFFET

Mais l’État, qui s’est un temps porté partie civile, a choisi de se retirer, préférant négocier au cas par cas avec les opérateurs concernés. Quant à Issoufou Katambé, le ministre qui a enquêté jusqu’en Europe de l’Est pour obtenir des preuves – nombre de gradés comptaient sur lui pour nettoyer certains échelons politiques de la Défense –, il ne fait plus partie du gouvernement. « Katambé avait tapé du poing sur la table et promis des mesures. Les gradés voient bien que cela n’a pas été suivi d’effet », regrette un proche de l’ancien ministre. Ce dernier a été remplacé par Alkassoum Indatou, baron du PNDS proche à la fois de Mohamed Bazoum et de Mahamadou Issoufou.

« Cela a renforcé la méfiance de certains officiers envers le PNDS », croit savoir une source au sein de la grande muette. Depuis l’arrivée à la présidence de Mahamadou Issoufou en 2011, la relation entre l’armée et le parti est en effet difficile. « On a trouvé une armée politisée, connectée au Mouvement national pour la société de développement [MNSD, ex-parti unique], tranche un baron du PNDS. On la voyait comme une ennemie qui n’avait jamais permis une seule alternance pacifique. » Le nouveau président avait donc alors fait le choix d’envoyer certains officiers de haut rang à l’étranger, dans les ambassades d’Afrique du Nord ou d’Europe.

LE POUVOIR ET L’ANCIEN RÉGIME S’ACCUSENT MUTUELLEMENT D’AVOIR POLITISÉ LES FORCES ARMÉES

« Aurions-nous dû les laisser, sachant qu’ils étaient liés à nos adversaires politiques ? C’était une question de survie pour nous », assume un baron, qui cite le général Moumouni Boureïma. Nommé ambassadeur en Égypte à la suite du coup d’État qui a renversé Mamadou Tandja en 2010, cet ex-chef d’état-major a été interpellé en 2021 pour avoir appelé à la rébellion et il est aujourd’hui emprisonné. « Il y avait une nomenklatura à casser car trop politisée », assure encore un membre du cabinet Issoufou en 2011. Mais l’opération a laissé des traces, certains officiers accusant le PNDS d’avoir voulu décapiter l’armée pour y installer son propre système. « Le pouvoir et l’ancien régime s’accusent mutuellement d’avoir politisé les forces armées. La réalité, c’est sans doute que les deux l’ont fait », résume un politologue.

50 000 soldats en 2025 ?

Les grandes manœuvres iront-elles plus loin ? Les effectifs de l’armée sont passés d’un peu moins de 10 000 en 2011 à plus de 30 000 aujourd’hui, et Mohamed Bazoum a annoncé le 25 février sa volonté de porter ce nombre à 50 000 d’ici à 2025. Une façon également d’élargir le recrutement ? « Dès son arrivée au pouvoir, le PNDS a voulu changer le système de recrutement et de formation des officiers, trop centré sur Niamey. En dehors de l’intégration de chefs touaregs après les rébellions des années 1990, l’armée favorisait une reproduction de l’élite de l’Ouest », expose un ex-membre du gouvernement.

Un des promoteurs de cette « armée de proximité », selon les termes de cette source ? Mohamed Bazoum, alors ministre de l’Intérieur et membre du Conseil national de sécurité (CNS), puis à la tête de l’État. Le président souhaite notamment prendre exemple sur la Garde nationale (GNN), une unité placée sous le commandement du ministère de l’Intérieur. « Elle a toujours été composée de combattants venus surtout des zones rurales. Elle offre plusieurs avantages, notamment la mixité sociale et régionale, et une plus grande proximité avec les populations”, rappelle notre politologue. Depuis plusieurs années, sous l’impulsion de Mahamadou Issoufou et de Mohamed Bazoum, la GNN a ainsi vu ses missions se multiplier dans le domaine de la lutte contre les groupes armés jihadistes.

L’homme de l’Intérieur

« La proximité de terrain, il faut la reproduire au sein de l’armée traditionnelle. Et c’est un des chevaux de bataille de Bazoum », commente un ex-ministre de la Défense, qui plaide pour la multiplication de recrutements spéciaux dans certaines régions. Mais, une nouvelle fois, le président marche sur des œufs. La GNN, qui dépend du ministère de l’Intérieur, ne répond en effet pas aux ordres du chef d’état-major des armées, ce qui ne manque pas de provoquer une rivalité sous les drapeaux nigériens et quelques problèmes de coordination. « La Garde nationale et l’armée doivent travailler ensemble, mais c’est un peu comme le FBI et la CIA aux États-Unis avant le 11 septembre 2001 », résume un conseiller du président. Ce dernier créera-t-il un commandement unifié ? Certains de ses proches le lui conseillent.

BAZOUM S’APPUIE SUR LE MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR ET SUR LES POLICIERS

Le président a en tout cas tendance à cultiver sa proximité avec ses anciens fidèles de l’Intérieur. En novembre 2021, quelques jours après qu’un convoi de l’armée française a été pris à partie à Téra (Ouest), il a confié le ministère à Hamadou Adamou Souley, l’un de ses proches. Surtout, un mois plus tard, il a placé un de ses ex-collaborateurs, le commissaire de police Rabiou Daddy Gaoh, à la tête de la puissante Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE). « Bazoum s’appuie sur le ministère de l’Intérieur et sur les policiers. C’est une question de confiance : il les connaît mieux que l’armée », juge un ancien du CNS.

Est-ce la seule raison ? Le ministère de la Défense est également plus stratégique pour le parti au pouvoir, qui y a toujours placé un de ses grands barons – aujourd’hui Alkassoum Indatou, comme évoqué plus haut. « Tout président qu’il soit, Bazoum doit composer avec les pontes du PNDS. Il a les coudées plus franches à l’Intérieur », explique notre ancien membre du cabinet de Mahamadou Issoufou. Le chef de l’État a aussi conservé le général Salifou Modi comme chef d’état-major, alors même que les patrons des armées de terre et de l’air ont été remplacés en mai 2021 après une série d’attaques dans la région de Tillabéri. Ancien attaché de défense en Allemagne – il y avait été nommé en 2011 –, Modi avait été choisi en janvier 2020 après l’attaque de Chinagodar par Mahamadou Issoufou, et il bénéficie toujours d’une excellente réputation au sein de la troupe comme auprès de la classe politique.

État de grâce ?

« Mohamed Bazoum a compris que conserver le général Modi lui permettait de gagner des points auprès des officiers de l’armée », confie une source sécuritaire. « Comme tout nouveau président, il bénéficie encore d’une sorte d’état de grâce », ajoute le même interlocuteur. Mais cette situation durera-t-elle ? Les ingrédients du ressentiment envers l’ancienne administration sont toujours présents. Selon plusieurs témoignages internes, les officiers naguère hostiles à la méthode de Mahamadou Issoufou réclament aujourd’hui une rupture. « Cela veut dire laisser l’armée aux militaires, ne pas faire de nominations “politiques” et se débarrasser des brebis galeuses », détaille l’un d’eux.

« L’armée veut disposer des moyens d’être respectée et efficace. Cela passe bien sûr par l’équipement et les armes, mais pas uniquement. Si l’on n’intègre pas la lutte contre la corruption et l’impunité, on pourra gagner des batailles mais pas la guerre », lâche un leader de la société civile. « L’affaire de l’audit de la Défense est un symbole : des gens ont fait de l’argent alors que du matériel n’était pas livré aux soldats. L’armée peut-elle accepter que cela devienne la norme ? » s’interroge cette même source. « Bazoum doit prouver qu’il est différent », résume un habitué de la grande muette. « Il est différent, rétorque l’un de ses conseillers. Il partage le même objectif de sécurité que Mahamadou Issoufou, mais la méthode et le style ne sont pas du tout les mêmes. »

Le 25 février, alors qu’il s’attelait à son opération de pédagogie, l’ancien professeur a provoqué un nouveau début de polémique en évoquant un dialogue avec les jihadistes. Peu apprécié par les officiers, difficile à expliquer aux parents de victimes, celui-ci est déjà enclenché, et plusieurs conseillers planchent très discrètement sur la question, notamment le ministre de la Défense nationale, Rhissa Ag Boula ou, moins fréquemment, le conseiller Moustapha Ould Limam Chafi. Mohamed Bazoum a d’ores et déjà fait libérer des prisonniers afin de faciliter le processus. « Le résultat est là, et on ressent une légère accalmie », a-t-il assuré. Le même jour, plusieurs de ses conseillers confiaient leur inquiétude. « Cela n’avait pas vocation à être rendu public, regrettait l’un d’eux. Mais il ne peut pas s’empêcher de parler, c’est dans sa nature. Espérons que cela ne lui retombe pas dessus… »